Chapitre 30
Ecrit par leilaji
The love between us
Chapitre 30
Ses yeux brillaient d’une manière qui me donnait l’impression qu’elle se moquait de moi. Elle a parlé de partir. Partir où ? Avec mon fils ? Elle a exigé qu’on se donne de l’espace ? Depuis quand y pense-t-elle ? Pourquoi veut-elle de l’espace ? Est-ce qu’elle essaie de me faire comprendre que je l’étouffe ? Mon amour l’étouffe, mon besoin d’être avec elle et de la rendre heureuse l’étouffe ? Pourquoi demander de l’espace ? Pour aller voir ailleurs comme mon ex et me faire cocu devant tout le monde ? Mais mon ex, je n’avais même pas un dixième de l’amour que j’ai pour Manuella pour elle. Et pourtant quand on s’est quitté ça m’a fait du mal.
Je me sentais en colère de devoir imaginer cette possibilité dans ma relation avec Manuella. Le doute ne m’avait pourtant encore jamais effleuré. Je l’aimais, je l’ai voulu et je l’ai eu. C’était magique. Et elle a voulu faire de cette histoire un truc à la con qui finit mal ? J’étais très en colère. Et j’avais l’impression que parler ne servait plus à rien, que sa décision était prise. Je m’imaginais que ce n’était plus qu’une question de temps avant qu’elle ne me dise : tu n’es plus l’homme que j’ai connu, je m’en vais. Je l’ai connue, j’étais plein d’assurance. Tout me réussissait. Qui suis-je sans tout ça ?
Le désespoir m’a anéanti. Et je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose pour que ce cirque cesse. Que je réagisse, que je reprenne le contrôle des événements. C’était une impulsion plus forte que ma propre volonté. Comme une décharge d’adrénaline pour faire face à une situation de stress.
J’ai réagi. A la seconde où j’ai réagi j’ai su que c’était mal. Je ne comprends même pas comment j’ai pu en arriver à de telles extrémités alors qu’au départ, je voulais juste qu’on discute. Mais est-ce que tout est de ma faute. TOUT ? Quel genre de femme se met à rire bêtement alors qu’un abruti critique son mec ? Pas Manuella en tout cas. La Manuella que j’aime a toujours eu la langue bien pendue. Si elle n’a rien dit pour me défendre c’est qu’elle était d’accord avec lui c’est ça ?
Mais après le coup, elle s’est relevée. D’abord stupéfaite puis en quelques secondes complètement ivre de colère. Comme si elle était la seule à pouvoir l’être. Et moi alors ? Mais je suis rappelé de ce que j’avais fait, de la promesse que je venais de briser. J’ai ravalé ma foutue fierté parce que ce que je venais de faire était inexcusable.
Je me suis rapproché d’elle. Je voulais juste voir si ça allait. Je voulais réparer, consoler, m’excuser, m’expliquer avant que tout ne soit détruit. Oui, m’expliquer. Elle m’a repoussé, tellement fort que j’ai reculé de quelques pas. Je ne la savais pas si forte. Puis elle a hurlé : dégage avec tellement de mépris dans la voix! Mon sang n’a fait qu’un tour. Même dans mes plus colère contre elle, jamais au grand jamais je n’ai ressenti du mépris pour elle. Les choses ont dérapé et ce n’était pas ce que je voulais. Jamais je n’ai un seul instant voulu lui faire du mal, jamais. Et c’était ce que je voulais lui expliquer. Mais elle était à son tour trop en colère pour écouter, trop menaçante pour tempérer.
J’ai un vide dans ma tête sur la suite des événements. Je n’avais pas les idées claires. Mais je sais que je me suis avancé vers elle avec l’idée de la calmer coute que coute pour qu’elle arrête de crier. Puis j’ai vu ma main posée sur sa bouche pour l’empêcher de parler. Elle était clouée au sol et moi j’étais sur elle. Je me rappelle de l’effroi dans ses yeux. Avec le sentiment amer que mon regard était surement le miroir du sien. Ça me vient comme des flashs. C’est intense et court. Je me suis rendu compte que ma grande main appuyait trop fort, l’étouffait surement et pendant une demi-seconde, je me suis dit peut-être que comme ça elle ne s’en irait pas. Elle restera à jamais ma Manuella. Celle qui voit en moi un homme digne d’elle et pas celle que je vois à l’instant, que je ne reconnais pas.
