Chapitre 42

Ecrit par Auby88

Femi AKONDE


Avant que j'ouvre la bouche, Paula se lève et s'agrippe à mon bras. Tous deux, nous nous asseyons en face d'Aurore, qui affiche une triste mine.

- Mon amour, commence Paula, c'était tant émouvant ! Merci pour cette dédicace qui me rappelle combien tu m'aimes. D'ailleurs, j'expliquais à ton "ex" que tu me fredonnes cette chanson tout le temps.


C'est sûr, Paula n'a rien avoué à Aurore. Mais elle vient de ruiner mes chances avec Aurore en s'appropriant "The vow".  

Aurore ne croira plus en mes mots, c'est sûr. "The vow" fait partie de notre histoire d'amour, de notre intimité. Cette chanson est sacrée pour nous et Aurore y tient beaucoup. C'est "sa" chanson.

Tous mes efforts viennent de tomber à l'eau. "Quelle poisse ! Paula, je ne t'ai pourtant rien demandé ! "


- Tu …  as … fait une belle prestation Femi, intervient Aurore en affichant un frêle sourire.

- Merci.

Je l'observe. Elle baisse les yeux puis annonce :

- A présent, je dois ... m'en aller.

- Déjà ! objecte Paula. Reste encore un peu avec nous. Nous pourrons mieux nous connaître. Et puis, tu m'en diras plus sur mon bébé d'amour.

- Je ne …

- J'insiste, Aurore.

- D'accord, mais je doute pouvoir t'apprendre quelque chose de nouveau sur lui. Car je pense que tu le connais mieux que moi.

Je sens qu'elle m'indexe indirectement. Pauvre de moi !

- Tu n'as pas non plus tort, Aurore ! Et puis Femi et moi, nous nous aimons tellement !

- Je … suis … vraiment ... heureuse pour vous.

Je sens qu'Aurore a mal. Moi aussi. J'ai terriblement mal. Je me retrouve dans l'impossibilité de lui dire quoi que ce soit. Elle ne me croira plus, de toute façon.


Une serveuse s'approche de nous. Paula commande trois cocktails.

Avec Paula et Aurore, j'ai l'impression d'être comme "une tranche de jambon entre deux toasts. "

J'essaie d'enlever mon bras de celui de Paula, mais je n'y parviens pas. Elle le serre bien trop fort.

- Paula, je ne … savais pas que tu viendrais. Tu m'avais dit que …

- Eh bien, mon cœur…j'ai finalement changé d'avis. Je ne suis plus allée à ce gala de charité. Je ne me sentais pas à l'aise de te laisser tout seul ici. Sauf que j'ignorais que tu serais en si bonne compagnie, en l'occurrence celle de ton … ex.

Aurore lève des yeux interrogateurs vers moi. "Aurore, arrête de me regarder ainsi ! pense-je intérieurement. J'ai l'impression d'être crucifié. Bon, sang Paula ! Pourquoi prends-tu autant plaisir à accentuer le monosyllabe "Ex" ?"


Comme si cela ne suffisait pas, Paula en rajoute.

- Mon sucre d'orge adoré ! dit-elle en s'approchant de mes lèvres pour… m'embrasser. J'esquive son geste en tournant vite la tête. La bise atterrit sur ma joue.

- Paula …

Je suis sur le point de dire "Paula, cela suffit ! " mais je me ravise.

Aurore évite de nous regarder. Ce doit bien être dur pour elle d'assister à tout ça.

- Mon bébé, poursuit Paula, je t'aime tellement !

Han ! Si seulement, elle arrêtait de m'appeler par toutes les dénominations qui lui viennent en tête !


Paula continue de prendre son rôle à coeur. Elle en fait même trop à mon avis. Elle se colle contre moi, me dit des mots doux à l'oreille, mais à un volume assez fort. Par moments, moi je regarde Aurore qui entend certainement tout ce que dit Paula.


- Du Zouk, Femi ! Allez, viens on danse.

J'ai à peine le temps de répondre que je suis entraîné presque de force sur la piste de danse.

Je me retrouve contraint à initier des pas de danse assez … avec une Paula trop entreprenante à mon goût. Je jette les yeux vers Aurore. Elle regarde dans notre direction. Nos yeux se croisent. Elle tourne la tête et la pose sur la table.

