Chapitre 30: Négociations (Inédit)
Ecrit par Lalie308
Plus de douleur, je t'en prie. Plus de mal, je t'en conjure.
xXX
Une semaine après la dernière visite d'Harry, je me trouve encore dans la chambre d'hôpital, quoiqu'avec un meilleur état de santé. Au moins, physiquement. Émotionnellement, j'oscille entre folie et dépression. L'ouverture de la porte, comme d'habitude, fait douloureusement rebondir mon cœur dans ma poitrine. J'ai l'impression à chaque fois qu'elle s'ouvre que cette porte déversera mes cauchemars dans cette chambre, dans ma vie. Heureusement, il ne s'agit que de Charly et Harry, tous deux présentant des mines dépitées mal dissimulées sous des sourires. Je suis consciente de la pression qui pèse sur toutes les épaules, de la possibilité de croupir en prison même si Victoria demeure aussi muette qu'une taupe concernant nos différends. Charly passe tendrement sa main sur mon avant-bras, tandis qu'Harry m'embrasse chastement. Bientôt, je pourrai sortir de cet hôpital, pour finir en prison. En prison par amour ! Dans les contes de fée, cela aurait été romantique. La princesse serait délivrée par le prince et ils vivraient heureux jusqu'à la fin des temps. La réalité est tout autre, inexorable. Puisque le prince et la princesse termineront derrière les barreaux.
— Du nouveau concernant Ashley et Andrew ? demandé-je à Charly.
J'essaye d'abord de me redresser, mais me résigne rapidement quand la douleur me serre le ventre. Le médecin a estimé la cicatrisation de ma plaie à un mois. J'en doute, car la douleur ne semble pas s'atténuer, elle est gérable en raison de tous les autres problèmes qui planent dans l'air. Charly semble d'abord réfléchir, avant de finalement parler.
— Elle ne sortira pas de sitôt — démence, schizophrénie ou quelque chose dans le genre, ont-ils dit. J'ai commis l'erreur d'amener Andrew voir sa mère avec l'assistante sociale, et ça n'a pas bien tourné, elle l'a traité de noms que je préfère taire.
Il parle avec une forte frustration, ce qui m'attriste. Il aime cette femme qui s'est révélée être une cinglée. Elle est devenue malade en raison de la violence subie. Elle est devenue malade, car elle avait peur de se libérer.
— Pour Andrew ? l'interrogé-je, inquiète de l'avenir de ce petit que j'affectionne énormément.
— Ses grands-parents essayent de devenir ses tuteurs légaux, mes parents sont sur le coup avec un de leurs amis qui est un excellent avocat. Pour l'instant, il vit avec eux.
— Et Homel ? demandé-je à Harry, légèrement soulagée qu'Andrew soit en sécurité.
Il se tend.
— Tu devrais te reposer, ça ne fait qu'une semaine et tu dépenses beaucoup d'énergie en parlant, rétorque-t-il sur un ton légèrement agacé.
Classique d'Harry. Je roule des yeux.
— Je vais déjà bien, et j'irai encore mieux en sachant ce qui se passe.
— Victoria est silencieuse, et j'ai peur qu'elle prépare un sale coup. Audrey s'est volatilisée. Victoria ne semble d'ailleurs pas s'en inquiéter, d'après Cyril.
Mes yeux naviguent pour quelques instants dans la pièce, à l'affut de tout indice qui, une fois ayant traversé mes pupilles, sèmerait dans mon cerveau une solution miracle. Seulement, on ne peut espérer recevoir à Noël un cadeau renfermant la clé à tous les soucis.
— Il doit bien y avoir quelque chose à faire, on ne peut pas vivre avec la peur de cette femme plus longtemps, m'indigné-je. Tu as une idée d'où peut se trouver Audrey ? J'espère qu'elle n'a pas fait une bêtise par notre faute.
Mon cœur bat de plus en plus vite dans ma poitrine. Un frisson parcourt mon cœur. J'ai anormalement froid dernièrement. Même si nous sommes en plein mois de novembre, le chauffage devrait quand même suffire. Harry prend ma main dans la sienne.
— Je vais trouver une solution, calme-toi, s'il te plait.
Dans le silence, Charly se contente d'observer. Cependant, je sais qu'il brûle aussi de me faire la morale sur mon anxiété.
— Tu n'es pas dans cette situation tout seul, Harry, le réprimandé-je.
