Chapitre 4 : Charles da MATHA
Ecrit par Auby88
Margareth IDOSSOU
Cour d'appel de Cotonou.
Mes pieds sont à peine sortis dans la cour que j'entends une voix assez familière.
- Madame ! Madame !
Je me retourne aussitôt.
- Qu'est ce que tu fais ici, petite ?
- Je voulais vous voir.
- Me voir !
Décidément, ce petit bout de femme m'intrigue de plus en plus.
- Oui, cela fait trois jours que je viens ici pour vous voir.
- Vraiment !
Elle hoche la tête. Je suis étonnée par sa ténacité.
- Tu sais, je ne travaille pas quotidiennement ici. J'ai mon propre cabinet d'avocat.
- Je n'y avais pas pensé, madame. Vous pouvez me donner l'une de vos cartes de visites ?
- Qu'est ce qu'une gamine comme toi peut avoir à faire avec une avocate ! Je doute fort que tu puisses avoir besoin de mes services.
- Quand je serai grande, je serai avocate comme vous. C'est mon rêve depuis toujours.
- Crois-moi, tu finiras par changer d'avis !
- Jamais ! Je serai avocate !
Elle parle avec assurance. Son visage reste ferme. Son intrépidité me rappelle beaucoup moi-même quand j'avais son âge et que je disais à ma feue mère que je serai une grande avocate un jour. Dans les manières de cette fillette, je note la même force de caractère, la même détermination, la même énergie… la même joie de vivre. J'espère vraiment qu'elle ne perdra jamais ses yeux d'enfant devant les dures réalités de la vie humaine.
- Je n'insiste plus.
J'ouvre mon sac pour lui donner ma carte de visite. Je remarque qu'elle porte un uniforme d'école. C'est mercredi, jour d'école. J'en profite pour jeter un coup d'oeil à ma montre. 12h35. Un doute se crée dans mon esprit.
- Dis-moi, petite, tu n'es pas sensée être en route pour ta maison ?
Elle bafouille une réponse inaudible.
- Eh bien, je …
- Je parie que tes parents ne sont pas au courant de tes escapades ! N'est-ce pas ?
Je la fixe longuement en affichant un regard quelque peu mécontent.
- Bah ! Non. C'est seulement Alain le chauffeur qui le sait.
Je n'arrive pas à croire qu'un adulte soit si irresponsable, au point de mettre son propre emploi en jeu pour satisfaire les caprices d'une gamine ! Comment pourrait-il se justifier s'il arrivait quelque chose à la fille de ses employeurs ?
- Ce n'est pas bien d'agir ainsi ! Il vaut mieux que tu rentres à la maison.
- Aujourd'hui, c'est mercredi. Je n'ai pas cours le soir.
- Peut-être, mais de toute façon, il vaut mieux que tu rentres.
J'affiche un visage très ferme et je me lève du banc que nous occupions depuis le début de notre conversation. Je lui ordonne de faire pareil. Elle fait la moue. Je reste intransigeante. Elle finit par s'exécuter à contrecœur. Toutes deux, nous sortons. Elle me fait un timide signe d'aurevoir. Je la regarde se diriger et entrer dans un joli 4x4, puis je me dirige vers la mienne.
Pendant quelques secondes, j'attends au volant. Je reste intriguée par cette petite. Je ne sais pas pourquoi mais je ressens quelque chose d'étrange pour elle, un sentiment que je ne saurais expliquer. Je pense à la fille que j'ai perdue, à Maéva. Je respire profondément pour ne pas me laisser aller aux émotions. Il me faut oublier cette petite fille, dont je n'ai jamais pensé à demander le prénom. C'est mieux ainsi. D'ailleurs, je pense qu'elle ne viendra plus me retrouver.
Je démarre et quelques minutes plus tard, je suis chez moi. J'ouvre mon sac, fouille à l'intérieur mais ne retrouve pas les clés de mon appartement. Je dois les avoir égarées. Heureusement que j'en garde une copie dans la voiture. Je m'apprête à rebrousser chemin quand une main se pose sur mon épaule. Je sursaute et fait volt-face.