- Paula, à quoi joues-tu ? Tu…

- Je ne t'entends pas, Femi. La musique est à fond dans ce coin. Nous parlerons tout à l'heure.

A nouveau, je regarde vers notre table. Aurore n'est plus là. Je repousse aussitôt Paula et cours vers la sortie, cognant au passage une serveuse.

- Eh monsieur !

Je n'attends pas pour m'excuser. J'ai plus urgent à résoudre. Je cours vers l'endroit où sont garées la voiture d'Aurore et la mienne. Trop tard, la sienne n'est plus là. Zut. Je regarde aux alentours mais ne vois rien. Bredouille, je rentre à l'intérieur du bar. J'ai expressément besoin de m'expliquer avec Paula. Je la retrouve à notre table.


- Enfin, elle est partie ! Tu devrais me remercier de t'avoir encore sauvé, en jouant le rôle de ta petite amie.

- Sauvé ! Dis plutôt que tu viens de m'achever !

Elle écarquille les yeux.

- T'achever ! Là, je ne te suis pas.

- J'avais décidé de tout lui dire ce soir et de me remettre avec elle. Mais tu as tout gâché, Paula !

- Mais je ne savais pas, moi ! fait-elle en haussant les épaules.

- Je le reconnais. J'aurais dû t'en parler. Mais pourquoi diable a-t-il fallu que tu joues à ma petite amie, et si bien d'ailleurs, sans même me demander mon avis ? Depuis quand ce rôle te plait autant ? N'est-ce pas toi-même qui me harcèles pour que je lui dise tout ?

- Eh bien … oui, mais comme je n'étais pas au courant de ton projet de ce soir, j'ai décidé d'improviser quand j'ai aperçu la mère de ta fille. C'est tout !

Je ne sais quoi lui répondre, tellement je suis contrarié. Je la scrute attentivement, tandis qu'elle sirote allègrement son cocktail.

- Qu'est-ce que tu me caches, Paula ?

- Moi ?

- Tu vois une autre Paula en face de moi ?

- Bah, je ne te cache rien. D'ailleurs, t'ai-je une fois caché quelque chose ?

- Non. Mais ça, c'était avant.

- Tu n'as plus confiance en moi ?

- Je ne sais plus.

- C'est le comble, Femi !

- Reconnais que j'ai le droit de me poser des questions à ton sujet. Par exemple, comment t'as su que je suis ici ?

- Eh bien ... par pur hasard. Figure-toi que la dernière fois que j'étais ... chez toi, j'ai ...  entendu la fin d'une conversation téléphonique où tu mentionnais le karaoké bar.

- Une conversation ? Quand ? Parce que je n'en ai pas souvenir.

- Hier ou avant-hier ou avant-avant-avant-hier ou avant…

- Paula, arrête de me baratiner !

- Mais je ne te mens pas, Femi.

Rien qu'en voyant mon visage, elle sait que je ne suis pas convaincu.

- Crois-moi, Femi ! C'est la pure vérité. D'ailleurs si je suis venue, c'est parce que je pensais que tu serais seul. Je voulais donc te tenir compagnie et en profiter pour me distraire.

- La prochaine fois, préviens-moi avant de débarquer !

- Pourtant, cela ne t'a jamais gêné auparavant !

- Avant non, mais aujourd'hui oui !

Mes mots peuvent paraître durs, mais elle sait bien que je n'ai pas tort.

- D'accord. Je n'empiéterai plus sur ton territoire. C'est bon ?

Je hoche la tête.

- En tout cas, sache que tout ce que j'ai fait ce soir, c'était juste pour t'aider !

- Pour une fois, ton aide vient de me porter préjudice ! C'est sûr qu'Aurore me fuira davantage !

- Je suis désolée, Femi.

Je ne sais quoi lui répondre. De toute façon, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même.

- Je peux l'appeler si tu veux pour …

- C'est à moi de lui dire la vérité. Même si je doute qu'elle veuille m'écouter.

- Je peux essayer d'arranger un autre rendez-vous entre elle et toi !

- Depuis quand es-tu devenue agent matrimonial ? N'oublie pas qu'en tant que ma petite amie, tu n'es pas vraiment la bienvenue chez Aurore.

- Au final, j'avoue que le titre de petite amie n'est pas si mal que cela.