Mon ton est moins menaçant que voulu, puisqu'il est de faible intensité, frêle.
— Je sais, soupire-t-il. Mais j'ai besoin de toi en bonne santé si on va surmonter cette épreuve.
Je nettoie du revers de la main la sueur sur mon front. Comment est-ce possible de suer tout en ayant aussi froid ?
— Tu vas bien ? m'interroge Harry, inquiet.
— Oui, oui, bafouillé-je, j'ai juste besoin d'eau.
Je bois lentement l'eau du verre qu'il me tend, tout en m'efforçant de modérer mes frissons.
— Tu es pâle Mich, je vais appeler le docteur, déclare Charly en quittant déjà la pièce.
Je rends le verre à Harry puis m'allonge mieux dans le lit. Ma tête tourne très vite et j'ai peur de vomir la mince quantité de nourriture que j'ai pu manger aujourd'hui. Charly revient avec le médecin qui m'ausculte en me posant plusieurs questions qui me parviennent dans un brouillard. Je parviens à entendre les mots : « infection », « traitement », « désolé » et d'autres plus insignifiants, avant de perdre conscience.
Harry
Bras croisés sur ma poitrine, j'observe Michelle. Elle est très pâle, des cernes sont creusées sous ses yeux fermés, ses lèvres gercées sont entrouvertes tandis que sa poitrine se soulève et s'abaisse lentement. Elle a à peine ouvert les yeux depuis que le médecin nous a annoncé que son système immunitaire avait du mal à lutter contre les infections causées par la blessure par balle. Celle-ci a du mal à cicatriser. Le médecin nous a expliqué — à Maxim, Luc et moi — que la blessure était bien partie au début pour cicatriser. Toutefois, les hormones du stress seraient en quantité abondante dans son sang, ce qui expliquerait, selon lui, que c'est le stress qui met son corps en situation de faiblesse. Tout ce que j'en retiens, c'est que toute cette histoire ne fait aucun bien à Michelle. Pour ma part, je n'ai pas encore trouvé un nouvel emploi étant donné que je ne me suis pas vraiment mis en mode recherche : je passe mon temps soit au chevet de Michelle, soit avec mon avocat et ceux de Cyril pour trouver une solution. Je vis de mon indemnisation et de mes économies qui sont assez importantes.
— Est-ce que le médecin a parlé d'une amélioration ?
Ce n'est qu'en entendant la voix de Cyril que je me souviens ne pas être seul dans la pièce. Je porte mon attention sur lui.
— Oui, il « espère », réponds-je sur un ton pessimiste. Elle souffrait déjà d'une certaine fragilité immunitaire qui n'arrange pas les choses. En plus, avec tous ces problèmes...
— Je vois, soupire Cyril qui a l'air aussi bouleversé par la situation que nous. Alors, tu penses qu'on devrait opter pour la solution du maître Vidal ?
J'expire bruyamment, haussant mes épaules qui ont l'air de peser une tonne.
— Je ne peux pas décider pour elle, et c'est une proposition assez... délicate.
— Je sais, mais il faudrait vite agir. Victoria attend sûrement la bonne occasion pour lancer des poursuites.
Je me masse la tempe en grimaçant.
— Je sais.
— Harry ?
Michelle m'appelle d'une petite voix, les yeux à peine ouverts. Je lui prends la main.
— Oui Ginger, je suis là.
Ma voix est beaucoup plus agitée que je ne l'aurais voulu. J'aimerais lui inspirer de la confiance, afin qu'elle sache que tout ira bien. Elle agrippe fortement ma main, comme si elle avait peur que je ne lâche la sienne. Elle remarque la présence de Cyril.
— Salut Michelle, dit celui-ci avec un petit sourire chaleureux.
— Salut papa Harry, tente-t-elle de plaisanter.
Elle est rapidement secouée par une rafale de toux.
— Doucement, la calmé-je en lui faisant boire une gorgée d'eau.
Elle finit par s'endormir. Je sors de la pièce en trombe, à la recherche d'air frais. Je ne supporte plus de la voir ainsi. Je rencontre en chemin Maxim, Luc et Aliyah qui viennent d'arriver. Je leur fais signe que ça va avant de continuer mon chemin. Vers la sortie, plusieurs médecins, poussant un brancard, courent à vive allure. On me crie de dégager le chemin, ce que je fais sans être très conscient de mon environnement. J'entre dans des toilettes où je me retrouve à genoux en face d'une cuvette. Je vomis. J'en vomis mes tripes, et peut-être mon âme avec. Une douleur énorme me compresse le cœur. Et si c'était maintenant que tout virait au cauchemar ? Et si Michelle ne tenait pas ? Et si je passais le restant de mes jours en prison, pleurant la perte de cet amour ? Je me rince le visage à l'eau froide à la sortie des toilettes. Un vieil homme, l'air épuisé se tient à proximité de moi.
