Chapitre 3
Ecrit par Nasty girl
Jolayne QUENOM alias Mammy Jo
Aujourd’hui je suis de très bonne humeur et pour cause, je pense que le seigneur a entendu
mes prières et qu’il va très bientôt exaucer le seul souhait pour lequel je
sacrifierai volontiers le peu de temps qu’il me reste à vivre. J’ai déjà un
pied dans la tombe. C’est un simple constat puisque dans quelques semaines, je
fêterai mes soixante-quinze années d’existence. Je suis au crépuscule de ma
vie et plus les jours passent, plus je me consacre à me repentir des quelques
infractions des lois divines que j’ai sans hésiter enfreint pour le bien de ma
famille. La famille ! Que ne ferait-on pas pour elle. J’ai toujours eu la
ferme conviction qu’il n’y a rien de plus sacré que la famille alors quand il arrivait
qu’il fallait agir pour protéger les êtres qui me sont chers, je fonçais tête
baissée. Rien ne m’importe plus que de veiller à la sécurité et au maintien de
notre mode de vie. Notre statut social a d’ailleurs été d’un grand atout dans
mes différentes entreprises puisque notre famille est l’une des plus anciennes
et respectées du Togo, notre pays d’origine et là où mon défunt mari et moi
avons construit notre vie. Pourtant, comme toutes les grandes et puissantes
familles, il se trouve que nous avons quelques squelettes dans nos placards. Il
ne faut pas croire que la vie a été tendre avec moi. J’ai dû batailler très
fort pour survivre au décès de mon tendre époux tout en faisant le nécessaire
pour maintenir le rang auquel lui et moi avions réussi à nous hisser.
De
mon union avec Yves-Marcel sont nés deux enfants, Eric et Patricia. Avec mon
mari, la vie n’a pas été tout le temps rose mais nous arrivions à conserver
l’harmonie au sein de notre petite famille. Yves-Marcel QUENUM était un homme
de nature très calme et réservé donc de son vivant, il évitait autant qu’il le
pouvait les contacts avec sa grande famille qui était très envahissante.
Il disait que j’étais le feu et lui l’eau, que j’étais sa petite tigresse… Malheureusement
notre bonheur n’a duré qu’une douzaine d’années. Yves-Marcel et notre fils Eric
sont morts dans un tragique accident de voiture. Un chauffard ivre avait envoyé
leur véhicule par-dessus l’échangeur d’Agoè. Cette perte a été un terrible coup
pour Patricia et moi et au lieu de resserrer encore plus nos liens, ce deuil
nous a divisé ma fille et moi. Ma fille qui jusqu’à lors était calme et réservée était devenue une adolescente rebelle. A l’époque je n’ai pas cherché à
comprendre l’origine de ce brusque changement d’aptitude et je trouvais ses
bêtises totalement inadmissibles et capricieuses. Au lieu de l’amadouer pour mieux la cerner,
je me suis à mon tour réfugiée dans le travail et la douleur. Quand je ne
travaillais pas, je pleurais la douloureuse perte de mon mari et de mon fils.
Et plus le temps passait, plus les bêtises de Patricia s’empiraient. Plusieurs
fois j’ai dû faire des allers et retours au poste de police pour la sortir de
garde à vue. Je ne me retenais donc pas pour la punir sévèrement mais malgré ça, ma fille
avait fini par sombrer dans la délinquance en consommant et en vendant de la
drogue. Un jour je l’ai surprise entrain de consommer de la cocaïne dans sa
chambre pendant que deux de ses amis tout aussi défoncés qu’elle faisaient des petits
paquets de cette drogue qui étaient certainement destinés à la vente. Au lieu
de reconnaître son erreur, elle s’était ruée sur moi en me criant dessus pour
me chasser de sa chambre. Cette fois-là avait été la goutte d’eau qui avait fait
déborder le vase. Après avoir faire mettre ses copains à la porte par les
gardiens, ma fille et moi nous étions violemment disputées et ce soir-là je l’ai
chassée de la maison. Elle avait dix-sept ans, elle était folle de rage et
décidée à envoyer au diable l’autorité que je cherchais à maintenir sur elle.
Flashback à vingt-trois
années plus tôt
Le soir
où j’ai mis Patricia à la porte, je l’ai appelée sur son téléphone bien plus
tard, après que je me sois calmée. Après trois vaines tentatives, je lui ai
fait un message qui disait : « Je te donne cinq minutes pour me
rappeler. Si tu ne le fais pas, je fais bloquer ta carte de crédit
demain à la première heure. ». Après une vingtaine de minutes alors que j’attendais impatiemment elle fini par me rappeler. Je
décrochai à la deuxième tentative :
- Allô ?
