Chapitre 47
Ecrit par Myss StaDou
Chapitre 47
Mince, c’est quoi tous ces moustiques ? Pafff ! Je frappe mes jambes pour essayer d’en tuer un ou deux en passant. Je suis sûre qu’ils m’ont déjà correctement « croqué » depuis que je suis assise ici. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis assise ici. Je n’ai aucune notion du temps. Mais je suppose qu’il doit se faire tard. Que vais-je d’ailleurs ici ? Je regarde autour de moi. Je suis assise au pied d’un grand arbre et la lune éclaire l’endroit où je me trouve. On dirait que j’ai seulement été abandonnée ici. Je me dis qu’il devrait faire froid, mais l’atmosphère est très agréable. Je suis seule dans cet endroit que d’aucun qualifierait de lugubre. Mais au lieu d’avoir peur, je me sens très bien.
J’entends des bruits de pas. Hum… J’espère que ce n’est pas un sorcier qui approche. Cet endroit fait tout de même peur. Que je laisse le faux courage. Je ferme les yeux, coupe ma respiration, espérant que dans le noir, la personne ne me verra pas, passera son chemin et rien ne m’arrivera. Je sens tout d’abord une odeur de tabac que je ne connais que trop. Encore elle ? J’ouvre les yeux et me tourne vers la gauche, la direction d’où venait le bruit de pas. Ma grand-mère maternelle approche tout doucement en s’appuyant sur sa canne. Arrivée près de moi, elle passe la main sur ma tête et me regarde un court moment :
− Ngon’, tu fais quoi ici ? demande Grand-mère en langue.
− Mami, je ne sais pas hein.
− Tu n’as rien à faire ici. Lève-toi et pars d’ici très vite. Je t’ai dit quoi la dernière fois ?
− Mais je me sens bien ici. Malgré les moustiques…
− Lève-toi et pars. Les vrais combats de la vie ne se règlent pas avec les mains, ma fille. Mais avec la tête. Réfléchis beaucoup. Tu mets leurs vies en péril avec tes actions. Fais très attention. Sinon tu vas tout perdre !
− Mami, tu parles même de qui depuis là ?
− Ton avenir se joue maintenant, ma fille. Fais très attention, Ah Ngon. Pars maintenant !
Elle me prend le bras et me tire. Je ressens une vive douleur. En voulant crier, je ferme les yeux. On dirait que je sombre dans un trou. Je sens des présences autour de moi. J’entends des personnes parler, mais je n’arrive pas à ouvrir les yeux. Tout mon corps pèse tellement… Une voix de femme et une voix d’homme.
J’entends des pleurs. On dirait que c’est Josy…
− Eh Tonton, fait quelque chose pardon. J’ai peur oh.
− Calme-toi, ça va aller, dit une voix d’homme.
− Elle va bien, Tonton ? Je ne veux pas que l’enfant d’autrui vient mourir entre mes mains.
− Que s’est-il d’abord passé pour que tu l’emmènes ici ?
− Je ne sais pas. Elle vient de Yaoundé. Je suis allée la prendre à l’agence. À peine je l’ai salué qu’elle s’est évanouie dans mes bras. Je n’ai rien compris.
− Quelque chose d’inhabituel dans son quotidien ?
− Je ne sais pas. Je sais juste qu’elle a vécu une scène de choc tout à l’heure chez elle. Est-ce important ?
− Oui. Le fait qu’elle perde connaissance peut être une manifestation de ce trop plein d’émotions. Tu sais si elle a mangé ?
J’essaie de parler, de leur dire comment je vais. Je suis là, je vais bien. Mais pas de force pour cela. Je sombre à nouveau dans ce trou noir qui ne cesse de m’aspirer. Je suis entrée de marcher dans mon quartier. Il fait nuit et je sens l’atmosphère chaude de la fête autour de moi.
De la musique vient d’un snack pas loin. Je m’arrête un instant pour écouter de quel musicien il s’agit. La musique s’arrête soudain à ma grande surprise. C’est quoi ça ? Méchant DJ !
Soudain une lumière blanche forte m’aveugle. Je lève le bras pour me protéger les yeux et essayer de voir d’où vient cette lumière. Mais je n’y arrive pas. Je sens alors un liquide qui coule sur ma main. Une faible caresse, puis une autre. La pluie ? Soudain je sens une forte pression sur ma main. J’essaie de me débattre. Mais avec la lumière c’est difficile. J’y mets plus de force soudain j’ouvre les yeux en grand, avant de les refermer à nouveau et les rouvrir lentement.
