Chapitre 34
Ecrit par EdnaYamba
Chapitre
34
-
Mlle BOUMI ?
-
Oui c’est bien moi, répondis-je
-
Ah enfin,
j’ai cherché à vous joindre à plusieurs reprises mais votre téléphone
était très souvent éteint. Je me présente Maitre BEKAH. J’étais l’avocat et
surtout l’ami de votre père.
-
C’est vrai que je le garde très souvent
éteint vous savez avec…
-
Ne vous inquiétez pas je vous comprends, ce
n’est pas facile tout ce qui s’est passé nous sommes encore tous sous le choc
mais il est impératif que je vous voie.
Une heure plus tard, Jonathan et moi nous nous retrouvions dans une résidence aux ACAE.
Au parking il y avait au moins 4 grosses voitures, je me
demandai qui m’attendait à l’intérieur quand un monsieur svelte portant des
lunettes de teint métissé d’à peu près l’âge de mon père tout souriant vint à
notre rencontre. C’était lui, Maitre BEKAH…
Il nous invite à le rejoindre à l’intérieur où sont assis
trois autres messieurs. Chacun d’eux nous salue chaleureusement. Puis Maitre
BEKAH se présente comme l’avocat et l’ami de mon défunt père et nous présente
les autres qui sont aussi les compagnons de la vie estudiantine de mon père
parmi lesquels Jean, son meilleur ami dont il m’a souvent parlé.
Ce dernier prend la parole.
-
Ça nous a pris un peu de temps, parce que
nous étions encore tous sous le choc après tout ce qui s’est passé en plus des
questions juridiques mais ça Charles saura t’en parler mieux que moi.
Il soupire avant de reprendre.
-
J’étais le meilleur ami de ton père et avec
tous les autres nous avons vécu nos galères et nos moments de joie tous
ensemble, nous étions de petits africains qui découvraient l’Europe pour la
première fois et on s’est toujours soutenus. Avec la vie d’adulte et les
obligations familiales, nous étions un peu tous occupés mais nous n’en
demeurions pas moins des amis. La preuve nous avons toujours recours les uns
aux autres. c’est pourquoi Charles pouvait se charger des affaires de ton père,
il savait qu’il pouvait avoir totalement confiance en lui.
Je l’écoute attentivement alors que je serre fortement la
main de Jonathan. Au fur et à mesure qu’il parle sa voix devient plus enrouée,
les autres la main sous les mentons l’écoutent religieusement.
-
Je n’ai jamais vu Antoine aussi heureux que
lorsqu’il a découvert sa fille. Il a tout oublié de ce qu’il avait subi pour
profiter de la chance qu’il avait de t’avoir, de vous avoir Isabelle et toi.
Nous avons une responsabilité envers toi et nous allons l’honorer.
Ému, il s’arrête alors que maitre BEKAH le tapote
amicalement et reprend la parole à sa place.
-
Avant sa mort, ton père voulait s’assurer que
tu sois à l’abri de tous besoins. On aurait dit qu’il savait ce qui arriverait !
-
Tu m’étonnes, il n’y avait pas plus prévoyant
qu’Antoine ! dit un autre.
-
Quand nous avons compris que la procédure de
divorce prendrait plus de temps que prévu, nous avons contourné la loi !
Il se lève se dirige vers le grand meuble au fond du
salon, ouvre un des tiroirs et en ressort un porte-documents qu’il me tend.
-
La communauté des biens, n’inclut pas les
biens acquis avant le mariage et il se trouve que ton père avait fait
construire deux studios alors que nous n’étions que des étudiants. J’en ai
moi-même été le premier surpris ! un est à toi et un autre à sa mère.
Alors qu’il parle je découvre effectivement que ces
documents portent bien mon nom,
-
Si tu tournes tu découvriras un compte à ton
nom, avec toutes les traces des dépôts qui y ont été faits. Cependant tu
n’auras accès qu’à tes 18 ans.
