Chapitre 3: Gabriel Valentine
Ecrit par leilaji
****Chapitre 3 ****
****Lorelei. ****
Quand je pense qu’il a fallu qu’une étrangère me parle pour que je présente ces fichues excuses à Madame Engone qui en retour me gratifie d’un regard narquois. Bien entendu, l’avis de mon petit frère y est aussi pour beaucoup. Avec la vie que je mène, ça fait bien longtemps que j’ai jeté mon orgueil aux orties alors qu’elle se moque de moi ne me fait ni chaud ni froid. Mais j’avoue que j’ai par contre la rancune tenace.
« Ouais vas-y savoure, un jour ce sera mon tour, je te le garantie ! Me dis-je intérieurement.»
Une fois la lettre d’excuse visée par la prof, je file chez la directrice la lui remettre comme convenu avec Madame Khan, la fondatrice. Malheureusement, cette dernière est en réunion et c’est sa secrétaire qui me remet une enveloppe blanche sans rien me dire d’autre. Pourvu qu’elle n’ait pas changé d’avis sur mon compte maintenant que j’ai décidé de raffermir ma foi en mes capacités.
Je l’ouvre et en retire une simple carte de visite accompagnée d’un petit mot. Je parcours rapidement le mot où la fondatrice a noté un bref message.
« Lorelei
Si tu as ce mot entre tes mains, c’est que
tu as présenté tes excuses à ton professeur et je te félicite pour ce geste. Tu
ne le sais peut-être pas mais tu as chanté une fois dans l’église où je prie.
J’étais à deux doigts d’abandonner ma lutte mais ton chant a su me redonner la
foi en mes espoirs.
Alors je pense que tu devrais terminer ton
cursus à la fondation pour obtenir un diplôme (c’est très important). Mais
n’oublie pas la voix dont Dieu t’a fait grâce. »
En moins de deux jours, deux personnes que j’estime énormément me font des compliments sur ma voix. La sensation est infiniment réconfortante. N’est-ce pas un signe du destin ça ? Peut-être que le vent a enfin tourné pour moi.
Je regarde la carte. Sa présentation est plutôt sobre mais l’épaisseur du papier laisse dénoter un indéniable luxe.
« VALENTINE PRODUCTION SA
Directeur Général
Gabriel VALENTINE
Portable: 05 55 55 55
Fixe : 01 44 44 44
Fax : 01 44 44 43
E-mail : [email protected] »
A son dos Madame Khan a griffonné : « Reçois la Gabriel. Tu ne seras pas déçu »
Ce doit être un producteur de musique, enfin je crois bien, je n’en suis pas sure. Avec un nom pareil je suppose que c’est un européen qui possède un studio d’enregistrement. Je n’ai jamais chanté dans un milieu professionnel. Mes doigts tremblent légèrement à l’idée de soumettre ma voix à l’avis d’un professionnel. En une seule minute, il pourrait réduire mes rêves à néant.
****Gabriel ****
J’écoute Sydney chanter depuis près de deux heures et j’avoue que bien que sa voix soit puissante, il lui manque ce petit quelque chose qui rend un artiste … magique. Mais je ne doute pas un seul instant de sa capacité de travail. Il se peut que ce petit quelque chose apparaisse avec le temps.
Je lui fais signe de s’arrêter et elle enlève son casque, un charmant sourire aux lèvres.
— Alors ? Tu m’as trouvée comment ?
— Ca va Sydney. Mais je crois que ce morceau ne te convient pas. On va essayer autre chose la prochaine fois. D’accord ?
— Ok, comme tu voudras chéri, dit-elle en sortant de la cabine d’enregistrement.
Je lui avais pourtant bien fait comprendre que je ne voulais pas de familiarité sur le lieu professionnel. Mais elle ne m’écoute jamais. Elle ramène sa crinière blonde en un chignon lâche et fait signe à l’ingénieur du son que la séance est terminée. On quitte le studio d’enregistrement pour se rendre tous les deux dans mon bureau et je ferme derrière nous.