Mais j’ai repris mes esprits. Car l’homme qui lui faisait du mal, ce n’était pas moi. Ça ne pouvait être moi. Je l’aime. C’est tout ce que je sais. Et si je l’aime, je ne peux pas être l’homme qui lui fait peur. Alors j’ai supplié d’une voix terrifiée que je ne reconnaissais même pas.
— Calme-toi Manuella. Je t’en supplie.
Je me rappelle que je la voyais flou. Puis je me suis rendu compte que les larmes m’étaient montés aux yeux. Je ne me rappelle même pas de la dernière fois que j’ai pleurée. Ah si. Quand j’étais gamin et que je le suppliais lui d’arrêter.
Face à mes larmes, elle s’est remise à se débattre de toutes ses forces. Elle était comme enragée et tout ce que je voulais c’était calmer le jeu. Je savais que j’avais bu. Un peu trop d’ailleurs.
A bout de force, elle a fermé les yeux et une larme a roulé sur le coin de son visage. La douleur que j’ai ressentie à cet instant était inénarrable. C’était dans ma tête pas dans mon corps. Mon corps lui était comme anesthésié. Je ne sentais plus le bout de mes doigts. J’avais l’impression de m’être dissocié de mon corps. Alors j’ai inspiré un grand coup puis j’ai relâché la pression.
— Ne crie plus je t’en prie, je vais enlever ma main. Mais ne crie pas. Je suis tellement désolée ma chérie. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Pardonne-moi, Seigneur, Manuella pardonne-moi.
Je ne savais même plus si ce que je disais était cohérent. Elle a secoué la tête. Sa poitrine soulevée par des sanglots retenus s’élevait et s’abaissait à un rythme fou. J’étais à la fois tétanisé par la peur et complétement foudroyé par la honte. Mais j’ai fini par enlever ma main. Et, j’ai vu l’horreur sur son visage abimé. Et dans mes yeux, elle a vu la peur. Elle a détourné le regard.
Sa lèvre fendue. Je n’ai vu que ça. Je me suis reculé et elle a fait de même. J’ai essuyé la larme qui a roulé sur ma joue. J’ai ouvert la bouche pour dire quelque chose mais je n’y suis pas arrivé. A nouveau les mots étaient comprimés en moi. Je me suis collé contre le mur près de la porte. Je ne me sentais même pas assez fort pour me lever. Je suis resté là.
Ca fait des heures que je me répète cette foutue scène et à chaque fois je n’y comprends rien. Quel est ce monstre tapit en moi ? D’où sort-il ? Manuella est sortie en courant pour aller se réfugier dans notre salle de bain. Mon premier instinct a été de penser à la suivre. Mais je n’en ai pas eu le courage. David a été une bonne excuse pour ne pas le faire. Il s’est réveillé et a pleuré à chaude larmes, jusqu’à ce que je le prenne dans mes bras.
A présent, je le berce comme je peux mais il refuse de se rendormir. Habituellement j’arrive toujours à le calmer mais cette fois-ci, il refuse d’entendre raison. Il a peut-être faim. Je le remets dans son berceau pour descendre lui faire un biberon. Le temps que je remonte, il n’est plus là.
Une seconde d’intense panique avant de me remémorer qu’elle est toujours dans la maison donc mon fils ne peut pas être loin. Je respire un peu mieux, ils sont tous les deux-là, avec moi. Les choses peuvent encore être pardonnées, réparées. Pour Manuella, pour mon fils, je dois faire mieux, je peux faire mieux. Le biberon en main, j’attrape la poignée de la porte et appuie mais elle reste fermée. Elle s’est enfermée dans notre chambre. Je ne veux pas l’effrayer. J’ai fait assez de mal comme ça. Alors je cogne à la porte.
— Manuella, je te promets que je ne vais pas entrer. Prends juste son biberon.
Elle ne répond pas et n’ouvre pas non plus. Mais je constate que David ne pleure plus. Je pose le biberon par terre et m’adosse à la porte.
Putain de bordel de merde.
— Manuella dis-moi au moins si tu vas bien.
Est-ce que je dois appeler un médecin ? Pour lui dire quoi ? Je suis un connard et j’ai … fais du mal à la femme que j’aime. Elle ne répond toujours pas. Mais je l’entends chuchoter comme si elle parlait à David pour qu’il reste calme. Ma gorge se noue. D’habitude, elle a du mal à nouer un lien avec son fils. Il me réclame toujours. Mais peut-être que pour une fois, David a compris la détresse de sa mère. Peut-être qu’il s’est rendu compte que c’était lui l’homme qu’elle méritait. Je me frappe la nuque contre le bois de la porte. Comment je vais réparer ça ? Elle ne me pardonnera jamais. Je vais la perdre. Et là ça va être la vraie merde dans ma vie.