Mes yeux s’embuent de larmes.
Je n’arrive pas à croire ce qui se passe, je dois être en
train de rêver.
-
Le temps lui aurait permis, il en aurait
certainement fait plus. Tourne la page Grace !
Je m’exécute. Et je n’en crois pas mes yeux. Je tourne
vers Jonathan en larmes, m’accroche à son cou pour cacher mes larmes.
La maison dans laquelle nous vivions est à mon nom. Cette
maison dans laquelle se trouve les derniers souvenirs de mon père, des moments
qu’on a partagés et que sa femme m’a empêché de revivre est à mon nom. Comment
était-ce possible, elle avait bien dit à tantine Julie que cette maison lui
appartenait.
-
Au Gabon nous avons deux régimes
matrimoniaux, la séparation des biens et la communauté des biens réduites aux
acquêts qu’on appelle biens communs. Dans le cas de ton père, il s’était marié
sous le dernier régime ce qui rend sa succession difficile car les enfants se
retrouvent souvent lésés mais ce qui est important de savoir c’est que les biens
propres de l’un des conjoint, il peut en faire ce qu’il veut. Et parmi ces
biens propres il y a ceux acquis avant le mariage et ceux reçus par donation ou
en héritage pendant le mariage.
-
Au moment de l’acquisition de cette maison,
nous étions ensemble ton père, Charles et moi, complète tonton Jean. Charles
venait d’expliquer à Antoine toutes ses choses concernant la succession alors
nous avons payé la maison en mon nom, regarde bien le document.
Je regarde le nom au-dessus du document, effectivement ce
n’est pas celui de mon père.
-
Mais l’argent provenait bien de ton père,
sous la direction de Charles, nous l’avons fait passer pour un lègue à Antoine,
qui l’a ensuite mise à ton nom !
Dans toute la pièce, on n’entend plus que mes sanglots.
Et quelques minutes plus tard, je me retrouve dans les
bras de l’oncle Jean qui me serre fortement comme un père.
Pour la première fois depuis cette tragédie, je me
sentais vraiment protégée.
-
Nous sommes là pour toi !
Mon père s’était assuré que je ne manque de rien, comme
s’il savait que la vie ne nous laisserait pas assez de temps.
Il m’essuie les larmes alors que tous sont émus dans la
pièce.
J’imagine que mon père peut être heureux à présent de
voir ses volontés être si bien respectées.
-
Jusqu’à l’âge de ta majorité qui arrivera
dans quelques mois si j’en crois les informations que j’ai, je pourrais être
ton représentant légal si tu le souhaites ! poursuit mitre BEKAH.
J’hoche la tête. Si mon père avait une totale confiance
en lui, je peux moi également lui faire confiance.
-
Alors en ton nom, j’intenterais une action en
justice pour la succession avec Mélanie, mais je te préviens ça peut prendre
beaucoup de temps. Et je le fais non pas seulement pour toi mais en l’honneur
d’Antoine, il le mérite bien !
Mélanie
BOMO
Caché sous mes lunettes de soleil, personne ne pouvait
deviner les cernes sous mes yeux.
Ça faisait une semaine que mes rêves étaient peuplés de
cauchemars.
Ce matin, j’appelle une amie médecin en lui demandant
urgemment une ordonnance d’hypnotiques.
J’ai besoin de dormir.
Quand je la rencontre dans son cabinet, compatissante
elle me dit :
-
Courage Mélanie, la perte d’un être cher est
toujours aussi difficile surtout dans votre condition.
Jouant le jeu, je lui réponds :
-
J’ai cru que voyagez m’aiderait mais rien,
j’ai dû mal à dormir en pensant qu’Antoine n’est plus. Tu sais j’avais espoir
que nos problèmes finiraient par s’arranger. Et maintenant tous les soirs il me
manque tellement que je n’arrive plus à dormir.
Si une chose était
vraie ce n’était pas son manque qui m’empêchait de dormir. Mais plutôt
ses cauchemars qui me hantaient.