— On doit tenir. Nous avons la santé, alors tout est possible, m'enseigne-t-il calmement.
Je me contente de lui adresser un petit sourire forcé. Mon téléphone sonne dans ma poche, c'est Maxim, alors je m'empresse de sortir des toilettes.
Michelle
Quand j'ouvre mes yeux, papa, Luc et Aliyah m'observent. Je me sens aussi vidée de mon énergie que des années plus tôt quand maman est morte. Harry entre en trombe dans la pièce, alarmé.
— Elle est réveillée, dit papa.
Harry soupire de soulagement en s'avançant vers moi. Ses yeux envahis par la fatigue arrivent à peine à me regarder. La porte s'ouvre derrière lui dans un fracas énorme. Victoria pénètre la pièce avec deux hommes en uniforme de police. J'ouvre grands mes yeux tandis que tous se tournent vers les nouveaux arrivants.
— Harry Evans, vous êtes en état d'arrestation pour violation de votre contrat, annonce l'un d'eux.
Victoria affiche un sourire vainqueur en me faisant clairement comprendre ceci : « Patience, ton tour arrive ». Il menotte Harry sans pitié alors que celui-ci garde le silence sans résister. Je me redresse violemment en sentant de chaudes larmes mouiller mes joues. Je ressens mille choses en cet instant : ma plaie qui s'ouvre aussi vite que mon univers s'est de nouveau effondré.
— Harry ! hurlé-je à m'en briser les cordes vocales.
Ils l'ont déjà emmené.
— Michelle, calme-toi, me supplie papa en me poussant par les épaules pour que je m'allonge.
Je ne l'écoute pas, m'agitant de plus en plus. Je sens le gout métallique de mon sang emplir ma bouche, mais je ne m'arrête pas tout de suite. Je n'aimerais qu'une chose : que tout ce mal s'arrête à l'instant, que mon cœur lâche. Que ma vie s'éteigne.
Harry
— Que se passe-t-il ? lancé-je directement en entrant dans la pièce.
Michelle a les yeux fermés, tout en s'agitant dans tous les sens. Elle sue abondamment.
— Elle s'agite ainsi depuis plusieurs minutes, m'annonce son père, inquiet.
Une infirmière entre dans la pièce. Elle vérifie les signes vitaux de Michelle puis la réveille très doucement. Je reste à quelques mètres du lit, appréhensif. Quand elle finit par se calmer, l'infirmière se tourne vers Maxim pour lui expliquer qu'elle endurait un sommeil un peu agité. Elle ajoute tendrement à Ginger :
— Ce n'était qu'un cauchemar, tout ira bien. Vous êtes à l'hôpital et on prend soin de vous.
— Papa ? s'étonne-t-elle d'abord avant de rapidement regarder dans ma direction.
Elle donne l'impression d'être soulagée.
— Harry ? bougonna-t-elle, confuse et tremblante.
Je me ressaisis rapidement pour me rendre près d'elle afin de m'emparer de sa main.
— Je... commence-t-elle difficilement.
J'aimerais lui dire de se calmer, de ne pas faire d'effort, mais elle ne m'écoutera pas. Je parie que son cauchemar avait rapport avec nos problèmes. C'est plutôt Maxim qui rappelle sa fille à l'ordre avec la chaleur d'un père.
— Je suis... désolée, pleure-t-elle. De vous faire subir ça.
Mon cœur tangue dans ma poitrine, aux bords de l'effritement. Les mots sont actuellement insuffisants.
— Pourrais-je lui parler seul s'il vous plait ? demandé-je à sa famille.
Sans hésitation, ils acquiescent et nous laissent seuls. Liyah les suit.
— Petit ... coquin, veux-tu ... v...vraiment parler ? essaie encore de plaisanter Michelle même si elle doit déglutir entre chaque mot.
Le fait qu'elle garde son humour spécial dans une telle situation me laisse perplexe, certes, mais encore plus admiratif de sa personne.
