Chapitre 48 : Le Dieu de l'impossible
Ecrit par Auby88
Judith da SILVA
Je suis assise sur l'unique chaise dans la pièce, tandis qu'Arnaud est debout près de moi. Sur le lit d'hôpital près de nous, se trouve ma belle-mère.
La raison de sa présence là, la voilà : Elle a eu une luxation à l'épaule en tentant de corriger ma "coépouse". Comme on pouvait s'y attendre, la jeune fille fatiguée de n'avoir plus de "pointeur" avait commencé à faire le mur pour sortir la nuit. C'est donc pour la punir que ma belle-mère a voulu la chicotter avec une lanière. Malheureusement, la jeune fille plus agile qu'elle a feinté son coup et la vieille s'est retrouvée au sol, direct sur le bras.
Actuellement, il est 22 heures et pourtant, il n'y a aucun garde-malade avec elle. Hors, elle doit rester trois jours à l'hôpital pour observation. Après, elle gardera son plâtre à l'épaule droite pendant un mois.
Sa fille s'est dégotée un blanc qu'elle ne quitte plus des yeux et ma "coépouse" a pris la clé des champs. En d'autres termes, elle s'est volatilisée dans la nature. En somme, ma belle-mère passera la nuit seule là. A moins que…
Je me propose comme garde-malade. Évidemment, elle refuse. Quant à Arnaud, l'idée ne lui plaît pas trop, mais il ne s'y oppose pas. Sa mère ne peut pas rester seule. Et lui, ses obligations à la banque lui incombent plus que moi au restaurant.
- Maman, je sais qu'il y a eu des différends entre nous par le passé, mais vous êtes comme ma mère après tout, lui-dis je.
- Je ne suis pas ta mère, Judith. Et jamais je ne le serai ! hurle-t-elle en ma direction.
- Ne vous emportez pas. Ce n'est pas bon pour votre santé.
- Maman, tu exagères encore comme d'habitude ! rétorque Arnaud.
Il se lève et ajoute :
- Viens, Judith. On s'en va. Elle saura se débrouiller toute seule. Au moins, elle a encore l'usage de son bras gauche et de ses pieds. Judith, tu m'écoutes ?
Je ne bouge pas de ma chaise. Mon cœur et ma conscience ne peuvent se résigner à laisser cette femme âgée seule.
- Vas-y, Arnaud. Va te reposer. Je reste ici.
- N'as-tu pas entendu ton mari ? Allez, suis-le comme sa queue. Tu ne sais faire que cela, femme stérile !
Arnaud s'apprête à répliquer. Je l'en dissuade.
- Le moment est mal choisi pour une dispute. Laisse maman dire ce qu'elle a sur le coeur. De toute façon, je ne compte pas l'abandonner seule ici.
- Je ne suis pas seule. J'ai Dieu avec moi. Allez vous-en !
Sur ce, elle ferme les yeux et ne dit plus rien.
- Vas-y, Arnaud. Je m'occupe de maman. Tu as eu une journée de travail assez stressante aujourd'hui. Va te reposer. N'oublie pas que Sibelle est à la maison avec Afi.
Il rechigne un peu, mais finit par s'en aller. Me voilà seule avec ma belle-mère. Je sais qu'elle ne dort pas. Une suite de chansons en langue locale, en l'honneur des femmes ayant pu enfanter, me parvient à l'oreille. J'écoute sans dire mot.
Intérieurement je prie. Ensuite, elle se met à réciter prières sur prières de protection, demandant à Dieu de la faire triompher sur ses ennemis, de la protéger contre les tentatives du diable.
Je comprends aisément que le diable, c'est moi. Intérieurement, je soupire.
De toute manière, je ne compte aller nulle part. J'ai décidé de rester à son chevet, quoi qu'il m'en coûte et je compte tenir ma promesse. Elle peut dire ou faire tout ce qu'elle veut.
Je demeure là, assise sur ma chaise jusqu'à tard dans la nuit. Elle finit par s'endormir. J'en profite pour fermer un peu les yeux.
A mon réveil, il est 4 heures du matin. Elle dort encore. Je me lève, me dégourdis un peu les jambes, fais un tour aux toilettes puis reviens m'asseoir. Je reste là les yeux éveillés jusqu'au matin.
A son réveil, mon bonjour matinal résonne dans le vide. Elle ne me répond même pas. Je me propose de lui faire une petite toilette, juste pour lui rafraîchir le corps, mais elle s'y oppose.
- Éloigne-toi de moi, Satan ! Je parie que c'est toi qui m'a envoyé le mauvais sort et qui m'a fait tomber sur le bras.
