Chapitre 5 : La chambre en face
Ecrit par Max Axel Bounda
En attendant ma voisine, je pris une
douche, et me fis une omelette aux petits poids et de belles tomates fraiches. Je
repensais à ma belle inconnue. J’avais bien envie de la connaître. Elle était
si belle. Depuis quand vivait-elle dans la chambre en face ? Et pourquoi je n’avais jamais remarqué sa présence ?
Mon assiette vide, j’ouvrais mon
ordinateur quand quelqu’un frappa à ma porte.
Ce
n’est pas trop tôt. Elle est de retour.
« Un instant, s’il te plait ! »
J’ouvris la porte et me trouvai face
à Jessica, toute souriante.
Qu’est-ce
qu’elle fait là ?
Jessica Nyingone était ma petite
amie. J’étais censé la retrouver au restaurant à dix-neuf. Non seulement, il n’était
que seize heures trente, mais nous n’étions pas censés nous voir au campus.
Je remarquai alors qu’elle avait
fait des courses. Elles avaient des paquets que je lui ôtai des bras en lui lançant
un regard inquisiteur. Elle me fit un smack en entrant.
— Je me suis dit qu’un dîner aux chandelles serait mieux que le restau. J’avais envie
de cuisiner pour toi. Je l’accompagnai ranger les courses dans le coin cuisine.
— Comment a été ta journée, chérie ?
— T’imagine
pas, une journée trop chargée et en plus de ce soleil. Et la tienne ?
— Trop
bizarre, je me suis tapé deux heures de TD de droit public, réponds-je en
riant. Et pour couronner le tout, figure-toi qu’on a retrouvé un corps au
pavillon G ce matin.
Elle ouvrit le frigo, prit une
bouteille de bissap[1].
Elle m’en faisait dix litres toutes les deux semaines ainsi que du lait caillé
et en remplissait le réfrigérateur. Elle disait que c’était pour que je ne
manque jamais de quoi me désaltérer. Elle était si attentionnée cette femme.
— Ouais, c’est vrai que je l’ai
lu sur Facebook. On braque déjà dans l’Université, c’est flippant.
Elle s’arrêta un instant et se
retourna soudain vers moi avec un regard noir. Je le connaissais bien celui-ci.
Quelque chose n’allait pas. Qu’avais-je encore fait ? Je ne compris pas tout de suite. Mais je me souvins que le sac à
main de ma voisine était posé sur la tablette du salon.
— Ce n’est pas du tout ce que
tu crois… essayais je de dire, quand elle croisa les bras en me foudroyant du
regard. Elle avala une gorgée de jus de groseille et continua à me regarder
avec insistance.
— Comment sais-tu à quoi je
pense ? Tu es devenu devin ?
Explique-moi juste ce que fait le sac d’une autre femme dans la chambre de mon
mec.
— C’est le sac de la voisine, elle
arrive le récupérer.
— Si tu as osé me tromper, je vais te couper tes deux boules
là !
Avec le temps, j’avais appris à
toujours dire à Jess. Elle disait toujours qu’il ne sert à rien de mentir. La
vérité est la meilleure des défenses.
Je décidai alors de lui raconter
toute l’histoire de ma rencontre avec ma nouvelle voisine. Je pris toutefois le
soin de retirer la séquence du baiser. Je ne tenais pas à construire mon propre
cercueil. Lorsque nous nous étions mis en couple, elle m’avait prévenu qu’elle
m’étranglerait de ses propres mains s’il arrivait que je la trompe. Et avec le
temps, j’avais appris qu’elle en avait la capacité.
Jessica n’était pas du genre à se
laisser cocufier. Elle détestait la trahison. C’était une fille bien mais elle pouvait
souffler le chaud et le froid en une fraction de seconde. Elle piquait souvent
de ses colères imprévisibles, que je ne voulais pas subir. Surtout pas pour une
fille que je ne connaissais même pas.
Jessica avait vingt-sept ans du haut
de son corps gracieux d’un mètre soixante-dix, de belles formes, des rondeurs
d’Africaine, la peau sombre et un sourire ravageur. Belle et intelligente, son
espèce était rare comme une étoile filante en plein jour. C’était le genre de
femmes émancipées et entêtées par les bouquins de Simone Beauvoir, de Gorge
Sand et toutes les auteures qui pourrissaient nos femmes avec des résolutions
anti sexe faible. Elle venait d’obtenir sa maitrise en Droit privé et attendait
son intégration au barreau.
— Tu n’as même pas de voisine Thierry
et tu crois que je vais avaler ça, bébé ?
Trouve mieux s’il te plait.
Ma petite amie avala une autre
gorgée de jus et continua à m’observer d’un œil inquisiteur.
— Je te jure que c’est la vérité
Jess.
Au même moment, on entendit du bruit
dans le couloir. Quelqu’un essayait, semblait-t-il, de pénétrer dans la chambre
de ma mystérieuse voisine. C’était certainement elle. Elle tombait à point
nommé pour me tirer d’affaire. Alors, pour prouver à Jess que je ne mentais pas
je m’empressai d’ouvrir la porte, en lui faisant un air du genre, « tu ne me crois pas non ?
