LA FOLIE DES ILLUMINÉS (Suite de l'histoire)
Ecrit par Akagami
«...vous même, avez-vous peur de la solitude ?
-Oui
-Qu’est-ce que ça vous inspire?
-La solitude, c’est la mort.
-Avez-vous peur de mourir?
-La mort, docteur, ça me terrifie»
Dialogue entre Tamara Quinn et son psy dans La vérité sur l’Affaire Harry Quebert.
L’année scolaire touchait progressivement à sa fin. Ce matin-là, par contre, le ciel était recouvert et cela ne signifiait qu’une chose : le début de la saison pluvieuse.
Nous sommes loin des métropoles ou des villes occidentales qui ont quatre saisons durant une année. Ici à Dakar, nous n'en avons que deux. La saison sèche et la saison pluvieuse. Pas plus, mais peut-être bien moins. Les premières pluies faisaient leur apparition. Les voies étaient en piteux état et les nids-de-poule les recouvraient. Pour se rendre au lycée, Clayfe devait parcourir au moins deux kilomètres à pied. L’orphelinat était assez éloigné de l’établissement car les religieuses ont jugé nécessaire d’offrir un espace adéquat à l’éveil des esprits des pensionnaires. Cet endroit était proche du parc naturel de la ville. La rigueur était le maître mot dans cette institution. Il n’était point question pour les religieuses de donner raison aux détracteurs des orphelins qui affirmaient ça et là que ces derniers sont déjà des causes perdues. Il fallait impérativement faire taire toutes ces mauvaises langues..
Par le biais de la radio d’Isaac, le bulletin météo annonçait l’arrivée d’une pluie dans les prochaines heures. Loin de la capitale sénégalaise, au Maghreb, l’Algérie subissait un coup d’Etat et on parlait également de l’organisation des premiers jeux panafricains de Brazzaville. Nous sommes en 1965.
Toutefois, au Lycée Municipal de Ouakam, les intempéries ne constituaient aucunement des entraves à la poursuite des cours. Les religieuses ne tergiversaient point avec la rigueur et la discipline. Afin d’augmenter le taux d’alphabétisation et d’inscription dans leur établissement, elles ont même refusé d’ajouter la connotation religieuse dans le nom de l’établissement afin d’éviter que les musulmans ne se sentent marginalisés au sein de ladite institution. Quant à Clayfe, il prit le chemin de l’école beaucoup plus tôt que prévu. Il avait prévu de prendre son temps aujourd’hui en allant à l’école. Histoire de se changer les idées et de songer à son avenir. Mais avant cela, il passa saluer Isaac comme à son habitude. C’était le seul qui arrivait à le comprendre ou du moins, il jouait bien son jeu. Après le bulletin météo, les paroles du tube du moment résonnaient dans la petite salle qui faisait office de bureau pour Isaac. La chanson était signée Dounia de Koussou. Clayfe eut le coup de foudre pour la phrase du refrain « il faut voler la vie que tu veux mener ». Il en fera son leitmotiv par la suite, d’ailleurs. Il paraît que le vent souffle partout et qu’il s’agissait juste de savoir ajuster ses voiles pour être poussé vers l’avant. Une idée germa dans sa tête au cours de la marche. Dès ce matin, il mettrait son plan à exécution. Le temps est un luxe. À cette heure matinale, la cour était déserte. Il se rendit directement chez Boris, le gardien de l’école, pour lui demander de bien vouloir venir lui ouvrir l'accès à la salle de cours. Il eut beau toquer à la porte, il n’obtint aucune réponse. Boris n’était pourtant pas du genre à s’absenter. Fervent pratiquant chrétien, Boris avait pour ambition de visiter un jour la ville de Paris et d’y établir un commerce de café de Touba comme beaucoup de ses camarades avant lui. Il s’en réjouissait déjà. Avec le poste de gardien, il avait espoir que les religieuses l’enverraient un de ces quatre en mission dans leur pays. Cet espoir, il le gardait bien jalousement. Mais nous sommes en Afrique, et les secrets n’ont pas leur place. Tout se sait comme on le dit. D’autres rumeurs bien plus folles affirment que Boris s’appelait autrefois Brahim et qu’il était musulman. Peut-être qu’il a reçu une révélation. Peut-être bien.
Ses agissements envers les religieuses tournaient au ridicule souvent. Il était leur toutou. C’est la raison pour laquelle il ne quittait jamais son poste. Mais ce matin en particulier, il en était absent. Clayfe dût contourner la porte et se rendre à la fenêtre. Il se mit sur la pointe de ses pieds et essaya de voir s’il était toujours couché. C'est en plaçant ses deux mains en visière qu’il aperçut Boris dans sa besogne. Il poussa un cri effroyable et tomba à la renverse.
Clayfe venait de faire sa première rencontre avec la folie des illuminés.