Chapitre 29 : L’envol du papillon
Write by Max Axel Bounda
Accusé à tort ou à raison,
interpellé à plusieurs reprises par les médias, le recteur de l’UPG avait dû
faire une sortie afin de lever la responsabilité de son institution dans
l’affaire du communiqué, et promettre la mise sur pied d’une unité de police assignée
à la sécurité du campus. La future « Police Campus » allait voir le
jour dans les toutes prochaines semaines.
Toute cette cabale médiatique avait
énormément amusé ma petite amie, car elle se savait à l’origine de cette fuite
pour mettre en lumière ce qu’elle décrivait comme une énorme injustice. Cependant,
elle n’était qu’à moitié satisfaite car elle savait qu’il lui serait difficile
de faire rouvrir l’enquête sur la mort de Rhianne au Gabon malgré les preuves dont
elle disposait. Désormais, il lui fallait tout donner pour qu’aboutisse la
plainte collective contre l’université. Et ça, ce n’était pas encore gagné.
Par ailleurs, depuis plusieurs
jours, Lema et Jessica se voyaient régulièrement pour faire avancer le dossier.
La stratégie étaient simple, déposer le dossier dès que toutes les plaignantes
auraient soutenu. Il ne fallait pas laisser du répit à ces vautours.
Lors de leur deuxième entretien au
cabinet, Lema était arrivé avec trois autres victimes qu’elle avait convaincu
de se joindre à la cause, d’autant plus que ces dernières figuraient sur les
vidéos. Cela faisait au total cinq plaignantes. Par chance, elles avaient aussi
pu recueillir des messages textuels et des notes vocales compromettantes.
Cependant trois des cinq plaignantes
devaient encore passer par la case soutenance donc il leur fallait être
prudentes et veiller à ce que l’affaire ne s’ébrute pas. KNA avait fait signer
à toutes les plaignantes une clause de confidentialité.L’effet de surprise,
c’était un levier important sur lequel voulait jouer Jessica. Mais en attendant
que les filles ne soutiennent et que la saisine ne soit enfin déposée, il leur
fallait s’acquitter d’une mission très importante. Un rituel qui allait
peut-être leur permettre de dormir mieux : Ensevelir leur amie et ancienne
directrice.
Le jour de la sortie du corps de
Rhianne avait été très ensoleillé. Libreville avait été ensevelit dans une
véritable chaudière. A la nuit tombée, Jessica et moi devions participer à la
veillée funèbre de celle que l’on considérait désormais comme une amie. Et dire
qu’il y’a peu, nous ne nous connaissions même pas. Le hasard du destin nous
avait réunis et semblait-il pour la bonne cause.
La veillée funèbre avait lieu au
domicile de son oncle maternel. Une demeure qui pouvait accueillir assez de personnes
et permettre au fameux oncle de jouer l’intéressant. Car il s’était conté à la
dernière réunion de famille, que le gouvernementavait versé une compensation
financière à la famille en échange de son silence. Ce qui justifiait pourquoi,
alors que le pays entier s’acharnait à défendre leur défunte fille, la famille
était restée muette comme une tombe.
Pour les obsèques, les papillons avaient
opté pour deux salles à la maison des pompes funèbres mais on leur avait
rétorqué qu’elles n’étaient personne pour s’imposer dans une histoire de
famille. Lema avait été effaré de constater le niveau des cotisations pour ce
décès. Comme si les gens s’en réjouissaient et étaient pressé de l’enterrer en
grande pompes.
Chacun y allait de sa poche. Montrer
qui avait les poches les plus pleines. Des sommes que Rhianne n’aurait jamais
vu de son vivant même si elle avait été malade ou en grande difficulté.
D’ailleurs où étaient tous ces parents là quand Rhianne avait perdu sa mère et
souffrait pour survivre ?Quandelle avait besoin d’argent pour manger ou
payer les fascicules à l’université ?
Jessica et moi étions arrivés sur
les lieux à vingt heures. La maison avait été envahie par des centaines de
personnes dont on ne savait s’ils arrivaient ou s’ils repartaient. Trois
énormes tentes avaient été installées dans la cour de la maisonnée. Mais elles
étaient toutes pleines. Le spectacle qui s’offrait à nos yeux ne laissait
personne imaginer que Rhianne avait vécu de manière discrète et cachée tant
elle s’était fait des fans au moment de sa mort.
L’ambiance yétait bruyante, entre
les chants de la chorale qui s’élevaient de la chapelle et les conversations volubiles
de toutes ces personnes qui semblaient ignorer que nous étions à une veillée
funèbre.
N’ayant pu avoir de places dans la
salle, toute pleine à craquer, Jessica entreprit d’appeler Lema.Peut-être
pouvait-elle faire quelque chose. Car l’on ne pouvait passer la soirée debout,
tels des poteaux électriques. Le téléphone de notre nouvelle amie sonna en vain
à plusieurs reprises. C’est alors que nous remarquâmes les deux hôtesses qui
faisaient des va-et-vient entre la cour et la salle dans laquelle se trouvait
la chapelle.Lema avait aussi assigné deux hôtesses à chaque tente. Elle
accompagnait les arrivants et leurs gerbes de fleurs. Normal, c’était leur
métier. La directrice d’une agence d’hôtesses ne pouvait en manquer le jour de
son décès.