- Mais qu’est-ce que tu me veux
vraiment ? Pourquoi tu ne me fiches pas la paix une bonne fois pour
toute ?
- Je suis prête à accepter tes
excuses mais au lieu de te laisser revenir à la maison, tu iras dans un centre
de désintoxication privé que j’ai choisis parmi les meilleurs et qui fait
preuve d’une parfaite discrétion, avais-je répondu sans me décontenancer.
- Et puis quoi encore ? Tu
vas peut-être rajouter que c’est pour mon bien ? rétorqua hargneusement
Patricia.
- Je vois que les drogues ne
t’ont pas encore totalement fait perdre t’esprit ! Dieu soit loué…
- Je n’irai nulle part Maman et
ton pardon je m’en fous royalement ! continua-t-elle.
- Tu l’as dit ! Je suis ta
mère et je ne tolérerai pas un seul instant de plus que tu me parles de cette
façon, avais-je rugi à mon tour. Tu vas aller suivre cette cure et je ne veux
plus rien entendre. Je regrette de t’avoir autant gâté !
- Ne me fais pas rire maman. Tu
te trompes sûrement de personne. Tu penses m’avoir tout offert ?
- Oui exactement. Je t’ai tout
offert mais toi tu ne sais faire que des bêtises sur bêtises. Penses-tu que
ce soit une joie pour moi de découvrir que ma fille est une junkie ?
- Je ne suis pas une
junkie ! Maman, cette drogue ne m’appartient même pas mais comme tu es
madame je-sais-tout, tu ne penses même pas te tromper et tu ne prends pas la
peine de me le demander.
- Je sais ce que j’ai vu
Patricia, tu étais entrain de t’en mettre plein les narines avec cette
cochonnerie. Ne m’énerve pas plus que je ne le suis déjà. Et ma décision est
déjà prise : tu iras suivre cette cure que tu le veuilles ou non.
- Sinon quoi…Hein chère
maman ? Tu vas me couper les vivres ?
- Oui, je le ferai sans
hésiter ! avais-je dit en haussant encore plus la voix.
- Tu ne pourras plus rien faire
lorsque j’aurai célébré mes dix-huit ans dans deux mois, avait rétorqué
Patricia. Tu ne pourras pas m’empêcher de toucher le capital que Papa m’a
légué. J’ai tellement hâte de me débarrasser de ton autorité à la noix !
- Eh bien ce que tu ne sais pas
chère fille, c’est qu’il existe une clause qui permet à ton tuteur de faire
opposition quand ce dernier estime que le bénéficiaire, toi en l’occurrence, n’est
pas assez mature pour utiliser le capital à bon escient. Et comme je suis ton
tuteur, tu sais déjà ce que je ferai dans les prochains jours.
- Non maman, tu n’as pas le
droit de me faire ça ! avais répondu Patricia avec un sanglot dans la voix
- J’ai tous les droits, je suis
TA MERE !
- Jolayne QUENUM… Je te
déteste !
Patricia
hurla ces derniers mots avant de me raccrocher au nez. Ces genres de disputes
étaient devenus notre quotidien mais cette fois-là je ressentis une grande
tristesse au plus profond de mon cœur. Le lendemain comme prévu, je fis bloquer
malgré tout sa carte de crédit avant que notre gestionnaire de compte ne m’informa
plus tard dans la journée que de grosses sommes avaient été retirées la veille
très tard dans la nuit. J’ai tout de suite pensé à Patricia. Elle avait surement dû retirer ces sommes
après notre houleuse conversation mais je ne m’inquiétais pas car elle
finissait toujours par revenir à la maison dès qu’elle se retrouvait à court
d’argent.
Elle
finira par revenir à la maison ! Je m’accrochais désespérément à cette
conviction au fil des jours, sans nouvelles de ma fille depuis bientôt deux
mois. Son anniversaire sera célébré dans trois jours alors je contactai notre
notaire pour faire opposition sur son héritage. Une semaine après son
anniversaire, j’étais toujours sans nouvelles. Son silence m’inquiétais
désormais alors je contactai notre homme de main, un détective, pour lui demander de la
retrouver. Deux jours plus tard, je venais
à peine de faire entrer un postulant au poste de Commercial-Sénior dans ma
société pour un entretien d’embauche que j’entendis des éclats de voix semblant
provenir du bureau de ma secrétaire. La porte de mon bureau s’ouvrit à
l’instant même où je reconnaissais la voix de Patricia. Instinctivement, je me
sentis soulagée malgré la situation embarrassante. Patricia entra dans mon
bureau comme une furie tout en me criant à la figure.
