Chapitre 31

Ecrit par leilaji

LOVE SONG TOME 2


Episode 31


LOLA


Je sors de répétition avec les nouvelles danseuses engagées par Gabriel et je suis d'assez mauvaise humeur. Le stress de mon prochain show au Casino croisette mélangé à celui de la préparation d'un mariage africain et de toutes les contraintes familiales qu'il implique, va me faire exploser la tête. Gabriel est venu me chercher. J'ai laissé les danseuses le reluquer sans m'en émouvoir. Je transpire par tous les pores de ma peau mais il ne bronche pas quand je m'installe sur ses sièges en cuir et les trempe de sueur. Je sais que son côté maniaque a horreur de ça alors je me colle au climatiseur pour sécher le plus vite possible. 


— Après trois heures de danse ton make-up est toujours aussi parfait ? T'es sure que tu as répété ? 


Je lui tire la langue sans répondre ce qui le fait sourire. Mon ventre gargouille. 


—T'as faim à ce point là? 

—Je viens surement de perdre 20 kilos avec la nouvelle chorégraphie de Scalinov. 

—Regarde derrière toi. 


Il y a dans la voiture, sur le siège arrière, un sac plastique contenant un énorme sandwich au poulet de la boulangerie le «palmier doré» accompagné d'une bouteille de Sprite. Je m'empare du tout et savoure chaque bouchée avec appétit. C’est bourré de piment mais c’est fou ce que c’est bon! Cet homme me connaît trop bien, c'est de la triche.  


On traverse la ville en quelques minutes pour nous rendre chez lui. Libreville est très calme depuis quelques mois. Les années pétroles de sont envolées loin de nous et il faut aujourd'hui pour le commun des mortels rester très près de ses sous pour joindre les deux bouts. Evidemment les familles aisées comme celles de Valentine ne peuvent absolument pas s'en rendre compte. Gabriel ne sait pas combien coute une bouteille de gaz. Ca ne le choque pas d'acheter une chocolatine à 700 francs. Il ne me croit pas quand je lui dis que certaines personnes sont encore aujourd'hui payées à 70 000 francs CFA alors que le SMIG est à 150 000. 


Aujourd'hui c'est le jour de notre ultime rendez-vous à deux , rendez-vous qui nous aidera à peaufiner et concilier une dernière fois, les volontés des deux familles. Pour ce faire, on s'installe dans son salon. Il prend place à la table à manger, un crayon dans la bouche et une calculette sous les doigts tandis que moi, je m'assois par terre sur les coussins bleu gris que je lui ai achetés il y a quelques jours à peine. Après le mariage je vais emménager définitivement ici mais je ne m’y sens pas encore come chez moi. 

Une dizaine de minutes s'écoulent sans qu'on  ne s’adresse la parole, chacun essayant de mener à bien la tâche qui lui a été assignée. J'en profite pour jeter un nouveau coup d’œil à la liste des cotisations des membres de ma famille. Elles atteignent avec peine  480 000 francs. Peut-être que maman à raison et qu'il faudrait repousser la date fixée par Gabriel.  Les temps sont durs pour tous les gabonais. Il y a des secteurs d’activité dans lesquels les gens n’ont pas été payés depuis des mois.  C’est difficile dans ces cas là, d’exiger une cotisation pour un mariage de jeunes gens qu’ils connaissent à peine. 


Lorsqu'il se lève pour se servir un verre d'eau à la cuisine et qu'il se réinstalle à table, il ne quitte plus son téléphone des yeux. Je lui pose une question relative au mariage qu'il semble ne même pas entendre, concentré qu'il est sur l'objet de communication. 


—Est-ce que tu pourrais arrêter de regarder ton téléphone toutes les cinq minutes et répondre enfin à ma question? 

—On fait comme tu veux chérie. 

—Comme je veux? T’es sûr de m’avoir écoutée? Tu m'as dit que la date était non négociable. Que si on la repousse, on devra repousser le mariage à l'année prochaine.

—Oui, dit-il sans lever les yeux de son téléphone. Et je ne suis pas sûr que l’année prochaine, le Gabon tienne encore debout Lola. C’est maintenant ou jamais. 


