Chapitre 35 : Bienvenue à Leo

Ecrit par Auby88

"(…) J'ai découvert qui je suis, tout a changé le jour où je t'ai donné la vie.

Terri Moïse, Je serai là "


Penchée au dessus du lit à barreaux, Cica contemple son Leo junior. Il dort les poings fermés. Elle ajuste la couverture sur lui et passe ses doigts tout doucement sur sa peau. Elle le trouve tellement mignon avec son teint métissé, ses fossettes naissantes aux joues et ses cheveux bouclés qui semblent former un V sur son front comme Leo senior.

Elle soupire, puis va s'asseoir sur le lit qu'elle occupe dans la chambre. Ses yeux tombent sur la peluche sur la commode. Elle la prend et verse quelques larmes. Au père de son enfant, elle pense. De la façon dont elle l'a traité deux jours plus tôt, elle se remémore.


Deux jours plus tôt.

"Lorsque l'enfant paraît, le cercle de famille

Applaudit à grands cris.

Son doux regard qui brille

Fait briller tous les yeux,

Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,

Se dérident soudain à voir l'enfant paraître,

Innocent et joyeux (…)

Car vos beaux yeux sont pleins de douceurs infinies,

Car vos petites mains, joyeuses et bénies,

N'ont point mal fait encor ;

Jamais vos jeunes pas n'ont touché notre fange,

Tête sacrée ! (…)

Double virginité ! corps où rien n'est immonde,

Âme où rien n'est impur !

Il est si beau, l'enfant, avec son doux sourire,

Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire,

Ses pleurs vite apaisés,

Laissant errer sa vue étonnée et ravie,

Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie

Et sa bouche aux baisers !

Victor Hugo, Lorsque l'enfant paraît"


- C'est un beau poème, le vieux ! reconnaît Cica. Il traduit exactement ce que je ressens à l'instant en le tenant entre mes mains.

Des larmes coulent de ses yeux.

- Je te l'avais dit, ma petite.

- Tu avais raison. Le voir a comme brisé un mur, un rempart en moi. Toucher ses petites mains ( elle sourit ), le sentir contre mon sein m'a fait oublier toute la douleur que j'ai ressentie, il y a quelques heures.

- A présent​, je suis grand-père et cela me fait tout bizarre.

La porte s'ouvre. Richmond entre.

- Félicitations, Richmond !

- Merci le vieux !

Ils se serrent la main.

- J'espère que dès à présent, tu te montreras plus responsable !

Il hoche juste la tête et s'approche de Cica.

- Comment va mon petit bonhomme ? Je t'ai apporté des pommes.

- Bien. Merci.

Il s'approche du petit lit près de Cica et prend le bébé dans ses bras avec délicatesse. Il lui sourit.

Entre ensuite une infirmière qui vient visiter mère et enfant.

- Vous lui avez déjà donné un prénom ? demande l'infirmière.

- Non …

Cica interrompt Richmond.

- Oui. Leo. Il s'appelle Leo.

- Nous ne nous sommes pas encore entendus sur un prénom ! C'est une décision commune et je suis plus en droit de choisir que toi ! s'offusque Richmond.

L'infirmière préfère les laisser discuter. Elle reviendra plus tard.

- Tu devrais te réjouir que je t'ai laissé lui donner ton nom de famille ! Mon enfant se prénomme Leo, que cela te plaise ou non ! réplique-t-elle en le narguant presque. Regarde-le ! Il a tout de lui, à part ce teint métissé qu'il tient de toi : ses yeux en amande, ses traits du visage, ses cheveux en V et ….

- J'en ai marre que tu le compares tout le temps à mon frère ! riposte Richmond. Je suis son père, je te le rappelle. Même si, tu sembles l'oublier.

- Cela suffit vous deux ! Comportez-vous en adultes. La vie vous a fait don d'un cadeau inestimable et vous trouvez encore le temps de discuter de futilités. Et puis elle n'a donné qu'un prénom. Tu peux à loisir choisir un autre.

- Je vais prendre l'air. C'est préférable. J'étouffe ici ! lance Richmond.

Avec soin, il dépose le bébé dans son lit et sort.

- Cica ! Tu as choisi de l'intégrer dans la vie de ton bébé. Ce qui signifie que vous devrez désormais​ prendre des décisions ensemble. Je te trouve un peu trop hostile envers lui, comme si tu as encore des sentiments pour lui et tu te refuses à l'aimer. Tu as des doutes ! Tu l'aimes encore ! N'est-ce pas ?

- NON !

