chapitre 5: Le Chirurgien perd la tête

Ecrit par Max Axel Bounda

V


Lundi 07 aout 2017

Domicile des Rignault

15 h 32



Les découvertes que nous avions faites depuis le matin, je n’étais plus sûre de mes connaissances. Franchement, je commençais à douter de ma propre intelligence. Comment est-ce que le profil d’un tueur aussi rusé que le chirurgien pouvait changer comme ça ? Ça n’avait pas de sens. C’était trop facile. Quelque chose ne tournait pas rond.

L’interrogatoire d’Iris nous avait orientées vers la meilleure amie de sa sœur. Elles étaient tellement proches qu’elle était la seule personne qui pouvait nous apprendre quoique ce soit sur cette fille. En arrivant tout près du domicile des Rignault, j’orientai ma conversation avec Cassydie sur l’enquête.

— La sœur t’a dit quoi que ce soit sur la vie de Rigoberta ?

— Pas grand-chose. Ils ont acheté cet appartement à Rigoberta, mais pour le reste, elle se débrouillait elle-même. Elle n’était plus en très bons termes avec son père depuis quelque temps, vu qu’elle était du côté de son grand-père qui est devenu opposant. Il ne lui donnait plus un rond. Elle vivait avec son seul salaire et l’argent de son grand père. Mais depuis qu’il n’est plus payé à 160 millions par mois, ça ne devait plus être facile pour elle.

Nous arrivâmes dans un quartier résidentiel assez chic. La résidence des Rignault était une villa de 500 m². Nous approchâmes du portail. Un gros Porsche Cayenne gris était garée sur un coin de pelouse à l'ombre des arbres.

— Combien de millions coute cette voiture ? Demandai-je. Il fait quoi dans la vie, le père Rignault ?

— Il est conseiller du président, répondit Cassydie, en s’approcha de l’interphone situé à gauche du portail d’entrée. Au même moment, un homme émergea de la Porsche stationnée sur la pelouse, vêtu d’un costume bleu, et tenant une mallette à la main. Il marcha dans notre direction pour nous ouvrir. Il fut très coopératif.

Nous entrâmes dans la maison. Les dimensions du hall d'entrée étaient telles que mon propre appartement aurait pu tenir dedans. Paul Rignault nous fit entrer dans un énorme salon dans lequel se trouvaient un immense canapé d’angle en velours, une grande table avec huit chaises autour, ainsi qu’un écran plasma de 127 centimètres fixé au mur. Je remarquai dans le coin de la pièce une cuisine équipée d’électroménager ultra moderne. Monsieur Rignault s’assis sur le canapé, et nous invita à faire de même. Cassydie vint s’assoir à côté de moi.

— C’est bien le tueur dont on parle aux infos qui a tué Rigoberta ?

Cassydie se contenta de répondre par un hochement de tête. Le ton de sa voix devint soudain plus calme.

— Charlotte et Rigoberta avaient elles une soirée de prévue samedi soir ? Demanda-t-elle sans détour.

— Oui, mais plutôt vendredi.

— Vous savez où elles sont allées ?

— Je n’en ai aucune idée. Tout ce que je sais, c’est que vendredi soir Charlotte était à la maison, et nous avons appris seulement aujourd’hui que Rigoberta était morte.

Des bruits de pas résonnèrent sur les carreaux derrière nous. Une jeune femme entra dans le salon. Elle était vêtue d'une élégante jupe noire délicieusement ajustée lui arrivant au-dessus des genoux, et d’une veste marron.

— Voici ma fille charlotte, fit le père Rignault.

La jeune femme nous observa d’un air inquiet.

— Je suis L’agent spécial Axelle-Marthe Koumba et le lieutenant Cassydie Suzanne Mendoza. Nous sommes de la PJ. Nous aimerions vous poser quelques questions.

— C’est à propos de Rigoberta ? Fit Charlotte d’une petite voix tremblante.

Cassydie répondit par un signe de tête, et Charlotte vint s’asseoir sur le canapé à côté de son père.

— Je sais que c’est difficile, mademoiselle Rignault, reprit Cassydie, mais nous avons besoin de savoir ce que vous avez fait vendredi soir avec Rigoberta.

Les yeux de Charlotte devinrent soudain humides. Son joli petit menton se mit à trembler, elle regarda son père pour trouver du réconfort dans ses yeux. Paul Rignault serra sa fille dans ses bras. Charlotte refoula un sanglot, puis redressa la tête.

— Nous sommes sorties avec des amis vendredi soir dit-elle en reniflant. Comme on était au boulot ce jour-là, nous avons fait un tour à tartare, on a juste eu le temps de se changer avant d’aller prendre un verre à vingt et une heures.

— À quelle heure s’est terminée votre soirée ? Demanda Cassydie.

— Vers minuit, j’étais fatiguée et j’ai voulu rentrer. J’ai prévenu Rigoberta, mais comme elle voulait rester, je suis partie et je suis rentrée à la maison.

— Vous ne savez donc pas avec qui Rigoberta est rentrée ? Rétorquai-je.

— Je n’en ai aucune idée, reprit-elle en tournant la tête vers moi, me fixant avec ses yeux humides. Samedi, Rigoberta devait retrouver des amis que nous n’avons pas en commun. Je ne me suis pas inquiétée de n’avoir aucune nouvelle, car nous ne devions nous voir que dimanche. J’ai appris ce qui lui est arrivé seulement ce matin et sur whatsapp en plus.