Tout ça commence vraiment à m’agacer. En vérité on va droit dans le mur. Les non-dits s'accumulent entre nous, comme autant de petits cailloux dans nos bottes. Bientôt, avancer dans un sens ou un autre, nous fera un mal de chien. Je n'ai pas encore osé lui avouer que chez moi, la famille peine à rassembler la somme requise. Et quelque part, je lui en veux de ne pas l'avoir deviné de lui même, de m'obliger inconsciemment à le lui dire. 


—Est-ce qu’au moins tu as entendu ma question ? 

—Lola…

—Réponds! 

—Non. Ok. Voilà tu es contente? demande-t-il en posant brusquement son téléphone.

—Évidemment que non mais … Gabriel... de mon coté le compte … n'est pas bon. 

—Comment ça le compte n'est pas bon? Ca veut dire quoi? 

—Les cotisations... je dis d'une petite voix, puis je me tais.


Il se frotte les yeux, croise les bras sur sa tête et prend sa décision. 


—Bon on va régler ça une bonne fois pour toute. Il vous manque combien? 

—Quoi? 


Il se lève, se rend dans sa chambre puis revient avec une grosse enveloppe kaki. Il  me regarde fixement, s’attendant à ce que je lui donne un montant bien précis. Je suppose que cette enveloppe est remplie d’argent.


—T’es sérieux là? C’est comme ça que tu règles la question? Je te dis qu’on a besoin d’un délai plus long pour finir les cotisations de mon coté de la famille et toi tu sors une enveloppe? T’as qu’à payer tout le mariage pendant que tu y es… je lui suggère ironiquement.

 

Pas un seul instant, il ne bronche, ce qui me fait comprendre que c’est exactement ce qu’il a prévu. Je me lève brusquement, éparpillant les coussins autour de moi. Il comprend enfin que je suis très énervée. 


—Pourquoi c’est si grave si je paie Lola? 

—Parce qu’on a besoin de mon coté de la famille de remplir nous aussi nos obligations. Mais on ne peut pas le faire aussi vite que les Valentine. Est-ce que tu peux le comprendre ça? 

—De toute manière même si on vous donnait six mois de plus vous n’y arriveriez toujours pas! Autant s’éviter cette attente inutile. 


Le cynisme de sa réponse me coupe littéralement le souffle. Il a raison. Mais jamais je n’aurai pensé qu’il se permettrait de le dire à haute voix.  Lorsqu’il se rend compte de sa bourde, il se fige, puis lève enfin la tête, le regard désolé. 


—Ne me dis pas que je l'ai dit à haute voix! 

—Si.

—Lola, excuse-moi. Je ne le pensais pas vraiment. 

—Si tu le pensais. Tu le penseras toujours. Il faut toujours qu’à un moment où un autre, ton petit côté pourri gâté réapparaisse.  

—Lola, insiste-il en prenant mes mains dans les siennes... Tout ce que je veux c'est que ce mariage soit digne de toi. Pardonne-moi si je vois les choses en grand pour toi. Je veux que ta mère soit fière de te voir à mon bras, que ton père ne s'inquiète plus jamais pour toi et que ton fils, se dise que tu as  bien fait de me choisir moi et pas un autre. Je veux que tout le monde sache à quel point tu m'es précieuse. 


La sonnerie de mon téléphone coupe sa déclaration. C'est mon père. Je discute un peu avec lui en langue fang, de manière à ce que Gabie ne nous comprenne pas. J’explique à papa mes appréhensions. Il me rassure et me propose une solution qui me plaît. Je raccroche quelques secondes plus tard, le sourire aux lèvres. 


—Il baisse le montant de la dot à 250 000 francs, si tu tiens tellement à participer dans nos cotisations. 

—Quoi? 

—Mon père a dit qu'il ne vent pas sa fille. Il a supprimé beaucoup de choses que tu te proposais de payer pour que la cérémonie soit plus simple. Pas la peine d'embaucher des hotesses. Mes cousines et nièces feront l'affaire. Ca sera leur contribution. Certains oncles vont cotiser un peu plus et je crois que de mon coté on sera tiré d'affaire. 

—250 000 t'es sérieuse? Les gens vont se moquer de nous!

—C'est ce que mon père vient de me dire. 