Son téléphone sonne. Elle répond et je comprends immédiatement que c’est un appel de ma mère. J’ai du mal à entendre ce qu’elle dit, à cause de la porte entre nous et aussi de la lèvre fendue j’imagine. Je ne peux rien faire d’autre à part rester là comme un con à voir ma vie partir en sucette. Je transpire, j’ai soif. Alors je redescends au rez-de-chaussée pour boire un verre d’eau à la cuisine. Même si ma main tremble encore, ce qui est sûr c’est que j’ai largement dessoulé. Mon téléphone sonne à son tour et je le récupère. C’est ma mère. Je ferme les yeux, m’imagine une seconde ne pas répondre à son appel. Mais la connaissant, je sais qu’elle ne lâchera pas le morceau tant qu’elle ne m’aura pas eu au bout du fil. Alors je décroche.
— Je dis hein Pierre qu’est-ce qui se passe chez toi là-bas ? Tu as encore recommencé tes conneries avec les femmes ? Tu ne peux pas rester avec ta braguette fermée. C’est la mère de ton enfant pas une stupide fille avec laquelle tu couches. Pourquoi Manuella est dans cet état ? Elle n’a rien voulu me dire. C’est à cause de l’argent ?
— Non.
— C’est l’histoire de ta société ? Tu ne lui as pas dit qu’on allait régler ça ? Il faut que tu la rassures.
— Ce n’est pas ça maman.
Je n’ai rien dit à Manuella sur tout ça. Mais elle a peut-être vu mon nom dans les canards du coin, ceux qui me traitent d’homme d’affaires corrompu. Ce que je ne suis pas. Mais c’est vrai que j’ai pris un risque et que peut-être qu’ils essaient de me faire porter le chapeau. Ce ministre à la con qui me rassurait en disant que tout irait bien et qui finalement à lui-même sauté. Je sais qu’il a été entendu par la Direction Générale des Recherches et qu’il n’a pas été relâché depuis. Je ne sais pas ce qu’il leur a raconté mais j’imagine bien qu’il serait capable de dire de la merde sur moi juste pour sauver ses fesses.
— Alors qu’as-tu fait ?
Que dire ?
— Eh mon fils. De nos jours quelle femme reste avec un homme qui n’a plus de revenus fixes ? Quelle femme n’est pas intéressée pas l’argent ? Elles sont tellement rares. Toi tu en as trouvé une qui t’aime. Fais un effort. Tu ne la trouves plus belle ? Parce qu’elle t’a fait l’enfant ? Tu ne la désires plus. ?
— Ce n’est pas ça maman. Je…
J’ai trop honte pour parler.
— Alors c’est quoi ? Pourquoi pleure-t-elle ? Tu as vu des hommes lui parler et tu as encore fait ta tête de mule ? Ta jalousie là, c’est mignon seulement à petite dose Pierre. Même quand elle était enceinte, est-ce que la pauvre fille pouvait même seulement respirer sans que tu ne la surveilles ? Dis-moi ce que tu as fait. Je te préviens, j’espère que ce n’est pas l’autre imbécile qui t’a fait perdre ton boulot qui est encore revenue dans les parages.
— Non, arrête maman. je vais tout régler, ne t’en mêle pas s’il te plait.
— Ce n’est même pas la peine de venir m’en présenter une autre tu entends. Ce que Manuella veut donne le lui, c’est tout. J’aime beaucoup cette fille. Je sais qu’elle a un peu de mal à entrer dans le moule mais il y a des choses qui s’apprennent avec le temps. Je sais que dès le départ tu n’as eu aucun mal avec ton fils mais qu’elle par contre tâtonne un peu. Mais avec le temps tu verras qu’elle va s’y faire et prendre pleinement conscience de son statut de mère. C’est à toi de l’encourager dans ce sens. Ne me déçois pas. D’abord, je ne sais même pas pourquoi je me fatigue à te parler. Demain on va régler tout ça. Bonne nuit.
Je n’ai rien rectifié de ce qu’elle s’est imaginé, parce que je préfère mille dois qu’elle me croit coureur de jupon plutôt que … Non, ce n’est pas moi.
J’avais un peu trop bu. C’est ce que je me suis répétée toute la nuit durant jusqu’à m’endormir devant la porte de ma propre chambre, par terre, seul dans le couloir.