- Tu vas retirer tout de suite
l’opposition que tu as fait mettre sur mon héritage maman !
- Vicky ? fis-je en
m’adressant à ma secrétaire.
- Madame, je n’ai pas pu
l’empêcher d’entrer, veuillez m’en excuser enchaîna ma secrétaire.
- Ce n’est pas grave Vicky,
j’attendais sa visite. Veuillez raccompagner monsieur BABIDI et confiez-le à la
DRH pour qu’elle poursuive l’entretien.
- Bien madame, répondit Vicky…
Monsieur BABIDI, veuillez me suivre s’il vous plaît.
Après
que Vicky et le postulant furent sortis de mon bureau, je fis face à Patricia.
De retour
à la maison ce soir-là, je m’effondrai en pleurs dans mon lit tout en repensant
à la houleuse dispute avec Patricia. Je pleurai longtemps mon échec en tant que
femme et en tant que mère car je savais que je ne reverrai plus Patricia de sitôt.
Je l’avais menacée de la renier si elle ne se pliait pas à mes exigences et
Patricia avait choisi de renoncer à son héritage et de me tourner le dos. Elle
a osé me tourner le dos malgré que je ne veuille que son bien! Pour me
consoler, je me disais qu’elle finirait par revenir, que j’avais bien fait de
rester sur ma position mais au fond de moi je savais qu’il n’en serait rien. Je
venais de perdre ma fille ! J’étais désormais seule au monde.
Un
an plus tard en arrivant au bureau, je remarquai une dame âgée assise dans mon
hall d’attente. Elle était habillée comme une nonne et semblait très inquiète.
Intriguée je sonnai ma secrétaire dès que je m’installai au bureau, ma tasse de
café à la main. Cette dernière m’informa que la nonne, c’en était bien une,
demandait à me voir et que d’après nos agents de sécurité, elle était arrivée
très tôt. Vicky avait essayé de lui soutirer le motif de sa visite mais la
nonne insistait à s’entretenir avec Jolayne QUENUM. Visiblement la nonne ne
savait pas que c’était moi la PDG. Je demandai donc à Vicky de la faire entrer.
- Bonjour Madame, fit la nonne
en entrant dans la pièce.
- Bonjour, répondis-je
simplement en l’invitant à prendre place dans l’un des confortables
fauteuils placés en face de mon bureau. Vous avez demandé à me voir ?
- Etes-vous Jolayne
QUENUM ? fit-elle.
- Oui, répondis-je en
manifestant mon agacement.
- Oui bien sûr, suis-je donc
idiote ? Vous vous ressemblez tellement !
- Que puis-je pour vous
Madame ? Je n’ai pas beaucoup de temps à vous accorder.
- Vous pouvez m’appeler Mère
Chantal ; je dirige le centre d’accueil et de prise en charge des enfants
démunis de Tokoin.
- Si vous êtes là pour une
demande de subvention, je vais vous diriger vers notre département Relations
Publiques, fis-je distraitement en portant ma tasse de café à la bouche.
- Non madame, je suis là pour
vous parler de votre fille.
- Ma fille ? fis-je en
suspendant mon geste
- Oui je suis là pour vous
parler de Patricia. Elle est entre la vie et la mort…
Jusqu’aujourd’hui,
je n’ai aucun souvenir de tout ce qui s’était passé après la nouvelle
fracassante que m’avais porté Mère Chantal. Je me souviens juste d’être arrivée
en pleurs à l’hôpital du centre d’accueil que dirigeait Mère Chantal et de
m’être précipité au chevet de Patricia. La voir allongée si amaigrie et faible
dans ce lit m’avait fait pleurer une bonne dizaine de minutes avant qu’un léger
murmure ne me fit relever la tête pour croiser ses yeux. Il ne subsistait plus
aucune trace de haine dans son regard si ce n’est qu’une sorte de compassion. Je
la vis essayer de me sourire avant que son visage ne se contracte de douleur.
Elle leva sa main que je m’empressai de prendre dans les miennes tout en
continuant à pleurer.
- Oh ma chérie, Patricia… on va
te transférer à la clinique BIASA. On va tout faire pour te sauver.
- Maman… je ne t’ai pas fait…
venir pour cela… Je sais … Je sais que je ne vais pas survivre, articula-t-elle
difficilement. J’ai continué à lutter juste …pour pouvoir te parler avant…
avant de m’en aller.
- Ne dis pas ça mon bébé,
répondis-je en pleurant de plus belle.
- Mes forces me … quittent
maman, écoute-moi sans m’interrompre …s’il te plaît.
- D’accord, fis-je résignée
- Je te demande pardon
maman…pour toutes les souffrances que je t’ai affligé.