—250 000 ou  2 500 000? 

—250 000 ! Pourquoi ce montant te choque autant. La dot est symbolique. Ca n'a rien de proportionnel à ma valeur intrinsèque. 

—Oui mais habituellement vos dot donne le tourni …

—Hé type si tu veux que notre mariage dure, il va falloir arrêter avec les stéréotypes. Mon père a parlé, il faut respecter sa décision. Je n'ai pas de diplôme, toi et moi on n’a pas d'enfant ensemble pour que tu paies des pénalités. On est jeune, je trouve cette somme honorable. Elle me convient parfaitement.   

—C'est comme tu voudras Lola, cède-t-il en soupirant. 

—Ah j'aime quand tu parles comme ca. 

—Bon maintenant que tout est clair entre nous, est-ce que je peux retrouver ma petite femme? dit-il en me prenant dans ses bras. 


J’adore lorsqu’après une dispute aussi légère soit-elle, il me serre fort dans ses bras pour me prouver qu’il n’est pas fâché et qu’il ne permettrait pas que je le sois. J’adore quand il redevient lui-même après une longue journée de travail. Un homme qui me regarde comme si j’étais la chose la plus précieuse de l’univers. Nous venons de deux milieux tellement différents que forcément de temps à autre, il nous faudra remettre les choses au point, bâtir des ponts entre nos deux cultures. 


—Je ne suis pas encore ta femme, je lui fais remarquer en souriant. La bague de fiançailles ne suffit pas à t’approprier tout mon être, très cher.  

—Bientôt! me dit-il en posant un léger baiser sur mes lèvres. Bientôt. Tu sais très bien que si ça ne tenait qu’à moi, demain on en aurait finit avec tout le protocole. 


Il m’embrasse une seconde fois. Le baiser est délicieux, ni trop provocateur, ni trop timide. La perfection des papillons qui s’envolent en nuée sauvage tout au creux de moi me donne un long frisson. Son sourire et son air malicieux chavirent mon cœur. Que souhaiter de plus dans la vie à part ces moments de bonheur partagés avec une personne qu’on aime de tout son cœur.  


—Comment tu fais ça? 


Il dépose un troisième baiser d’une affection infinie sur mes lèvres, puis suçote l’inférieure avant de souffler légèrement dessus. Sa langue passe tout doucement sur mes lèvres, m’obligeant à l’accueillir. Il gémit. Je ferme les yeux pour mieux savourer l’instant. Ses mains frolent mes hanches. Bien avant mes yeux et mes lèvres, mon cœur lui sourit. Je ne suis pas capable de faire autre chose qu’apprécier la tendresse de l’homme face à moi. 


—Il faut qu'on s'arrête là si tu veux qu'on respecte les recommandations du prête. 


Etrangement, bien que je ne l'ai jamais vu mettre ses pieds à l'église, Gabriel a souhaité qu'on se fasse suivre par un prête juste avant le mariage. C'était une des exigences de son père. 


«Le mariage ce n'est pas un jeu, vous aurez besoin de conseils et de vous accrocher à votre foi. Parce que des moments difficiles croyez moi, vous en aurez treize à la douzaine. Vous aurez peut-être honte de venir me parler de vos difficultés de peur que je vous dise: je vous avais pourtant prévenu. C'est pour cela que je vous conseille de vous faire suivre même si vous ne célébrez pas cette union à l'église. Avoir un prête qui vous conseille c'est avoir une oreille attentive qui ne jugera jamais. »


Dès le premier rendez-vous avec le père Lombo, il nous a demandé de nous mettre en prière et surtout de ne pas comment dire ... forniquer avant la cérémonie. Au quotidien, ca se révèle plus ardu que prévu.  Et parce que je veux mettre toutes les chances de notre coté, je suis le conseil à la lettre tandis que Gabriel s'arrange toujours pour me tenter. 


Son baiser s'approfondit et c'est avec regret que je me sépare de lui. 


—Comment tu fais ça putain!

—Quoi? demande-t-il en plongeant son regard dans le mien. 


Il remet en place une mèche pour dégager mon visage. 


—Embrasser comme ça? je demande en baissant les yeux.

—Oh, ça! Je me suis beaucoup entrainé sur ma main quand j’étais gamin! 