Elle parle en fuyant son regard. Ses yeux se rivent sur le petit être près d'elle. Il s'est endormi.

- Au départ, Richmond t'était indifférent​ , vous vous parliez et agissiez comme des personnes civilisées et matures. Ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.

- Arrête de me torturer ainsi. Je ne l'aime plus. Un point, c'est tout. A présent, j'ai besoin de me reposer.

Elle se couche, lui fait dos.

Il soupire, va lui déposer un bisou sur  le front, puis sort sans dire mot. Il passe près de Richmond, debout dans le hall, le regarde sans dire mot puis continue son chemin.


Dans la chambre du bébé, Cica finit par fondre en larmes. Elle ne reconnait plus la Cica qu'elle est devenue. Pleine de ressentiment, méfiante, toujours sur le qui-vive, orgueilleuse, discourtoise. Elle pensait qu'être mère la déchargerait de toute son aigreur mais malgré tout l'amour qu'elle ressent pour son bébé, il existe au fond d'elle des sentiments qu'elle ne trouve pas bons. Elle replonge à nouveau dans ses pensées.


Deux semaines plus tôt.
Cica est avec Richmond pour sa dernière échographie.

- Je n'ai jamais vu un père autant ému comme vous ! commente la gynécologue.

- Oui, c'est la première fois que j'ai l'opportunité de le voir ainsi. Je n'arrive pas à décrire la joie que je ressens, toutes les émotions qui me traversent à cet instant.

Cica le scrute attentivement.

- Cela vous dirait, tous d'eux, d'écouter son coeur ? propose la gynécologue.

Ils hochent la tête. Elle utilise son doppler foetal. Impressionnant, moment unique que d'entendre ce doux son rythmé, un miracle de la vie.

- Tout est normal, assure la gynécologue. Vous devriez accoucher la semaine prochaine comme prévu et par voie naturelle. Marchez et hydratez-vous bien pour l'essentiel. J'ai fait une liste de recommandations. Je peux compter sur vous, papa ?

- Oui, j'y veillerai.


Un bruit dans le couloir. Une porte qu'on ouvre et qu'on referme aussitôt. Elle sait que Richmond vient de rentrer. Depuis deux jours, il l'évite elle et le bébé, ne lui adresse plus la parole, sort le matin pour ne revenir que tard. Actuellement, ils ne sont que deux dans la maison. Satine révise chez une amie pour des compositions. Sa mère, qui avait dormi là la veille, est à une veillée de prière. Elle avait hésité à laisser sa fille seule, mais Cica lui avait assuré que Richmond ferait la garde avec elle. Elle soupire longuement, et regarde vers la porte, dans l'espoir qu'elle s'ouvre. Mais rien. Elle a trop d'orgueil en elle pour aller lui parler. Elle se couche sur le lit, se recroqueville.

Elle se revoit, avec Richmond à ses côtés. Il lui tient la main qu'elle serre de toutes ses forces tout en poussant. Il lui murmure des paroles réconfortantes, souffre avec elle depuis le début des contractions. Elle sait qu'elle a de la chance d'avoir cet homme si courageux près d'elle pendant que dans d'autres maternités, des femmes enfantent seules sans l'homme à leur coté. Il l'encourage jusqu'à la dernière poussée et le cri magique …


La fatigue et la solitude ont raison d'elle. Elle s'endort … quelques heures ... puis se lève. Instinct maternel. En baillant, elle se penche au-dessus du berceau, touche Leo et panique. Elle appuie de toutes ses forces et à plusieurs reprises sur la sonnerie qui communique avec la chambre de Richmond. Il accourt aussitôt. Elle est affolée. Elle est en larmes.

- Il ne respire plus, Richmond ! Leo ne respire plus ! Son teint est pâle, légèrement bleuté !

- Calme-toi !

Richmond connaît les gestes de premier secours, même s'il ne l'a jamais mis en pratique sur un bébé auparavant. Il garde son calme. C'est important. Sur la table à langer, il dépose Leo pour vérifier s'il respire. Il se penche sur sa tête, légèrement basculée en arrière, et place son oreille près de sa bouche. Il ne perçoit aucun souffle d'air, encore moins un mouvement du ventre. Leo est en arrêt respiratoire.

- Cica, appelle les secours !

Elle ne réagit pas. Elle est prostrée, contre la commode. Elle est là à murmurer "Leo". Elle a l'impression de revivre la mort de Leo une deuxième fois.

- Cica, Réagis ! crie-t-il.