Je les voyais dans mes rêves et je me débattais tellement
qu’au réveil j’avais l’impression d’avoir livré un combat de boxe. Mais une
chose était sure, ils étaient morts et j’avais gagné.
Après mon passage à la pharmacie, je m’arrête en NKEMBO dans
une allée non loin du garage dans lequel Antoine révisait sa voiture et je suis
rejointe quelques minutes plus tard par l’apprenti mécanicien tout débraillé et
sentant l’odeur du carburant.
Je sors une enveloppe kaki pliée que je lui remets. Le second
payement pour ses précieux services.
C’est lui qui a embauché les voyous qui ont saboté les
pneus de BOUMI, l’obligeant à amener sa voiture au garage et de là, il a pu la
saboter sans que son patron ne le sache, ni que le défunt BOUMI ne s’en rende
compte. Un travail parfait.
Le défunt BOUMI. (Rires). Paix à son âme.
-
Chose promise chose dûe, lui dis-je alors que
ses yeux s’éclairent à la vue des liasses de billets.
Que ne ferait-on pas pour de l’argent quand on a toujours
vécu une vie de misère.
-
Merci tantine !
-
Maintenant toi et moi, on ne s’est jamais rencontré
d’accord ? Tu ne m’appelles plus !
Ce service ne m’aura pas coûté plus de 700 milles. 300
milles en accompt et 400 milles à la fin.
Je n’avais pas espéré que les deux soient dans la voiture,
qu’ils soient les deux victimes. Mais ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre. Il
a fait d’une pierre deux coups.
Au début j’avais prévu que BOUMI subisse cet accident qu’il
en sorte quadriplégique ou mort mais qu’Isabelle ne puisse pas avoir un amour
heureux. Je voulais la voir pleurer un amour dont elle n’aurait jamais profité.
Je le lui avais dit : Aucune de nous ne l’aurait !
Maintenant qu’elle était morte en bonus, ce n’était pas
plus mal.
-
Ah ah ah, ils pourront vivre cet amour dans
l’éternité. Du moment où je n’ai pas à les supporter. C’est malheureux mon
associé tu m’as déçu oh mama en amour il ne faut jamais tricher. Est-ce que tu
sais ce que tu m’as fait oh mama tu as brisé l’amour que j’avais pour toi.
Je fredonne joyeusement cet air d’Angèle Asselé, sur le
chemin me rendant chez mon avocate.
-
Comment ça je dois faire ôter la chaine m’énervé-je avec mon avocate.
-
Nous avons reçu des documents authentiques et
légaux, cette maison ne fait pas partie de votre patrimoine. Il appartient à
quelqu’un d’autre.
-
Donnez-moi ça ! fais-je en lui arrachant
les papiers qu’elle tenait dans sa main.
J’enrage en voyant le nom de cette bâtarde sur les
documents.
-
Comment on peut être sûr que ce n’est pas Antoine
qui l’a payé ?
-
On ne peut en être certain, nous avons juste
la preuve que cette maison il l’a reçu par lègue et l’a mis au nom de sa fille.
Ils ont fait appel à un huissier qui a fait état des lieux et qui nous a envoyé
cette lettre.
Imbécile BOUMI. Imbécile.
Quoiqu’il en soit, c’est moi qui ai la majorité des biens,
les terrains que nous avions, les maisons, les comptes en banque.
Ils ne pourront se contenter que des miettes. Le reste,
elle n’en touchera pas. Ce ne sont pas les cauchemars que je fais qui m’en
empêcheront. D’ailleurs avec un somnifère je dormirais du sommeil du juste ce
soir.
-
Je vous proposerai un arrangement à l’amiable
me dit l’avocate. Vous aurez toujours au nom de votre statut la grande majorité
des biens mais nous ne pouvons pas les exclure totalement.
J’éclate de rire tellement fort, qu’elle prend une
expression ahurie.