— Il serait peut être temps que tu grandisses un peu non ?
— Pourquoi t’es toujours grincheux avec moi ?
— Parce que tu ne sais pas te tenir en public et ça me met dans une position inconfortable. Depuis qu’on a commencé à sortir ensemble, tu ne travailles plus tes morceaux et tu te permets de me répondre même quand mes employés sont là. C’est inacceptable. Tu passes ton temps à papoter avec ma sœur au lieu de te concentrer sur ta carrière.
— Oh arrête Gabe. Quelle carrière ?
Elle sait appuyer là où ça fait mal. Je ne l’ai pas encore réellement lancé, c’est vrai. Mais à qui la faute ? Pour le moment, ma boite organise des soirées phénoménales pour les marques de luxe, des concerts avec des artistes étrangers... mais je n’ai encore lancé personne.
J’attends la pépite.
Elle fait la moue et prend place dans ma chaise en cuir.
— Je suis ta petite amie ! Et je veux que tout le monde le sache c’est tout. Il y a tellement de filles qui gravitent autour de toi. Je ne veux pas te perdre.
— Tu me perdras si tu continues ainsi.
Son téléphone sonne et elle se lève de ma chaise et s’éloigne un peu. Dès que je l’entends glousser, je sais qu’elle parle avec ma sœur. Elles conviennent de se retrouver à la pâtisserie située à l’entrée de Louis. Dès qu’elle raccroche, Sydney me présente une petite mimique contrite.
— Je dois y aller, ta grande sœur m’appelle, dit-elle en récupérant son sac qu’elle avait jeté sur mon bureau.
— Vas-y.
— T’es pas trop fâché j’espère ?
— Vas-y, c’est bon. On déjeunera ensemble une autre fois.
Elle file la retrouver et me laisse seul au bureau.
Je n’ai jamais compris comment Éloïse et Sydney ont fait pour s’entendre aussi bien, aussi rapidement. Eloïse, l'ainée de ma famille est assez caractérielle comme femme, même moi son frère, je dois bien le reconnaître. Sydney a elle aussi son petit caractère. C’est donc à ma grande surprise que ces deux là ont commencé à s’entendre comme larrons en foire. Mais bon, ce n’est pas un problème, c’est même une très bonne chose. Ca m’évite des migraines.
Je m’assois et pose ma tête dans mes mains un bref moment pour réfléchir.
Certains jours, je me demande si je ne suis pas en train de jeter de l’argent par les fenêtres. Quand j’ai ouvert cette boite, je me disais qu’il me faudrait juste trouver les bons artistes et que le reste serait du gâteau. Mais le milieu artistique gabonais est une vraie mafia, on y entre pas facilement. Tout le monde connait tout le monde et se sont les mêmes qui brassent le peu d’argent qu’il y a en jeu. Je n’arrive à garder la tête hors de l’eau que parce que je suis un VALENTINE, ça j’en ai pleinement conscience.
Est-ce que je fais fausse route ?
Peut-être devrai-je rejoindre tout simplement la société immobilière de mon père comme il me l’a proposé il y a deux ans de cela.
Mais rester derrière un bureau, vendre ou louer des maisons, des appartements, gérer des gros projets immobiliers… ce n’est pas ça qui me fait tripper. Je ne pourrai par le faire à longueur de journée. Moi j’ai besoin de contacts humains. J’ai besoin d’aider les autres à se découvrir et il n’y a rien de mieux qu’un artiste pour me donner la sensation que j’aide le monde à mieux tourner.
Les artistes sont des êtres à part, doués d’une sensibilité telle qu’ils peuvent émerveiller le monde par leur talent et nous faire ressentir parfois ce que nous nous cachons. Ils nous révèlent à nous même. Que ce soit par un film, une chanson, un tableau, quelques mots d’un livre, ils nous connectent avec ce que nous sommes au plus profond de nous.
