Chapitre 5
Ecrit par Auby88
Nadia P. AKLE
La sonnerie retentit dans le studio. Ce doit être Carine. Je prends ma copie de clés et descends les marches qui mènent vers le portail. Ici, c'est chacun pour soi. Personne ne dérange personne. Au portail, il y a une sonnerie pour chaque appartement.
Carine commence déjà à crier mon prénom. Je me dépêche de lui ouvrir.
- Carine ! m'étonné-je dès que je la vois. Elle tourne sur elle-même en souriant. Je me dépêche de la faire entrer pour ne pas attirer trop de regards sur nous.
Elle porte une mini robe rouge largement plongeante sur le devant et ouverte sur les côtés. A ses pieds, elle a mis de très hauts talons comme à son habitude. Sa robe n'est pas juste vulgaire hein ! C'est plus que vulgaire !
- C'est la classe, n'est-ce pas ? me demande-t-elle.
- L'envers de la classe, tu veux dire !
- Oh, tu ne vas pas t'y remettre encore !
- Carine, je te rappelle que je vis toujours en location.
- Oui, mais avec des voisins qui se mêlent de ce qui les regarde. Basta (Ça suffit) donc !
- Ok !
- Tu n'es pas encore prête ? Tu as vu l'heure ?
- T'inquiète, Carine ! M'habiller ne me prendra pas une éternité !
Elle rumine en me suivant.
J'ai laissé la télévision allumée. Je suivais Maëlly FREITAS sur 100% Jeunes qui tire déjà vers sa fin. Je reste fascinée par cette jeune femme. Nous avons à peu près le même âge et pourtant je n'ai pas accompli le millième de ce qu'elle a déjà fait. Quelle classe ! Quelle assurance elle a ! Quelle éloquence que la sienne ! Moi je trimbale encore mon jargon de rue.
Elle parle avec une telle aisance sans faire la moindre faute ! Moi à sa place, devant l'écran, j'aurais trébuché sur plusieurs mots et gesticulé si follement que mes mains hyperactives auraient maladroitement atterri dans le visage de l'animateur. D'ailleurs, à chaque fois que j'écris une histoire, je suis obligée d'utiliser des applications mobiles de conjugaison, de synonymes et même de correction orthographique pour fournir un texte presque sans fautes à mes abonnés.
Tandis que Carine me parle, mes yeux restent fixés sur Miss Maëlly.
Elle passe les mains devant mon visage une ou deux fois avant que je revienne près d'elle.
- Nadia, kwabo (bonne arrivée) !
- Hein ! fais-je encore perdue.
- Ne me dis pas que tu envies cette fille à papa qui n'arrête pas de se pavaner sur toutes les chaînes de television. Non seulement, tu ne pourras jamais être comme elle, mais en plus ça là c'est pas vraiment un modèle à suivre.
Je secoue la tête, indignée par ses propos âpres.
- Ne me regarde pas ainsi, Nadia. Celle-là, elle baratine les gens seulement. Si elle est là où elle est aujourd'hui, c'est pas à coups d'effort mais à cause du lourd compte en banque de ses parents.
- Richesse n'est pas toujours synonyme de réussite ! objecté-je.
- Faut laisser affaire là, nous on sait comment les choses fonctionnent dans pays-là. Les riches ont tout et les pauvres rien !
- Peut-être mais …
- Mais quoi, Nadia ? Regarde-la bien. Cette fille n'a jamais vraiment travaillé de sa vie, jamais souffert pour avoir quoi que ce soit. D'ici, je sens la douceur de ses mains. Elle a plein de domestiques aux petits soins pour elle. C'est sûrement pour ça qu'elle a facilement obtenu tous ses diplômes à la conne, dont je ne me rappellerai jamais les noms. Et tu crois qu'elle est jamais partie dans tous ces champs où il font culture bio là ? Tu la vois avec une houe dans la main ? Oh non, ce sont les cultivateurs qui fournissent tous les efforts et elle amasse les bénéfices soi disant parce que c'était son capital qu'elle a misé.
- Carine ! Hééé ! c'est un crime de naître riche ? Est-ce qu'elle a choisi ? Pourquoi la dénigres-tu autant ? Tu es jalouse d'elle ou quoi ?
- Moi, jalouse de qui ? Pauvre de toi de me dire de telles imbécilités. Jalouse de cette fille qui parle toujours mal de dépigmentation là !
- Ce qu'elle dit n'est pourtant pas faux !
- C'est avec son argent que je me blanchis la peau ou quoi ? Et puis ses produits qu'elle crie compétitifs et supers là, tout le monde sait que c'est trop cher. Le plus petit prix c'est 5000f et là c'est juste pour un pain de savon. Tu t'imagines !