-
Que ça prenne le temps qu’il faut mais moi
vivante jamais. Sur ce maitre, si nous avons fini, je vais prendre congé.
Cette bâtarde n’avait rien avant de le rencontrer, elle n’aura
rien après non plus. Ce ne sera qu’un juste retour des choses.
Quant à la famille de BOUMI, ils pourront toujours
courir.
Grace
Jeannie MOUKAMA BOUMI
Je ne comptais plus le nombre de réunions auxquels j’avais
dû assister depuis la mort de mes parents.
Après la discussion avec maitre BEKAH et tonton Jean, ils
avaient tenu à rencontrer la famille pour leur tenir informé des décisions de
mon père. Même si ma famille paternelle s’était indigné de savoir que mon père
n’avait prévu pour ma grand-mère qu’un simple loyer, ils avaient été obligés d’accepter
cette décision de justice. Maitre BEKAH s’était chargé de leur expliquer que
ces décisions restaient irrévocables et en tant que gestionnaire de mes biens,
ils veilleraient à ce que je ne subisse aucune pression. Pour le reste, ils
attendraient les décisions de justice qui s’en suivront de la bataille avec Mélanie
BOMO.
Pour moi, cette lutte n’a plus d’importance.
J’arrive devant le portail de la dernière demeure de mon
père, remplie d’une vague d’émotions. Au sol git la chaine cassée qu’avait
placée cette femme. Je pénétrai dans la maison tout était en place comme le
dernier jour.
Je revoyais mon père assis sur la table à manger prenant
son petit déjeuner, maman assise souriante en l’écoutant parler. Je les revois
m’embrasser en me souhaitant bonne chance pour l’examen en me promettant qu’on
irait manger pour que je relâche la pression. Rien n’aurait prédit que ce
serait notre dernier échange.
J’avais besoin de revenir ici avant de partir pour la France
J’avais besoin de me faire des souvenirs.
Je prends un cadre photo de mon père souriant, quel bel homme !
Je le sers tout contre mon cœur. Je l’ai cherché 17 ans pour le perdre encore
mais j’ai vécu de belles choses que personnes ne pourra jamais effacer. Et cet
amour personne ne pourra jamais me l’enlever.
Un amour qu’il m’avait laissé pour l’éternité. C’est à
croire qu’il avait veillé à ce que je ne sois jamais seule.
Dans un carton, je mets tout ce que je considère comme
précieux souvenirs de mon père. Si je
pouvais tout emporter, j’emporterais tout avec moi en France.
Mon billet avait été acheté par l’oncle Jean qui m’avait
dit :
-
En cas de besoin n’hésite pas !
Je savais désormais que je pouvais compter sur lui.
J’étais orpheline mais à l’inverse de ma mère qui n’avait
bénéficié d’aucune aide, j’avais autour de moi quelques personnes
bienveillantes.
***
Dans le hall de L’aéroport de LIBREVILLE, nous attendons
que commencent les enregistrements.
Tonton Xavier, Tonton Richard et même tantine Mireille
sont là.
Sur le côté, elle m’avait dit :
-
Tu sais que malgré tout on t’aime. Tu es le
sang de notre sœur. On n’aurait jamais laissé quelqu’un te faire du mal !
J’acquiesce tout simplement la tête. De toutes les façons
bientôt je serais loin de tous ces souvenirs douloureux.
Les seuls qui manquent à l’appel sont mes frères que je n’ai
toujours pas pu revoir depuis le décès de ma mère après que tonton René les ait
emmené.
Mais un jour je reviendrais pour les voir, je leur
raconterai l’histoire de notre mère.
-
C’est l’heure, dit Jonathan.
J’embrasse tout le monde et je rejoins Jonathan avec le
sentiment de laisser derrière moi toute amertume et de prendre le chemin rempli
de bonheur et de grâces que mon père avait tracé pour moi.
Au revoir papa et maman.
Un jour j’honorerai vos mémoires.