− Nicole ? Nicole ?
Josy lâche ma main et disparait de ma vue. On dirait qu’elle court hors de la pièce où nous sommes, car je l’entends crier au loin :
− Infirmière ! Tonton, elle a ouvert les yeux. Venez pardon. Venez vite.
Josy revient à mon chevet. Je la vois de mes yeux à peine ouverts. Avec beaucoup de peine, j’ai tourné lentement la tête vers la droite et je vois un monsieur s’approcher en blouse blanche suivi d’une femme qui semble être une infirmière. Le docteur, car il est évident qu’il s’agit d’un médecin, repousse Josy pour s’approcher de moi :
− Mademoiselle ? demande le docteur en se tournant vers Josy. Comment s’appelle-t-elle ?
− Nicole Ngono, Tonton.
− Nicole, vous m’entendez ?
J’essaie de répondre par l’affirmative, mais c’est extrêmement difficile. Je cligne des yeux. Le docteur secoue la tête après mon geste.
− Je vois. Infirmière, elle a du mal à parler. Mais je crois que la perfusion de glucose l’a quand même remontée un peu.
Il m’ausculte quelques instants, prenant mon pouls, regardant à l’intérieur de mes yeux, mes oreilles. Je me sens vraiment mal. Je n’aime pas le sentir si près de mon corps. Mes yeux me font terriblement mal et j’ai l’impression d’étouffer. Je me mets de ce fait à tousser, de plus en plus fort.
− Nicole, comment vous sentez-vous ? demande le docteur.
− Hmm…
− Infirmière, apportez rapidement le masque à oxygène. La patiente semble avoir des difficultés à respirer.
Le docteur essaie de me palper le buste et le ventre et je pousse un semblant de cri, car ça me fait extrêmement mal.
− Nicole, vous avez mal ?
J’essaie d’hocher la tête. Parce qu’avec la toux, je n’arrive même pas à produire un son normal. Je me mets à paniquer. L’infirmière qui avait disparu est réapparue et me passe un masque sur le visage. J’essaie de gesticuler. J’ai peur. Je sens le docteur me piquer quelque chose dans le bras. Je sombre ensuite dans le sommeil. Je me réveille un peu plus tard. Avant même d’ouvrir les yeux, je sens déjà que ça va mieux que tout à l’heure. J’arrive à ouvrir les yeux sans problèmes. Je sens quelque chose me faire de la pression sur le visage. Je tends la main gauche, et je sens un masque et je l’enlève. Je me souviens de la dernière scène avant que je ne sombre. Ma main droite est toujours reliée à une perfusion.
Il semble que je me trouve dans une chambre d’hôpital. Celle-ci est légèrement éclairée. Je vois sur la montre murale qu’il est 05h20. J’aperçois Josy couchée sur un lit de l’autre coté de la pièce. La chambre est très spacieuse. Je vois différentes portes, qui doivent être pour la sortie, penderie ou les toilettes.
Je racle la gorge et essaie d’appeler Josy :
− Josy… Josy…
Je la vois sursauter et se lever brusquement du lit et se tourner dans ma direction.
− Josy ?
− Oui ma puce, je suis là.
Elle descend du lit et vient s’asseoir près de moi.
− Victor ?
− Chuuut ! Ne pense pas à lui là maintenant. Ce n’est pas le plus important. Comment te sens-tu ?
− Ça va. On est où ?
− Dans la clinique de mon oncle à Bali.
− Clinique ? Pourquoi ?
− Tu ne te souviens pas ? Tu t’es évanouie dans mes bras à l’agence.
− Non. Ce n’est pas vrai. Je suis désolée.
− Non, ça va. Ce n’est pas de ta faute. Heureusement que tu as repris connaissance.
Je regarde autour de moi :
− Comment ai-je fait pour arriver ici ?
− J’étais venue te chercher avec un ami. Il m’a aidé avec d’autres passagers à te mettre dans sa voiture et on est venu ici. J’ai appelé Tonton Jacques en route pour le prévenir que j’arrivais avec un cas d’urgence. Il t’a tout de suite reçue et installé ici.
− Weh Merci Josy. Tu es une vraie sœur… Pas comme l’autre, ajouté-je avec tristesse.
