CHAPITRE 3 : DILEMME CORNÉLIEN

Ecrit par Akagami

Les jours passèrent. Rien de nouveau sous le soleil. Sauf que deux mois avant les grandes vacances c’est-à-dire en avril, Clayfe a eu une altercation violente avec un de ses camarades. C’était un jour de classe ordinaire. Clayfe avait l’habitude de mettre la bouteille destinée à ses parents dans son sac. Ainsi, une fois les cours achevés, il pourrait se rendre à la plage et la remettre aux vagues. Après avoir bénéficiés d’une pause d’un quart d’heure, ils ont eu droit à un contrôle surprise de géographie. L’instituteur leur a ordonné de déposer leur sac juste devant le tableau. Cela n’empêche pas les tricheurs d’exercer leur besogne mais bien au contraire. Cela pimentait les choses. Ils se permettaient dans ce cas, de rédiger les parties importantes du cours avec un crayon bien taillé, pour la finesse, sur la table et ensuite de les gommer superficiellement et laisser les rayons du soleil les rendre de nouveau lisible rien que pour eux. Clayfe avait horreur de la géographie. Alors il s’est contenté de vomir néanmoins les rares parties qu’il avait retenues. Il a rendu sa feuille parmi les derniers ce jour-là. Mais une fois dans la cour de l’école, il constate que le sac qu’il a à sa possession n’est pas la sienne. C’est soit une farce soit une erreur d’un de ses camarades espiègles. Mais au loin il aperçut un attroupement et des éclats de rire. Habituellement ces choses ne lui disaient absolument rien mais aujourd’hui, une chose bien particulière avait attiré son attention. Une chose éclatante par le biais des rayons du soleil. Et si c’était…Non ce n’est pas possible…Mais à son grand désarroi, il s’agissait bel et bien de sa « bouteille du jour » comme il aimait le dire. Il se jeta sur Léon. C’est celui qui tenait sa bouteille. Mais le gabarit de celui-ci était nettement supérieur au sein et il se dégagea sans grande peine. 

-L’enfant du djinn est là. Fuyez vite ! Sinon il risque de vous transmettre sa poisse. Vous voyez la lettre qui se trouve dans la bouteille ? Ceci confirme tous nos soupçons. Es-tu sûr de ne les avoir jamais vu auparavant tes parents ? Pourtant je te l’avais déjà dit. Ils vivent non loin du marché, dans le grand baobab qui se trouve aux abords de la voie. Lui disait Léon. Tous les autres éclatèrent de rire. -Et pour m’avoir sauté dessus tout à l’heure, j’emporte ta fameuse bouteille. Je la remettrai directement à tes parents pour toi. Ils se dissipèrent tous. Personne ne s’intéressa davantage à lui. Assis à même le sol, ses larmes ne coulèrent pas. Pourtant il avait vécu bien des humiliations mais pas de ce genre. On venait de toucher à son précieux. Son trésor. Pourtant, personne ne touche à son sésame. Ses impurs saliront son message. Sans piper, il se releva. Il éclata de rire. Il ramassa son sac, se dépoussiéra et mis en place son projet.  Etant donné que la vie ne lui donnait pas ce qu’il voulait, il allait s’en charger personnellement. Le gardien qui suivait la scène était intrigué. Clayfe ne lui plaisait pas. Il le trouvait répugnant. Parfois, il lui arrivait de gober les bobards de Léon. Lui, malgré son âge partageait l’opinion selon laquelle ce gosse était un enfant du démon. 

Léon était le fils d’un riche commerçant sénégalais. Lui également était mulâtre mais dû au statut de son père, il était respecté. Contrairement à Clayfe, lui il allait fréquemment rendre visite à sa mère en France. Elle travaillait dans une ONG basée à Paris.  Il habitait dans une grande maison avec des servantes à sa disposition qui lui obéissaient au doigt et à l’œil. 

Une fois dans sa chambre, Clayfe se détendit sur son lit et ferma les yeux. Il planifiait tout ce qui allait se passer dans les prochains jours. Il en avait marre de se faire trainer dans la boue. Il en avait plein la gueule de toutes ses moqueries. L’école le soûlait. Lui tout ce qu’il voulait, c’était de devenir un agent secret. Il voulait se trouver en amont des opérations. Echafauder les opérations. Il ne sait pas exactement quel type d’opérations mais ça lui plait de commander, de trouver des stratégies à mettre en place afin d’atteindre un but. Au réfectoire, il ne s’asseyait jamais à la même place. Il avait horreur que l’on sache à quoi s’attendre avec lui. Il ne concevait pas le fait qu’on le taxe de maniaque. En retournant dans sa chambre, il passa à l’infirmerie. Il simula un mal de ventre et alla donc se consulter. Il profita de l’inattention de l’infirmière de fortune, car c’est une des sœurs qui était chargée de leur prodiguer les premiers soins en cas de malaise, pour remplir ses poches des matériaux dont il avait besoin. 

La journée du lendemain s’annonçait très longue et risquée mais pourtant il était tout excité. Il s’endormit les poings fermés tel un nouveau-né.