—Plus sérieusement, dis-je en éclatant de rire.  Tu embrasses à la perfection. 

—C’est parce que tu es amoureuse de moi. Du coup mon charme légendaire t’embrouille un peu l’esprit et rend tout ce que je fais parfait!

—Mtchrrr le petit myenè là! Tes réponses idiotes me saoulent quoi. 

—Mais pourquoi vous les filles fangs vous êtes toujours comme ça!

—Comment? je lui demande en croisant les bras sur ma poitrine.

—Sauvage! Je suis romantique et tout et toi t’es toujours là à te plaindre! Tu préfères que je te dise que c’est l’expérience engrangée lors de mes nombreuses relations? Est-ce que c’est romantique si je te dis ça? 

—Est-ce que ça se mange? 

—Quoi? 

—Le romantisme. C’est des trucs de blancs ça. Je ne veux pas d’un mec romantique. Je veux juste d’un mec qui m’aime, d’un mec sur qui je peux compter, un mec fiable! 

—Mi tonda wè, susurre-t-il au creux de mon oreille. Tu le sais, dit-il en me faisant assoir sur ses cuisses.

—Pauvre petit Gabriel, je murmure en lui caressant les joues, tu es dans la bouteille de la fille fang! Ca c’est ce qu’on appelle le tabessi!


Il éclate de rire et me serre plus fort dans ses bras. Je m'assois sur ses cuisses. 


—Et la fille fang ne veut pas me rejoindre dans la bouteille? 

—Hum, la bouteille là… moi-même j’étais dedans depuis hein! 


On rigole et je pose mon menton sur son épaule. 


—Est-ce que tu te rappelles de la première fois qu’on s’est vu ? C’est Leila qui m’a donnée une de tes cartes de visite. Il y avait ton numéro avec ton mail et au dos de la carte, elle a griffonné : reçois là, tu ne seras pas déçu…


Il me demande de lever légèrement le bassin pour lui permettre d’atteindre son porte feuille dans sa poche. Il le fouille rapidement et me sort une veille carte écornée que je reconnais de suite.


—Ne me dis pas que tu l’as depuis tout ce temps. 

Non ! Mais si je disais ça ca serait vraiment romantique ! Je crois que j’aurai du mentir. Genre le type qui depuis ce jour garde jalousement cette carte, symbole du premier regard échangé !

—Arrête avec tes bêtises. 

—En réalité, je l’ai retrouvée dernièrement dans un vieux répertoire du boulot quand je me demandais si j’étais prêt à faire le grand saut et je me suis rendu compte que la carte disait vrai. Je ne suis pas déçu. 


Je tourne la carte dans tous les sens, relis l’inscription de Leila et la lui rend. Il la range soigneusement et pose ses mains sur mes hanches. 


— Je me suis pointée à ton bureau qui à l’époque était super impressionnant avec des vinyles et des cd partout. Et tu m’as regardée étrangement et je ne savais plus où poser les yeux. Il y avait une citation accrochée à ton mur qui parlait de travailler pour avoir du succès ou un truc comme ça. 

—C’était une citation d’Estée Lauder que j’aimais beaucoup à l’époque. Et que s’est-il passé déjà ? Ah oui je sais, tu m’as dit: je sais chanter!

—Et toi tu m’as demandée de chanter du Aretha Franklin! Et je crois qu’à l’époque je ne savais même pas ce qu’elle chantait… J’avais l’impression que tu voulais juste te débarrasser de moi. 

—Tu t’es barrée Lola en me claquant la porte au nez!

—Non! 

—Si! je t’ai prise pour une folle et j’ai adoré ça.

—J’ai l’impression que ça fait un siècle qu’on s’est rencontré Gabriel. Tellement de choses se sont passées dans nos vies. 


Nous nous installons dans un silence confortable, perdus tous les deux dans nos pensées respectives. Gabriel ferme les yeux et pose son front contre le mien.


—Je m’ennuierai, si t’étais pas dans ma vie Lola, finit-il par m’avouer comme un secret. J’espère que ce bonheur que je ressens à te serrer ainsi dans mes bras durera éternellement. 

—Tu crois vraiment que l’amour dure éternellement Gabriel ? je lui demande d’une toute petite voix.