− Ne pense pas à cela maintenant. Le plus important est que tu ailles bien.
Quelqu’un frappe à la porte. Nous nous tournons toutes les deux vers la porte pour voir l’infirmière entrer dans la chambre. Il s’agit d’une femme d’âge mur. Elle me sourit et s’approche de moi et pose la main sur mon bras.
− Comment vous sentez-vous, mademoiselle ?
− Ça va quand même.
− Tant mieux, dit-elle en levant la tête vers la perfusion. Votre perfusion est vide. Je vais la retirer. Le docteur va venir tout à l’heure lors de sa visite vous voir.
− Merci, madame.
− De rien. Je ne fais que mon travail.
Elle se retire de la chambre, la perfusion vide en main. Josy me regarde et vient se coucher près de moi. Nous restons ainsi allongées et le sommeil nous emporte. Vers 07h30, quelqu’un frappe à la porte. Le médecin entre suivi d’une autre infirmière.
− Bonjour Nicole, demande le médecin. Comment allez-vous ce matin ?
− Bien merci, dis-je, embarrassée. Excusez-moi pour hier. Josy m’a raconté ce que vous avez fait pour moi.
− Josy est ma nièce et elle m’a dit que vous êtes comme une sœur pour elle. C’était donc mon devoir de vous remettre sur pied.
− Merci.
Il procède à des tests : pouls, yeux, langue… Avant de s’arrêter et me regarder :
− Dites-moi Nicole, qu’avez-vous mangé au cours de la journée d’hier ?
− Hein… Pas grand-chose… À part un bout de pain le matin.
− Ok. Nous vous avez mis une perfusion de glucose hier. Pour déjà vous remettre sur pied. Après votre reprise de conscience la nuit, vous avez montré des signes de panique et d’asphyxie et on vous a mis sur oxygène.
− Je vois. Mais comment vais-je payer tout ça ? demandé-je avec anxiété.
− Ne t’occupe pas de ça. Payer une facture d’hôpital, c’est quoi ?
− Bien parlé, ma fille, s’exclame le médecin en riant. Ce n’est pas le souci maintenant.
− Ok, ça me rassure.
− On vous a fait une prise de sang pour voir si vous avez une quelconque carence par exemple en fer ou votre taux de glycémie pourrait être faible. Ce qui expliquerait la perte de connaissance et les difficultés à respirer.
− Ok.
− Les examens ne seront faits en laboratoire que lundi. Donc on vous contactera s’il y a quelque chose. Mais je pense que tout va pour le mieux. Vous pouvez rentrer et surtout manger quelque chose.
− Je vais essayer.
− Josy m’a dit que vous avez subi un choc hier. Prenez un peu de recul par rapport à ce qui vous préoccupe et décompressez un peu. Vous verrez que tout ira bien.
− Merci, docteur.
Il me sourit, me tapote un peu la main et s’en va. Josy m’aide à me lever et je me rends compte que je suis plutôt en forme. Ma valise est dans la chambre. Je vais me changer et essayer de me préparer à avoir un air présentable. Je me fais belle le mieux possible et rejoins possible Josy qui m’attendait déjà dans la chambre. Je plie et pose la robe de nuit de la clinique et la pose sur le lit.
− Mon gars d’hier nous attend en bas, dit Josy en souriant. Il va nous accompagner à la maison. Mais nous allons d’abord chercher de quoi remplir nos estomacs. J’ai une de ces faims.
− Moi aussi. L’eau n’est pas la bouffe.
Josy éclate de rire :
− Maintenant tu te moques de la perfusion ? L’ingratitude ! Allons alors.
Elle m’aide en portant la valise et je prends mon sac. Nous sortons dans le couloir et je regarde où nous sommes. Mais tellement nous sommes pressées que je n’ai pas tellement le temps pour observer les lieux. Nous descendons plusieurs escaliers ce qui me fait comprendre que cette clinique est dans un bâtiment à plusieurs étages. Après plusieurs minutes, nous nous retrouvons devant le guichet d’information et nous sortons du bâtiment. Garée pas loin, une jolie Toyota Avensis grise. Un jeune homme plutôt pas mal en sort et se dirige vers nous. Il fit la bise à Josy et lui prend la valise des mains. Il se tourne alors vers moi et me regarde, souriant :
− Bonjour. Moi c’est Nicole.