Un chanteur, un danseur… c’est comme un diamant brut qu’il faut tailler pour qu’il puisse révéler tout son éclat, briller de mille feux. Dans l’industrie de la musique contemporaine, il ne s’agit plus de se mettre devant un public et de chanter. Il faut être un véritable entertainer comme disent les américains. Et ça c’est mon rôle en tant que producteur de découvrir la future pépite de la musique gabonaise. Je veux marquer mon temps, marquer les esprits. Prouver à mon père que j’ai fait le bon choix.
Mais si je ne trouve jamais de diamant brut à tailler…
Si jamais je n’en trouve pas…
L’interphone grésille et la voix de mon assistante me tire de mes pensées.
— Monsieur j’ai une jeune femme qui aimerait vous rencontrer, elle me présente votre carte avec un mot de Madame Khan.
Voila quelque chose dont j’ai horreur, qu’on m’envoie une inconnue sans me prévenir à l’avance. La dernière en date, on lui avait bourré le crane d’idioties telles que : « tu vas devenir une star et tu gagneras beaucoup de millions, Valentine est riche tu verras. »
Je suis de mauvaise humeur mais je la reçois quand même par respect pour Leila qui est une partenaire d’affaire de mon père.
On cogne à la porte et je demande d’entrer.
*
**
****Lorelei****
Il y a un imposant bureau devant moi et derrière ce bureau un homme encore plus imposant. Je m’avance, le cœur battant et je lui donne la carte remise par Madame Khan. J’ai du mal à le regarder dans les yeux tellement le regard qu’il pose sur moi me gêne. Son regard est curieux et intrusif. Alors j’observe les murs, le temps de me donner contenance. Au dessus de sa tête on peut lire une citation d’Estée Lauder : « Je n’ai jamais rêvé de succès. J’ai travaillé pour en avoir ». Hum intéressant.
Je n’ai jamais vu autant de vinyles et de cd de toute ma vie. Il doit bien y en avoir des milliers rangés harmonieusement dans tout le bureau. J’adore.
Ce que j’adore moins, c’est l’homme assis en face de moi. Je m’attendais à rencontrer un européen d’une quarantaine d’années mais j’ai en face de moi un bel homme noir. Valentine ? Je suppose qu’il est myènè (ethnie côtière du Gabon). Ils se sont tellement mélangés aux étrangers que beaucoup de familles myènè portent des noms venus d’ailleurs. Monsieur Valentine est jeune. Plus jeune que je l’imaginais. Carré dans son fauteuil, il n’arrête pas de me fixer. S’il continue ainsi je vais lui montrer ma vraie couleur… Grrrrr, non mais ! Déjà il n’a pas l’air de bonne humeur, alors quand je lui tends la carte il fronce carrément les sourcils.
— C’est pour ? demande-t-il d’un ton dur.
— Madame Khan m’a demandé de passer, je crois.
— Vous croyez ?
—Je … sais chanter. Réussis-je à bégayer.
— Des tas de personnes savent chanter. Je chante aussi sous ma douche, je ne suis pas devenu chanteur pour autant, finit-il par dire.
Valentine ! Ce nom lui va très bien avec les airs aristocratiques qu’il se donne. Il suffirait de fermer les yeux et de l’entendre parler pour se croire en France. Aucun accent gabonais.
Il continue de me fixer de manière très soutenue.
C’est moi ou il est carrément désagréable avec moi.
J’inspire un grand coup pour me calmer.
— Je chante très bien, insisté-je sans trop savoir quoi dire d’autre.
— Oui et alors ?
Il triture la carte de madame Khan un moment et finalement la pose à côté de son agenda. Je n’avais pas prévu que j’aurai à me vendre. Je ne l’ai jamais fait et je ne sais pas par où commencer. Je ne suis pas timide, loin de là mais franchement je sèche carrément sur l’attitude à adopter. Dois-je me mettre à chanter comma ça dans un bureau ou demander un autre rendez-vous et venir fin prête… mes neurones se bousculent dans ma tête.
