Chapitre 35
Ecrit par Auby88
Aurore AMOUSSOU
- Maman ! Maman !
En sursaut je m'éveille avec un léger vertige, heureusement vite dissipé. Quant à mes yeux, ils sont encore lourds. J'ai eu une journée très chargée à l'atelier.
J'ai à peine le temps de me retrouver qu'Arabella se jette sur moi. Cette fillette déborde tant d'énergie. J'ai bien peur de finir par faire une crise cardiaque un de ces jours. (Sourire)
- Petite folle ! m'exclame-je en tirant sur ses deux pompons.
- Aie ! Mes cheveux !
Je souris.
- Allez, viens maman. T'as assez dormi comme ça. On va jouer dans ma chambre. Je veux te montrer tous les jouets que papa a achetés pour sa jolie princesse. Et c'est vrai que je suis très jolie !
- Ah bon !
- Oui maman.
Je souris. Pour le moment, elle ne comprendra pas. Mais il faudra que je lui explique que la beauté physique n'est pas ce qui importe le plus. Je l'ai bien appris à mes dépens.
- Alors, tu viens, maman ?
- Un instant, mon ange.
Un instant pour moi signifie un quart d'heure au minimum. Je me relève de mon lit en prenant appui sur mes bras et tire un peu plus près de moi mon fauteuil roulant, posé à côté du lit. Ensuite, je m'y glisse tout doucement.
- Bravo maman ! me dit-elle comme à l'accoutumée, quand je quitte le lit ou le canapé pour mon fauteuil.
Je ne sais pas si elle comprend ce que signifie avoir un handicap, mais elle est à chaque fois amusée de me voir me déplacer ainsi.
- Maintenant, je suis prête. On y va.
Je l'aide à s'asseoir sur mes jambes et nous sortons de ma chambre pour rejoindre la sienne.
- Vrmmm, Vrmmm fait-elle en imitant le vrombissement d'un moteur et en tournant un volant imaginaire.
Elle adore jouer à ce jeu, assimilant mon fauteuil à une voiture. Et j'avoue que moi aussi, cela m'amuse …
Cela fait une demi-heure déjà que nous sommes dans "le monde merveilleux" d'Arabella. (Sourire). Si je qualifie ainsi sa chambre, c'est parce qu'elle est remplie de jouets qui pour la majorité proviennent de ses deux mémés : Suzanne et Claire. Elles passent leur temps à la chouchouter et cette petite diablesse s'y plaît bien.
- S'il te plaît maman, fais-la encore tourner.
Elle est très enthousiasmée par cette figurine "danseuse ballerine" qu'elle vient de ramener de chez son père.
- Tu sembles beaucoup aimer ce jouet que papa t'a offert !
- Non, ce n'est pas papa, mais tata Paula.
Mon désenchantement est tel que je laisse tomber le jouet de mes mains.
- Attention maman ! Tu vas casser mon jouet !
- Désolée ma chérie, fais-je en ramassant malgré moi la figurine du sol.
Cette Paula, je ne l'aime pas. Pourquoi ? C'est pourtant évident. Elle est la petite amie de Femi. Je n'ai pas pu le confirmer mais tout va en faveur de cette hypothèse. Elle est toujours présente quand Arabella va chez son père.
- Tu as assez joué avec celui-là. Prends l'un des jouets de tes mémés. Par exemple ton jeu de puzzle.
- Non, maman, fait-elle en boudant. C'est le jouet de tata Paula que je veux.
Je me résigne. Ce n'est qu'un enfant après tout. Elle ne comprend rien aux histoires des adultes.
- D'accord. Mais essaye de le tourner toi-même.
- Je n'y arrive pas, maman. Aide-moi s'il te plaît.
- Efforce-toi pas à pas.
Je l'entraîne sans toucher le jouet. Juste l'idée qu'il vienne de cette femme me répugne. Suis-je jalouse ? Bien sûr que oui. C'est elle qui occupe actuellement ma place près de Femi. Cette place que j'ai bêtement laissée et que je peine à retrouver.
- Maman, j'ai réussi.
- Bravo, ma chérie, fais-je, l'esprit toujours ailleurs.
Soudain, une idée me traverse l'esprit. C'est insensé ce que je m'apprête à faire, mais j'ai besoin d'en apprendre plus sur cette femme et sa relation avec Femi. Et puis, c'est de la bouche des enfants que sortent les plus grandes vérités.
- Dis ma chérie, tata Paula est toujours là quand tu vas chez papa ?
- Oui maman.
Je soupire. Bavarde comme elle est, elle continue sans que je lui demande quoi que ce soit.
- Elle prépare avec papa de délicieux gâteaux pour moi.