—Oui… Regarde tes parents, ils sont toujours ensemble non.

—Mais est-ce qu’ils s’aiment comme au premier jour ? Je ne crois pas. Ils sont ensemble parce qu’ils se sont habitués l’un à l’autre. Peut-être que la vie moderne, les chansons, les films nous font voir la vie comme on voudrait qu’elle soit et non pas comme elle est vraiment. 

—Et comment est-elle madame la philosophe du jour? 

—Cynique Gabriel. J’ai de plus en plus de mal à y croire. Regarde les Khan… —Quand on te raconte leur histoire, tu te dis, ces deux là sont indestructibles. Puis la vie passe par là et tu les retrouves en miette tous les deux. On doit faire quelque chose. Leila a toujours été là pour moi alors que je ne suis personne pour elle. C’est grâce à elle qu’on s’est rencontré. Depuis sa fondation, elle ne m’a jamais lâchée. Je crois que ce serait vraiment ingrat de notre part de ne pas lui venir en aide. 


Je quitte ses bras pour qu’on puisse parler plus sérieusement. Gabriel quitte la table à manger pour s’avachir dans le fauteuil du salon. Il pose sa tête sur l’appui tête et soupire en regardant le plafond. 


—La femme que j’ai vue n’a pas besoin d’aide Lola. Je sais que tu te sens redevable envers Khan mais je t’assure que la femme que j’ai vue n’a besoin de l’aide de personne. J’ai fait un mail, elle n’a pas répondu donc elle n’a pas besoin d’aide. Peut-être qu’on s’est emballé pour rien. 

—Tu as entendu ce que mon père a dit sur Monsieur Okili ? C’est un … assassin. Les mecs de l’ombre qui ont profité de l’argent du pays et dont personne ne connait la vraie identité. Le mec qui conseillait le président et décidait avec lui de qui saute de son siège et qui reste. Un mec qui avait l’habitude de faire torturer les opposants et de les faire disparaitre quand ils devenaient vraiment trop gênants. Un mec qui est tellement influent que personne ne sait qu’il est influent. Franchement maintenant que je sais tout ça, cette histoire d’accident quand elle était avec le mec qu’il déteste le plus au monde c’est forcément lié à lui. Et tu te rappelles de ce que Monsieur Khan m’a révélée. 

—Tu crois vraiment cette histoire de Khan. Ce mec est cinglé Lola! Il pique des colères de malade !

—Je le crois. Il n’a pas menti. Tu sais il y a quelques années encore on m’aurait racontée ça, je ne l’aurais pas cru. Je me serai dit, on n’est pas dans un film. Mais depuis que le père de mon Raphael a tenté de me l’arracher alors qu’il n’avait jamais rien fait pour lui, j’ai compris que l’être humain est foncièrement mauvais. Si toi tu ne veux rien faire de plus que lui envoyer un mail et attendre qu’elle réagisse alors qu’elle est dans le flou, je vais voir Ya Denis. Lui il n’a peur de personne. Il pourra agir. 


Gabriel éclate de rire et me fait comprendre que je suis vraiment trop naïve. 


—Agir pour la perdre ? Jamais il ne ferait une connerie pareille Lola. 

—Comment ça la perdre ? Lui sauver la vie ce n’est pas la perdre. 

—J’ai fait ce mail dans la panique suite à tout ce que ton père  a raconté. Mais quand on y réfléchit bien, Leila est la prunelle des yeux d’Okili, il ne fera jamais rien contre elle. Par ailleurs, le vieux veut que sa fille se marie avec Denis. Donc si elle reste avec lui, il est content. S’il est content, elle ne risque rien. 

—Tu le dis avec tellement de cynisme. 

—Ce n’est pas moi qui suis cynique Lola. C’est la vie qui l’est, c’est toi-même qui l’as dit. Je t’apprends peut-être un secret mais je suis convaincu qu’il y a quelque chose entre Denis et Leila, quelque chose qui a éclaté au grand jour parce qu’elle ne se rappelle plus de son mari. Elle est chez Denis mais, on fait des réunions de travail chez Monsieur Okili et les deux là quand t’es à coté d’eux, elle rayonne. Pas de la manière quasi torturée dont elle rayonnait quand il s’agissait de Khan et elle mais … je l’ai senti apaisée et heureuse. C’était bizarre. C’est déstabilisant mais … il l’apaise. 