Les hôtesses de Blu Butterfly
étaient reconnaissantes à leur chainette au papillon et leur tenue bleue. C’était
un modèle chinoiscousu avec un tissu en soi. Elles étaient toutes belles à voir
et apportaient un peu de gaité à cette comédie dramatique.
Jessica entrepris donc de se
rapprocher de l’une d’elles.
— Madame Lema, répondit la fille avec
un énorme sourire. Elle doit être aux cuisines. Qui dois-je annoncer, s’il vous
plait ?
— Jessica Nyingone. Elle comprendra.
— D’accord, rendit la fille en
tournant le dos. Aussitôt une autre fille toute aussi souriante vint se placer
juste devant nous à l’endroit exact où se trouvait sa collègue des minutes plus
tôt. Je remarquai alors combien ces filles étaient professionnelles.
Cinq à dix minutes plus tard, Lema
apparut à l’entrée de la tente avec le sourire. Elle était vraiment heureuse de
nous voir. J’avais sous les yeux une Lema transformée qui portait un foulard
sur la tête, un pagne au tour des reins et un tablier sur le corps. Sans dire
un seul mot, elle vint embrasser Jessica qui lui rendit son étreinte.
—Je n’ai pas réussi à me rendre dans
la salle Jess. Je n’arrive pas croire qu’elle ne se réveillera plus. Je ne pourrais
pas lui dire au revoir.Je ne peux pas regarder dans son cercueil !
— Je comprends Sam. Ce n’est pas
facile. Tu t’y feras avec le temps. Pour l’instant pense juste aux bons moments
que vous avez vécus ensemble.C’est tout ce qu’il reste maintenant.
— Merci d’être venu. Ça me fait énormément
plaisir, dit-elle en essuyant ses larmes du revers de la main. Elle me fit deux
baisers sur les joues.
— On a apporté ceci, dit Jessica. On
a pensé que ce serait utile.
Je lui tendis les deux paquets que
nous avions apportés avec nous. Deux paquets de sucres et deux énormes boites
de lait concentré. Jessica n’aimait pas se présenter à de telles occasions les
mains vides. Elle disait que ce n’était pas bien. Pourtant au cours de ces
années, il nous était arrivé plusieurs fois d’être les seuls convives à apporter
des cadeaux à une réception.
— C’est très gentil à vous. Pas
comme tous ceux-là, murmura Lema en riant.
— Elle est belle votre tenu, lançai
je.
— Ah ! Merci Thierry. C’était
la couleur préférée du papillon. Elle était un peu styliste sur les bords.Elle
avait réellement bon gout.
— C’est ce que je constate.
— Alors je vous rejoins à la
cuisine ? Vous ne refuserez pas deux bras de plus, j’espère.
— Non. Non. Tu peux venir. Mais tu
laisses ton mec tout seul ?
— Il est assez grand pour se débrouiller.
— Tu n’as pas peur qu’on te le
pique ?
— Oh, il sait qu’il n’a pas intérêt
à regarder une autre, lança ma petite amie en riant. Elle me donna un baiser
sur la bouche avant de disparaitre dans la foule. J’en profitais pour rejoindre
un groupe d’étudiants de l’UPG que j’avais reconnu dans la deuxième tente. La
nuit se passa sans incident. Depuis l’extérieur, on entendait les témoignages
des proches de Rhianne qu’accompagnait la chorale.
A minuit, ma petite amie n’était
toujours venue me rejoindre. Je l’avais aperçu ici et là servant des tasses de
cafés et distribuant des canapés mais on ne s’était pas parlé. Vers deux heures
du matin, la fraicheur était à son comble. Il était tard, nous devions rentrer.
A deux heures et demie, il se mit à pleuvoir.
Une énorme pluie se déversa sur la capitale. Jessica qui était venue me
rejoindre s’assit près de moi sur les chaises plastiques. Lema qui l’avait
accompagnée se joint à nous.
— Je suis exténuée, dit-elle en se
laissant choir sur le siège.
— T’as pas intérêt, la nuit ne fait
que commencer, la chambra Jess.
— Oh, il ne reste que deux heures
avant le lever du jour. Et notre prochain tour de café est dans une heure.
Heureusement les gens s’en vont peu à peu.
— Ouais, lança Jessica quand soudain, une femme
nous aborda. Il me sembla qu’elle faisait partie de la chorale. J’avais cru
l’apercevoir pendant la parade que son groupe avait faite au cours de la nuit.
Ils étaient passés sous toutes les tentes pour faire danser et chanter qui
voulait.
— Jeunes gens, bonsoir, nous
dit-elle. Elle s’assit près de nous sur une chaise qui trainait vide aux
environs de notre petit cercle.
