Chapitre 34
Ecrit par leilaji
The love between us
Chapitre 34
J’hallucine. Elle vient de dire quoi là ? Elle comprend quoi ? Je garde mon calme et essaie de ne pas paraitre plus coupable que je ne le suis. D’ailleurs pourquoi devrai-je me sentir coupable ? Est-ce que j’ai fait quelque chose de répréhensible ? Physiquement non, ce n’est pas comme si j’avais couché avec Manu. Mais moralement, je ne sais pas si e suis aussi blanc que je le voudrai. En réalité, je n’en mène pas large en réalité.
— Bonsoir Madame DIOP.
— Bonsoir ma fille. Comment vas-tu ? demande maman de sa voix la plus mielleuse.
Elle nous dévisage pour confirmer ce qu’elle croit avoir deviné. Les yeux de ma mère passent du ventre de Manu à moi puis de moi à son ventre. Elle va finir par se rendre bigleux si elle continue. Un vent froid souffle sur nous, apportant avec lui les chuchotements des amies de ma mère. Ces vieilles pies ! Elles sont capables de t’inventer une vie et d’en faire un enfer en une soirée.
— Elle va bien et elle s’en allait maman.
— Mais … C’est quoi ces manières Idris ? Ce n’est pas à toi que je m’adresse.
— C’est vrai ça Idris. De quoi as-tu peur ? demande Manu en me faisant un grand sourire. Ce n’est pas comme si c’était ma belle mère qui venait vérifier que je prends soin de son fils.
Si Manu aussi s’y met, il va me falloir tout mon sang froid. La dernière fois qu’elle se sont parlées, je crois que ça ne s’est pas très bien passé. Mais de ce que j’ai vu, Manu a muri. Elle est plus tempérée. Donc peut-être que je m’en fais pour rien.
— C’est un joli ventre rond que tu as là ma fille.
Je ne compte plus le nombre de personne qui ont eu beau passer du temps avec Manu mais ne se sont pas rendu compte qu’elle était enceinte. Et alors qu’il fait presque nuit, ma mère qui doit porter des lunettes pour lires les panneaux, détecte la grossesse de Manu en étant à quatre mètres d’elle. Il n’y a que les mamans sénégalaises qui sont douées de cette vue perçante on dirait.
— Où est ton mari ? demande maman ouvrant d’ores et déjà les hostilités malgré son sourire.
— Je n’en ai pas, répond Manu en lui montrant sa main libre d’alliance.
J’aime cette manière qu’elle a de répondre avec enthousiasme malgré le froncement de sourcil de ma mère. Elle a dit je n’en ai pas comme d’autres dirait : il fait beau aujourd’hui.
— Ah mon fils lui est marié à son amie d’enfance Zeina. Tu l’as vu ? Ils forment un si joli couple.
— Je le sais maman.
Est-ce qu’elle a dit maman ? Serait-elle en train de témoigner du respect à mère malgré tout ce qui s’est passé entre elles ?
— Vous devez être une grand-mère très heureuse avec la famille qui s’agrandit, ajoute Manu sans se rendre compte de la flèche qu’elle vient d’envoyer à ma mère.
Elle se caresse le ventre tandis qu’elle change son fils d’épaule. Manu et moi ne parlons jamais des autres. Toujours d’elle et moi, de nos rêves et de nos espoirs. Comme si parler des autres serait jouer avec le feu. C’est le cas.
Elle croit me savoir père. Et pourtant je ne lui parle jamais d’enfant et elle ne me questionne jamais en profondeur sur ma famille. Je ne suis pas encore père. Et je préfère ne rien démentir. J’ai l’impression que ce serait faire outrage à Zeina que de parler de nos problèmes de fertilité et de la solution qu’on y a trouvé. Même si au final, Manu fait partie de cette solution.