— Tu as tout compris, rétorqué-je pour jouer le jeu avant de la barbouiller d'une multitude de baisers.
Elle glousse, et cela me réchauffe le cœur. Même dans la faiblesse, Ginger demeure un vrai rayon de soleil, mon rayon de soleil. Je me racle la gorge, prenant un air plus sérieux, étant donné que le temps n'est pas aux plaisanteries. En relâchant une longue expiation sous l'attention des pupilles constrictes de Ginger, je me lance.
— Les avocats ont pensé à une solution, commencé-je en feignant d'être calme, j'ai d'abord tenu à t'en parler, car c'est délicat.
Après un léger froncement de sourcils, elle me fait signe de continuer. Alors je lui explique dans les moindres détails ce qui est prévu, et qui franchement me fout les boules. Comment tomber amoureux de son âme sœur peut-il devenir un crime ? Malheureusement, il existe bien de pareilles choses dans ce monde, qui en révolte plus d'un. Que faire d'autres que jouer au même jeu que le système quand toutes les solutions sont épuisées ?
*
— Prêt ?
Je lance un regard peu convaincu à Cyril, ainsi qu'aux avocats qui sont aussi décontenancés. Deux jours après l'approbation de Michelle, nous sommes à Homel, prêts à confronter Victoria. Une fois que sa secrétaire nous fait signe d'entrer, nous le faisons. Victoria alias Médusa, est assise à une extrémité de la grande table de conférence, prête à dévorer ses proies toutes crues.
— Tiens, tiens, tiens, nous accueille-t-elle avec un rictus arrogant. L'ingratitude est une maladie contagieuse, ajoute-t-elle pour Cyril.
Celui-ci met beaucoup en jeu : sa carrière, son futur. Il a une famille dont il doit prendre soin, et le fait qu'il fasse ceci pour nous me prouve qu'il y a bien de meilleures personnes que Victoria pour diriger cette entreprise. Après quelques petites mondanités d'usage, nous nous installons.
— Mon client est ici pour vous faire une proposition, commence maître Vidal avec tout son sérieux.
— J'écoute.
— D'abord, j'aimerais savoir ce qui vous retient de mettre en œuvre vos clauses et d'en finir avec nous ? demandé-je puisque la question me trotte dans la tête depuis un moment.
Elle lève un sourcil, claquant ses ongles sur la table de façon rythmique. Un bref combat visuel nous oppose avant qu'elle ne se lève pour nous faire dos. La silhouette imposante, mais raffinée de Médusa s'inscrit si bien dans la baie vitrée qu'on en dirait une sculpture : la sculpture de la terreur.
— Vous avez réussi à retourner ma propre fille contre moi, siffle-t-elle avec amertume.
— Je ne vois pas de quoi vous parlez, Audrey n'a rien à voir avec tout ceci.
L'instinct protecteur que j'ai toujours eu avec Audrey refait surface. Enfouie sous cette couche protectrice, la culpabilité me broie l'estomac. Où peut-elle bien être ? À quel point lui ai-je brisé le cœur ? Aurait-il eu une meilleure manière de faire tout ceci ? D'un mouvement sec, Victoria pivote sur elle-même pour nous confronter.
— Quoi qu'il en soit, elle sait de quel bois je me chauffe. J'écoute votre proposition.
Le sourire qui plane sur ses lèvres m'agace. J'aimerais lui sauter dessus, oublier qu'il s'agit d'une femme, arracher ce masque humain pour révéler toute la laideur de son esprit. Cependant, je me contiens, je ne fais pas ceci uniquement pour moi. Plusieurs personnes dépendent de ce plan.
— Nous avons beaucoup d'informations sur vous Victoria. Et vous avez aussi quelque chose contre nous.
Je signifie au maître Vidal de poursuivre. Il fait sortir plusieurs documents qu'il expose sur la table. Victoria se rapproche pour y jeter un coup d'œil. Une légère teinte rouge de colère colore ses joues.
— Nous sommes au courant de comment vous avez détourné les fonds de cette maison maintes fois. Des témoins affirment que vous faites preuve de violence envers votre fille. D'ailleurs, plusieurs de vos employés ne se sentent pas en sécurité. Voici une pétition qui a été signée par la grande partie des employés de la compagnie, ainsi que certains partenaires tenus dans l'anonymat. Elle dit que si vous portez préjudice à monsieur Evans, ils démissionneront tous. Et vous savez que plus rien ne fonctionnerait et qu'il faudra investir de nouveau dans de nouvelles formations.