— Bonsoir Madame, rendit Lema. Nous
nous occuperons de vous dans bientôt.
La dame sourit.
— Vous croyez en Dieu ? Nous
demanda-t-elle. Jessica répondit que oui. Croyez-vous aux esprits de
mort ?
Et nous nous regardâmes curieux et
apeurés. Qu’est-ce qu’elle nous voulait celle-là ?
— Madame…
— N’ayez pas peur. Je sais que ce
n’est pas habituel. Mais j’ai l’habitude. Votre amie est parmi nous, ajouta la
femme. Nous prîmes encore plus peur. De
quelle amie parle-t-elle ? C’est à cause d’elle qu’il pleut. Elle est très
triste. Elle a mal.Elle est partie trop tôt. Ce n’était pas son heure.
— Elle qui ? Rhianne ?
interrogea Lema presqu’affolée.
— Oui. C’était une belle femme hein.Elle
n’a pas arrêté de pleurer toute la nuit.
Lema tiqua. Elle fit couler deux
larmes.
— Vous mentez !
— Avez-vous acheté deux robes bleues
identiques que vous comptiez porter après votre soutenance ?
Lema éclata encore plus en sanglot
sous mes yeux stupéfaits.
— Personne n’était au courant de
cela, dit-elle à Jessica. Dans ses yeux, il y’avait une sorte de mélange de peur
et d’espoir.
— Elle dit qu’elle t’aime et qu’elle
veille sur toi, lança la femme. Puis se retournant vers Jessica puis vers moi,
elle ajouta, A vous, elledit merci, que vous y arriveriez. Elle vous aidera.
—Sérieusement ?Vous la voyez
là ? Elle est où ?
— Si je vous le dis, vous vous en
fuirez ! Peut-être qu’elle est juste derrière vous. Jessica sursauta. Ou à
sa droite, elle désigna Lema. Ou bien, elle est près de ce jeune homme.Nous ne
teignions plus en place. Regardant autour de nous, sans pouvoir rien voir. Qu’espérons-nous
avec nos yeux de simples mortels ?
—Elle me manque.
— Tu lui manques aussi. Voilà
pourquoi elle n’est pas heureuse, ajouta la femme. Elle est très en colère et
se sent seule.La femme s’exprimait ainsi comme absorbée par ses pensées. Elle
bouscula la tête comme refusant ce qu’elle y percevait. Non… il y’aura beaucoup
de morts. Beaucoup de morts.Dans les prochains jours, beaucoup vont mourir.
—Nous allons mourir mais
pourquoi ?
— Pas vous mais ceux qui l’ont tué
la rejoindront bientôt ! Sourit la femme. Vous savez les âmes meurtris se
vengent toujours. Elle ne trouvera pas le repos tant que ce ne sera pas fait.
— Mais qui l’a tué ?
— Vous le saurez sans doute avant
moi. Mais faites attention. Méfiez-vous de vos proches.
—Nos proches…
— Oui, et il faut beaucoup prier. Je
sens des ondes bizarres autour de vous trois. Vous êtes en danger. Des gens
essayeront de vous faire du mal. Il faut vraiment prier, dit-elle en se levant.
Nous l’observâmes s’en aller sans
pouvoir rien dire d’autres, pétrifiés par les révélations que nous venions
d’entendre. Mais encore plus par le fait que nous nous savions en danger de
mort.
La dame se retourna, et nous sourit.
— Elle vous souhaite bonne chance
pour vos soutenances. Tout se passera bien.
Nous quittâmes la soirée dès que la
pluie eut un peu baissé. Il était quatre heures et demiedu matin. Lema nous accompagna
sur la voie principale où nous devrions prendre notre taxi. Pendant que
j’attendais les filles échangeaient sur ce qui venait de nous arriver.
— Madame Lema ? Appela une
personne qui émergeait du noir. Votre voiture a été cassée.
—Ma voiture ? Je ne suis pas
arrivée avec. Du moins, ce n’est pas moi qui l’ai conduite jusqu’ici où est
Rebecca ?
J’arrêtai ma besogne et me
rapprochai d’elles.
— Que se passe-t-il ?
— Il semble que ma voiture ait été
cassée.
— J’espère qu’il n’y avait rien de
précieux.
— Non, pas grand choses. Peut-être les
papiers. En fait, je me suis déplacé avec celle de Rhianne pour aller faire des
courses. Rebecca conduisait la mienne.
—En fait, repris la fille avec
hésitation, celle de Madame Nyingone aussi.
Nous regardâmes, et nous empressâmes
d’aller voir ce qui se passait. Il n’était pas normal que les deux véhicules de
ces filles soient pris pour cibles le même soir. En plus, ils n’étaient pas stationnés
au même endroit. C’était une suspecte coïncidence encore une fois.La dame avait
dit que nous étions en danger. La vérification faite autour de cette casse nous
révéla ce que l’on craignait le plus. Quelqu’un quelque part voulait mettre la
main sur le sac de Rhianne. Mais qui cela pouvait bien être ?
Il fallait qu’on le découvre au plus
vite.