David commence à geindre. Il doit être fatigué. C’est le petit garçon le plus calme de toute la galaxie. Pierre a toujours été un chaud bouillant et d’ailleurs j’avais du mal à le supporter à cause de cela. Alors c’est un peu étrange de voir son fils aussi peu intrépide, si renfermé et timide. On dirait presque moi quand j’étais enfant.
— Bon David, dis aurevoir à Mamie Diop !
Maman a ouvert grand ses yeux de stupéfaction quand Manu a dit : Mamie Diop. David lève la tête pour regarder ma mère puis la repose sur l’épaule de sa mère après avoir bougé sa main en signe d’au revoir. J’en profite pour faire signe à Manu d’y aller lorsque son fils se met à bailler ostensiblement. J’ouvre la portière et Manu l’installe sur la siège-auto enfant installé à l’arrière. Elle s’en va quelques instants après. Maman demande à ses amies de continuer leur chemin sans elle. Elles disparaissent en dépassant le lampadaire qui nous éclairait non sans lui avoir demandé de les appeler une fois rentrée chez elle.
— Tout ça pour ça mon fils ?!
— De quoi parles-tu maman ? Vas-y je t’écoute.
— Mais qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour mériter un fils comme toi. Elle porte ton enfant c’est ça ?
Je me tais parce que je ne sais pas quoi répondre sans mentir. Si je dis oui, elle va penser que j’ai une aventure avec Manu. Si je dis non, ce n’est pas une vérité totale puisqu’elle porte effectivement mon enfant. Et je ne peux rien lui expliquer sans révéler le secret de la gestation pour autrui que Zeina tient tant à cacher. Elle ne veut pas que notre enfant soit rejeté par nos familles si elles apprennent qu’elle ne l’a pas porté. Ce que je trouve complètement idiot. Mais avec nos familles traditionalistes, il faut s’attendre à tout.
— Je sais que toi et moi nous avons nos mésententes. Mais je ne suis pas pour autant celle à qui tu dois cacher ce genre de vérité. Pourquoi vous les hommes vous aimez compliquer les choses quand on peut les rendre plus simples ? Je t’ai demandé de prendre une autre femme, tu as refusé et tu m’as sorti toutes les sourates du Coran pour justifier ton refus. Tu as dit que tu aimais Zeina et que tu t’en fichais de ne pas avoir des enfants et maintenant où en es-tu ? Une autre femme porte ton enfant, une femme que tu n’as même pas épousée ?
— Il ne t’est jamais venu à l’idée que sans ton intervention, peut-être je dis bien peut-être que je serai avec elle aujourd’hui. Tu serais grand-mère. Il n’y aurait pas eu tout ce drame. Ma vie serait simple et la tienne aussi.
— Donc c’est de ma faute ? s’écrie-t-elle comme si je venais de l’accuser d’avoir détruit le monde.
— Je t’ai posé une question. Réponds en toute sincérité.
— Non ça ne m’est pas venu à l’esprit. Tu n’avais qu’à ne pas épouser Zeina alors ! Tu sais si bien dire non, fallait le faire à ce moment-là.
Pourquoi je n’ai pas su garder Manu ? A ce moment je n’avais pas encore traversé le désert, je ne m’étais pas encore endurci. Je ne savais pas dire non à ma mère. J’estimais être l’homme de SA maison, celui qui devait la rendre fière et heureuse parce que son mari n’était plus. Aujourd’hui, j’ai une manière complètement différente de voir la vie. Et je ne m’en porte que mieux. Mais les dégâts sont déjà là et je dois les assumer. Comme un homme.
— Je t’ai demandé de revenir à la tête de la société, tu as dit : non, je mène ma vie comme je l’entends. Mais un mariage raté et c’est de la faute de ta pauvre mère ?
— Qui t’a dit que mon mariage était raté ?
— S’il ne l’est pas que fais-tu avec elle ? Pourquoi porte-elle ton enfant ?
— Je ne sais même pas pourquoi je discute avec toi. Je vais rentrer chez moi.