− Bonjour Nicole. André à ton service. Nous nous sommes déjà vus hier. Mais bon, tu as préféré dormir que de me voir, apparemment.
Je me mets à rire devant son attitude. Josy nous tire et nous montons dans la voiture, moi à l’arrière. Josy et André discutent pendant le voyage. Je ne sais même pas où nous sommes exactement dans la ville. Je ne m’y connais pas à Douala. Après un moment, André se garde dans un parking devant un endroit qui semble être une boulangerie. «Zepol» est écrit en grand sur l’enseigne.
Zepol ? Mama ! J’ai tellement entendu parler de cette boulangerie.
André tend 10.000Francs à Josy. Elle me fait signe de la suivre et nous allons ensemble dans la magnifique boulangerie. Des pâtisseries et de bonnes odeurs. Nous choisissons du pain, des croissants, des pains au chocolat et quelques viennoiseries. Nous sortons de la boulangerie de très bonne humeur. Nous reprenons la route vers Bonamoussadi, d’après ce que Josy me dit. Ses parents lui ont loué une maison là-bas. Nous serons tranquilles entre filles.
André se gare devant un beau portail noir. Il dit à Josy qu’il ne pourra pas entrer car il doit rejoindre des amis. Après un baiser qui m’a bien fait glousser, nous descendons, Josy et moi, de la voiture. La valise et nos paquets en main, Josy me fait entrer par le petit portail. Il y a un jardin, du gazon vert. C’est très beau ici. Dans un coin, je distingue le garage où est garée une jolie voiture noire.
− C’est magnifique ici, Josy.
− Merci.
− C’est la voiture de qui ?
− C’est la mienne, répond-elle fièrement.
− Et tu te fais conduire ? demandé-je, interloquée.
− Comme ça, je peux boire mon vin en paix, dit-elle en riant. Les hommes font le boulot pour moi. Pourquoi vais-je finir mon essence quand je peux avoir des chauffeurs à mon service ?
− Josy ! Le banditisme va te tuer !
Nous entrons dans la maison. Une jolie petite maison de plusieurs chambres sur un étage. Elle me montre rapidement les lieux. Nous partagerons sa chambre pour bien faire nos kongossa. Après m’être mettre installée, je vais d’abord prendre une douche pour me rafraichir le temps que Josy commence à apprêter le petit-déjeuner.
Sous la douche, je repense à ce qui s’est passé la veille et je n’arrive toujours pas à croire. Je sors et applique mon lait de corps. En serviette, je m’assieds sur le lit. Josy entre quelques instants plus tard et me trouve dans cette position. Elle vient s’asseoir près de moi et me prend la main.
− Victor…
− Cesse de penser à ce qui s’est passé hier, dit Josy avec douceur. Ok ? Tu es ici pour te changer les idées. Oublies d’abord ce Victor et prends le temps pour toi.
− Josy, je n’arrive pas à croire que mon Victor puisse me faire ça. Je sais qu’il m’aime. Il ne peut pas m’avoir menti quand même ! Coucher avec ma propre sœur ? Cette combinaison sort même d’où ?
− Calme-toi, ça va aller. Nous allons réfléchir à tout cela plus tard. Retire-moi cette ride de souci sur ton front.
Je la regarde en coin.
− Ici c’est Douala. La ville du mouvement. On ne stresse pas ici hein, je te préviens. Nous allons nous amuser et oublier les soucis. Après nous allons réfléchir à ton histoire. Ok ?
− Ok.
− Allez ! Finis de t’apprêter. Je vais aussi prendre une douche. On a beaucoup à rattraper. Le mouvement de Douala nous a assez attendues.
Elle se lève et se dirige vers la douche en chantonnant. Je la regarde et je souris. Mon cœur saigne pour l’homme que j’aime. Une infime partie de moi me dit que tout ira bien. Mais j’ai peur. J’aime trop cet homme et à cause de lui, je me retrouve à poser des actes dans lesquels je ne reconnais pas et me retrouve dans des situations bizarres.
La bonne humeur de Josy est contagieuse. J’avais vraiment besoin de cela, de quelqu’un qui me fasse me sentir bien et m’aide à penser positif, sans rien attendre en retour. Il est temps que j’apporte un peu de soleil dans mon existence tumultueuse de ses derniers jours. Je souris et je me lève d’un geste vif pour prendre des vêtements dans ma valise.
Douala, je suis là !