- La qualité a un prix ma chère. C'est bio et ça demande du temps et beaucoup d'investissements financiers. Et puis, elle n'a pas besoin de tes sous pour prospérer davantage. Elle est née avec une cuillère en diamant dans la bouche. Chez elle, l'argent coule à flot.
- Oui, l'argent continue de couler à flot justement parce qu'elle exploite des pauvres qui se tuent au travail pour elle.
- Hmm, Carine ! De toutes façons, si elle n'avait pas de volonté, elle n'aurait pas réussi malgré tout le confort dont elle dispose. Vouloir, c'est pouvoir !
Elle éclate de rire.
- Hahaha ! Tu parles trop, ma chérie ! Tu oublies vite hein ! Est-ce que ta volonté d'obtenir ton BEPC faisait du poids face à ton illetrée de tante qui t'obligeait à faire toutes les corvées domestiques et à vendre au marché avec elle plutôt que d'apprendre tes cours ?
- Si j'ai échoué à mon examen, ce n'était pas seulement pour cela ! m'insurgé-je.
- Peut-être, mais reconnais quand même que tes deux tentatives d'obtention du BEPC ont échoué alors que tu vivais encore chez elle !
- Tu ne comprends jamais rien, Carine ! dis-je en changeant de chaîne. Il vaut mieux que je m'apprête.
- Oui, c'est ça. ! J'espère que tu as prévu porter une robe bien sexy !
Je ne réponds pas. J'ouvre mon armoire et sors la housse plastique que j'ai récupérée au pressing hier. Je la dépose sur le lit.
- Attends, t'es sérieuse ? me lance-t-elle tandis que je libère mes vêtements de la housse.
- Tu te prends pour une collégienne ou quoi ! Et tes deux nattes sur la tête là, j'espère que tu comptes les défaire !
- Non ! dis-je fermement.
- Je te rappelle qu'on va à une soirée privée dans un casino et non à un rendez-vous de gamines ! Il y aura beaucoup de filles sexy. Si tu veux te faire remarquer par les clients, tu dois mettre quelque chose comme moi !
Si Carine fait autant de remous, c'est parce que je porte un jean bleu troué, dans lequel je viens d'enfoncer le bustier blanc que m'avait offert Chidi avec dessus le bolero noir également pris chez lui. Mes talons ont une couleur de peau de panthère. J'ai deux nattes couchées faites avec mes longues mèches brésiliennes.
Je me suis inspirée du "lookbook" de Nadia Buari. D'ailleurs de temps en temps, je pique ses looks.
De toutes façons, même si on me confond à elle, moi je ne me confonds pas à elle hein ! Je sais que je suis bien différente d'elle, que nous avons des personnalités bien distinctes. Oui, je ne fais pas cet almagame.
- Se démarquer aide aussi à se faire remarquer ! lancé-je en direction de Carine.
- Oui, mais tu sais bien que dans notre métier, une robe est plus facile à ôter qu'un jean et tout ce que tu as mis par dessus ! A moins que tu veuilles faire un strip-tease là bas !
- Bah ! fais-je en haussant les épaules. Je me sens bien avec ça. De toutes façons, si je te suis au Casino, c'est plus par curiosité que pour trouver un client.
En effet, j'ai tellement entendu parler de casino que j'ai envie d'y mettre les pieds, d'autant plus que l'accès est gratuit pour toutes les deux car Carine a été sollicitée pour tenir compagnie à l'un de ses clients "abonnés à son cul". Pardon pour l'expression si elle semble trop grossière ! (Rire).
Casino, un lieu où on parle argent, luxe, jeu et plaisir ! Casino, un lieu où des gens de la Haute société jouent à la roulette, encouragés par leurs escortes, pour la plupart des prostituées de luxe. "Haute société" ! Ça me fait toujours drôle quand j'emploie cette expression. Pourquoi parler de haute société quand la Terre sur laquelle on vit n'est pas divisée en compartiments comme dans des navires ? N'est-ce pas le même air qu'on respire, n'est-ce pas le même soleil qui nous réchauffe, n'est-ce pas le même sol qui accueillera notre dépouille à notre dernière heure ? Alors pourquoi tant de distinctions entre les humains ?
Bref, j'ai assez cogité pour aujourd'hui. Ça suffit. Et puis, rien de ce que je pense ne changera quelque chose ce soir. Car tout à l'heure, des gens seront prêts à miser plein d'argent, se ficher d'en perdre pendant que dehors la misère continuera de sévir, pendant que dehors des enfants dormiront le ventre creux cette nuit. Hmm !
- Le taximan privé vient d'arriver, me notifie Carine. Il nous attend en bas.
- Ok ! fais-je en prenant mon sac à main. Mais sérieux Carine, t'aurais dû sortir entièrement nue plutôt que de mettre cette robe qui dévoile tout ton corps. Et puis tu es sûre qu'habillée ainsi, on ne te refusera pas l'accès au casino ?