— Oh monte sur tes grands chevaux Monsieur je suis un parfait musulman. Tu crois que c’est juste ce que tu fais dans le dos de Zeina ? Au moins si c’est une co-épouse qui te fait des enfants, son honneur reste sauf et le mien avec. Mais non. Monsieur ne veut pas de plusieurs épouses mais il préfère enceinter une femme qu’il n’épousera jamais. Tu crois que c’est juste envers ton amie ? Elle aussi mérite d’être une épouse puisqu’elle fait des enfants malgré son corps d’homme. Tu lui fais perdre son temps.
— Maman ! tu parles à tort et à travers.
Elle croise les bras, tourne la tête vers la route.
— Je veux faire contre mauvaise fortune bon cœur. Quand est-ce qu’elle va accoucher ? Quand pourrai-je voir mon petit-fils ? me demande-t-elle en se rapprochant de moi.
Tandis qu’elle me bombarde de questions, je tends la main pour arrêter un taxi. Dès qu’il y en a un qui s’arrête, je monte et lui demande de foncer. Je paierai ce qu’il faudra. Il faut que je m’éloigne d’elle.
*
**
La maison est plongée dans un calme absolu, comme si elle était inhabitée.
Pendant un bref moment, je fixe le noir sans réagir. Mes pensées sont ailleurs. Elles vagabondent auprès de Manu qui m’a appelé pour savoir si ça allait avec ma mère. Elle parlait à voix basse pour ne pas réveiller son fils et se plaignait de se sentir trop fatiguée pour cuisiner. Je ne sais plus ce que j’ai répondu mais ça l’a bien fait rigoler. J’ai passé beaucoup de temps dans le taxi. Je lui ai remis 10 000 francs et je lui ai dit de rouler sans but et de ne prendre personne d’autre. On a fait deux heures de route à tourner dans les artères de Libreville. J’ai pu constater que malgré la crise, les bras ne désemplissent pas. En descendant du taxi, je ne me sentais pas détendu pour autant même si le chauffeur a fait de son mieux pour me dérider. C’était un ouest-africain comme moi, un ressortissant du Burkina Faso. Il m’a parlé du voyage qu’il préparait pour aller visiter sa famille restée à Ouagadougou. Ça m’a rendu songeur. Ça ne m’a jamais traversé l’esprit de me dire qu’ici ce n’était pas chez moi. Et pourtant chaque deux ans, je dois me taper les formalités de la carte de séjour. Je me demande quel héritage culturel je vais transmettre à mon enfant car je ne suis pas d’ici mais je ne suis surement pas non plus d’ailleurs.
J’ouvre la porte, allume la lumière du salon. Tout est renversé et sans dessus dessous. Un frisson me parcourt. J’appelle ma femme mais personne ne répond. Je la trouve assise par terre dans un coin de la cuisine, les cheveux défaits, les yeux rouges d’avoir trop pleuré. Mon cœur se serre.
— Que se passe-t-il ? Pourquoi tu te mets dans cet état ?
— C’est vrai ce qu’elle m’a dit ?
— Qui t’a dit quoi ?
Je sais de quoi elle parle. Mais inconsciemment, je cherche à gagner du temps pour lui répondre sans la faire souffrir. Je m’accroupis pour me mettre à sa hauteur. Elle est tellement fragile Zeina. Tout ce qu’elle veut c’est me voir heureux. Et jusqu’à présent, j’ai rempli mes devoirs à la perfection. Pourquoi tout d’un coup c’est une mission qui me semble impossible à remplir ? Elle avait pourtant réussi à me faire oublier Manu. Alors pourquoi ça ne suffit pas ? Pourquoi ça ne suffit plus ? Pourquoi le cœur est-il traite ?
— C’est vrai qu’une femme est enceinte de toi ? me demande-t-elle en chuchotant.
Elle prend ma tête entre ses mains, scrute le moindre reflet dans mon regard. Dans le sien, c’est des vagues et des vagues de tristesse qui menacent de couler sur ses joues.