Moi ! m'étonne-je intérieurement. Comment peut-on détester autant une personne, au point de médire d'elle comme ça ?
Je n'insiste pas. Elle se met à invoquer des psaumes. Je m'efforce de cacher ma peine. Une infirmière vient d'entrer pour contrôler sa tension et lui faire d'autres soins. J'en profite pour appeler Arnaud. C'est si réconfortant d'entendre la voix de mon homme ! Nous avions discuté plusieurs fois la veille par téléphone. En tout cas, pour ne pas l'énerver, je ne lui ai pas donné de détails sur les agissements de sa mère.
Arnaud est passé nous voir avant de se rendre au boulot. Il a ramené de la bouillie d'aklui (bouillie traditionnelle béninoise préparée à base de farine de maïs fermentée, granulée et séchée).
A midi, il nous rapportera de la nourriture du restaurant. Devant son fils, la mère s'est montrée calme, détendue et a accepté de manger. Rien à voir avec celle qu'elle était la veille, avec moi.
Après le départ de son fils, elle a à nouveau montré son vrai visage. Nous sommes restées ainsi jusqu'à son retour à midi. Il n'a pu attendre longtemps et comme je m'en doutais déjà, elle a refusé de manger le repas, soi-disant qu'elle ne veut rien de comestible venant de moi, ou de mon restaurant.
J'ai insisté une, deux, trois fois puis je me suis résignée, en espérant qu'elle change d'avis. Mais rien.…
J'ai quand même pris soin de le notifier par message à son fils, parce que je ne pouvais m'empêcher d'être gênée en la sachant affamée. Arnaud m'a assuré qu'elle ne mourrait pas de faim.
Ce n'est que le soir au retour d'Arnaud qu'elle a encore accepté de manger.
Durant ces trois jours, je n'ai vu aucune trace de sa fille. Je n'arrive pas à croire qu'une fille puisse délaisser sa mère alitée à cause d'un homme.
Au final, ma belle-mère a atterri chez nous. Évidemment, c'est moi qui ai suggéré cela à Arnaud. Nous ne pouvions pas la laisser seule dans la maison paternelle d'Arnaud.
Au départ, elle a refusé mais Arnaud a su la convaincre...
*****
Margareth IDOSSOU
Aujourd'hui encore, je me suis levée du bon pied. Je suis de très bonne humeur. J'ai fait ma prière matinale puis je me suis apprêtée pour aller au cabinet.
En chemin, une idée m'a traversé l'esprit. J'ai eu envie de remercier certaines personnes, en leur offrant des présents symboliques. J'ai donc fait escale dans deux ou trois boutiques et j'en suis ressortie, le sourire aux lèvres et les bras chargés.
Premier arrêt : la cour d'appel. Je monte les marches qui me mènent à l'étage et vais cogner à la porte de la secrétaire, cette femme que je n'ai jamais trop aimée : madame Inès AÏZAN.
- Entrez !
J'ouvre et m'introduis à l'intérieur
- Bonjour, madame ! dis-je en affichant mon plus beau sourire.
- Bonjour, maître IDOSSOU ! me lance-t-elle en me reluquant longuement. Je suppose que vous venez déposer des dossiers.
- Non, pas cette fois-ci ! (Je garde mon sourire ). Figurez-vous qu'en passant tout à l'heure près d'une discothèque, j'ai pensé à vous, à votre goût pour la musique traditionnelle.
- Et alors, vous êtes devenue promotrice artistique ?
Son ton ironique aurait irrité la Margareth d'avant. Toutefois, elle a bien le droit de se méfier de moi. Je ne lui ai pas toujours mené la vie facile. (Rires).
- Ne vous méprenez surtout pas ! finis-je par dire en ouvrant mon sac. J'en retire deux compilations de CD de chants traditionnels béninois que je dépose sur son bureau.
- Ce sont pour la plupart des nouveaux chants. J'espère que vous apprécierez.
Elle ne dit mot. Elle semble perdue et indécise. Son regard passe des CD à mon visage.
- Je sais que nos relations n'ont pas toujours été au beau fixe, mais je tenais à vous remercier pour tous les services que vous me rendez. S'il vous plaît, ne refusez pas mon petit geste qui est totalement désintéressé.
- Je regrette, maitre IDOSSOU, mais je ne peux accepter votre cadeau.
- Faites comme vous voulez, madame AÏZAN. De toute façon, on ne reprend pas ce qu'on a donné. Vous pouvez en user à votre guise : jetez-le, donnez-le ou gardez-le.