- Pfff ! Sache que moi aussi je me sens bien dans ma robe. Que le videur essaie de m'empêcher d'entrer ! Je lui montrerai de quel bois je me chauffe ! En tout cas, ce n'est pas la première fois que j'y vais habillée si sexy ! Quant à toi, je ne veux plus t'entendre parler de ma robe ! C'est clair ?
- Ok ! dis-je simplement en refermant la porte du studio derrière nous.
********
Maëlly FREITAS
Quelle journée ! Je gare ma bagnole près du portail. Le chauffeur se chargera de l'emmener au parking souterrain. A la servante, je remets mon sac à main.
J'ai bien hâte de me retrouver dans ma baignoire balnéo. Mais avant, je passe saluer maman. Papa ne doit pas encore être rentré.
Je retrouve ma mère au salon, occupée à lire des magazines de mode.
- Bonne arrivée, ma chérie !
- Merci maman, répliqué-je en lui faisant la bise.
- Tu as été sublime pendant l'émission !
- Je ne fais que suivre tes conseils, ma chère maman.
- Oui, mais reconnais qu'il y a un conseil que tu n'écoutes pas.
- Maman, tu connais déjà ma position !
- Tu te fais vieille, Maëlly. Tu auras bientôt 30 ans et pourtant tu es encore célibataire !
- C'est mon choix, maman ! Tu sais bien que je n'aime et que je ne veux qu'un seul homme !
- Mais lui ne t'aime pas, ma chérie ! Il t'a toujours vue comme son amie, sa petite-soeur. Et c'est toujours ainsi malgré qu'il connaisse tes sentiments à son égard, malgré que près de 7 années soient passées depuis le départ de son épouse !
- C'est une raison de plus pour que je ne baisse pas les bras. Ce n'est plus qu'une question de temps, maman ! Je te l'assure. Je ne m'avoue pas vaincue. Je ne compte pas abandonner. C'est lui l'homme de ma vie. C'est certain !
- Mais Maëlly !
- Maman, c'est ainsi. Tu sais bien que je n'abandonne jamais, que je finis toujours par obtenir ce que je veux !
- On ne gagne pas sur tous les fronts, ma jolie !
- Mais moi, je n'ai pas appris à perdre ! Tout m'a toujours réussi. Et ce sera aussi le cas le concernant !
- On ne force pas l'amour, Maëlly ! Tu sais bien que pour s'aimer, il faut être deux !
- Il finira par m'aimer, j'en suis sûre !
- Comment peux-tu en être aussi convaincue si tu ne connais pas ce que réserve le futur ?
- Je le sens, c'est tout.
- N'oublie pas, ma fille, qu'il y a plein d'hommes qui te courent après, tant d'hommes qui seraient prêts à décrocher la lune pour toi.
- Tu l'as dit maman, c'est ce qu'ils veulent. Pas moi. Or, c'est de mon bonheur qu'il s'agit.
- Il ne faudrait pas que par amour, tu ailles poser des actes que tu finiras par regretter ou que tu dévies du droit chemin ! Il ne faudrait pas qu'à force d'attendre, tu finisses par rester seule sans personne pour encore te courtiser !
- Ne t'inquiète pas, maman ! Je ne ferai rien d'idiot. Et je ne resterai pas éternellement célibataire. Crois-moi. A présent, je dois te laisser. Je prends un bain puis je te rejoins pour le dîner.
- D'accord, ma fille.
Tandis que je regagne ma dépendance, mes pensées me renvoient au passé.
* *
*
Flashback
Des années plus tôt.
Maëlly FREITAS
Je me rends à l'adresse convenue. C'est sur Facebook que j'ai découvert la personne que je viens rencontrer. Je m'apprête à faire quelque chose qui va en désaccord avec mes convictions religieuses. Pourtant, il le faut.
Cependant, je n'ai pas envie qu'on me reconnaisse. Alors, j'ai mis une longue perruque rousse, des lunettes de soleil et un chapeau de paille.
Je descends du taxi privé et paie le chauffeur. Je m'attendais à une ruelle infecte, mais non c'est un quartier résidentiel. La maison devant laquelle je m'arrête est bien luxueuse. Je m'approche du portail et sonne.
Une élégante femme blanche d'une cinquantaine d'années environ vient m'ouvrir.
- Bonjour. C'est vous madame MASSON ?
- Oui, c'est bien moi. Entrez mademoiselle, je vous attendais.
Madame MASSON fait de la voyance pure. La voyance pure repose sur des visions, des flashs et des ressentis contrairement à la voyance avec support qui nécessite l’utilisation des cartes, des boules de cristal, de la numérologie, du pendule, de l’astrologie…
Je la suis à l'intérieur. Nous passons par un couloir pour atteindre une petite pièce.