— Je peux vous faire un extrait de ce que vous voulez. Comme ça, vous …
Il se carre encore mieux dans sa chaise et me regarde avec amusement. Je crois qu’il se paie ma tête. Quel âge a-t-il ? A vu de nez entre 28 ans maximum. Putain il est tellement soigné qu’on dirait une gravure de mode. Absolument rien n’est de travers sur lui. De ses cheveux, à sa barbe bien coupée, ses ongles manucurés, son costume noir impeccable surement taillé sur mesure, il n’y a absolument rien à jeter. Quel beau spécimen ! Il me fait penser à une tablette de chocolat prête à fondre dans une bouche gourmande!
En tant que serveuse dans une boite de nuit, j’ai vite appris à débusquer d’un simple regard les clients riches, ceux qui donnent de gros pourboires. Lui doit en faire partie. Il respire le fric à plein nez. Encore un favorisé par la vie. C’est la période on dirait.
C’est toujours la même histoire avec les mecs bien nés. La première fois qu’ils vous voient, eux aussi vous catalogues parmi quatre catégories : pauvre baisable, pauvre non baisable, riche baisable et riche non baisable. Et j’interprète facilement dans son regard la catégorie à laquelle j’appartiens : pauvre non baisable.
Peut-être même se moque –t-il de ma chainette plaquée or, de ma coiffure bricolée par mes mains expertes, de mes vêtements achetés à la friperie de Nkembo (un des marchés de Libreville très animé le soir par les vendeurs de fripe) et de mon eau de Cologne de bébé qui sent la fraise. Je suis une fan de mode et même si j’ai pas les moyens de faire mieux, je sais que mon style ne passe jamais inaperçu.
Et puis merde, il juge ma voix, alors je n’ai qu’à me lancer…
— Alors ? Je chante quoi ?
— Aretha Franklin. Choisis un morceau.
J’avale ma salive. Je ne connais Aretha Franklin que de nom. Son répertoire m’est complètement inconnu. C’est le bug complet dans ma tête. Que dois-je lui dire ? Avouer que je suis nulle en soul. C’est de la soul qu’elle chante ? Je ne sais même plus ou du jazz ?
Seigneur quelle humiliation. Un lourd silence s’installe dans le bureau.
— Ecoutez, vous me faites perdre mon temps. Allez-y, dit-il d’un ton impatient avec un geste méprisant de la main.
Pendant un bref moment, il me vient à l’idée de le supplier de me donner une autre chance un autre jour…
Mais en même temps, je crois que les oreilles de cet homme ne sont pas prêtes à m’entendre. Ce n’est pas grave. Je sais désormais ce que je veux faire de ma vie et Monsieur Gabriel Valentine regrettera de ne pas m’avoir donné ma chance.
Alors lorsque j’ouvre la porte pour m’en aller quelque chose au plus profond de moi m’oblige à me retourner et à lui parler.
— Vous n’aviez pas besoin d’être aussi désagréable pour me faire comprendre que je ne corresponds pas à vos attentes, dis-je en croisant les bras sur ma poitrine. Je serai … je serai une icône. Je serai la voix qu’on n’oublie jamais. Et vous regretterez de ne pas m’avoir donné ma chance. Avec vous ou pas, j’y arriverai.
Et je m’en vais en claquant bien fort la porte pour lui faire comprendre à quel point moi aussi je le méprise. Quand je pense que je l’ai trouvé… craquant. J’ai envie de me gifler.
****Gabriel. ****
Elle claque MA porte ? Non mais elle a claqué ma porte ?!
J’éclate de rire après toute la tension accumulée tout au long de la journée, il me fallait bien ce petit spectacle pour me détendre.
Elle a quelque chose, c’est indéniable. Une présence. Même si elle semblait intimidée, elle a fait bonne figure dès qu’elle a passé la porte.
Mais tout de même claquer la porte de la personne qui peut vous engager et vous aider à réaliser vos rêves, il faut le faire. Cette fille doit être folle ? Et j’adore ça…
A suivre
Leilaji