Chapitre 3 : Premières démarches
Ecrit par Chrime Kouemo
CHAPITRE 3 : PREMIERES DEMARCHES
Solange sortit de la voiture déjà surchauffée à 10h à peine par le chaud soleil de cette fin du mois de janvier qui tapait déjà bien fort. Sa cousine Larissa s’était proposée pour l’accompagner à l’émi-immigration pour y déposer sa demande de titre de résident long séjour.
- Tu es sûre que tu n’auras pas de problème avec ton taf ? demanda Solange alors qu’elles prenaient place dans la file d’attente déjà bien longue
Larissa travaillait au ministère des finances depuis cinq ans, grâce à une relation de son père. D’un an moins âgée qu’elle, elles avaient été très proches durant leur adolescence. La distance et le coût de la téléphonie du début des années 2000 avaient eu en partie raison de leur relation. Ce n’était que depuis ces cinq dernières années qu’elles avaient renoué petit à petit. Elles n’étaient plus en phase sur de nombreux sujets, comme celui du mariage et des enfants par exemple. Larissa était elle aussi célibataire, mais au lieu de rechercher une relation solide avec un homme avec qui elle aurait des enfants, elle était plutôt en quête d’un homme riche à qui elle pourrait coller un enfant. Elle était fascinée par les histoires de baby mama qui pullulaient sur les chaînes câblées américaines. Elles avaient d’ailleurs eu un débat houleux à ce sujet lors de son précédent séjour au pays. Malgré cela, Solange avait toujours un réel plaisir à passer du temps avec elle.
- Aka ! Lui répondit Larissa en faisant un geste désinvolte de la main. Que le patron lui-même est d’abord là ? En plus c’est vendredi !
- Hum…
- Quoi hum… Tu es au pays ma chère, ne l’oublie pas !
La file d’attente semblait avancer à pas de tortue. Solange se demandait si elle serait reçue le jour même. Elle aurait du venir plus tôt tel que le lui avait conseillé sa cousine, mais elle avait été retenue par une discussion avec sa mère au sujet du repas de l’avant veille. Elle se faisait du souci pour son fils. Solange lui avait répondu qu’il était temps que Steve se prenne en charge et qu’elle n’avait pas à se faire du mouron pour un garçon de presque quarante ans. Jeanne Diefe l’avait également exhortée à avoir des rapports apaisés avec son père. Ce à quoi elle n’avait rien répliqué. Le fossé qui s’était creusé entre son père et elle au fil des années lui semblait impossible à combler. Sa mère avait beau lui dire qu’elle n’avait pas à se mêler de ses problèmes avec son mari, mais c’était plus fort qu’elle. Comment voulait-on qu’elle se comporte normalement avec son père quand celui-ci ne ratait jamais la moindre occasion pour mépriser sa mère et lui parler comme une moins que rien ?
- Lari, pardon, si tu entends parler d’un appartement à louer, fais-moi signe, dit-elle en se tournant vers sa cousine
- Comment ça ? Tu ne veux pas vivre à la house ? Demanda t’elle en haussant un sourcil parfaitement maquillé
- Franchement non ! Tu connais ma situation avec le pater, et puis retourner vivre chez les parents avec maman qui a sa fâcheuse manie de surveiller les allées et venues… au secours !
- Ah Ah ! Je te comprends. Moi-meme je ne m’imagine plus vivre avec maman. J’ai pris mon appart à Nkoldongo dès que j’ai commencé à toucher mes premiers salaires. Je gère ma vie comme je l’entends. Pas de souci, j’en parlerai autour de moi. Et tu cherches dans quel kwat ?
- Omnisports et ses environs. Je compte installer mon bureau dans mon appart dans un premier temps, il faudrait donc que je ne m’éloigne pas trop du centre ville.
- Ok
Il était presque 11h30 quand ce fut enfin son tour. Elle tendit la pile de documents rangés dans l’ordre de la liste à l’agent qui était une dame au visage attaché. Qu’est ce qu’elles avaient toutes à tirer des tronches d’un mètre de long quand il s’agissait de servir des gens ?
- Il faut faire certifier vos copies d’acte de naissance, dit l’agente en lui rendant ses documents
- Et je peux faire ça où ?
- Tchip… au commissariat non? Répondit-elle d’un ton de suprême ennui
- Et…
- Personne suivante ! cria la dame en ne lui adressant plus un seul regard
Bouillonnante, Solange retrouva Larissa assise à l’ombre en train de pianoter sur son téléphone.