—C’est le meilleur ami de son mari. 


Après un bref silence, Gabriel reprend la parole, un sourire narquois sur les lèvres :


—Je crois que toi et moi on est très bien placé pour savoir qu’on peut aimer fort deux personnes complètement différentes l’une de l’autres, deux personnes qu’on n’est pas censé aimer. 


Que dire de plus? Penser à Mickael me fait du mal mais grace à Gabriel cette douleur n'est plus aussi insuportable qu'avant. 


—Si ya Denis ne peut pas nous aider, on fait quoi ? 

—J’en sais rien Lola. Laisse nous au moins finir d’abord avec notre mariage. On ne peut pas mener toutes les batailles de front. 

—Ok. On fera comme tu veux. 


Son téléphone vibre et il sourit. Quand il sourit comme ça, c’est que sa sœur lui  a envoyé une photo de sa petite princesse. Elle est magnifique. Gabriel fronce les sourcils et pianote rapidement un message. Soudain, il a l’air très préoccupé.


—Que se passe-t-il ?

—J’essais de ne pas m’énerver avec Eloïse mais elle est tellement têtue ! Elle a accouché, elle ne l’a dit à personne. Elle envoie juste des photos de l’enfant, pas les siennes ni celles de son mec. Je lui demande si elle peut venir pour le mariage, elle dit non. Si elle veut qu’on vienne la voir après le mariage, elle dit non. Quelque chose se passe mais je ne sais pas quoi.   

—Laisse la respirer ok. Tout va s’arranger et quand elle se sentira prête, elle te dira ce qu’elle a à te dire. Arrête de la harceler comme ça. C’est flippant. 

—J’appelle son mec lui il ne décroche même pas. Silence radio. J’ai perdu un frère. Je ne veux pas perdre une sœur. Sans elle papa n’aurait jamais flanché pour notre mariage, tu le sais. Au début il m’a dit non. J’ai appelé Eloïse te je lui ai dit que t’étais la femme de ma vie et que je voulais t’épouser. Elle m’a dit laisse moi 5 minutes et je te rappelle. Je t’assure Lola que dans les 5 minutes ce n’est pas elle qui m’a appelé mais papa lui-même, pour me dire Ok pour tout ce que je voulais à condition de faire le truc du prêtre. 

—Je sais. Et je lui en suis très reconnaissante. 

—Je veux qu’elle soit heureuse, elle le mérite tellement. 

—T’inquiète pas, ça va aller, lui dis-je en le serrant très fort dans mes bras.

—Bon. Il est temps de parler business. Demain tu chantes au casino croisette. 

—Je le sais. 

—Et…

—Monsieur tout doit être parfait, je suis prête pas la peine de stresser!

—Ok. 

—Mais…


Je me lève car il est temps pour moi de rentrer à la maison. Je lui souris même si à présent ce que j’essaie fortement d’ignorer me torture. Mon regard se fait triste. Il détourne la tête.


—Pose la vraie question que tu as envie de poser depuis qu’on est parti de chez ton père Lola. 

—Tu vas continuer à travailler pour cet homme ?

—Techniquement je travaille pour Leila.

—Arrête tu travailles pour lui. Il fait du mal aux gens Gabie. 


Il ne me répond pas. Il va chercher les clefs de sa voiture pour me ramener chez mes parents. 


—Gabie? 

—Oui? 

—Tout cet argent que tu as soudain…

—J’ai toujours eu de l’argent Lola.

—Pas autant que maintenant. Je ne suis pas idiote. Je sais que ton émission même si elle a bien marché t’a à peine remis à flot.  Mais depuis que tu travailles pour Leila, sur ordre de cet homme, tu ne sembles même plus te soucier de tes dépenses. 

—T'inquiète pas pour moi Lola. 

—Si je dois m'inquiéter. Je veux que tu sois heureux en faisant ce que tu as toujours aimé, découvrir des talents, organiser des événements. Je ne veux pas que tu deviennes un politicien véreux qui aura magouillé pour de l’argent.  