Le lendemain matin, tout se passait comme habituellement. Des profs bavards, soûlants, toujours la même chanson mais pas de passion à transmettre. Du moins, pas vraiment. Cependant, Clayfe n’était pas préoccupé par les cours. Son esprit était accaparé par autre chose. Une chose bien plus importante. Alors pour mettre en exécution, il fallait réagir, et vite d’ailleurs. Alors, il fit tomber son table-banc. La réaction attendue arriva. Le professeur de mathématiques lui asséna une colle de deux heures durant la pause de l’après-midi. C’est étrange. Clayfe n’est pas du genre à s’attirer l’attention. Bien au contraire. Il aimait la discrétion. Telle une ombre fuyant la lumière. Mais quelque chose clochait chez ce bonhomme aujourd’hui. C’est vrai qu’il l’a toujours trouvé bizarre mais cette fois-ci, on pouvait sentir le paroxysme de son être. 

-Alors comme ça, on s’amuse à perturber mon cours jeune homme ? Une explication s’impose, voyez.

- Non monsieur, je voulais juste me dégourdir les jambes. C’est l’ennui. Je suis désolé.

-Vraiment ? A l’avenir, faudrait penser avant d’agir. Déjà que ton niveau est inquiétant, tu te permets de perturber tes camarades sous prétexte que Monsieur veut se dégourdir les jambes. Et bien mon petit, tu auras le temps de les dégourdir, tes satanées jambes lors de ta colle de deux heures cet après-midi. 

Les autres élèves éclatèrent de rire. Le souffre-douleur de la classe venait encore de faire parler de lui. Décidément, il ne manquait jamais une occasion afin de se faire voir. Sacré bonhomme. Après les cours, les autres ont l’habitude de laisser leur sac en classe. Pour les garçons, cela se justifie, parce que leurs sacs ne contiennent généralement que les fournitures et vraiment rien de personnel. Sauf, évidemment lorsqu’ils décident de rapporter leur lance-pierre ou autre jouet. Quant aux filles, avec la puberté qui s’est déjà pointée, elles gardaient près d’elles, leur trousseau de maquillage ou tout autre produit ou lotion leur permettant de cacher une acné. Qu’est-ce qu’elle ne ferait pas pour ressembler à Marilyn Monroe ou encore à Mireille Darc? Elles les idolâtraient au sens propre du terme. C’est vrai qu’elles vivaient au Sénégal, mais leur esprit et leur mentalité se trouvait en Outre-mer. Loin de la presqu’île de Dakar, de la capitale Saint-Louisienne ou encore de l’engouement autour de la lutte. Ce comportement se justifie par le fait que leur école était principalement composée d’enfants de ressortissants français ou encore de riches autochtones. Lors de sa colle, Clayfe s’approcha alors du sac de Léon. Il l’ouvrit et prit la bouteille d’eau. Il fit sortir la seringue qu’il avait volée à la sœur Antoinette la veille. Le liquide blanchâtre contenu n’est rien d’autre que le pesticide prit chez Isaac ce matin. Avec toutes ces bestioles qui pullulaient dans sa cabane, Isaac, ne manquait jamais de cette potion qu’il va jusqu’à qualifier de magique lorsqu’elle faisait bien son travail et que les rats mouraient en masse. Il disait aussi qu’une fois que cette potion était consommée par un Homme, il en mourra aussitôt. Bien, il était temps pour Clayfe de mettre en question la véracité des propos de ce bon vieux Monsieur. Sans trembler, il ouvrit la bouteille…


Puis il referma. Comment a-t-il pu manquer d’autant de patience et de pertinence ? Il se retourna et constata qu’il était seul dans la classe. S’il assassinait Léon dans ses conditions, tout le monde le prendrait pour cible. Ce n’était pas très intelligent de sa part. La surveillante était assise devant la porte de la classe également. Mince. Fallait garder son calme. Il retourna sur son banc et passa ses mains dans ses cheveux. Sa touffe était impressionnante. Cela faisait un moment que la lame d’Isaac n’y avait pas fait un tour. Il fallait réfléchir. Ce crime ne devrait pas rester impuni. Ils ont osé se moquer de ses parents. Alors comment faire ? Son regard allait au-delà des clôtures de l’école qu’il pouvait entrevoir. Les oiseux eux, n’avaient pas de soucis dans leur vie. A priori… Si une place, ne leur convenait pas, il suffisait de voler et de changer de destination. Facile. N’est-ce pas ? Tout en les admirant, il se rappela l’histoire que leur raconte le marchand de fruits lorsqu’il vient à l’orphelinat. 