- Elle est bien gentille ! dis-je tout en pensant le contraire.
- Oui, elle est tellement gentille que papa lui dit tout le temps : Je t'adore, ma Paula.
Sa réponse, remplie d'innocence, manque de m'achever. Je prends des respirations successives pour ne pas m'effondrer devant ma fille. J'ai perdu Femi, c'est sûr. Mais je n'arrive pas à l'accepter, même si tout est de ma faute.
- Dis maman, pourquoi toi tu n'es pas gentille avec mon papa ?
Perdue, je suis.
- Qui t'a dit ça ?
- Personne.
- Alors pourquoi tu dis cela ?
- Parce que papa ne rit jamais avec toi.
Une larme coule de mes yeux. Je l'essuie promptement avant que ma fille la voie.
- Il le fait parfois.
Elle secoue la tête.
- Crois-moi, il le fait.
- Non, maman. C'est faux.
Je demeure muette quelques secondes, me demandant comment la convaincre. Elle a raison, mais je ne veux pas qu'elle garde une mauvaise image de son père et moi. Je n'ai pas le temps de mûrir ma réflexion ; elle continue à parler.
- Vous êtes fâchés comme les parents de Tati, n'est-ce pas ?
- Non, mon cœur.
- Alors pourquoi papa vit là-bas et toi ici ?
Tati ou Tatiana est l'une de ses amies de la maternelle, dont les parents ont récemment divorcé. La petite vit avec sa mère en semaine et en week-end, elle reste avec son père. C'est sûrement la similitude de la situation familiale de Tati avec la nôtre qui intrigue autant Arabella. Vu son jeune âge, je ne pensais pas que cela l'affecterait.
- Parce que …
Ma phrase reste sans suite. J'inspire avant de reprendre :
- Arabella, garde juste à l'esprit que papa et maman t'aiment beaucoup même s'ils ne vivent pas dans la même maison.
- Mais moi je veux que mon papa et ma maman vivent ensemble !
"Moi aussi, je le souhaite !" me dis-je intérieurement.
J'affiche un grand sourire en sa direction.
- En attendant, t'aurais pas envie d'une grosse part de gâteau au chocolat, spécialement fait par maman pour sa choupinette ?
Elle ouvre grand les yeux et fait énergiquement Oui de la tête. Ouf, j'ai réussi à détourner son attention. Sur ma joue, elle vient déposer le plus délicieux des bisous. Je la serre tout contre moi, tout en cogitant sur notre discussion.
**********
Des jours plus tard
Paula KOUTON
- Femi, passe-moi la serviette ! dis-je en sortant de l'eau.
- Avec plaisir, miss ! fait-il en me tendant la serviette.
Si je suis aussi fréquente chez Femi ces temps-ci, c'est surtout pour profiter de sa piscine. Il y a plein de clubs qui disposent de piscines, me dirait-on, mais celle de Femi me convient le mieux. Elle est discrète, gratuite et je profite souvent de la compagnie de cet grand ami qui adore me taquiner. D'ailleurs, actuellement il s'y prend à coeur joie.
- Ton téléphone n'a fait que signaler des messages. Je parie que ce doit être ton admirateur fou fou… Suis mon regard !
J'éclate de rire. Il fait allusion à Monsieur OBAYEMI, un important client de l'entreprise qui souhaite faire de moi sa quatrième épouse. Bien sûr, si j'accepte ses avances.
- C'est bien lui, reconnais-je. Ce type finira par me rendre dingue. Mon bureau est actuellement rempli de fleurs par sa faute. J'ai même dû en jeter certaines.
- Accepte sa proposition. Epouse-le et tu deviendras une riche El Hadja.
- T'es sérieux ? Tu sais bien que je n'ai aucun sentiment pour lui.
- Peut-être mais au moins, il arrêtera de me voir comme son rival, de me regarder méchamment comme il le fait.
Je souris. Il a bien raison. D'ailleurs, nos collègues s'étonnent que le Directeur Administratif et Financier (DAF) et la Secrétaire du Directeur Général soient si proches. Ils pensent que nous entretenons une liaison secrète. Nous nous en moquons bien et agissons parfois de manière ambiguë pour mieux délier les langues (Rire).
- Je suis sérieux, Paula. Tu risques d'entendre parler de ma disparition un jour !
- Ha ! Ha ! Ha ! Monsieur le Poltron !
- Alors, marché conclu, Madame OBAYEMI 4 ?
En parlant, il me tend une main que je refuse. Nous nous regardons puis éclatons de rire.
Il pose son bras autour de mon cou et nous regagnons le salon. Pendant que Femi allume la télé, moi je monte me changer dans la chambre d'amie...
