Chapitre 34

Ecrit par Auby88

Aurore AMOUSSOU


Ciseaux en mains, je m'applique. Avec l'aide de Fifa, je découpe des patrons pour ma prochaine collection de prêts-à-porter. Il s'agit de vêtements pour enfants qui seront confectionnés avec des tissus doux sélectionnés minutieusement.

Je lève les yeux autour de moi. Tout le monde semble concentré. Les uns comme Fifa et moi avec les patrons de couture, les autres comme Baï et Victoire avec les machines à coudre.

Comme à l'accoutumée, je demande à l'une des ouvrières de proposer un court sujet de discussion ou de raconter une histoire drôle. C'est notre moment de détente. Toutes adorent se prêter à l'exercice qui en principe dure un quart d'heure. Mais la plupart du temps, ces quinze minutes de liesse dans l'atelier s'étirent jusqu'à trente minutes. (Sourire)


- Bonjour par ici ! entends-je.

Je reconnais cette voix. C'est celle de la mère de Bella. Elle vient parfois nous rendre visite à l'atelier. Et nos relations se sont nettement améliorées. Toute heureuse de la revoir, j'abandonne mes ciseaux. Fifa aussi.


- Bonjour maman, commence-je en collant mes joues aux siennes.

- Bonjour ma chérie. J'espère que je ne te dérange pas.

- Bien sûr que non ! m'exclame-je.


Fifa va aussitôt se positionner derrière sa mère d'adoption, en prenant soin de mettre ses mains au cou de cette dernière. Fifa ! Il suffit que Madame ZANNOU apparaisse pour qu'elle perde toute concentration.

Je reste à chaque fois admirative, quant à la complicité entre ces deux femmes.

- J'en suis ravie, Aurore. J'étais dans la zone et j'ai tenu à passer vous saluer. J'espère que Fifa reste bien attentive au travail !

- Maman ! rétorque-t-elle en faisant la moue.

- Oui, maman. Pour le moment, je n'ai pas à me plaindre d'elle.

- J'en suis ravie, Aurore. Parce qu'il n'y a pas plus tête en l'air que Fifa !

- Mais…

- Que veux-tu encore dire ? Lâche mon cou et va travailler comme tout le monde.

- A vos ordres, Colonnel ! réplique-t-elle en le complétant d'un salut à la manière militaire.

Je réprime un rire. Fifa reste incorrigible. Au moins, grâce à elle, madame ZANNOU a retrouvé sa joie de vivre. Bella aurait adoré voir sa mère aussi gaie, aussi pleine de vie, aussi… heureuse.

- Au fait, maman, je tenais à te remercier pour tout le soin que tu apportes à Arabella. A chaque fois qu'elle revient de chez toi, elle est très gaie et passe toute la journée à me parler des friandises, gâteaux et autres dont tu la gâtes.

- Tu n'as pas à me remercier, Aurore. Ta fille est adorable, tout comme Yves. Et c'est un plaisir pour moi de m'occuper d'eux et de les voir courir dans toute la maison. Et puis, Bella aussi était pareille à son âge. Elle jouait toute la journée sans jamais paraître fatiguée.

Je souris.

- A présent, je dois vous laisser. Je ne veux pas être en retard à l'agence de voyage.

Sur la joue, elle vient me déposer un bisou.

- Et moi, maman ? s'étonne Fifa.

- Fifa, concentre-toi ! Ton bisou, tu l'auras à la maison. Aurevoir à toutes, conclut-elle en faisant un signe de la main.


Je reprends mes ciseaux et me remets à l'oeuvre. Un quart d'heure plus tard, un autre "Bonjour" très familier me parvient à l'oreille. J'ai du mal à y croire. Elle ! Ici !

Les ouvrières lui répondent en chœur.

Plutôt que de déposer mes ciseaux, je poursuis mon ouvrage sans me retourner, ni répondre à la salutation. Les bruits de talons se rapprochent de mon fauteuil.

- Bonjour Aurore !

- Que me voulez-vous​, madame ? dis-je en faisant toujours dos à la visiteuse.

- On peut parler en privé ?