— Tu m’as dit que je te suffisais… Tu m’as dit… Pourquoi alors qu’on s’apprête à fonder une famille ?
— Ce n’est pas ce que tu crois. Je ne t’ai pas trompé.
Non, je ne t’ai pas trompé. Mais je t’ai été infidèle mille fois en pensée depuis que je l’ai revue. Je ferme les yeux pour ne pas voir sa souffrance.
— C’est à cause de ta passion pour la cuisine ? Tu me punis ? C’est vrai que je ne t’ai pas soutenu mais tu as toujours dit que je devais rester moi-même et te faire part de mes convictions. Tu m’as dit qu’être ta femme ne signifiait pas : te dire oui à chaque fois. Tu as dit qu’on était partenaires.
— Nous le sommes.
— Alors pourquoi ? Parfois les partenaires ont des opinions différentes sur un sujet et c’est tout ce que j’ai fait. Je t’ai fait comprendre que je n’étais pas d’accord avec ton choix mais jamais je n’aurai pensé être puni pour cela. Surtout par toi Idris. Fâche-toi contre moi, crie, casse tout dans la maison mais ne me trahis pas comme ça Idris. Jamais moi je ne l’aurai fait !
— Je n’ai rien fait Zeina. Je te le promets, je n’ai rien fait …
Elle essuie ses larmes et se lève. Je fais de même lorsqu’un sourire timide nait sur son visage. Elle est tellement belle quand elle me sourit ainsi, rassurée par la sincérité dans ma voix. Je la prends dans mes bras et serre fort, elle se laisse aller. Mais suis-je vraiment sincère ? Je me raidis et elle le sens, se libère de moi. Peut-être lit-elle le doute dans mon regard alors le sien se refait suspicieux.
— De qui parlait ta mère alors ? Dis-le-moi. Qui est cette femme qu’elle dit enceinte de toi ?
Je ne sais pas pourquoi mais je n’ai pas envie de parler de ma Manu avec elle. Je m’énerve.
— En quoi est-ce important puisque je n’ai rien fait ? Ma mère t’appelle et tu fais une crise alors que tu sais très bien à quel point elle peut être destructrice quand elle le veut… depuis quand tu écoutes seulement ce qu’elle dit ?
— Mais Idris, je ne peux pas faire comme si ce n’était pas grave, comme si elle ne m’avait rien dit ? Je ne peux pas ne pas l’écouter…
— Ah bon ?
— Mais oui. Et toi aussi.
— Quand elle souhaitait que j’en épouse une autre, tu étais bien contente que je ne l’écoute pas.
— Mais Idris…
— Je ne couche pas avec une autre femme que la mienne. C’est mon dernier mot, dis-je en haussant le ton.
— OK. J’ai compris. Mais…
Je lève la main pour lui faire comprendre mon agacement. Elle se tait. Je l’ai rassurée alors sa petite rébellion est terminée ? Je me demande comment ça se serait passé si je m’étais disputé avec Manu. Elle ne m’aurait pas lâché. Manu peut être tellement teigneuse quand elle veut.
— J’aimerais bien la prochaine fois que tu attendes que je m’explique avant les larmes et le drame.
— J’étais en colère, tu peux le comprendre.
— Range la maison.
Et je m’en vais me réfugier dans notre chambre. Elle me laisse partir et se met à ranger derrière moi. Docilement.
*
**
Je prends place sur le lit après avoir pris une bonne douche chaude pour me détendre les muscles. Zeina me rejoint une heure plus tard. Je suis couché sur le lit et je feuillète un de mes nombreux livres de cuisine. Avant je les planquais dans mon bureau, aujourd’hui je les laisse s’empiler sur ma table de chevet.
— Tu es tellement occupé ces temps-ci que nous n’avons pas eu le temps de parler du bébé
— Je t’écoute.