Dans mon sommeil j’entends le bruit de la sonnette et me réveille en sursaut. Le cou douloureux, je tente tant bien que mal de me relever et vacille légèrement une fois sur mes jambes. La sonnette sonne une seconde fois, je regarde à ma montre. Il est dix heures. Je descends les marches une à une. Je mets la machine à café en route et vais ouvrir la porte pour me retrouver nez à nez avec mon ex beau-père.
— Bonjour fils.
— Bonjour.
— Tu ne me laisses pas entrer ?
— Tu n’es pas le bien venu ici.
— Tu m’en diras tant.
Il force le passage et entre. Il jette un coup d’œil dédaigneux à ce qu’il voit autour de lui puis pose son regard sur moi. La colère, tapis au fond de moi depuis le dernier coup reçu bouillonne en fines bulles dans mes veines.
— C’est ta mère qui m’envoie. Elle pense que je peux te faire entendre raison. Une histoire de femme. Elle est dans tous ses états. Et tu sais que je ne peux rien refuser à ta mère, même si nous ne sommes plus ensemble.
— Pourquoi tu ne dégages pas de chez moi ?
— Mais où sont donc passer tes bonnes manières ?
— Je ne sais pas ce que tu fais là mais il serait vraiment préférable que tu t’en ailles.
— Je suis là pour une chose et une seule. Plus vite j’aurai fini et plus vite je serai reparti. J’ai un jet qui m’attend Pierre. Je suis un homme occupé. Fais la venir que je puisse lui parler, rassurer ta mère et retourner à ma belle vie.
Je m’avance vers lui pour qu’il puisse bien entendre ce que j’ai à lui dire.
— Je ne suis plus le gamin que tu pouvais … Que tu pouvais…
Les mots. Ils m’oppressent, rebondissent sur ma douleur et ma colère. Ses yeux rieurs ne me quittent plus. J’ai l’impression que l’enfer que je traverse en ce moment n’a plus de fin.
— Et moi qui pensais avoir fait de toi un homme. Quelle déception Pierre. Quelle déception pour ta mère et moi.
Je le regarde et je plie les poings.
— Tu penses être de taille petit ? tu crois pouvoir gérer la situation d’un bout à l’autre si tu agis sans réfléchir ? me demande-t-il en désignant du menton mes poings fermés.
Face à n’importe qui d’autre, je serai déjà parti au quart de tour. Mais face à lui c’est comme si je redevenais le petit garçon terrorisé de mon enfance.
— C’est bien ce que e me disais, affirme-t-il avec mépris. Bon, j’ai assez perdu mon temps comme ça. Je dirai à ta mère que j’ai fait de mon mieux.
Il tourne ses talons et s’en va. Je ferme la porte derrière lui.
Ce masque de bienséance qu’il arbore en tout lieu, je le connais par cœur. J’en ai fait les frais. Il aimait ma mère, à sa manière. Il lui offrait tout ce qu’une femme pouvait désirer. Elle ne manquait de rien et quand elle était là, il me traitait comme son propre fils. Et ma mère était folle de lui. Et plus elle le voyait bien me traiter plus elle l’aimait. Et moi, le petit garçon que j’étais, ne voulait qu’une chose. Que la femme qui avait tout sacrifié pour moi, que la femme qui avait été rejetée par sa famille à cause de moi n’ait plus jamais à rien regretter par ma faute.
Tout mon corps tremble. Ma colère contenue fait craquer mes articulations. Je relâche la pression sur mes doigts engourdi par mes poings restés serrés trop longtemps. Ca faisait des années que je ne l’avais pas vu. Mais ce n’est pas assez pour relâcher la pression. Alors je cogne contre la porte. Je me défoule pour me délester de tous les non-dits qui me heurtent.
Je ne veux pas être cet homme. Je ne veux en rien lui ressembler. Je ne veux pas être celui qui fait du mal pour se sentir homme face à plus faible que lui. Mais semble-t-il qu’il est trop tard maintenant. Je cogne plus fort. Jusqu’à m’écorcher les poings.
Je voulais le bonheur de ma mère. Et j’ai payé le prix fort pour qu’elle reste heureuse. Mais ça elle ne l’a jamais su. Et elle ne le saura jamais.
C’est notre vilain petit secret à cet homme et moi.
C’est douloureux de se rendre compte que faire semblant d’avoir oublié, ce n’est pas oublier.
C’est douloureux de se rendre compte qu’on est ce qu’on hait.
Quand je lève les yeux et essuie mes larmes de colère et de détresse mêlée, je vois Manuella postée sur la première marche de l’escalier tout en haut. David dort paisiblement dans ses bras. Elle porte un sac en bandoulière et elle m’observe.