Rien. Alors, il se lève précipitamment et compose avec hâte le numéro du Service d’Assistance Médicale et des Urgences (SAMU), et explique brièvement à son interlocuteur ce qui se passe ainsi que l'adresse de son domicile. Il espère que les secours viendront vite, même s'il sait que la réalité africaine est différente de celle occidentale.


Sans perdre plus de temps, il se ramène près de Leo et continue à lui faire du bouche-à-nez, spécifique aux bébés. A nouveau, il bascule tout doucement sa tête en arrière avec une main placée sur son front et un doigt au niveau de son menton. Avec sa bouche, il englobe la bouche et le nez de Leo. Il souffle doucement, une, deux, trois, quatre, cinq fois doucement, jusqu'à ce que le thorax se soulève. Il procède ensuite au massage cardiaque en attendant les secours qui semblent tarder. Avec deux doigts sur sa poitrine, il masse trente fois rapidement et insuffle deux fois. Il pose une oreille sur son nez et sa bouche, mais n'entend rien. Il ne voit pas non plus sa poitrine bouger. Il ne perd pas espoir. Il reprend le cycle. Il ne veut s'arrêter tant que les secours ne seront pas là.

- Cica, s'il te plaît. J'ai besoin de ton aide. Rappelle les secours. Compose le plus récent numéro dans mon journal d'appels ! Dépêche-toi !

Elle revient à elle, le regarde et se précipite sur son mobile. Elle leur demande de se dépêcher en sanglotant puis se rapproche de Richmond.

Les secours finissent par s'amener.

- Eloignez-vous monsieur, ordonne l'un des deux hommes.

Il obtempère. Tout en gardant les yeux sur eux, il s'approche de Cica. Elle se jette dans ses bras, toute en larmes. Il la serre contre lui.

- Pardonne-moi Richmond pour tout à l'heure.

- Ne t'inquiète pas pour cela.

- Il est là inerte pendant qu'ils le secouent ainsi.

- Il est en de bonnes mains à présent. Garde la foi. Rien n'est encore perdu.

Ils parviennent finalement à le réanimer et félicitent Richmond pour avoir agi promptement. Il s'avère quand même plus prudent de l'emmener aux urgences pédiatriques du Centre National Hospitalier et Universitaire (CNHU). Père et mère les suivent. Contre toute attente, ils sont vite pris en charge. On fait passer une série d'examens à Leo pendant que les parents attendent à côté. On lui colle des électrodes à la tête, sur le torse et ventre ; un capteur au pied. Il sera surveillé toute la nuit. Cica entend ses pleurs. Son coeur se serre.


- J'ai toujours pensé que je pouvais être plus forte que toi, que je pouvais m'occuper de lui sans ton aide, mais je me suis trompée. Je n'ai aucun cran. Je suis une mère indigne !

Elle fond en larmes.

- Je m'en voudrai toute ma vie s'il lui arrive quelque chose, Richmond !

- Arrête de culpabiliser ainsi. Tu n'y es pour rien. Je n'aurais pas dû laisser parler mon égo d'homme blessé, je n'aurais pas dû vous laisser seuls.

Elle repose sa tête contre son épaule. Le vieux s'amène.

- Je suis venu aussi vite que j'ai pu. Que s'est-il passé ?

- Je n'en ai aucune idée, répond Cica toujours en pleurs. Il allait bien puis subitement, il ne respirait plus.

- Tout ira bien, rassure le vieux. C'est un petit garçon fort !

Ils restent là toute la nuit. Par moments, le vieux les regarde, ému par la tendresse, la douleur commune entre Richmond et Cica. Elle reste blottie contre lui jusqu'au petit matin. Au final, Leo avait échappé de justesse au syndrome de mort prématuré du nourrisson. Les tests n'ont rien trouvé d'anormal mais on le garde deux jours sous surveillance. Le docteur finit par les laisser partir en faisant une liste de recommandations : coucher le bébé sur le dos, le faire dormir dans une gigoteuse, éviter couvertures, doudou, couette ou autres à l'intérieur du berceau, faire des surveillances régulières pendant son sommeil …


Tous fatigués, mais heureux, ils rentrent chez eux avec leur fils dans les bras. Satine, le vieux et Anne les accueille. Cet évènement aura servi à rapprocher quelque peu mère et père, mais pas encore homme et femme. Ils sont plus soudés, s'entendent à merveille, veillent l'un comme l'autre à tour de rôle au chevet de Leo. Mais rien de plus. Ni l'un, ni l'autre n'aborde l'avenir de leur couple.