Elle reste muette durant tout le discours du maître. Nous savons tous pertinemment ici que la plupart des employés n'oseraient pas démissionner. Ils perdraient une couverture sociale, leurs privilèges, et se retrouveraient au chômage. Ce que Victoria sait tout aussi bien que nous est qu'Homel fonctionne sur une certaine démocratie qui a été actuellement la première loi exigée par son défunt mari. Les employés ont une voix et peuvent l'utiliser dans des conditions transparentes. Elle ne fonctionne qu'à l'unanimité. Ils étaient très appréhensifs quand on leur a fait part de nos découvertes, puisque la plupart n'étaient pas au courant. Après tout, qui lit toutes les conditions et clauses ? Ils se sont sentis enfin puissants, et capables de changer les choses. Plusieurs ont avoué entretenir des relations entre eux, et Cyril a lancé une procédure d'annulation de la clause sur les relations. Il prévoit en faire une nouvelle, avec le vote du conseil, qui établit simplement la barrière entre travail et sentiments. C'est ce qui a été expliqué à Victoria. Menton levé, à la recherche du peu de dignité qu'elle puisse encore avoir, elle dit :
— Bien, marché conclu, rien de tout ça n'a jamais existé. Mais si une seule de ces informations est utilisée contre moi, je te descends Evans. Et tu n'as pas le droit de revenir travailler ici. Cyril...
— Vous ne pouvez pas le virer, il fait un parfait travail et il n'est qu'un porte-parole, la coupé-je directement. Franchement, je ne souhaitais pas revenir travailler ici. Alors, vous faites ce que vous voulez sur ce point.
Elle secoue la tête.
— Et ce n'est pas tout.
Je suis aussi surpris que Victoria quand Cyril parle à nouveau. Nous n'avons pourtant discuté de rien d'autre. Discrètement, il fait sortir une enveloppe de sa poche puis étale des photos sur la table. Les images me laissent bouche bée. Je n'arrive pas à y croire. Des femmes beaucoup plus jeunes que Victoria sont nues ou en petites tenues ; certaines ont des marques sur le corps, arborant des positions de soumises. Victoria tremble littéralement, sous le choc.
— Voici ce que nous a livré une source confidentielle. Ces femmes ont été consentantes apparemment, mais que diraient les gens quand ils apprendront le type d'activités que vous menez Victoria ? Et si certaines d'entre elles n'étaient pas vraiment consentantes ?
Médusa sert si fort les poings que ses jointures en blanchissent. Je ne me serais jamais douté de ça. Soit, je suis persuadé qu'elle voudrait garder son image de femme impassible dont les plus sombres secrets demeurent cachés. Elle sort en trombe de la pièce, chaque pas démontrant sa colère et son bouleversement.
— Nous aurions pu éviter tout ceci si tu n'avais pas passé ton temps à nier en bloc votre relation, me réprimande Cyril quand nous échangeons tous des sourires vainqueurs.
Je hausse les épaules.
— Le jeu en valait la chandelle.
Après quelques discussions avec les avocats pour assurer que tout est effectivement garanti, je vais remercier chacun des membres de la maison. Je passe par chaque service, chaque personne. Il est bien beau de demander des services, mais la reconnaissance est encore plus belle. Ils me manqueront tous. Par contre, cette nouvelle étape de ma vie est tout aussi importante, déterminante. J'aimerais me reconstruire, me redécouvrir, aimer. J'aimerais enterrer ces négociations dans cette salle, à Homel. Il fallait jouer au même jeu que la lionne, pour ne pas se faire manger, et bien franchement je ne regrette rien. J'informe Maxim au téléphone de la bonne nouvelle, et le préviens de mon passage à l'hôpital. Il m'indique qu'il est avec Charly et Andrew et qu'ils m'y rejoindront. Je ne fais qu'une prière : que Michelle se rétablisse afin que nous entamions notre nouvelle vie. Elle ne sera sans doute pas parfaite, mais elle en vaut le coup.
Michelle
Je me réveille lourdement, encore sonnée par la bataille que subit mon corps. Une fois que mes iris s'adaptent à la lumière, le visage qui m'observe me fait sursauter.
— Michelle, calme-toi, je ne te veux aucun mal.
Elle est bien réelle. Que fait-elle ici ? Maintenant ? Sait-elle qu'Harry veut faire chanter sa mère ?
