Chapitre 3

Ecrit par Meritamon

Nairobi. Siège de la World Dominion Bank. 2011.

 

      -         Pouvez-vous répéter votre nom? Lui avait demandé l’adjointe administrative, débordée, dans les bureaux luxueux et immaculés de la WDB.

         -         Badr. Tahaa Badr. Je souhaiterai avoir une rencontre avec Monsieur Hann pour une opportunité d’affaires que je voudrais lui présenter, avait répété patiemment l’homme, bien que ce fût la 5ème fois qu’il se présentait dans cette banque d’investissements et qu'il répétait le même discours.

Il s’était déjà fait refoulé à quatre reprises, de façon plus ou moins cavalière. Mais Tahaa n’abandonnait pas, cela était rarement dans sa nature. À chaque fois, il revenait, en comptant sur son pouvoir de persuasion. Ils finiront bien par se lasser un jour et lui donner son rendez-vous.

Quand il avait repris les terres de son père, on l’avait traité de fou. Les terres n’étaient plus aussi rentables que par le passé, l’agriculture intensive pratiquée depuis des décennies par son père avait fini par les rendre stériles. Il fallait trouver une alternative. 

De l’agriculture bio, respectueuse de la nature et de l’écosystème et qui priorise les produits locaux? Une façon de se ruiner encore plus! Il n’existait pas de marché pour cela, lui disait-on. Seuls, le café, le cacao, le coton et le riz étaient dignes d’intérêt sur les marchés internationaux. Et encore, le contexte économique des dernières années avait fait chuter le prix de ces produits.

Bref, c’était un sale temps pour devenir agriculteur. Il y avait peu d’aide venant de l’État, les terres s’appauvrissaient; sans compter la convoitise des sociétés minières prédatrices, intéressées par les ressources dans le sous-sol.

Il y eut aussi ces événements qui s’étaient succédé sur les terres de Tahaa Badr : une quasi sécheresse avait ruiné toute une récolte, une invasion inhabituelle de sauterelles mangeuses d’épis; et la pire des calamités, les voleurs de bétail, ces bandes organisées qui avaient raflé une partie du cheptel de bovins de Tahaa. Chacun de ces fléaux l’avait mis à terre, puis avec résilience, il s’était relevé et continué, obstinément.

        -       Il faut qu’on vende, nous sommes acculés au pied du mur par les dettes, le domaine ne rapporte plus ça fait des années! avait proposé l’un de ses frères, pressé de se libérer de ce fardeau que devenaient les terres de la famille, qui représentaient bien plus qu’une dépense que des revenus.

Têtu, Tahaa s’y était opposé, se mettant ainsi à dos une partie de sa famille, surtout ses deux jeunes frères qui désiraient vendre leur part au plus vite.  Il était l’aîné de sa famille, leader de sa communauté, les centaines de familles qu’il embauchait dépendaient encore de ces terres.

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           -         Vous avez un rendez-vous? L’agenda de monsieur Hann est bloqué depuis plusieurs mois, de plus il se trouve au moment où nous nous parlons à Davos, en Suisse, avait ajouté avec hauteur la femme en jaugeant son interlocuteur obstiné. Elle prenait son rôle très à cœur qui était de bloquer ceux qui importunaient, séparer le bon grain de l’ivraie.

        -         Écoutez, mon rendez-vous a été annulé. Ça va faire un mois que je viens dans votre banque, mais de grâce faites-moi rencontrer au moins son associé, monsieur Ogbufo. J’ai eu le bonheur de le rencontrer à l’hôtel Serindori.  Il m’avait invité à venir le rencontrer, mentit-il, à sa plus grande honte.

L’adjointe est embarrassée. Tahaa venait à un moment inopportun. Son patron était au beau milieu d’une rencontre avec des représentants d’un ministère quelconque, et d’autres grosses pointures de la Banque Mondiale.

        -         S’il vous plait, soyez sympa. Cela ne prendra que 30 minutes de son temps, insista l’homme en lui décochant son sourire le plus charmeur, celui qu'il faisait craquer les femmes.

Cela fonctionna parce que la femme lui promit, en disparaissant derrière de larges portes en acajou, qu’elle verrait ce qu’elle pouvait faire.

En l’attendant, Tahaa pensa avec amertume à la maxime préférée de son père : « L’homme noble, c’est l’homme libre, c’est-à-dire l’homme qui se suffit à lui-même pour se nourrir; c’est l’agriculteur; celui-ci ne passe par aucun intermédiaire entre la terre qu'il cultive et lui ».


Quelle connerie! Avait pesté Tahaa. Pour l'heure, en ces temps difficiles, l’homme noble, l'agriculteur,  était celui qui mendiait au prix de sa dignité, auprès des argentiers de ce monde.

  


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Charles Ogbufo est pressé. Il n’avait pas une minute à lui. Il jaugea d’un regard l’homme que Julia, son adjointe lui introduisit. Et Il lui suffisait de quelques secondes pour juger de l’envergure de son interlocuteur.

Grand, 1m95, larges épaules, 28 ans. Visage fier, menton relevé, une détermination absolue dans ses yeux très clairs. Le teint cuivré, avait-il des origines arabes avec le nom qu’il portait?