- C’est bon ? Lui demanda t’elle
- Non, je dois faire certifier certains documents avant ! Pff…
- Ce sera seulement pour lundi alors… Il sera bientôt midi, viens, je vais te faire découvrir un restaurant
Elles étaient arrivées près de la voiture de Larissa, garée non loin de l’emi-immigration quand elle entendit une voix l’appeler. Se retournant, elle reconnut Pascal Abena un ancien camarade du collège Vogt qui marchait vers elle.
- Hé Pasco ! C’est how ?
- On est là, la miss. Tu es arrivée quand ? Demanda t’il après l’avoir saluée de deux bises sur la joue
- Il y a deux jours
- Bienvenue oh !
- Merci beaucoup
Elle fit rapidement les présentations avec sa cousine qui lorgnait Pascal sans aucune gêne. De taille moyenne et très foncé de peau, son camarade affichait le style et l’attitude d’un homme à qui la réussite avait souri. Un costume-cravate qui semblait fait sur mesure, dont la veste était boutonnée malgré la chaleur qu’il faisait, des chaussures en peau de crocodile, une serviette Vuitton accrochée à sa main et une grosse montre voyante au poignet.
- Au fait, quand est-ce que tu serais disponible ? J’aimerais échanger avec toi sur certaines propositions que je pourrais faire pour les projets en cours de la Communauté Urbaine de Yaoundé
Pascal haussa un sourcil intéressé.
- On essaie de caler ça à mon retour ? Je vais en voyage professionnel en France en milieu de semaine prochaine, je suis d’ailleurs venu récupérer mon passeport
- Ok, ça marche. On se fait signe à ton retour alors ?
Il acquiesça, puis reprit :
- Ah ! J’allais oublier, je reçois la réunion des anciens élèves de notre promo dimanche après-midi. Si tu as du temps, tu peux passer ?
- Bonne idée !
- Il faut que tu me branches avec ton camarade là, déclara Larissa alors qu’elles se réinstallaient dans la voiture dont l’habitacle prenait les allures d’un four à présent.
- Il est marié ! Tu n’as pas vu la bague à son annulaire ? Refusa Solange en sortant de son sac son brumisateur
La fraîcheur attendue ne se manifesta pas, l’eau était tiède.
- Et alors ? Ça empêche quoi ? Rétorqua sa cousine
Larissa démarra, puis donna un coup de klaxon rageur à un automobiliste qui refusait de lui céder la courtoisie en la laissant sortir de son stationnement.
- Certainement rien, mais ça ne passera pas par moi !
***
Carole Meumi jeta un coup d’oeil nerveux à sa montre. Déjà dix minutes qu'elle attendait devant ce bar paumé d’Elig Edzoa. Elle espérait que Josiane n’allait plus tarder.
Les deux jeunes femmes s’étaient rencontrées à l’association des jeunes filles Badenkop de Yaoundé. Ayant toutes les deux grandi dans les quartiers populaires de la capitale et partageant les mêmes aspirations concernant la vie, elles avaient tout de suite sympathisé.
Très tôt, Carole avait su qu’elle ne voulait pas reproduire le schéma familial qui consistait à posséder un petit commerce au marché, se marier, faire des enfants et s’acheter un petit lopin de terre dans des quartiers pauvres pour y construire une bicoque. Elle avait toujours rêvé de voyages, de fringues de marques et des sorties dans des endroits à la mode. Comme pour l’aider à accéder plus facilement à son rêve, Dieu l’avait dotée d’un physique qui ne passait pas inaperçu et qui correspondait aux normes en vogue au pays : une peau très claire, des seins volumineux, une taille marquée et un arrière train imposant. Quand elle avait atteint la fin de l’adolescence, ses petits copains, tous gosses de riches lui suffisaient à peine. Elle avait des besoins tellement élevés. Férue de mode, elle avait pour ambition de posséder une chaîne de magasins de prêt à porter.
Ses parents s’étaient saignés pour lui payer ses études supérieures ainsi qu’une chambre à l’université de Soa. La vie y était rude et elle avait eu la certitude qu’elle n’obtiendrait jamais la vie de ses rêves en y poursuivant tranquillement ses études, puis en cherchant du travail comme ses parents se l’imaginaient pour elle. Elle avait commencé à fréquenter des jeunes cadres qui traînaient dans les environs de l’université, puis très vite, se faisant courtiser par des hauts fonctionnaires, elle était passée à un autre cap. Les cadeaux pleuvaient, les voyages aussi. Il ne lui manquait plus que le financement pour son magasin. Elle y était finalement parvenue en fréquentant plusieurs hommes en même temps.