OK, vérifions. »
En ouvrant la porte, je tombai sur
deux hommes portant l’uniforme de la police. Ils étaient accompagnés
de deux étudiants que je connaissais bien vu que l’on partageait le même
pavillon. Frank Nzinzi, que l’on appelait Capello et Guy Nzong, qui était surnommé
Murinho.
Ces deux étudiants étaient les responsables
de notre pavillon, une sorte de concierges que l’on ne voyait que lors des
réunions et des travaux sur le pavillon. En dehors de cela, aucun autre type de
relations ne nous liait.
— Mbolo Thierry, comment ça va ? me lança Capello en me voyant apparaître à
la porte de ma chambre. Il me salua avec son accent tonique typique des
gabonais originaires du nord du pays.
— Je vais bien Capello. Et toi ?
— Un peu touché par le décès de
notre sœur, mais ça va aller. Dieu est là !
Je fronçai les sourcils. Il connaissait
la fille qu’on a retrouvée ce matin, mais pourquoi la police venait-elle
enquêter dans la chambre en face de la mienne ?
Ma petite amie apparut derrière moi. Elle les salua timidement.
— Bonsoir,
Monsieur, m’apostropha l’un des officiers.
Nous sommes de la Police judiciaire et nous enquêtons sur la mort, de Rhianne Abessolo,
survenue dans la nuit d’hier à aujourd’hui.
J’acquiesçai seulement, car je ne
comprenais pas vraiment le rapport qu’il y’avait entre la mort de cette
étudiante et la chambre de ma voisine.
— D’accord monsieur l’agent, mais
je ne crois pas connaître cette fille. Son nom ne me dit rien, dis-je. Les deux
hommes se regardèrent comme si je venais de sortir la plus grosse des conneries
de tous les temps. Alors, comment puis-je vous aider ?
— Vous
savez que l’on a retrouvé le corps d’une jeune femme sur le campus ce matin ?
demande le second policier. Je répondis oui de la tête. C’est assez curieux que
vous ne la connaissiez pas, car il s’agit de votre voisine.
Ma voisine ?
Je tournai la tête vers Jessica
derrière moi qui lut dans mon regard que quelque chose clochait. Elle me prit
discrètement la main presque en oubliant qu’elle était en colère. J’essayai alors
de rassembler mes idées et de faire appel à tous mes sens, mais difficilement.
— Si
je comprends bien, cette fille, ma voisine, c’est la fille qui est morte dans
la nuit ? Les quatre hommes me répondirent
oui de la tête. Mais pourquoi je ne l’ai jamais vu ici ?
— En fait, répond Murinho, ça
fait seulement deux semaines qu’elle a obtenu la chambre. Elle avait loué la
chambre pour préparer sa soutenance d’avant-hier. Elle a soutenu et a même eu
quinze. Et aujourd’hui, elle est morte. La vie est injuste hein.
Je ne dis plus rien, car je ne pouvais
rien ajouter sans trahir mon état d’esprit. Le fait que nous ne nous
connaissions pas ma voisine et moi avait une explication logique, mais comment
leur expliquer que j’avais vu cette
fille une heure plus tôt ? C’est
à ce moment que je réalisai que ma belle inconnue ne pouvait pas être celle qui
avait loué la chambre. Cette dernière était morte depuis plusieurs heures. Mais qui était-elle alors ?
Mon corps réagit instinctivement à
ma détresse. Il se mit à trembler tout seul. Jess le remarqua et me serra
fortement la main comme pour me rassurer de sa présence.
— Maintenant je comprends, lançai
je. Que son âme repose en paix.
— Franchement, votre campus n’est
plus sure hein bébé. Depuis que je te dis de venir à la maison.
— Rassurez-vous mademoiselle. Nous
savons que la victime n’a pas été tuée sur le campus. L’assassin est juste venu
y jeter son corps pour brouiller les pistes. Et nous cherchons à comprendre
pourquoi, répondit un des agents. Alors, dites-nous, si vous avez vu ou entendu
quelque chose de suspect dans la nuit d’hier à aujourd’hui ?
— Euh non, je n’y ai vraiment pas
fait attention. Comment aurai-je pu ?
Je ne savais même pas qu’il y avait une nouvelle dans le pavillon, dis-je en
dissimulant volontairement ma rencontre avec cette femme dont je me demandais
désormais l’identité. Je n’avais pas envie de poursuivre l’interrogatoire au
poste avant de comprendre réellement ce qui se passait.
— Merci
pour votre aide.
Capello
passa derrière eux et ouvrit la chambre en face. Il me salua et me remercia avant de disparaitre
dans la pénombre. Je refermai immédiatement la porte
derrière moi.
Je croisai le regard inquisiteur de
Jess, tout aussi perdue que moi. Surtout que je venais de lui sortir une
histoire qui ne tenait plus la route. Je me précipitai alors vers le frigo, pris
une bouteille d’eau et un verre. Je me servis et vidai mon verre d’une traite.
Mon cœur battait affreusement vite. Si l’étudiante qui avait loué cette chambre
était morte dans la nuit, alors avec qui avais-je échangé ?
Et si c’était ma belle inconnue qui avait tué ma
voisine ?
[1] Jus de groseille