« Approchez les enfants. A défaut d’acheter mes fruits vous pourrez au moins avoir l’amabilité de m’écouter. Je vous promets de ne pas vous emmerder avec mes litanies. Vous également les vieux, approchez. Pourquoi personne n’aime m’écouter ? Qu’est-ce que vous pensez de la mort ? Pas la peine de défaire votre mine. Je vous parlerai de la faucheuse une prochaine fois. Aujourd’hui j’aimerais vous parler de nos origines à tous. Oui, peu importe votre couleur de peau. Oui, je vous le dis haut et fort. Les premiers hommes étaient regroupés en cinq groupes bien distinctifs. En effet, je ne sais pas exactement comment cela est possible mais lorsque mon grand-père me racontait cette partie, je dois vous avouer que je somnolais. Nous avons tous en notre possession cinq sens, pas vrai ? Quoique des individus ont été privés de certains de ses sens. Cela est bien triste mais ne vous en faites pas trop, la nature possède bien plus d’imagination que nous. Ces personnes en ayant en leur possession que quelques sens se voient tout de même développer d’autres facultés. Je vous expliquerai en détails bien plus tard. Taisez-vous et écoutez-moi. Ne voyez pas les cinq sens que nous possédons comme étant des choses anodines. Bien au contraire. Pour le moment, nous ne nous posons pas vraiment les bonnes questions. Et lorsque tu commences à le faire, tu es pointé du doigt. Tu broies du noir et tu finis par claquer ton existence en l’air. Les sens, selon les dires de mon grand-père sont comparables à des pouvoirs qui sont terrés au fond de nous. Mais, moi je dirai plutôt que ce sont des bêtes sauvages. Lorsque tu arrives à dompter ta bête, elle devient ta meilleure amie et te facilite la vie en y ajoutant une touche bien particulière. Hélas, beaucoup d’entre nous rejoignent l’au-delà sans pour exploiter leurs sens ou du moins les affûter suffisamment pour leur permettre de mener une vie bien meilleure. C’est en quelque sorte comme une boîte de Pandore. Avez-vous déjà entendu parler d’elle ? Je vois qu’on préférait passer les soirées à remuer les reins sur les rythmes endiablés plutôt que de prêter une oreille attentive aux mythes que les anciens nous racontent. Je n’ai pas envie de nous parler de cela alors je repasserai prochainement et je vous raconterai la suite. En ce moment également, vous aurez sûrement fait plus ample connaissance avec la boîte de Pandore. Renseignez-vous auprès des anciens, ils la connaissent. Non, je vous en prie, n’insistez pas. Le soleil est déjà au zénith et si je m’attarde trop auprès de vous, mes fruits s’assécheront et je vous rappelle que personne ne me paie pour vous conter ces histoires. Prenez soin de vous et réfléchissez déjà au préambule que vous avez en votre possession. Si vous ratez les premières marches, vous n’atteindrez jamais le sommet… »

« Si vous ratez les premières marches, vous n’atteindrez jamais le sommet » Cette phrase perturbait réellement Clayfe. Pourquoi faut-il également qu’il se rappelle de cette histoire durant ce moment ? Pourquoi ? Il n’a jamais cru au hasard. Alors peut-être que c’est un signe. Mais quel signe alors ? Il vient de comprendre. Il faut faire preuve de patience et utiliser son cerveau afin de voir changer le monde qui l’entoure. Il n’en peut plus de cette existence. Il est clair évidemment que nous sommes de passage sur terre alors il est primordial de faire en sorte qu’il soit agréable. Pour le moment, il se contentera de purger sa colle et ensuite sur son lit à l’orphelinat, il réfléchira à une meilleure méthode de se venger. Les cours de l’après-midi se passèrent sans encombre. Mais en rentrant, il jeta un coup d’œil à travers le poste de garde de l’établissement. Le gardien était déjà loin. Ses soupçons se confirmèrent. Il sourit et regagna l’orphelinat. En cette période sèche, la chaleur était accablante même durant l’après-midi. On avait un peu de répit que lorsque les étoiles prennent place dans le ciel et que les constellations s’amusent à nous narguer. Nous, de simples mortels… L’objectif désormais était de trouver un moyen de se venger sur Léon sans pour autant éveiller les soupçons. Toute façon, il était le bouc-émissaire par excellence. Il fallait trouver. Il se coucha sur son matelas et tenta de fermer les yeux. Cependant, les images de Léon en train de détruire son précieux sésame le mit encore en boule. Et au fait, cela faisait maintenant un moment qu’il n’avait plus écrit à ses parents. Il descendit de son lit, et se mit à l’œuvre.

Papa, maman, vous le savez déjà mais au-delà de mon aspect physique, je me trouve très différent des autres. J’ai des rêves démesurés. Je me fais pointer du doigt alors. On me taxe de rêveur. Alors je me demande si toutes ces remarques, aussi désagréables soient elles ne sont pas finalement des rappels à l’ordre. La réalité est bien présente également. Mon professeur de mathématiques nous a récemment affirmé que les rêveurs sont des branleurs intellectuels. Je vous avoue que cela m’a marqué. J’ai passé toute la nuit a médité. Moi j’ai plein de projets dans la tête. Je les garde bien dans un coin de ma tête et je les nourris. Je les chéris. Ce sont mes enfants. Ma façon de voir le monde est bien différente. Je vous présenterai bientôt un de mes enfants. Vous me promettez de ne pas vous moquer ? Assez parlé de moi. Comment allez-vous ? Tout se passe bien pour vous ? Vous devriez certainement avoir une vue éblouissante à partir de là-bas. Avez-vous mangé ?   


ET SI C'ÉTAIT APATÉ...