— Au...drey.
Cette difficulté que j'ai de finir mes mots m'indispose. C'est comme si mes lèvres étaient tellement épuisées qu'elles n'arrivaient plus à bien remplir leurs fonctions.
— J'ai appris ce qui t'était arrivé, et ça m'a fait réfléchir.
Elle me regarde avec pitié, de la même façon qu'ils me regardent tous dernièrement.
— Je comprends vos motivations. Vous aviez peur. Je le comprends. Je suis juste blessée d'avoir pensé que je pouvais te faire confiance, alors que toi tu ne me faisais pas confiance, brisée de savoir combien je ne valais rien pour Harry.
— Il tient à toi, réussis-je à articuler.
J'ai beaucoup à lui dire. Je ne peux hélas pas en dire assez.
— Pas comme je le voudrais. Et je ne veux pas me laisser consumer par toute cette haine, et devenir comme ma mère. J'ai réussi à lui échapper grâce à l'ancien avocat de mon père avec qui j'ai gardé contact. Je l'ai menacé de tout dire sur elle, si elle osait vous toucher. Alors, elle m'a avoué ce que je redoutais depuis toujours.
Sa voix se brise, mais elle ferme les poings pour continuer.
— Je me souviens de cette nuit où j'ai vu ma mère enfoncer cette seringue dans le cou de mon père. Je me suis convaincue durant tout ce temps qu'il ne s'agissait que d'un cauchemar, je n'étais encore qu'une gamine. Elle m'a dit qu'elle l'avait fait, et qu'elle n'oserait pas à me faire la même chose si j'ouvrais ma bouche.
La monstruosité de cette femme me surprend. Je prends doucement la main d'Audrey.
— Je ne veux pas que tu meurs Michelle, je veux qu'on réessaie toi et moi, une fois que j'en aurai fini avec ma mère. J'ai souhaité que tu meurs quand j'ai appris tout ceci, et je ne me le pardonnerais pas si cela arrivait.
« Je ne mourrai pas », avais-je envie de dire. Mais à quoi bon promettre en vain ? Maman m'avait fait une promesse qu'elle n'a pas su tenir. Audrey est une magnifique personne qui mérite beaucoup de bonheur, être cette personne dont le prénom lui traverse l'esprit chaque fois qu'elle s'interroge sur son malheur ne me rend pas fière.
Harry
— Audrey ?
Elle est assise au chevet de Michelle, en larmes. Je suis plus que rassurée de la voir ici.
— Je... j'étais juste venue voir Michelle, je m'en vais, balbutie-t-elle.
Avant qu'elle ne puisse quitter la pièce, je l'arrête pour l'étreindre, ce à quoi elle n'est pas habituée et ne s'attendait pas.
— Pardon...
Quand elle se détache de moi, ses petits yeux pétillent de soulagement, mais brillent de peur.
— Tata chocolat !
C'est Andrew qui nous fait revenir à la réalité quand il court vers Michelle. J'invite Audrey à rester avec nous.
— Je déteste mon papa comme vous détestez Médusa, déclare Andrew.
Nous sommes tous stupéfaits, ignorant jusque-là qu'il était au courant de la situation. Il s'assied sur le lit de Michelle, en faisant attention à ne pas lui faire mal. Une larme roule sur sa joue.
— Il blessait maman, il me frappait, il est un monstre. À l'école, on ne m'aime pas, mais vous m'avez dit que l'important est d'avoir le cœur le plus gigantesque. Je suis triste aussi, pour ma maman et tata chocolat. Je sais aussi que je peux être heureux. Je sais que je peux pardonner papa.
Il sourit en se concentrant sur ses mains. Il lève sa tête vers Audrey. Ce gamin est un extraterrestre, il n'a pas du tout l'air désorienté.
— Je ne sais pas pourquoi tu es triste, ou en colère. Mais je sais que tu peux être heureuse si tu le veux. Je sais que Médusa est ta maman, mais tu peux être mon amie.
Audrey l'observe, déboussolée. Elle pleure à chaudes larmes et par une magie mystérieuse, je suis aussi en train de couler des larmes. Audrey esquisse un sourire avant d'éclater en sanglots mêlés à des éclats de rire. Nous entourons nos bras autour d'elle pour une étreinte collective. Mes yeux rencontrent ceux de Michelle. Je lui adresse un léger sourire plein d'espoir auquel elle répond.