- Je pensais que vous m'aviez déjà tout dit la dernière fois à l'agence de mannequinat.

- Eh bien, je …

- Ecoutez madame, (je me tourne vers elle), je suis assez occupée actuellement. Vous l'avez sans doute remarqué !

- Je ne prendrai que cinq minutes de ton temps.


Je finis par accepter. Plus vite, elle s'en ira et mieux ce sera. A Baï et Fifa, je laisse des instructions puis je m'isole dans le bureau avec Madame.


* *

 *

Cinq minutes plus tard, nous sommes encore dans mon bureau.

- Qu'en dis-tu, Aurore ?

Elle vient de me parler d'un partenariat entre l'agence de mannequinat et l'atelier BellaZ.

- Je ne suis pas intéressée par votre offre, réponds-je en la fixant droit dans les yeux.

- Tu ne devrais pas laisser nos désaccords du passé influencer tes décisions actuelles. C'est une grande opportunité pour toi.

- Vous voulez que j'oublie le passé ? Eh bien, non, madame ! J'étais perdue et je suis venue vers vous pour que vous me tendiez une main. Mais vous m'avez rejetée à cause de mon handicap. Pourtant avant l'accident, j'étais votre mannequin chouchou, celle que vous complimentiez tout le temps, que vous mettiez toujours en avant dans vos défilés. En réalité, je n'étais pour vous qu'un fonds de commerce dont vous vous êtes lâchement débarrassé quand il a perdu tout intérêt pour vous. Vous saviez pourtant que le mannequinat était toute ma vie !

- Je me suis trompée, Aurore. Si tu le veux dès maintenant, tu peux même réintégrer l'agence en tant que mannequin.

Son cynisme me répugne.

- Mon handicap ne vous pose plus problème ?

- Non, Aurore. Je suis désormais plus flexible en la matière.

Je secoue la tête, indignée. Elle est vraiment sans vergogne. Tout à ses yeux n'est que question d'intérêt.

- Je vois. Cependant, je maintiens ma position. Je ne compte plus travailler avec vous. Ni en tant que mannequin. Ni en tant que styliste.

- Repense à ma proposition, Aurore. Je t'en prie.

Je tourne la tête. Je ne dis plus rien.

Elle se lève, me fixe un moment puis s'en va. Seule dans la pièce, je me retrouve. Des images douloureuses de mon passé me reviennent en tête. J'inspire profondément à plusieurs reprises pour retrouver ma sérénité.



*************

Des jours plus tard


Aurore AMOUSSOU

Aujourd'hui est un nouveau jour. Je me suis réveillée de bonne humeur. Actuellement, je suis devant la coiffeuse. Je me maquille. Femi sera là tout à l'heure et je veux être la plus coquette possible. Peut-être qu'ainsi je parviendrai à nouveau à toucher son coeur.

Je porte une robe mi-longue légèrement décolletée, cousue dans un pagne qu'il m'avait offert. J'espère qu'il le reconnaîtra.

Quelqu'un frappe à la porte. C'est la femme de ménage. Elle m'informe de l'arrivée de Femi. Avec empressement, je finis de m'apprêter.

- Arabella a déjà fini de prendre sa douche ? m'enquiers-je.

- Non. Elle y est encore avec sa mémé.


Je quitte ma chambre pour celle de ma fille. A peine ai-je poussé la porte que j'entends la voix d'Arabella. A sa mémé, elle fait des misères comme à son habitude. Je souris et referme tout doucement la porte. A travers la balustrade de l'étage, j'aperçois Femi. Il est debout dans le salon.


* *

 *

J'avale une grande gorgée d'air avant d'émettre mes premiers mots.

- Bonjour Femi.

- Bonjour, me répond-t-il faiblement.

Ses yeux passent furtivement de ma robe à un point quelconque dans le salon. Intérieurement, je me réjouis.

- Arabella est prête ?

- Presque prête.

- Je vais l'attendre dehors.

- Tu peux bien l'attendre ici. Tu n'es pas un étranger.

- Dehors me convient mieux.

Il s'en va dehors et… je le suis.

- Tu souhaites qu'on t'apporte un rafraichissement ?