—Ce n'est pas ce que je suis. 

—J'espère que tu ne l'oublieras pas.


Il me prend dans ses bras et me serre très fort. Je ferme les yeux, me retiens d'avoir peur pour nous. 


—Je suis coincé Lola. Je suis coincé. 


C’est tout ce qu’il a le courage d’ajouter. 


*

**


Quelques jours plus tard.


Chez Elle. 


Je prends quelques mèches d'Annie et je les natte de manière à ce qu’elles soient jolies. J’y ajoute  des perles de couleur. Ses cheveux ne sont pas très touffus mais j’adore leur texture facile à démêler. C'est ce dont rêve toutes les mamans africaines confrontées aux cheveux crépus. Etant devenue nappy après mon cancer, j'ai pu acqurérir de petites astuces comme ne jamais manipuler des cheveux secs, les hydrater avant de les tresser pour ne pas faire mal à l'enfant etc.


On entend le portail grincer puis des pas dans l’escalier. Quelques instants après Khan apparait à notre porte vitrée. Il cogne légèrement et entre. Sans même m’avertir, Annie m’échappe et court se blottir dans ses bras. Il la fait tourner sur elle la faisant rire aux éclats.


—Tonton Xander! 

—Salut la plus jolie! 

—Ne le dis pas à Shade, elle sera triste si c’est moi la plus jolie. 


Il pose un baiser sur sa joue et la fait descendre. Elle ne le quitte pas des yeux. Je crois qu’elle est un peu amoureuse de lui car elle lui fait toujours la fête quand il vient à la maison. Mais là, elle doit surement avoir un peu de mal à reconnaitre son tonton Xander dans son vieux jean délavé. Annie revient sagement s’assoir entre mes cuisses pour que je finisse de la tresser. 

Les mains dans les poches de son jean, Alexander semble ne plus savoir quoi faire de lui-même. Il a d’énormes poches violettes qui marbrent son visage. Sa barbe non rasée et hirsute lui donne un air de junkie mal luné.  Ca me fait mal au cœur de le voir dans cet état. Vraiment mal. 


—Elle t’a appelée? demande-t-il sans préambule.

—Bonjour Alexander je lui réponds doucement. 


Je souris pour qu'il ne se sente pas attaqué, pour qu'il comprenne qu'il sera toujours le bienvenu chez nous. 


—Excuse-moi Elle, bonjour, dit-il en fourageant dans sa chevelure ébène. Comment ça va ? 

—Je crois que vue ta mine c’est plutôt à moi de te demander comment tu vas. 

—J’en sais rien. Franchement, je n’en sais rien. 

—Prends place. Tu ne vas pas rester debout. 


Il s’assoit non loin de nous et pendant un court instant joue avec le paquet de perles d’Annie. Je demande à Annie de lui servir à boire pourq u'elle apprenne très tôt le sens de l'hospitalité. Elle lui ramène de l’eau minérale de la cuisine. Il n’y touche pas, concentré à triturer tous les bouts de plastique multicolore. Parce que je sais qu’on va parler de choses douloureuses, je demande à Annie de rejoindre ses frères pour qu’on termine plus tard ses tresses. Shade doit être avec son père qui arrivera d'une minute à l'autre. 


Alexander sort son téléphone de sa poche et lance un appel puis raccroche quelques secondes plus tard. 


—Avant ça sonnait sans qu’elle ne décroche. Maintenant elle a bloqué mon numéro, me dit-il avec amertume avant de poser ton téléphone sur la table basse. 

—Que veux-tu lui dire que tu ne lui as pas déjà dit Xander? 

—J'en sais rien. J'ai besoin de la voir. Encore une dernière fois. 

—Que pourrais-tu dire qui changerait le fait qu’elle soit déterminée à recommencer sa vie avec Denis? 

—Ne prononce pas son nom. 

—Excuse moi. 

—Non toi excuse moi. Je ne sais même plus ce qui me prend. 

—La même détermination qu’elle a mis à t’aimer envers et contre tout c’est cette même détermination qu'elle met à passer à autre chose. C'est cette détermination qui se retourne contre toi aujourd’hui. J’en suis vraiment désolée. J’ai essayé de lui parler aussi mais elle m’oppose un refus catégorique! 