Peut-être aurai-je du poser le livre pour lui accorder toute mon attention. Mais je n’en ai pas le cœur.
— Non ça va, laisse tomber, dit-elle en se rendant dans la douche.
— Zeina parle je t’écoute.
Elle en ressort en s’enduisant les mains d’une crème hydratante qui sent la lavande.
— Est-ce que tu lis les comptes rendus au moins ? est-ce que ça t’intéresse ce que j’achète pour notre enfant ? Comment on va aménager sa chambre… On dirait que tu es passé à autre chose, qu’il n’y a plus que le camion et les recettes de cuisine qui t’intéressent.
— C’est la journée des reproches ? Que veux-tu que je fasse exactement, ce n’est pas comme si c’était toi qui était enceinte.
Aussitôt que les mots m’échappent, je les regrette. Zeina se fige au beau milieu de notre chambre. Ce n’est pas comme ça que je voulais le dire. Je n’avais pas l’intention de lui faire penser qu’elle n’était plus importante à mes yeux parce qu’une autre portait notre enfant. C’est juste que je ne peux pas lui dire que si je n’ai plus besoin de lire les comptes rendu, c’est parce que je vois Manu en chair et en os. Je peux ainsi constater de mes propres yeux que Manu et le bébé vont bien.
— Merci de faire en sorte que je me sente aussi minable, dit-elle en sortant de la chambre.
J’ai envie de me cogner la tête contre le mur. Je me lève pour la retrouver au salon où elle est surement allée se réfugier lorsque mon téléphone sonne. Je ne connais pas le numéro et pourtant il me semble familier. Je décroche.
— Idris ! C’est Patrick…
— Bonsoir.
— Excuse-moi de te déranger mais c’est Manu…
Son ton alarmé m’inquiète.
— Qu’est-ce qui se passe avec Manu ?
— Justement je ne sais pas. J’ai garé ton camion chez toi et je suis parti prendre le bus pour Bitam. Et elle m’a appelée pour me demander où j’étais car elle se sentait mal. Ca a coupé et depuis tout à l’heure j’essaie de rappeler mais elle ne décroche pas. Je ne sais plus quoi faire. je n’ai personne d’autre sous la main et je n’aurai pas pensé à toi si je ne t’avais pas vu tout à l’heure mais ça semble aller entre vous n’est-ce pas ?
— Oui.
— Alors, s’il te plait, peux-tu juste aller regarder si elle va bien ? je sais qu’il est tard et…
— J’y vais. Je te rappelle.
J’enfile un jean et un tee-shirt noir puis quitte la maison sans même prendre le soin de dire à Zeina que je sors. Au volant de la voiture, les choses semblent s’éclairer et prendre un sens nouveau. Mon attitude répond à toutes les questions que je n’ose même pas me poser.
Tout à l’heure, je me demandais encore pourquoi le cœur était si traitre, qu’il passait d’une personne à une autre sans jamais s’arrêter. Et maintenant je me rends compte que j’avais tort. Il n’y a rien de plus loyal qu’un cœur qui aime, car un cœur qui aime n’a qu’un seul maitre. Un cœur qui aime ne connait ni les lois, ni les condamnations. Il se fiche des jugements. Un cœur qui aime est une serrure qui ne s’ouvre qu’avec une seule clef. Le plus dur c’est de s’avouer qui détient cette fichue clef.
Une fois devant son immeuble, je gare la voiture du mieux que je peux et descends. J’appelle sur son numéro, elle ne décroche pas. Je me décide à monter. Lorsque je trouve son appartement, je cogne mais personne ne répond. Je pousse la porte qui grince mais s’entrouvre alors j’entre.