- Non. Je ne veux rien.

- D'accord.

Je sens qu'il n'a aucune envie de me parler, mais je soutiens quand même la conversation. Mes mots restent basiques. Je dis juste ce qui me vient à l'esprit.

- Et au boulot, ça va ?

Plutôt que de me répondre, il sort son téléphone, compose un numéro et entame une longue conversation avec un client apparemment plus important que moi. Plus tard, il se lève et s'éloigne, le téléphone toujours collé à l'oreille.

Je soupire. Partagée entre d'une part la déception et d'autre part l'impossibilité de renoncer à lui, je reste là attendant qu'il finisse sa discussion. Par moments, je regarde vers le salon. Pas d'Arabella en vue. J'irai tout à l'heure dans sa chambre.

Femi finit par se ramener.


- Femi, tout va bien ? demande-je pour relancer la discussion entre nous deux.

- Ma fille est enfin prête ?

"Sa fille" comme à chaque fois !

- Notre fille ne devrait plus tarder à descendre. Je vais la voir.

- Oui, vas-y. C'est mieux.

Je l'agace si tant que ça ! Bon sang !

Je soupire puis regagne l'intérieur. Je vois maman qui descend avec Arabella en rouspétant. La femme de ménage les suit avec un sac.

- Vous avez mis du temps, toutes les deux ! Son père vous attend depuis.

- Je démissionne Aurore ! J'en ai eu ma dose aujourd'hui avec cette petite diablesse !

Je me retiens de rire.

- Arabella ! Qu'est-ce que tu as encore fait à Mémé ?

- Moi ? demande-t-elle en faisant l'étonnée.

Son "moi ! " me fait sourire. A ce que je sache, elle est la seule Arabella présente dans la pièce !

- Oui, Toi ! réplique-je.

- Rien ! fait-elle en haussant les épaules.

- Figure-toi, Aurore, qu'on a dû sortir la majorité de ses vêtements avant qu'elle accepte de porter ceux-là.

- Je te rappelle, maman, que c'est toi qui consens à tous ses caprices et qui refuse qu'on lui donne de bonnes fessées.

- Eh bien… évidemment. C'est quand même encore un bébé !

En direction de sa mémé, Arabella affiche un sourire que l'autre lui rend.

Je secoue la tête. Je ne compte plus intervenir dans les histoires de grand-mère et petite-fille. A cette allure, la fin des tourments de ma mère n'est pas pour demain.


Je prie la femme de ménage de la conduire chez son père. Il doit vraiment s'impatienter. Maman me regarde avec étonnement. J'en devine déjà la raison. J'évite de croiser ses yeux. Avant de partir, Arabella embrasse sa maman et sa mémé puis court en premier vers la sortie.


- Aurore …

- Tu te demandes sûrement pourquoi je ne les ai pas suivies dehors ?

Maman hoche la tête​.

- Eh bien, Femi demeure distant et hostile avec moi.

- J'espérais qu'avec le​ temps, les choses se seraient améliorées entre vous.

- Je le pensais aussi. Mais non. Tout s'est empiré au contraire. Tout à l'heure, j'étais avec lui et on s'est à peine parlé. Je suis vraiment à bout maman.

Nous sommes interrompues par la femme de ménage.

- Ils viennent juste de s'en aller.

Je la remercie. Elle s'éclipse et je continue la conversation avec ma mère.

- Tu vois, maman ! A chaque fois, il me salue à peine et part sans daigner me dire aurevoir. Je compte tellement peu pour lui. Ça fait vraiment mal d'être une étrangère pour quelqu'un avec lequel on a été tellement intime !

- Il doit t'en vouloir encore beaucoup pour agir ainsi !

- Hélas, oui. Je voudrais pouvoir panser les blessures que j'ai laissées en lui. Mais comment y parvenir s'il ne me laisse pas l'approcher ?

- Sois patiente avec lui. Reconnais que si tu m'avais écoutée, votre relation serait différente aujourd'hui.


Les mots de ma mère sont vrais. Si je souffre aujourd'hui de la distance avec Femi, c'est de ma propre faute.









SECONDE CHANCE