—Qu'elle me le dise en face alors !

—Elle te l'a déjà dit. 

—Non. Non Elle... Pas comme ça. On ne peut pas. Non. 

—Il faut que tu tournes la page, tu ne peux pas continuer comme ça. 

Est-ce que tu sais quel effort il me faut déployer pour conduire et venir te voir pour que tu lui parles? Parfois j’ai des flashs et ma main se met à trembler pendant que j’essaie de démarrer la voiture. Mon cerveau confond le jour de l’accident et le moment où je suis dans la voiture. Je revois en boucle les vitres se briser, je la perds à longueur de journée Elle. Il me suffit de fermer les yeux pour la perdre. Du coup, j'essaie de rester éveillé. Mais je suis au bout du rouleau... je suis tellement fatigué. Et ce que j’en conclus c’est que je n’ai finalement jamais su la protéger. Jamais.  

—Ce qui s’est passé ne peut pas t’être imputé…


Il pose son front entre ses mains et ne parle plus. 

La porte principale s'ouvre et laisse entrer Adrien accompagné de notre fille jolie comme un cœur avec son bandanna rose sur le front. Adrien se fige en remarquant la présence d'Alexander. Ils sont devenus de très bons amis depuis l'accident. Il appelle la nounou pour qu'elle vienne lui prendre Shade des mains. 


—Salut X, fait joyeusement Adrien avant de s'approcher de moi pour m'embrasser. 

—Arrête de l'appeler comme ça! je lui murmure à l'oreille après son baiser. 


Nous nous tournons tous les deux vers Alexander. Ses yeux regardent fixement droit devant lui. Il semble loin de nous. Peut-être revit-il encore une fois cette fameuse nuit. Il s'excuse et sort prendre l'air sur la terrasse qui fait face à la porte centrale.


—Il va pas bien hein. Il m'a l'air au bout du rouleau.

—Il l'est. 

—Il va l'être encore plus quand je vais lui dire qui j'ai rencontré au parking du magasin Mbolo en allant acheter les céréales des enfants.

—Qui ?

—Lei et Denis.

—C'est pas une nouveauté ça. 

—Laisse moi finir poussin. 

—Ok. Je t'écoute. 

—Alors je...

—Ils se bécotaient c'est ça? je coupe avant même qu'il ne finisse sa phrase. Ils riaient comme des gamins? La dernière fois que j'étais avec eux, ils faisaient des private joke sous mon nez ! Tu te rends compte ? J'ai dit un truc, je ne sais même plus quoi et ils ont éclaté de rire tous les deux au même moment comme des gamins. Même le vieux Okili a souri en les voyant. J'ai demandé ce qui les faisait rire ainsi et c'était pire. Denis a rit aux larmes. Ils étaient heureux. Tu sais j'en voulais à Alexander de rendre la vie si difficile à Leila même si ce n'était pas vraiment de sa faute. Mais aujourd'hui, j'en veux à Denis de se permettre d'être aussi heureux au détriment d'Alexander. Qu'est-ce qui peut être pire que ça? 

—Ca! dit-il en me tendant une carte. C'est le frère de Lei qui me l'a donné. Tu sais qu'il ne la quitte plus d'une semelle depuis l'accident. 


Je m'en empare, avide de comprendre son air grave. 


—Vous êtes cordialement invité aux fiancailles... je commence à lire à haute voix.

—Aux fiancailles de qui? demande Alexander que je n'avais pas entendu entrer. 


Je me fige. Comme prise en faute, je me mors les lèvres et cache la carte dans mon dos. Adrien me l'arrache et la lui tend. Je le regarde en faisant les yeux ronds.


—Il finira forcément par le savoir poussin. 


Alexander lit la carte longtemps. Tellement longtemps que je me demande s'il comprend ce qu'il est en train de lire.


—Par contre ce qui était étrange, c'est que quand ils me parlaient tous les deux, j'ai vu son frère noter quelque chose sur la carte avant de me la tendre comme si de rien était quand Lei lui a demandé s'il avait encore des invitations.  

—Et qu'est-ce qu'il a écrit? 

—Justement je n'ai rien vu en ouvrant l'enveloppe.

Love Strong (Tome 2...