Sur ce, je prends mon sac et tourne les talons. Pendant que je touche le poignet de la porte, j'entends des mots timides mais sincères :
-Merci, maître IDOSSOU. C'est très gentil de votre part. J'écouterai les CD en pensant à vous.
Je hoche la tête.
- Cela me fera énormément plaisir. A la prochaine !
Je sors de là, ravie.
Deuxième arrêt : l'orphelinat. J'y dépose des vivres pour les enfants et j'offre des tissus religieux aux nonnes. Tout ce petit monde est bien content et j'en suis comblée.
Troisième arrêt : "TOP CHRONO". Là, je leur confie des colis pour les soeurs de Natitingou, en particulier des tissus religieux pour soeur Jeannette.
Il me reste une personne : ma voisine de palier. Je la verrai ce soir. Elle est une fanatique de zouk. Je l'entends souvent en jouer. J'ai pris deux compilations de zouk pour elle. J'en profiterai aussi pour enfin accepter son invitation à entrer chez elle. (Sourire).
Ce sont ceux à qui j'ai pensé aujourd'hui. Plus tard, je cogiterai pour voir s'il n'y a pas d'autres personnes à qui j'aimerais offrir des présents.
*********
Judith da SILVA
Cela fait presque un mois que ma belle-mère réside chez nous. Très bientôt, on lui enlèvera le plâtre. Elle a bien hâte de rentrer chez elle. Pas une seule fois, sa fille ne s'est amenée. Nous avions appris qu'elle avait voyagé vers le Sénégal.
Entre ma belle-mère et moi, il n'y a aucune amélioration. Chaque jour, elle me démontre à quel point elle me déteste : invocations de psaumes de protection, refus de manger, refus que je la touche...
Elle ne me parle pas, ne me répond jamais, jette la nourriture que je prépare, me rappelle que je suis une femme stérile, voire même une sorcière, me lance des insultes à tout bout de champ…
Toutefois, dès que son fils rentre à la maison, elle passe pour une autre personne. En tout cas, Arnaud connaît bien sa mère.
Moi, je m'efforce de garder mon calme car je sais que "Toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu (Romains 8:28)".
Pour ce qui est du restaurant, je n'y vais plus fréquemment. Je préfère prendre soin de ma belle-mère, même si elle s'obstine à me tenir éloignée d'elle, même si elle préfère l'aide et la compagnie d'Afi à la mienne.
La sonnerie retentit dans la maison. Je me demande qui cela peut bien être. Je vais ouvrir. C'est ma belle-soeur. Je m'empresse de l'accueillir, mais elle reste froide.
- Où est ma mère ? me lance-t-elle.
- Au salon.
Elle passe près de moi et prend la direction du salon. Moi, je m'en vais à ma cuisine. Je laisse mère et fille parler tranquillement. Je n'ai pas trop envie d'entendre une ènième insulte à mon endroit.
Des voix me parviennent aux oreilles. Ma belle-mère fait des remontrances à sa fille, ce qui est tout à fait normal.
A un moment donné, ma belle-mère finit par lâcher des mots auxquels je ne m'attendais pas.
- Toi, ma propre fille, tu m'as abandonnée pour courir derrière un homme tandis que celle que je maltraite constamment, celle-là qui n'est pas ma fille m'a veillée trois nuits durant à l'hôpital. Elle continue encore de le faire, même si moi je me montre toujours hostile envers elle. Je n'ose pas lui dire merci, simplement parce que j'ai honte de moi !
En entendant ces mots, je me laisse choir sur une chaise dans la cuisine et je coule des larmes. Des larmes de joie, des larmes de soulagement...
A voix basse, je reprends "Way maker (Tu frayes un chemin) de SINACH".
"Tu es là, présent parmi nous
je t'adore
je t'adore
Tu es là, agissant parmi nous
je t'adore
(…)
Tu frayes un chemin,
opères des miracles,
tu tiens tes promesses.
Lumière dans les ténèbres,
mon Dieu, c'est ce que tu es
Tu es là, touchant les cœurs
Je t'adore, je t'adore
Tu es là, tu guéris les coeurs
Je t'adore, je t'adore
Tu es là, transformant toutes vies
Je t'adore, je t'adore
Tu es là, tu restaures les coeurs brisés
je t'adore, je t'adore
Tu effaces toutes les larmes, tu répares les coeurs brisés
Tu es la réponse à tout, Jésus
(…)
Tu es là touchant toutes vies
je t'adore, je t'adore
Tu es là répondant à tout besoin
je t'adore, je t'adore."