- Asseyez-vous !
Je m'exécute et me retrouve assise dans un canapé, en face d'elle.
- Veuillez me donner votre prénom et votre date de naissance.
Je lui donne les renseignements qu'elle demande.
- Vos prédictions sont à 100% sûres ?
- La voyance n'est pas une science exacte. Moi, je vous dirai uniquement ce que je ressens, entends ou vois. Il peut s'agir du passé, du présent ou du futur, mais toujours en lien avec vous. Ce sera à vous d'interpréter. De toutes façons, votre destin ne dépend que de vous !
- Je vois. Ce n'est pas du satanisme, j'espère ?
Elle me regarde froidement.
- Il vaut mieux que vous vous en allez si vous …
- Je m'excuse. Nous pouvons continuer.
Elle hoche juste la tête et ferme les yeux. Un silence s'installe entre nous. Au bout de quelques secondes, elle commence :
- Je vois plein de vêtements autour de vous ! Vous êtes styliste ou modeliste ?
- Non, je possède un prêt-à-porter.
- Ce doit être ça !
- Vous …
- Pouvons-nous aller à l'essentiel ?
Elle ouvre les yeux.
- Vous voulez que je vous parle de l'homme de votre vie, c'est bien ça ?
- Oui, c'est ce qui m'importe le plus.
- Vous semblez bien impatiente !
- Impatiente ? Non. Plutôt directe. Je n'aime pas perdre mon temps !
- En plus trop fière, trop orgueilleuse, trop ambitieuse !
- Est-ce un défaut ? m'enquiers-je en la regardant droit dans les yeux comme pour lui tenir tête.
- Ça dépend. Sachez juste qu'on ne néglige pas plus petit que soi ! Même l'éléphant craint la fourmi !
- Qu'essayez-vous de me dire ?
- Vous le comprendrez plus tard. Vous voulez que je vous parle de l'homme de votre vie, n'est-ce pas ?
Je hoche fermement la tête.
- C'est ce que j'attends depuis. Dites-moi tout sur lui. Dites-moi si je me marierai, si j'aurai des enfants…
J'entrevois un sourire à la commissure de ses lèvres.
- Oui, vous vous marierez avec l'homme de votre vie et vous aurez au moins deux enfants.
Je souris.
- A présent, parlez-moi de lui. Dites-moi …
Elle me prie de me taire et ferme les yeux. Elle se balance tout doucement puis ouvre les yeux.
- Je ne vois rien pour le moment. Vous êtes trop émotionnellement instable, il y a trop de doutes en vous et vous parlez trop, ce qui brouille ma vision. Si vous voulez que je me connecte à vous, vous devez faire le vide dans votre tête et me faire confiance.
- D'accord, dis-je en inspirant profondément.
A nouveau, elle ferme les yeux. Je l'entends prendre plusieurs respirations successives avant de reprendre :
- Je vois ... une grande pièce ... où il y a un homme, plutôt jeune .... assis à une table. Il doit avoir tout au plus …. 35 ans. Son visage est flou, je ne… saurai vous le décrire. Il semble plutôt proche de vous, très proche de vous, car il y a une photo de vous dans la pièce.
Mon esprit s'active tandis qu'elle continue de parler. J'ai déjà une idée de qui il s'agit.
- Autour de lui, je vois des livres. Plein de livres.
- C'est une bibliothèque ?
- C'est possible ! Je… vois … des verres posés devant lui. Et je … remarque ... des initiales, deux lettres : E et …
Mon cœur fait un bond dans ma poitrine. J'attends la suite.
- E et … W.
Je m'attendais à une autre lettre que W.
- W ! m'étonné-je. Vous en êtes bien sûre ?
- La lettre est floue. Oui c'est un W. Non.… attendez. La lettre ... est à l'envers. Ce n'est pas … un W mais plutôt un M. Je …
Ouf. Je suis soulagée. Mon âme est apaisée. Je n'ai plus aucun doute. Mon cœur ne s'est pas trompé. Ça a toujours été l'homme de ma vie, même s'il m'a toujours vue comme son amie, sa petite sœur. C'est donc normal que mon cœur continue de battre pour lui depuis l'adolescence. Lui, c'est Eliad MONTEIRO.
La voyante continue de parler mais je ne l'écoute plus.
- Combien vous dois-je ?
- Mais … je n'ai pas encore fini.
- Ce n'est pas la peine. Je le connais déjà.
- Vous en êtes bien sûre ? me demande-t-elle en avançant vers moi la facture.
- Oui, j'en suis plus que certaine.
- Mais …
Je ne l'entends plus. Je paie la somme convenue et me lève sans la remercier ou dire aurevoir. J'ai bien hâte de quitter cet endroit.