Ses parents avaient commencé à se poser des questions sur son rythme de vie, mais n’avaient pas poussé les investigations plus loin au vu de tous les agréments en contrepartie. Leur maison de Melen avait été totalement retapée, son père avait reçu une nouvelle voiture en cadeau et sa mère une boutique fermée en lieu et place de son petit comptoir d’épiceries.
Quand elle avait rencontré Cham cinq ans plus tôt lors d’un mariage, elle s’était dit qu’il ferait un bon parti et qu’il était peut être temps d’arrêter sa vie de panthère. Seulement, cela avait été beaucoup plus facile de prendre la resolution que de la mettre en pratique.
- Meumi, c’est how ? L’interpella la voix de son amie
Elle se retourna pour faire face à son amie.
- Toi même ! From que je t’attends ? Répondit -elle à avec une mine boudeuse
- Pardon, ne te fâche pas ooh. Trop de choses à gérer en ce moment, je te raconterai.
Elle emboîta le pas à son amie dans un dédale de ruelles toutes plus cabossées les unes que les autres. Heureusement qu’elle avait pris ses ballerines, elle aurait abîmé ses stylettos habituels dans ces conditions.
Josiane s’arrêta devant une maison au crépi d’un blanc recouvert de poussière.
- Nous sommes arrivées, dit-elle. Tu es sure que c’est ce que tu veux ?
Carole hésita un instant. Elle n’avait jamais eu recours à ce genre de pratiques malgré les commérages des voisins de ses parents aux quartiers. Les hommes lui mangeaient dans la main sans qu’elle n’ait besoin de lever le moindre petit doigt. Sauf Cham. Cham, le seul qu’elle voulait désespérément et qui n’arrivait pas à passer outre sa petite tromperie. Elle avait pourtant cru que ce serait plus facile une fois qu’il serait installé définitivement au pays. Mais voilà, ça faisait presque un an, et les choses étaient toujours en stand by. Ils avaient à nouveau fait l’amour, mais il avait encore besoin de recul d’après ses dires. Elle ne pouvait plus poireauter ainsi !
- Oui, je suis sure de ce que je veux, déclara d’un ton déterminé
- Ok, on y va alors …
***
- Comment tu vas, mon fils ? Demanda la mère de Cham en le serrant dans ses bras
- Bien Ma et toi même ? Répondit Cham en déposant un baiser sur la joue ridée de sa maman.
- Comment s’est passé ton voyage ?
- Très bien !
Cham s’installa dans le canapé du salon dont les étagères remplies de cadres photos et bibelots en tout genre rendaient l’espace chargé.
- J’ai préparé le pilé de pommes, fit sa mère qui se dirigeait déjà vers la cuisine. Je vais te servir une assiette.
- Non, Ma ! J’ai mangé tout à l’heure en partant du bureau. Par contre, je prendrai bien une assiette pour ce soir, ajouta t’il en souriant
A trente six ans, Régine Nomsi continuait toujours de le considérer comme son petit dernier. Ce qu’il était d’ailleurs, mais il avait beau lui expliquer qu’il s’était pris en charge tout seul pendant plus de quinze ans et très loin d’elle, elle s’évertuait à vouloir s’occuper de lui comme s’il était encore à la maternelle.
Cham avait une relation fusionnelle avec sa mère. Elle était sa reine, son roc, sa confidente. Il lui confiait à peu près tout. Même ses trois grandes sœurs qui n’étaient jamais parties du pays n’avaient pu avoir cette relation avec elle. Heureusement, aucune d’elles ne leur en tenait rigueur. Etant la deuxième femme de leur père, un riche commerçant Badenkop, leur mère avait été considérée dès le depart comme une intruse par la première épouse et sa famille. La situation de compétition permanente dans laquelle Ezechiel Nomsi mettait ses enfants avait contribué à agrandir le fossé entre les frères consanguins. Ses sœurs et lui avaient donc dû rester soudés malgré les tensions qui subvenaient de temps à autre entre eux.
Cham entretenait des rapports paisibles avec ses frères consanguins même s’il percevait une certaine rivalité de la part de ses aînés depuis qu’il était revenu s’installer au Cameroun.