Sa poigne est ferme et son regard franc. Mais, son costume bon marché dans lequel il semblait mal à l’aise, gâchait un peu son allure.

 

         -         Mon temps est précieux monsieur, annonça Charles, sans autre forme de procès.

         -         Ça m’ira, répondit Tahaa sans se formaliser. 

Il préférait de toutes les façons les manières directes.

         -         Vous êtes déjà dans quel secteur d’activités ?

         -         Je suis agriculteur, je possède des terres de plusieurs milliers d’hectares à Diarri, en Guinée, et…

Charles d’un geste le coupa net.

        -         Notre Banque n’investit pas dans le secteur agricole. Vous devriez le savoir, c’est sur le site internet. Si j’étais vous, je me tournerais vers les institutions de crédit agricole.

Une autre réponse condescendante que Tahaa encaissa un peu durement.


Respire mon Tahaa.... Respire…

Il était au courant de cela parce qu’il avait fait ses recherches avant de payer des milliers de dollars en avion, logement et déplacement pour rencontrer Charles. L’homme expliqua qu’il y avait eu des défauts de paiement dans son dossier, dû aux caprices de Mère Nature et le crédit agricole ne lui prêtait plus aucun sou.

 Tahaa était irritable. Cela transparaissait dans le ton de sa voix. Nairobi, cette ville étrangère, densément peuplée avec ses embouteillages, le rendait irritable et claustrophobe. Habitué aux grandes étendues, les grandes villes, bruyantes et polluées, le stressait.

            -         Vous êtes endetté, c’est ça? Pourquoi vous ne vendez pas vos terres? Vous pouvez en retirer un revenu conséquent.

Tahaa eut un soupir de découragement.

            -         Ce sont des terres ancestrales, je ne peux pas les vendre. Ma famille y est depuis cinq générations.

            -         Vous êtes un sentimental, constata Charles.

          -         Pas vraiment. Il y a des centaines familles que j’embauche, qui ont besoin de se nourrir et de vivre. Je ne suis pas un sentimental. Je suis tout simplement responsable d’une communauté. Ces gens comptent sur moi. Je dois continuer de leur fournir du travail.

Cette réponse déconcerta un peu Charles Ogbufo, pourtant habitué à rencontrer dans son bureau, toute sorte d’hurluberlus. Pourtant, ce jeune homme avait la tête sur les épaules, et aussi des valeurs, ce qui était rare par les temps qui couraient. Il admit qu’il avait peut-être devant lui, un leader.

             -         Mon associé, Malick Hann, a aussi des origines guinéennes. Ses parents ont immigré aux États-Unis quand il avait 2 ans. Mais il ne connait pas beaucoup ses origines. Moi-même, je suis Igbo du Nigeria. Mais, pour le business, nous sommes américains avant tout, même si nous vivons ici et profitons des avantages de l’Afrique.

         -         Je vois ça. Bien, je vous inviterais à visiter ma région, venez voir mes terres. Venez juger par vous-mêmes des opportunités. Cette année, les récoltes sont prometteuses.

         -         Écoutez, Monsieur Badr, je ne sais pas ce que je peux faire pour vous. Nous travaillons pour des investisseurs qui viennent principalement du Moyen-Orient, qui s’intéressent à d’autres types d’activités, voyez-vous?

                -         Mes terres ont du potentiel, je vous l’assure. Je me tourne vers un nouveau type d’agriculture plus respectueuse de la nature, nous n’utilisons pas de pesticides. Vous ne pouvez pas me dire que c’est un secteur sans avenir tandis que que sur ce continent on meurt encore de faim!

La sonnerie du téléphone les interrompit. Charles s’excusa et répondit pendant quelques minutes. De grands plis apparurent sur son front soucieux. Il eut un profond sourire lorsqu'il raccrocha.

                  -         Désolé, c’est ma nièce, la fille de mon associé. C'est un peu comme ma fille aussi. Elle nous donne des soucis ces derniers temps. Avez-vous des enfants, Tahaa?

                  -     Non, je n’ai pas encore eu ce bonheur. Je n’ai pas fondé ma famille.

                  -         Alors hâtez-vous! Ne faites pas comme moi, à travailler sans relâche, puis, se réveiller un jour, seul...

Tahaa esquissa un sourire, gêné par les propos de l'homme.

                 -         Je n’ai pas encore trouvé la bonne fille. Et, ce n’est pas ma priorité, vous comprenez? Tout ce que je fais, c’est de m’en sortir, mon domaine et moi.

Conquis par le charme naturel et le franc-parler du jeune homme, Charles conclut :

 « Vous me plaisez bien, Tahaa. Je ne vous promets rien, mais je vais voir ce que je peux faire ».


Il y avait de l’espoir encore, estima Tahaa. L'espoir est ce qui nous fait avancer, sans espoir nous ne sommes rien.


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Coucou chers lecteurs, Voici un autre chapitre avec un personnage central, Tahaa Badr. Nous allons, au fil des pages, lié son destin à celui de Serena. 

En ces temps un peu compliqués, prenez soin de vous et ceux de vos proches. bisous!

ps: Je publierais aussi demain.

L' héritière