Le moment où je la voix allongée par terre, la robe tachée de sang, son fils endormi auprès d’elle et celui où je la transporte aux urgences d’El Rapha, ne sont séparés que d’une vingtaine de minutes. Moi qui conduis toujours prudemment, j’ai grillé tous les feux tricolores que j’ai vus pour l’emmener aussi vite que je le pouvais son fils sur les genoux. Etrangement, il s’est laissé faire. Et pourtant j’avais entendu sa maitresse ou sa mère dire qu’il n’aimait pas être touché par d’autres personnes. Si on avait croisé un flic en chemin, j’étais bon pour une amende astronomique. Mais on est arrivé sains et sauf.
Elle est immédiatement prise en charge à partir du moment que je laisse de l’argent comme caution pour ses soins d’urgence. Son fils la regarde partir, les yeux grands ouverts et le pouce dans la bouche. Il n’est pas rassuré du tout d’être dans des bras étrangers et je le comprends parfaitement. Une infirmière accepte de la garder le temps que je remplisse les papiers d’hospitalisation de Manu. Une fois les formalités remplies, j’attends que quelqu’un me dise ce qui se passe, ce que je dois faire. je peste intérieurement contre Manu qui s’est engagée dans une telle galère alors qu’elle vit seule et qu’elle doit s’occuper de son garage et de son fils tandis que son mec se balade en France ou je ne sais quoi.
Mon téléphone sonne, le prénom de ma femme s’affiche. Et je n’ai pas envie de décrocher. Mais je le fais.
— Ou es-tu Idris ?
— A l’hôpital.
— Que se passe-t-il ?
Je vois le médecin qui a pris en charge Manu à son arrivée marcher vers moi avec des documents en main. Il est très tard. Ils ont pu faire les premiers examens. Je crois que ça va faire cinq heures de temps que je suis assis ici à me demander ce qui se passe. Je devrais tomber de sommeil mais l’adrénaline, le stress me tiennent éveillé.
— Idris ?
— Je t’expliquerai plus tard. Je n’ai pas le temps-là, j’ajoute en me levant.
— Idris, ne raccroche pas… Tu …
Je raccroche et écoute attentivement le médecin.
— Vous êtes son mari ?
— Non.
— Ah. OK. Avez-vous des informations sur sa famille pour qu’on puisse les prévenir ? je ne peux rien vous dire si vous n’êtes pas de la famille.
— Je comprends mais elle n’a pas de famille en tant que tel. Elle se débrouille toute seule.
— Bon, mais il faudra alors appeler le père de l’enfant si vous le connaissez. Il doit être informé.
— C’est moi.
Le médecin lève la tête de ses feuilles, un peu surpris. Son regard se pose sur mon alliance mais il ne fait aucun commentaire. Il m’invite à le suivre dans sa salle de consultation. Je ne sais pas si je dois le suivre ou d’abord récupérer David. Je me décide à ne pas laisser l’enfant de Manu dans les bras d’une étrangère. Mais j’ai peur qu’il me refuse même si plus tôt il a accepté que je l’installe entre mes jambes pour les mener ici.
Il est lové dans les bras de l’infirmière et je sais qu’il a peur. Il cherche sa mère des yeux. J’inspire un grand coup et me rapproche de lui.
— Salut champion. Tu veux bien rester avec moi pendant que le docteur me parle de ta maman ? je lui demande en lui tendant les bras.
Il hésite, cesse de sucer son pouce puis passe ses bras autour de mon cou. Je ne sais pas pourquoi à cet instant même je suis saisi d’émotion à l’idée de voir me fils de Manu s’accrocher à moi ainsi comme s’il voulait me dire : prends soin de maman, s’il te plait, je ne suis pas encore assez grand pour le faire.
Une fois installés dans le bureau du médecin, ce dernier ôte ses lunettes et croisent ses doigts sur la table.
— Le pronostic est en demi-teinte.
— Je ne comprends pas pourtant, elle est très bien suivie … que se passe-t-il ? Elle s’est réveillée ?
— Sa tension est très élevée, trop élevée. Mais il n’y a plus de saignement. Nous allons l’hospitaliser et la garder sous antihypertenseur. Si son état ne s’améliore pas, il va y avoir des choix à faire.