- C'est cela que tu cherches ?
Devant moi, il brandit mes clés. Ses yeux perçants me scrutent longuement. J'ai l'impression qu'il me déshabille du regard. J'ajuste mon bustier pour mieux cacher ma poitrine. Mes pieds semblent me lâcher… Je suis si chamboulée de le revoir que je demeure muette.
- Tu les as faites tomber tout à l'heure près de ta voiture. Prends-les.
Je m'exécute sans le remercier. Avec des doigts tremblants, j'introduis les clés dans la porte.
J'y entre précipitamment, essaie de refermer aussitôt la porte mais il m'en empêche. Il est plus fort. Il parvient à entrer.
Je me suis quelque peu remise de ma torpeur.
- Que me voulez-vous ?
- Vous ! s'étonne-t-il. Arrête Mel ! N'essaie pas de me faire croire que tu n'es pas Mélanie DALI. Certes, tu as beaucoup changé, tu es devenue un canon de beauté. Mais moi, je saurai toujours te reconnaître parmi des milliers d'autres femmes.
- Je vous le repète. Je ne vous connais pas !
- Voyons Mel ! Cela se voit que tu joues la comédie. Tu tremblais presque tout à l'heure en me voyant. Tu sais très bien que Margareth IDOSSOU, c'est une identité que tu t'es forgée juste pour fuir ton passé, pour cacher les apparences.
Au pied du mur, je me trouve.
- Ok. Je l'avoue. Alors, qu'est-ce que tu me veux, Charles ? Pourquoi reviens-tu dans ma vie après dix années ?
- Mel, je …
Il prononce ces mots, avec des yeux qui semblent perdus.
- Arrête de m'appeler ainsi. Mel est morte la nuit même où elle s'est offerte à toi ! Je me demande comment tu oses revenir vers moi !
- Je sais que j'ai agi comme un salaud, un idiot. Je te demande sincèrement pardon.
- Je m'en moque royalement. Tu as bousillé ma vie, Charles !
En parlant, je réprime, du mieux que je peux, les larmes qui me montent aux yeux.
Il se rapproche de moi, touche mon bras. Tout en moi frémit. Je dégage mon bras. Je m'étais promis de ne jamais perdre le contrôle devant quelque situation, encore moins devant ce mâle que je hais plus que tous les autres. Je suis Margareth IDOSSOU, la dame de fer.
- J'ai assez parlé de moi, Charles. Dis-moi ce que tu veux. J'ai du boulot qui m'attend.
- Mon enfant ! Je veux voir mon enfant.
Je suis complètement déroutée. Je m'attendais à tout sauf à cela. "Son" enfant !
- Tu n'as vraiment aucune honte, Charles ! Tu oses t'amener ici pour voir "ton" enfant ? As-tu oublié la manière dont tu as nié ta paternité quand je t'ai dit que j'étais enceinte de toi ? Tu m'as traîtée de petite traînée alors que tu savais bien que tu étais mon premier et unique homme. Tu m'as même suggéré de m'en débarrasser. Tu t'en rappelles ?
- Je sais mais comprends-moi. A l'époque, j'avais 17 ans. Je n'étais pas prêt pour cela. J'avais juste envie de m'amuser, de prendre du plaisir avec les femmes, pas de m'engager. Et mes parents ne m'auraient jamais pardonné une telle bêtise. Et puis, je concevais que c'était impossible que tu sois tombée enceinte de moi après juste une nuit sans protection…
Je secoue la tête, tellement cet homme me répugne. Il m'avait trompée, m'avait baratinée, m'avait fait croire qu'il m'aimait autant que je l'aimais juste pour m'avoir dans son lit. Et quand je me suis offerte à lui, il m'a quittée l'instant d'après.