- Je te pardonne. Je t’ai
pardonné depuis longtemps, depuis toujours…
- Je n’ai pas su t’exprimer la
douleur qui s’est emparée de moi à la mort de papa et d’Eric… Je n’ai pas
compris que le fait que tu t’étais mise corps et âme dans le travail, c’était
pour entretenir l’héritage de papa, pour nous éviter de tout perdre…
- Sniff, oui chérie… avais-je
sangloté
- Je t’en voulais parce que je
pensais que… tu préférais ton travail plutôt …plutôt que de t’occuper de moi…
Je pensais être la seule à souffrir. Je ... je pensais que tu ne m’aimais pas assez !
continua Patricia la voix étrangement calme.
- Mais je t’ai toujours aimé ma
chérie…mon bébé… Je t’aime et rien ne pourra changer cela!
- Je l’ai compris bien
tardivement, grâce à Mère Chantal … mais j’avais honte de revenir vers toi.
- C’est moi qui ai honte chérie
de t’avoir abandonnée. Je suis ta mère, tout est ma faute. J’aurais dû te
comprendre et faire plus pour te venir en aide ! C’était à moi de m’occuper
de toi. Pardonne-moi mon bébé. L’ambulance de la clinique BIASA sera là dans
quelques minutes donc accroches-toi s’il-te-plaît !
- Je ne pourrai pas maman, m’avait-elle
répondu avec un triste sourire.
- Il le faut mon bébé, ne me
laisse pas je t’en prie. Je ne pourrai pas vivre sans toi. Tu es tout ce qui me
reste ! fis-je en pleurant de plus belle.
- Tu ne seras pas seule maman
me répondit Patricia avec une lueur dans les yeux. Regarde dans le berceau…
Pour
la première fois, je promenai mon regard dans la pièce qui était sobrement
meublé. Un mignon bébé dormait à poings fermés dans un berceau placé à côté du
lit dans lequel Patricia était couchée. Je reportai les yeux sur Patricia qui
souriait faiblement. Son regard se voilait. Je sentais qu’elle s’en allait.
- Je l’ai appelé Elayane maman.
Tu as une deuxième chance. Promets-moi que tu t’occuperas de lui…promets-le moi !
- Je te le promets chérie, lui
répondis-je en reprenant sa main dans les miennes.
- Je …t’aime…maman…
- Je t’aime mon cœur…
En utilisant
sans doute tout ce qui lui restait comme force, Patricia leva la main et essuya
les larmes qui coulaient sur ma joue droite avant que sa main ne retombât
lentement sur le lit. Comme s’il avait senti que sa mère s’en était allé, le
bébé se mit à pleurer dans son berceau. Ce n’est qu’une quinzaine de minutes
plus tard que les infirmières alertées par les cris d’Elayane n’entrèrent dans
la pièce pour me découvrir affalée sur le corps de Patricia, pleurant toutes les larmes de
mon corps.
Plus
tard, j’appris de la Mère Chantal, que Patricia était devenue une animatrice du
centre et qu’elle s’était fait violer un soir alors qu’elle partait faire une
commission. Elle avait décidé de porter l’enfant et de l’élever toute seule. De
toute façon, elle n’aurait pu identifier son agresseur et n’aurait assurément
pas vécu avec lui. A presque neuf mois de grossesse, Patricia s’était fait
renverser par une voiture en volant au secours d’une fillette de trois ans qui
traversait la voie devant le centre d’accueil. Les modestes moyens de l’hôpital
ne leur avait pas permis de les sauver elle et son bébé.
Ce jour-là
j’avais fait un serment à ma fille, celui de prendre soin de son enfant, mon
petit-fils. Elle m’avait offert une deuxième chance que je ne méritais pas et j’étais
décidée à l’élever avec tout l’amour qu’il fallait. C’est pourquoi quand
Elayane m’avait appelé cette nuit fatale, j’ai volé sans hésiter à son secours.
Je ne permettrai plus jamais que les miens souffrent. Plus jamais !
Retour au présent
Oui le
seigneur a entendu mes prières. Mon petit-mari rentre dans une semaine ! Je
me levai de mon lit aussi vite que me le permettaient mes articulations
fatiguées. Elayane sera bientôt à la maison. Il faut que je prépare tout pour
son arrivée. Il ne doit manquer de rien. Je superviserai tout moi-même. J’ai
tellement hâte de le serrer dans mes bras et qui sait peut-être a-t’il fini par
tourner la page. Peut-être m’annoncera-t’il une bonne nouvelle ? J’aimerais
bien qu’il puisse avoir une famille qui pourra lui donner l’affection dont il a
tant besoin.