Quelques minutes plus tard.
J'ai troqué mon maillot de bain contre une robe en pagne teinté que Femi m'a récemment offerte. Dans un côté de l'armoire de la chambre d'amie, j'ai laissé quelques vêtements que j'utilise au besoin.
Je referme l'armoire et me dépêche de sortir. Tout à l'heure, Femi me fera découvrir une nouvelle recette exotique. Je suis bien impatiente. Oui, je sais que je dois faire attention à la bouffe, surveiller mon poids, mais je ne résiste pas aux mets savoureux de mon ami. En tout cas, il n'hésite pas à me ramener à la raison quand j'en abuse.
Je longe le couloir qui mène vers les escaliers. Des voix me parviennent. Cela semble être une discussion entre deux personnes : Femi, dont je reconnais la voix même à des kilomètres de distance, et une femme. Plutôt que de descendre comme prévu, je reste là et prête une oreille curieuse à ce qu'ils se disent. Ne les entendant pas bien, je me rapproche des escaliers et je remarque… la mère de sa fille. Je ne l'ai vue qu'une seule fois, mais c'en est assez pour la reconnaître. La femme, là devant mes yeux, est en chaise roulante. Ce ne peut donc qu'être elle.
J'avoue que je me suis longtemps demandée comment Femi avait pu tomber amoureux d'une femme dans son état, mais j'ai fini par conclure que l'amour n'avait pas toujours d'explication. Mon histoire d'amour précédente en est la preuve. Je me suis enchaînée dans une relation vouée à l'échec dès le début. Je me suis éprise d'un homme qui n'en valait pas la peine et j'ai longtemps refusé de voir qu'il ne m'aimait pas.
- Femi, continue-t-elle, je n'en peux plus de nous voir si distants. Nous sommes devenus des étrangers, l'un pour l'autre. Tu ne me parles plus, tu …
- Ne me dis pas que tu as parcouru toute cette distance juste pour me dire ça ! D'ailleurs comment as-tu su que j'habite ici ?
- Cela n'est pas important. Je suis là, avec le besoin de régler les choses entre nous.
- Tu perds ton temps à essayer d'arranger les rapports entre toi et moi. Les gens égoïstes, inconscients, traîtres voire méchants comme toi, on doit les fuir comme la peste. Ils ne méritent aucun égard, aucune compassion.
- Je ne suis pas si mauvaise que ça pour que tu mettes un trait sur moi, sur la femme que tu disais aimer profondément, véritablement et inconditionnellement.
- Cette femme n'existe plus pour moi. Et donc tout ce respect, cette affection, cette considération, cet amour que j'avais sont morts avec elle.
Je secoue la tête. Il … ment. Il l'aime encore.
- Ne me dis pas cela Femi, reprend-t-elle. Je t'aime tellement !
- Et moi je ne t'aime plus, Aurore. Je me demande pourquoi tu reviens vers moi après m'avoir toi-même chassé de ta vie ?
- Je pensais … faire le meilleur choix pour ... toi.
- Pour moi ? réplique-t-il en ricanant.
- C'est ce que je pensais, mais je me suis trompée. Et aujourd'hui, notre fille aussi souffre de notre rupture.
Femi la fixe. Intrigué, je suppose.
- Qu'est-ce qu'Arabella a à voir là dedans ?
- Eh bien ... elle s'étonne qu'on vive dans deux maisons différentes et elle aimerait vraiment que tous trois soyons ensemble. Moi aussi, je le souhaite vivement. Pardonne-moi, Femi ! achève-t-elle en éclatant en sanglots.
- C'est vraiment honteux, Aurore ! Utiliser Arabella pour que je me remette avec toi !
Elle le regarde, les yeux hagards. Certes, je ne suis pas devin mais j'ai bien l'impression que Femi se méprend sur les véritables intentions de la jeune femme. Et je la crois quand elle dit qu'elle l'aime.
- Tu te trompes à mon sujet, Femi ! rétorque-t-elle.
- Peut-être. Cependant, je te demande d'arrêter de me harceler comme tu le fais. Je te le redis, je ne … t'aime plus Aurore AMOUSSOU. A présent, mon cœur bat pour une autre qui partage ma vie et qui me rend heureux.
Ah bon ! Mais il n'a personne dans sa vie ! En tout cas que des conquêtes occasionnelles. Aucune relation sérieuse. Donc il ment encore ! Femi !
- Je suppose que tu parles de ... Paula !
La réplique de cette Aurore m'abasourdit. Que diable fait mon prénom en bas ? Donc la supposée relation amoureuse entre Femi et moi est arrivée jusque là-bas ! Cela devient inquiétant !