Chapitre 3 : Un lourd secret

Ecrit par Auby88


 Margareth IDOSSOU

 Enfin Dimanche ! C'est le jour que je consacre à mon corps. J'adore le chouchouter, depuis mes orteils jusqu'à mes cheveux. J'adore toujours être la femme fatale.

Passer dans un institut de beauté, celui que je préfère, puis faire un tour dans l'un des prêts-à-porter chics de l'avenue Steinmetz, encore ouverts dimanche.


Aujourd'hui, comme tous les autres jours, il y a du monde dans le rayon coiffure. J'arrive quand même à me trouver une place. J'avais déjà pris rendez-vous​ la veille. Je compte juste prendre soin de mes mèches brésiliennes, les laver et leur faire une nouvelle mise en plis.

Je suis assise près de Madame VIGAN, une habituée des lieux comme moi qui correspond bien à l'expression ivoirienne "bouche qui porte pas caleçon". Franchement, la femme là parle trop. C'est d'ailleurs elle qui initie à chaque fois la causerie-débat dans le salon de coiffure.

Elle adore critiquer les gens, étaler en public les prouesses au lit de son mari, toutes les satanées positions qu'ils ont déjà essayées, tant et tant d'idioties et de mensonges sur sa vie sexuelle.

Les autres femmes l'écoutent à coeur joie, avec envie, demandant même conseil à cette femme d'âge mûr qui m'agace chaque dimanche un peu plus. Ce dimanche a été l'apothéose. Cette horrible dame a osé me narguer, moi Margareth IDOSSOU !


- Mademoiselle …

J'ai d'abord fait mine de ne pas la voir.

- Mademoiselle …

- C'est à moi que vous vous adressez ?

- Oui.

- Appelez-moi Margareth. Vous désirez quelque chose​ ?

- Pas vraiment. Je suis juste étonnée par votre silence. Vous n'intervenez jamais dans nos discussions.  

- Bah !...

Je balbutie quelque peu, ne sachant quoi répondre.

Elle poursuit, en s'adressant à son auditoire.

- Vous savez, chères sœurs, quand une femme se tait pendant que d'autres parlent de leur vie de couple, il ne peut y avoir que deux raisons : soit elle n'a aucun "pointeur", soit son "pointeur" n'est pas tranchant.

Ses disciples pouffent de rire. Je suis piquée au vif. Je la laisse parler, tout en préparant dans mon cerveau un argumentaire digne de la professionnelle que je suis. Il me faut à tout prix réparer cet affront.

- Je parie que c'est une adepte des gadgets sexuels, continue-t-elle. C'est fou la multitude d'articles que les femmes solitaires sont capables d'utiliser pour satisfaire leur libido. Pourtant rien ne remplace … vous voyez ce que je veux dire !!!

Ces idiotes hochent la tête. Là, je suis prête. Je prie la coiffeuse de laisser ma tête quelques secondes. J'ai besoin d'être complètement libre.

- Madame VIGAN, je vois que vous vous y connaissez beaucoup en matière de sexualité.

Je parle en accentuant chacun de mes mots.

- Eh bien oui, mademoiselle ! réplique-t-elle avec fierté. Ce n'est pas donné à n'importe qui !

- Vous semblez en savoir beaucoup plus que moi sur les gadgets sexuels ! Je parie que votre mari est si puissant qu'il passe plus de temps à "satisfaire" d'autres femmes qu'à "labourer" votre antre d'amour.

- Je ne vous permets pas, petite impertinente ! rétorque-t-elle.

Je fais mine de ne pas l'entendre. Je m'adresse aux autres :

- Sachez, chères dames, qu'en général, celles qui vantent tout le temps leurs parties de jambes en l'air sont de piètres menteuses. Elles ne racontent aux autres que leurs fantasmes les plus profonds, en s'efforçant à tout prix de cacher leur triste vie sexuelle.

- C'est assez, je ne peux supporter qu'on me manque autant de respect !

- Oups, madame VIGAN ! Je m'excuse si je vous ai froissée.

Elle se lève précipitamment, les cheveux à demi tressés et s'empresse de sortir sous les moqueries des autres femmes.

Intérieurement, je suis comblée. Aucune autre n'a osé ouvrir sa gueule.

Trente minutes plus tard, je suis loin de là. Dans un prêt-à-porter de luxe nouvellement ouvert sur l'avenue Steinmetz. Sur l'enseigne,  je lis "D&G".

Le vigile à l'entrée s'empresse de m'ouvrir la porte. J'entre sans le remercier. Après tout, c'est son boulot. Je porte une combi-short en soie décolletée à l'avant. J'aperçois des yeux d'hommes qui me contemplent et de femmes qui me toisent pendant que je scrute la panoplie de vêtements devant moi. Je n'y prête pas trop attention.

Une des commerciales s'approche de moi.

- Bonjour mademoiselle.

Je hoche juste la tête. Je suppose qu'elle veut m'aider à choisir. Je me suis trompée.

- Le monsieur derrière là-bas souhaite que vous preniez tout ce que vous voulez. Il se chargera de régler vos achats.

Je m'apprête à riposter, mais finalement je change d'avis en voyant mon dragueur. Je lève une main en sa direction pour le remercier. Il se rapproche de moi en souriant.

Charmant, athlétique, la trentaine, sans bague autour du doigt, métis avec un piercing à l'oreille. De par le bonjour qu'il me lance, je sens qu'il est juste en vacances par ici. Il a un fort accent américain. Un bon pigeon facile à plumer. Je tente ma chance pour une fois.