A chaque fois que le vieux passe chez eux, il les regarde, s'enthousiasme de cette complicité qu'ils fédèrent autour de Leo. A présent, il est convaincu qu'ils sont faits l'un pour l'autre. Il est décidé à les aider à renouer leur couple. Un jour, il s'approche de Richmond dans le salon pendant que les femmes, Anne, Satine et Cica sont dans la cuisine. Leo dort dans son couffin, près de son père.

- Je vois que tu ne le quittes plus des yeux !

- En effet, le vieux ! Avec la belle frayeur qu'il nous a faite, tout le monde le veille précieusement. Nous avons même dû prendre plusieurs babyphones pour pouvoir l'entendre pleurer où qu'il soit !

Le vieux sourit.

- Je tiens également à te remercier pour ton assistance à l'hôpital. Sache que tu as été d'un grand soutien pour nous !

- Tu n'as pas à me remercier, Richmond ! C'est mon petit-fils après tout.

- C'est vrai !

- Tu sais, depuis l'hôpital, je vous observe toi et Cica.

Richmond est surpris.

- J'en suis venu à la conclusion que vous êtes faits l'un pour l'autre.

- Non, je ne crois pas, répond Richmond. Elle ne voit en moi que le père de son fils et rien de plus. Et crois-moi, même si cela me fait mal, je m'y résigne peu à peu. Je n'insiste plus, de peur de la perdre, elle et Leo. Je préfère les avoir ainsi près de moi que loin.

- Je pense plutôt qu'elle continue à t'aimer mais se refuse à l'admettre, s'entoure d'une armure par peur que tu la fasses souffrir à nouveau. Elle a peur de te refaire confiance et d'être à nouveau blessée. Pourtant tu es bien le seul qui puisse guérir complètement les blessures que tu as laissées en elle, rouvrir son coeur à l'amour.

- Comment ? J'ai tout essayé.

- Non, pas tout. Tu as juste essayé à ta façon, mais en plaçant tes désirs avant les siens et en ne comptant que sur toi seul, sur ta seule force d'humain.

En parlant, il ouvre son sac et en sort un livre qu'il remet à Richmond, qui écarquille les yeux.

- "Le défi de l'amour en 40 jours. Titre original : The love dare, de Stéphane et Alex Kendrick"!

- Oui, Richmond. Pour la petite histoire, après le décès de Julie, ma fille unique, ma femme et moi avions sombré et notre couple aussi. Tout allait très mal entre nous, si mal que nous étions devenus des étrangers vivant dans la même maison. Je me suis mis à boire.

Richmond l'écoute avec attention.

- Une nuit, en zappant sur les chaînes de ma télévision, je suis tombé sur un film émouvant et plein de sens LOVEPROOF, A l'épreuve de l'amour. Le héros principal en proie à un divorce imminent avait reçu ce livre de son père et s'y est mis jour après jour, avec défaite parfois, mais a pu sauver son couple. Moi je l'ai commencé, mais j'ai abandonné en quelques jours par manque d'audace, de courage et parce que ma femme ne ressentait vraiment plus rien pour moi. Nous avons fini par divorcer. Elle a refait sa vie, j'en ai beaucoup souffert et je me suis retrouvé grâce à la musique. Et crois-moi, ce livre même s'il n'a pas sauvé mon couple, m'a rendu meilleur. Mais votre cas est différent du mien, tu l'aimes et elle aussi. Visionne le cd du film inclus dans le livre et mets-toi au travail. Tu connaîtras des défaites, cela te prendra probablement plus que 40 jours, mais n'abandonne surtout pas ! Cela t'aidera à mieux connaitre tes sentiments pour pouvoir aimer Cica véritablement.

- Merci le vieux. Emouvante, ton histoire. Tes conseils m'ont rappelé mon père. Il m'aurait dit les mêmes mots.

- Je suis sûr qu'il est fier de l'homme et du père que tu es devenu. A présent, je compte moins m'immiscer dans votre couple.

- Tu retournes au canada ? Si c'est le cas, tu manqueras beaucoup à tous, surtout à Cica qui te voit comme son père.

- Non, j'ai encore une chose à faire ici, mon propre défi de l'amour à relever.

- Je vois dejà de qui tu parles.

- Ah! Vraiment ! s'étonne le vieux.

- Tu t'arranges toujours pour venir avec elle, et tes yeux scintillent quand tu la regardes. Mais crois-moi. Tu devras être plus endurant que moi, parce qu'elle est plus qu'une dame en fer.

- Oui, une dame en acier !

Ils éclatent de rire, se serrent la main et se donnent une accolade.

 




 










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