Pendant qu'il parle, je le scrute attentivement me demandant comment j'ai pu si naïvement l'aimer. Je ne peux nier qu'il est d'une beauté et d'une élégance exceptionnelles, encore plus qu'avant avec les années acquises en plus et cette barbe bien rasée qui lui va à ravir. Je ne sais pourquoi, mais je ressens quelque chose en moi en le regardant. Serais-je encore … amoureuse de lui ?
Ses yeux finissent par croiser les miens. Je détourne mon regard.
- Tu m'écoutes toujours ?
- Oui, Charles. De toute manière, rien de ce que tu pourras dire n'effacera ce qui s'est passé. Je ne pense pas pouvoir te pardonner un jour.
Il essaie à nouveau de me toucher.
- Ne t'avise surtout pas, Charles !
- Je m'excuse.
- Concernant mon enfant, je n'ai rien à te dire à son sujet.
- Tu me le dois ! J'ai mon sang qui coule dans ses veines.
- Va-t'en, Charles !
- Je ne partirai pas avant de savoir où il est.
- Je ne te dirai rien.
- C'est elle, n'est-ce pas ?
- Pardon !
Je suis perdue.
- La petite fille avec toi devant la cour d'appel. C'est notre fille, n'est-ce pas ?
Je secoue fortement la tête.
- Non. C'est une fillette que j'ai rencontrée fortuitement là-bas. Je ne sais rien d'elle, même pas comment elle s'appelle.
- Pourtant, elle …
Je ne lui laisse pas le temps de finir sa réflexion erronée.
- Laisse l'enfant d'autrui tranquille !
- Alors dis-moi ce qu'il en est de mon enfant. Je n'en peux plus de tourner en rond depuis. C'est crucial pour moi. Est-ce que tu comprends ?
Il vocifère contre moi, me secoue. Je le laisse faire. Je demeure immobile. Sa tristesse me réjouit intérieurement.
A bout, il se laisse choir dans le canapé et baisse la tête. Quand il la relève, ses yeux sont humides.
C'est la première fois que je le vois pleurer. Mais je ne compte pas m'attendrir. Il n'a pas encore coulé le huitième des larmes que j'ai versées à cause de lui.
- Je ne peux plus avoir d'enfant, Mel !
J'écarquille les yeux.
Mon libertinage sexuel m'a fait contracter une maladie qui au final m'a rendu stérile. Notre enfant est donc mon unique progéniture.
Plutôt que de m'attrister pour lui, il me répugne encore plus. Je viens de remarquer la bague à son doigt. Tout est à présent clair dans ma tête. Tout ceci n'est qu'une mise en scène. Il ne regrette rien de tout ce qu'il m'a fait. Il veut juste son enfant pour garder son couple, étant donné qu'il ne peut plus en avoir. Je me rends compte que l'effet boomerang existe bel et bien. Toutes les mauvaises actions qu'on pose finissent par nous rattraper.
Jubilant intérieurement, je finis par quitter mon mutisme.
- Je suis désolée pour tout ce que tu traverses. Malheureusement, je n'ai pas de bonne nouvelle pour toi !
Vers moi, il lève des yeux perdus.
- J'ai eu une fille qui était morte-née à la naissance.
- Dis-moi que ce n'est pas vrai !
Il se lève et se rapproche de moi.
- Je suis désolée mais c'est ce qui s'est passé.
- Tu me mens, n'est-ce pas ?
- Non ! Comment pourrais-je en rajouter à ta peine ?
Il se lève aussitôt comme un zombie et s'en va de chez moi sans dire un mot de plus. Je m'empresse de refermer la porte. Sur le carreau, je m'affale et fonds en larmes. Charles est et restera un salaud ! Je ne regrette pas avoir anéanti tout espoir en lui. Je ne regrette pas lui avoir menti. Si lui et son épouse veulent un enfant, qu'ils aillent en adopter ! Comment ai-je pu croire à nouveau en lui ? Quoi qu'il en soit, je reste perdue. Je pensais l'avoir complètement effacé de mon coeur, mais là je ne sais plus quoi penser. Est-ce que je l'aime encore ?