- Où est ma petite fille ? Demanda sa mère en s’installant sur le fauteuil en face de lui
- Carole l’a ramenée hier avec elle
- Quand est ce que tu vas te décider à l’épouser ? Je croyais que tu attendais d’être revenu définitivement pour bien faire les choses, mais il ne se passe toujours rien. Je vois sa mère à la réunion tous les premiers samedis du mois et je ne sais même pas quoi lui dire
Cham poussa un soupir. Malgré le lien ténu qui le liait à sa mère, il ne lui avait pas confié la raison de sa séparation avec Carole. Quel était l’homme qui allait pleurer chez sa mère en lui racontant qu’il s’était fait cocufié comme un naïf par la femme dont il était éperdument amoureux ? Pas lui en tout cas ! Aucun membre de sa famille n’était non plus au courant des doutes qu’il avait eus quant à sa paternité. Quand Carole lui avait annoncé qu’elle était enceinte, ça faisait deux mois qu’il avait découvert le pot aux roses sur ses véritables occupations. Elle était ce qu’on appelait au pays une panthère. Comment avait-il fait pour ne pas s’en rendre compte ? Jusqu'à présent, il était incapable de répondre la question. Aveuglé qu’il était par son amour pour elle, il ne s’était pas posé de questions sur son rythme de vie élevé. Il avait considéré à tort que ses deux boutiques de prêt à porter lui permettaient de vivre aussi aisément. N’eut été la tâche de naissance qu’Amara avait sur le cou comme lui, il aurait exigé un test de paternité.
- Pourquoi tiens tu à dire quelque chose à la mère de Carole quand tu la vois à la réunion ? Commença t’il en biaisant
- Kemgue ! Fit sa mère d’un ton menaçant. Tu me tentes ?
Quand elle employait son deuxième nom, ce n’était jamais bon signe.
- Non, ce n’est pas ça. Mais c’est une histoire entre Carole et moi. Tu n’as donc rien à dire à sa mère si je ne te demande rien, répondit-il d’un ton posé mais ferme.
- Hum… vous les jeunes d’aujourd’hui hein? Tu engrosses la fille de quelqu’un et tu estimes que tu n’as rien à faire.
Cham resta coi. Inutile de continuer sur ce débat une énième fois avec sa mère.
- Papa est là ? Il m’a dit ce matin au téléphone qu’il voulait me voir.
Sa mère le toisa un instant avant d’acquiescer :
- Oui, il est dans son salon
Le père de Cham avait fait construire une grande maison pour que chacune de ses deux femmes ait une aile bien à elle. Sa mère occupait l’aile gauche et Ma Suzie, la première épouse, l’aile opposée. Au centre, Nomsi père avait ses appartements où très peu de personnes étaient autorisées à entrer. Ils avaient emménagé dans cette villa quand il avait huit ans.
- Papa ? Fit Cham en donnant un petit coup à la porte du salon privé
- Ah ! Cham tu es là ? Lui demanda son père en Badenkop en lui faisant signe d’entrer.
Son père était installé sur son fauteuil de cuir relaxant, cadeau de Cham pour ses soixante quinze ans, à regarder questions pour un champion sur TV5.
Le jeune homme salua chaleureusement son père, puis s’installa dans le fauteuil à côté de lui. Ils restèrent de longues minutes sans rien dire. Quand Ezechiel Nomsi convoquait quelqu’un, c’était à lui de parler en premier. Alors, Cham attendit. Au bout ce qui lui sembla une éternité, son père prit enfin la parole.
- Je voudrais que tu t’occupes de la construction de mon immeuble de logements à Émana.
Le jeune homme tiqua.
- Comment ça ? C’est Richard qui s’en occupe non ?
- Est ce que je ne le sais pas alors ? S’impatienta son père.
Il croqua dans sa kola avant de continuer :
- Je veux que ce soit toi qui t’en occupes dorénavant. Je suis passé sur le chantier l’autre jour et je trouve que ça n’avance pas alors que je sors régulièrement l’argent. En plus, je n’ai toujours pas le titre foncier. Je ne peux plus compter sur lui.
Cham réfléchit avant de prendre la parole. Cela allait créer un conflit avec Richard dont il se serait bien passé. Étant son cadet de deux ans, leur père n’avait eu de cesse de les comparer du moment où son frère et lui s’étaient retrouvés dans la même classe. Cham étant plus brillant et plus studieux, ses résultats étaient meilleurs que ceux de Richard, ce que son père ne manquait jamais de souligner. Il n’était donc pas étonnant qu’ils ne se soient jamais entendus.