J'avais prévu acheter pour 100000 fcfa en entrant dans la boutique. Mais au final, je triple la mise. 300000 fcfa. Ce n'est pas beaucoup. Je ne suis pas égoïste. Je pense aussi à mes autres consoeurs qui l'aideront à dépenser ses sous. C'est fou comme certaines jeunes femmes sont capables d'escroquer sans retenue les hommes, de les croquer jusqu'aux os. Mais bon, au final, les mecs le méritent bien. Trop bêtes. Trop mauvais. Ces idiots ne pensent que par le bas. Ils n'ont rien dans le coeur.

J'ai donc choisi une robe noire courte, bien moulante et décolletée qui a coûté 150000 fcfa. Je compte la porter pour aller au cabinet demain. Cela déliera beaucoup de langues, mais je m'en fous. J'assume. J'assume ma féminité. J'ai certes une taille fine, mais je possède de belles courbes et un joli balcon que j'aime mettre en valeur et qui ne laissent aucun mâle indifférent. J'ai également pris un joli sac dame tout en cuir à 75000fcfa et des talons bien longs au même prix. En attendant demain, je tiens à faire profiter mon beau donateur.

Je sors de la cabine d'essayage et me rapproche de lui.

- Monsieur …

- Appelez-moi Steve.

- Eh bien, Steve, je tiens à vous remercier.

Je lui tends une main. Il s'empresse d'y déposer un bisou à la manière d'un gentleman. Je le laisse faire.

- Vous êtes splendide, mademoiselle … !

- Appelez-moi Margareth.

- Très beau prénom. Alors Margareth, êtes-vous libre ce soir ?

- Cela dépend. Vous voulez m'inviter quelque part ?

- Oui, j'aimerais qu'on dîne ensemble. Je viens d'arriver nouvellement ici et j'aimerais faire plus ample connaissance avec une beauté comme vous.

- J'en suis très flattée.

Tout en parlant, il zyeute mon balcon.

- Steve, il faut que j'y aille.

- Vous voudrez bien me laisser votre contact.

- Sans problème.

En quelques secondes dans ma tête, je bidouille un numéro que je lui donne avec assurance dans la voix. Mon téléphone a tiré sa révérence hier nuit. Le choc récent qu'il a eu a finalement eu raison de lui. Steve essaie plusieurs fois sans succès.

- Votre téléphone semble éteint.

Je fais l'étonnée. J'ouvre mon sac.

- Zut alors, Steve ! Mon téléphone s'est éteint. Batterie sûrement à plat. Faisons plutôt ceci : Vous me donnez votre numéro de téléphone et je vous contacterai dès que j'aurai rechargé mon téléphone. Il sort de sa poche un petit carnet. Sur une feuille, il note son numéro.

- J'attendrai impatiemment votre appel.

Je hoche la tête.

- A tout à l'heure, Steve.

En parlant, je lui lance des yeux coquins. Il sourit.

- Idiot !

Je murmure doucement ce mot en sortant de la boutique, ma nouvelle robe sur moi.

Il doit vraiment être né bête celui-là, à moins qu'il soit de ceux qui croient au hasard ou qu'il ait été charmé par mes mots et mon physique au point où son quotient intellectuel s'est complètement anéanti en l'espace de quelques minutes.


Une heure plus tard, je suis chez moi. Les 100000 fcfa économisés aujourd'hui m'ont servi à acquérir un nouveau mobile haut de gamme. Je mets en charge ma nouvelle acquisition. Je fais une petite sieste bien méritée, ensuite j'entreprends de m'asseoir quelques minutes sur la terrasse. A cette heure de la journée, la voie routière est assez dégagée. Il y a moins de bruit. Je suis sur le point d'atteindre la terrasse quand mon téléphone fixe se met à sonner.

Je décroche.

- Allô, Mel !

Je raccroche aussitôt. Je suis pleine de colère. Je me demande ce que ce salaud me veut après tant d'années.

J'ai toujours été impertubable, mais là, je suis vraiment troublée. Ce traite représente une partie de ma vie, bien enfouie dans mon passé. Pourquoi revient-il me harceler à nouveau, troubler la quiétude que j'ai difficilement acquise ? Je le hais, je le déteste de toute mon âme. Pas seulement lui, mais tous les humains de son genre.

A nouveau, le téléphone sonne. Je reste figée. Dès que le bruit s'arrête, je m'empresse de décrocher le combiné et de le déposer sur la table. Je suis complètement bouleversée.

Dans ma chambre, je vais m'enfermer. Sur le sol, je me laisse choir, répétant sans cesse "Je ne suis pas Mel. Je ne suis plus Mel. "

Je ferme les yeux et je respire profondément pour regagner confiance et assurance en moi.

J'ouvre les yeux. Je compte reprendre ma rengaine de tout à l'heure  "Je ne suis …"

Les mots se meurent dans mon gosier. Mes yeux viennent de s'arrêter sur le bas de mon armoire. Je me lève péniblement du sol et vais ouvrir le tiroir en bas. J'en sors une vieille boîte qui contient mon bien le plus précieux : des chaussons et une photo d'un nouveau-né.

Délicatement, je sors les objets de la boîte et y passe des doigts qui tremblent. J'ai tellement mal rien qu'en voyant ces objets, rien qu'en les touchant. Un flot d'émotions me traverse. Je réprime du mieux que je peux la larme qui se bat pour sortir de mes yeux. Cela remonte à bien longtemps que je n'ai pas pleuré. Je lutte de toutes mes forces mais finalement je suis vaincue. La larme traîtresse parvient à s'échapper, entraînant avec elle d'autres fugitives de son espèce. Je finis par fondre en larmes.

- Maéva ! Ma Maéva.

Je libère ces mots, avec une voix entrecoupée par des sanglots.

Sur le sol froid, je finis par m'allonger. Je me recroqueville, avec tout contre moi ce qui me reste de … ma fille.

















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