Je la lorgne.

- Qui sait, peut-être qu'à force de te côtoyer, je suis tombée amoureuse de toi !

- Toi, amoureuse de moi ! Arrête tes sottises, Paula !

- Et si c'était le cas, Femi !

Je la scrute un instant, avant de poursuivre.

- Tu ne te crois même pas. Ça se lit sur ton visage que tu mens !

Elle éclate de rire puis s'arrête net devant mon visage grave.

- Je voulais juste te faire sourire.

- Je ne suis plus d'humeur à rire.

- Je sais. Dis-moi, si vraiment j'étais tombée amoureuse de toi et que je te l'avouais, comment le prendrais-tu ?

- Pourquoi restes-tu autant obsédée par la question ?

- J'ai besoin de savoir comment tu réagirais si cela arrivait.

- Ben… je serai assez compréhensif avec toi car ce sont des choses qui arrivent. La proximité entre amis peut faire naître des sentiments, comme ce fut le cas pour Aurore et moi. Par contre, je ne pourrai pas répondre à ton amour car j'aime et j'aimerai toujours Aurore. Ça te va ?

Elle hoche juste la tête et boit une gorgée de la boisson. Son attitude m'étonne de plus en plus. D'autant plus qu'elle ne semble du tout pas contrariée par mes propos "discourtois".

- Paula, tu n'es pas amoureuse de moi, n'est-ce pas ?

- Non, Femi. Je ne suis pas amoureuse de toi !  

En parlant, elle me regarde droit dans les yeux. Là, je suis convaincu et soulagé.

- Je te crois. A présent, je dois réfléchir à comment arranger les choses avec Aurore.

Je prends mon téléphone et appelle, plusieurs fois en vain.

- Elle ne décroche pas.

- Tu réessayeras plus tard. En attendant, bois ton cocktail. Tu n'y as pas touché. Hors, il me zyeute depuis.

- J'ai le coeur gros. Je n'ai envie de rien.

A peine ai-je achevé ma phrase qu'elle s'empare de mon verre plein et le vide d'un trait. Je la toise à nouveau. Elle hausse les épaules et applique sa paume sur sa bouche pour ne pas rire.

Sacrée Paula ! Moi je souffre et elle semble s'en réjouir.

- Arrête de faire cette mine, Femi. Tu ressembles à un petit garçon à qui on vient de voler une sucette. Le monde ne s'arrête pas parce que ta soirée est fichue. Aurore est partie certes, mais moi je suis là.

- Je préfère ne pas te répondre.

Elle pouffe de rire. Plutôt que de lui jeter des yeux réprobateurs, je me tourne vers le devant de la scène. Paula ne m'est d'aucune aide actuellement. Peut-être que me concentrer sur ceux qui chantent m'aidera à oublier ma peine, au moins pour un temps.

- Encore du zouk ! Viens, on va danser.

Je la lorgne.

- Bon, reste là à te morfondre. Moi je vais me trouver un bon danseur de zouk qui ne soit pas grincheux voire aigri comme toi !

- Paula ! rétorque-je.

Elle me sourit.

- Au fait, tu es particulièrement beau ce soir !

Je regarde ailleurs. Paula m'intrigue de plus en plus.

- A tout, mon cœur ! achève-t-elle en me déposant un bisou furtif sur la joue.

- Paula ! A quoi joues-tu, bon sang ?

Elle rit aux éclats.

- Paula ! Reviens ici !

Elle ne m'écoute plus.

-Paula ! crie-je.

Elle ne m'entend pas. Elle est déjà sur la piste de danse. Je soupire. Paula va me rendre dingue à la fin !

"Ah les femmes ! Elles sont tellement mystérieuses ! "

Je reprends mon téléphone pour rappeler Aurore. Cette fois-ci, ce n'est pas sa voix que j'entends mais celle d'une autre femme qui me récite son éternelle rengaine :

"Le numéro que vous composez est soit hors de la zone de couverture, soit ..."

Je coupe l'appel sans attendre la fin du message que je connais par cœur.

Aurore a éteint son téléphone, c'est sûr !

"Ah les femmes ! Elles sont​ tellement complexes ! "

Déçu et abattu, je quitte la salle pour aller prendre l'air dehors.










SECONDE CHANCE