- Papa, tu sais qu’en faisant ça, Richard va croire que ça vient de moi. Je ne souhaite pas avoir plus de problèmes que ça avec lui
- Je lui ai déjà dit que je te confiais la gestion de ce dossier et il sait ce que je lui reproche. Je n’ai personne d’autres à qui donner ça et je ne suis pas en état de le faire moi-même.
Cham ne pouvait délibérément pas laisser tomber son père. Il lui donna son accord et Ezechiel se laissa de nouveau absorber par son émission télévisée.
***
Solange resta un instant à observer la façade entièrement carrelée de la maison de Pascal Abena. Sur la corniche, trônait en caractères d’imprimerie formées par des carreaux de différentes couleurs “Résidence Abena”. C’était une sorte de mode par ici, d’écrire son nom sur la façade de préférence carrelée ou sur les portails de fers forgés. Heureusement qu’elle avait réussi à dissuader son père de baptiser sa maison de la sorte, elle avait toujours trouvé ça de très mauvais goût.
Elle avait à peine appuyé sur la sonnette qu’une jeune femme, la vingtaine environ, vint lui ouvrir. Elle l’emmena sur la patio où les convives étaient réunis. Solange la remercia d’un sourire et rejoignit ses anciens camarades.
Pascal en maître de maison s’avança vers elle.
- Je n’étais même plus sûr que tu viendrais comme tu n’avais pas réagi sur le groupe WhatsApp
- Laisse-moi comme ça, j’étais un peu bousculée ces derniers jours avec les visites à la famille et tout.
- Je ne sais pas si tu as déjà rencontré Madame ? Demanda Pascal en faisant signe à une jeune femme bien enrobée au teint un peu clair.
Il fit rapidement les présentations. Josiane, la femme de Pascal semblait un peu effacée. Elle lui fit un sourire timide puis disparut à l’intérieur de la maison. Des anciens camarades présents, Solange n’entretenait presque pas de rapports. Ils échangeaient vaguement sur les groupes whatsapp. Ils se connaissaient certes depuis le Collège, mais aucun d’eux n’avait été son ami. Elle discuta donc de banalités sur la vie au pays, la politique et autres. Certains lui posaient des questions sur son projet, et elle répondit avec tous les détails possibles. Elle devait établir son réseau et quoi de mieux que de commencer par ses anciens camarades ? Tous avaient un emploi stable, ce qui était assez rare. Quelques uns étaient déjà propriétaires comme Pascal, mais beaucoup d’autres étaient encore en location.
Le maître de maison qui présidait la réunion lui rappela le montant de la part qui s’élevait à cent mille francs CFA et les frais d’adhésion. Elle les régla et son nom fut ajouté au bas de la liste des membres. Les échanges d’argent achevés, le repas qui consistait en un buffet garni digne d’un banquet fut servi. Avec la chaleur qu’il faisait, Solange n’avait qu’envie de salade et hors d’œuvre. Elle était entrain de piquer dans un œuf mimosa quand elle entendit Pascal s’écrier :
- Le Ced ! Tu as pu came finalement !
Sa fourchette resta suspendue en l’air. Contrairement à ce qu’elle avait dit à Pascal, elle n’avait pas confirmé sa venue parce qu'elle ne voulait pas risquer de croiser Cédric, du moins pas la première semaine de son arrivée en tout cas. Elle n’était venue que parce qu’il n’avait pas confirmé sa venue. Elle prit une grande inspiration essayant de contenir les émotions successives qui l’envahissaient : le ressentiment, la peine. En dix années passées après leur rupture, elle ne l’avait quasiment pas revu, sauf lors du mariage d’un ancien du collège quelques cinq ans plus tôt, et elle avait alors tout fait pour l’éviter ce jour là.
Au fur et à mesure que les voix de Cédric et Pascal se rapprochaient, elle se sentait se crisper de plus en plus. Elle prit une bouchée d’œuf mimosa pour se donner une contenance, qu’elle mastiqua consciencieusement.
- Bonjour Solangel !
À l’entendre prononcer l’appeler ainsi de sa voix grave et mélodieuse par le petit nom qu’il avait été le seul à utiliser fit rejaillir une vague de souvenirs. Elle avala péniblement sa bouchée d’hors d’œuvre avant de lui répondre.