— Merci, murmure Andrew à notre attention.
Quand tout se calme enfin, j'invite Audrey hors de la pièce afin de discuter avec elle. Michelle a aussi besoin de repos, donc tous les autres décident de revenir lui rendre visite plus tard, du moins il a fallu de nombreux arguments pour convaincre Maxim. Assis dans la salle d'attente de l'étage où se trouve Michelle, nous entamons notre discussion. Elle m'explique tout ce qui se passe, et j'en fais de même.
— Ça veut dire que si je dénonce ma mère, elle vous fera tomber aussi ?
Sa voix ne porte aucune accusation ou rancœur. Je me sens mal de lui faire vivre ça, la faire payer pour mes erreurs. Nerveux, je passe la main dans mes cheveux. Si Michelle n'était pas en jeu, j'irais volontiers en prison pour en finir avec cette histoire, du moment que Michelle et Audrey seraient en sécurité.
— Tu es libre de prendre une décision et je te promets de ne pas t'en vouloir, lui dis-je honnêtement. Je pourrais toujours dire que j'ai obligé Michelle à cette relation et...
— Ne dis pas n'importe quoi Harry, je ne te ferais pas ça. Je suis bien protégée et ma mère ne peut plus rien contre moi. Je sais que d'une manière ou l'autre, elle paiera pour tout ceci, un beau jour.
Sa bienveillance est si lumineuse qu'elle m'éblouit. Je prends sa main dans la mienne. Je ne peux pas la contraindre à faire pareille chose.
— Et pour ton père...
Je la sens trembler.
— Je vais simplement tout faire pour récupérer mon héritage. Ma mère n'a pas le droit à la présidence d'Homel et je l'ai toujours laissé faire et me marcher dessus. Je prendrai la tête d'Homel et je te promets de te faire revenir.
— Je suis fier de toi Audrey, je te soutiendrai dans cette lutte. Par contre, je pense vraiment que je ferais mieux de me trouver une autre voie que celle d'Homel.
— C'est ta décision, mais penses-y. Et, dis-moi, qu'a pensé ma mère du petit cadeau que je lui ai envoyé par Cyril ?
— C'est toi la fameuse source de Cyril ? m'étonné-je. Elle était vraiment ...
— Déboussolée ? termine-t-elle pour moi. J'ai eu peur durant tout ce temps de montrer son vrai visage. Et même si je ne peux pas l'utiliser contre elle maintenant, je jubile de savoir qu'elle n'a plus le contrôle.
Je ricane quand je vois des médecins, alertés, se précipiter dans la chambre de Michelle. Je me lève subitement pour y courir.
— Que se passe-t-il ? explosé-je en voulant entrer.
Une infirmière me bloque la route.
— Vous ne pouvez pas entrer, nous allons tout faire pour la sauver, me dit-elle fermement tandis que certains me tirent vers l'arrière.
J'entends un médecin crier les formules de réanimation et mon cœur s'emballe. Pourtant, j'obtempère et recule. Je tourne dos à la porte. Silencieuse, Audrey me fixe d'un regard compatissant. Je les vois à nouveau mourir, du moins, comme j'ai toujours imaginé que cela s'était passé. Mes parents emprisonnés dans les flammes, calcinant, par ma faute. Je revois sans cesse les traces qui marquent à jamais le corps de ma sœur, par ma faute. Je revois le corps sans vie d'Abdou. Et là, je la vois, Michelle, inerte et sans vie. Éteinte. Illusion ou réalité, je n'en ai plus conscience. Mes jambes se dérobent sous mes pieds et tout le poids de ces morts passés et de cette crainte présente m'abattent et me ruinent. Un cri strident s'échappe de ma gorge. Je crie, je crie ma colère, je hurle ma tristesse, je crie mon désespoir, je hurle ma faiblesse, je crie mon enfer. Je gémis : « Michelle, ne me quitte pas. »
Le bruit d'un téléphone qui tombe au sol en face de moi m'oblige à lever la tête. Audrey, livide, garde sa tête dans ses mains en tremblant comme une feuille. Je l'entends dire d'une traite :
— Ma mère s'est pendue.
****
Comme vous l'aurez compris, il s'agit d'un chapitre inédit, rien que pour vous! Évidemment, j'ai dû réécrire la fin de l'histoire et modifier quelques aspects que je trouvais gênants. J'espère que cette nouvelle fin vous plaira.
Merci de lire.
Lalie