Elle eut soudain conscience du brouhaha des conversations qui avait baissé d’un cran et du regard de quelques uns posés sur eux. Ils avaient pour la plupart assisté au mariage en grandes pompes de Cédric avec Aurélie, cette dernière ayant invité quasiment toute leur promo sauf elle, bien évidemment.
Après l’avoir salué avec toute la courtoisie qui lui restait en réserve à son encontre, elle replongea la tête dans son assiette. Dès qu’elle aurait fini, elle s’éclipserait aussi vite qu’elle le pourrait.
- Solangel ! Attends s’il te plaît !
Elle venait juste de traverser le portillon d’entrée de la maison de Pascal Abena.
- Quoi ? Qu’est ce que tu veux ? Demanda t’elle en continuant sa route sans se retourner.
Elle n’en avait pas besoin d’ailleurs. Elle avait vu Cédric la suivre quand elle s’était levee pour partir après avoir pris congé des autres.
- J’aimerais te parler
Il avait allongé le pas si bien qu’il se retrouvait maintenant à sa hauteur. Elle poursuivit son chemin sans lui jeter un regard.
- Eh bien… moi, je n’ai pas envie de te parler. C’est con hein ?
Elle trouva sa propre réaction puérile, mais c’était plus fort qu’elle.
- Meme en signe de notre amitié d’avant ? J’étais ton meilleur ami, tu te souviens?
Elle pila net, avec l’impression de voir rouge tout d’un coup. Elle le toisa de haut en bas, furieuse. La silhouette élancée de Cédric se découpait parfaitement dans le soleil couchant. Vêtu d’un pantalon de lin kaki et d’une chemise de lin courtes manches, il incarnait le raffinement à la perfection. Les années passées n’avaient fait que renforcer sa virilité, et il avait gardé son allure d’athlète comparé à tous leurs autres potes qui s’étaient empâtés autour de la taille au fil du temps. Le fait qu’il soit là debout, donnant l’impression d’être sur fier, si conquérant, l’agaça au plus haut point.
- Tiens ! Tu te souviens maintenant que nous étions amis à un moment ? Il me semble que tu as zappé ça quand ta femme et toi m’avez fait votre sale coup il y a dix ans ? Répliqua Solange
- Solangel, je …
- Et arrête de m’appeler comme ça ! L’interrompit-elle d’un ton de plus en plus énervé. Ca fait dix ans que tu as perdu ce droit
- Je te demande pardon. Pardon de m’être conduit comme un lâche. Pardon de t’avoir blessée de la sorte
Pourquoi sentait-elle ses yeux la picoter ainsi ? Beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts, elle avait tourné la page, non ? Elle détourna les yeux de lui et regarda la rue animée devant elle. Des odeurs de beignet et de poisson à la braise se faisaient déjà sentir. Elle prit son temps pour observer les badauds qui déambulaient, s’arrêtaient devant les comptoirs pour y acheter quelques friandises. Cela ne calma pas pour autant la colère qui enflait en elle de seconde en seconde.
- Tu as été lâche et cruel ! Je t’avais pourtant tendu des perches pendant les cinq ans que j’avais faits sans rentrer en vacances. Mais non, tu m’as laissée dans mes illusions. Tu es allé jusqu'à me dire qu’Anais avait mal interprété les choses quand elle t’avait vu avec elle au restaurant. Et pire encore, tu n’as eu aucune considération pour mes sentiments quand tu n’as pas levé le petit doigt pendant que ta femme jubilait devant ma détresse.
Cédric baissa la tête, visiblement accablé.
- C’est impardonnable ce que je t’ai fait, murmura t’il
- Eh bien ! Tu as ta réponse alors ! Siffla t’elle. Je n’ai pas à te pardonner
Et elle reprit sa marche vers la rue. Il la retint par le bras.
- Solange, s’il te plaît.
Il affichait carrément un air de chien battu.
- Je voudrais qu’on redevienne amis. Tu viens de rentrer, si je peux t’être utile en quoique ce soit …
Elle hocha la tête, dégagea son bras et reprit sa marche vers le carrefour. Elle pouvait sentir ses yeux dans son dos. Au moins, sa colère avait pris le pas sur la tristesse qu’elle avait ressenti quand il lui avait demandé pardon. Il s’en était fallu de peu pour qu’elle se mette à chialer. Elle espérait que son container d’affaires y compris sa voiture ne tarderaient plus à arriver. Si elle avait eu sa voiture, elle aurait claqué la porte en le laissant planté là.