— Attendez, vous l’avez laissé là-bas, et le lendemain, vous ne lui avez pas téléphoné, même pas pour savoir comment c’est terminé la soirée ?

Ma question sembla la prendre au dépourvu.

— Bien sûr que si, je l’ai appelé ! Riposta-t-elle sèchement. À deux reprises, et à chaque fois, le téléphone a sonné dans le vide. J’ai pensé qu’elle devait dormir toute la journée, ou qu’elle ne voulait pas être dérangée avec ses autres potes, alors je n’ai pas insisté. J’ai rappelé hier, toujours pas de réponse. Je voulais passer chez elle ce soir mais j’ai appris ce matin qu’elle était morte, finit elle en sanglotant.

— Où avait lieu cette soirée ? Reprit Cassydie. Pouvez-vous nous donner les noms des autres personnes présentes à la soirée ?

Charlotte parut hésiter. Elle regarda son père, puis de nouveau Cassydie.

— Nous sommes allées dans une boite, le Fit, dans le quartier au Bas de Gué-Gué, répondit-elle. Il y avait trois ou quatre garçons avec nous, mais je ne les connais pas. Ils nous ont abordés parce que nous étions deux filles seules.

Cette fille mentait comme elle respirait.

— Vous nous avez dit tout à l’heure que vous étiez sorties avec des amis. Et à présent, vous ne connaissiez pas ces amis ? Laquelle des deux versions est fausse ?

Charlotte eut l’air gênée. Pour la première fois, elle baissa les yeux avant de répondre :

— J’ai dit ça comme ça. Je ne sais pas qui étaient ces garçons. Ils nous ont dragués et ils étaient sympas. On s’est amusés avec eux, puis je suis partie. Je ne connais pas leurs noms.

— Vous êtes partie en laissant votre meilleure amie seule, complétement bourrée, en compagnie de gens que vous ne connaissez pas ? Fis-je remarquer d’un ton de reproche. Vous savez qu’on a trouvé du Kobolo dans le sang de Rigoberta ?

Charlotte sembla soudain aux abois, je vis des larmes briller dans ses yeux. J’eus soudain le sentiment qu’elle savait très bien de quoi je parlais. Cela me parut étrange.

— Je…Je ne savais pas qu’elle se droguait, balbutia-t-elle. Et puis je crois que Rigoberta connaissait l’un des gars.

— Pourriez-vous faire une description de ces hommes ?

— Je ne me souviens pas, et…

Elle s’interrompit. Visiblement, elle était émue. Ou essayait de cacher quelque chose. Je l’encourageai à poursuivre.

— C’est pour établir un portrait-robot.

— Je ne me rappelle pas. Moi aussi j’étais bourrée. Je ne me sentais pas bien, c’est pour ça que je suis partie.

Encore une fois, elle regarda son père, puis reposa les yeux sur moi. J’avais comme l’impression qu’elle nous cachait des choses. Déjà elle avait l’air de savoir pour le Kobolo, et elle devait savoir pour les hommes avec qui Rigoberta avait passé le reste de la soirée.

Comme elle était sur le point d’éclater en sanglots, je décidai de calmer le jeu.

— Ne vous inquiétez pas charlotte, nous voulons attraper l’homme qui a tué Rigoberta, il se pourrait que ce soit l’un des gars avec qui vous étiez en boite vendredi.

Monsieur Rignault me regarda d’un mauvais œil.

— Encore une dernière question. Vous savez si Rigoberta avait un petit ami ?

— Non, pas du tout, répondit Charlotte un peu trop rapidement à mon gout. Pas en ce moment. Elle est sortie avec pas mal de types ces derniers temps. Elle avait subi une grosse déception deux ans plus tôt.

— Vous en êtes sure ?

— Bon, je crois que nous poursuivrons cette conversation une autre fois. Vous voyez bien qu’elle ne se souvient plus qui étaient les garçons avec elles dans ce snack.

Je croisai le regard de Cassydie qui me signifiait que l’entretien devait être clos. Monsieur Rignault devait connaître les gens bien placés où il fallait, et il valait mieux ne pas le froisser.

— D’accord Monsieur Rignault, nous allons vous laisser. Mais si elle se souvient de quoique ce soit, voici mon numéro. Nous sommes à votre entière disposition.

Cassydie et moi prîmes congés d’eux. Je jetai un dernier coup d’œil par-dessus mon épaule. Charlotte était toujours assise sur le canapé, et semblait totalement abattue. Lorsqu’elle leva la tête, je vis que ses yeux étaient pleins de larmes. Une fois hors de vue, je me tournai vers Cassydie.

— Cette fille ment comme elle respire, et elle nous cache quelque chose.

— J’ai remarqué, approuva Cassydie. Mais quoiqu’elle ait à nous dire, elle ne parlera pas devant son père.

J’avais bien une vague idée de la façon dont nous devions procéder, et il fallait que je trouve une solution. J’avais du temps devant moi pour élaborer une stratégie.

***

En rentrant à l’État-Major, nous fîmes un compte rendu de notre entretien au Sous-Directeur Nkulu. Il était évident que Charlotte cachait quelque chose, mais qu’elle ne parlerait pas devant son père. Il fallait que nous trouvions le moyen de parler à Charlotte sans la présence de ses parents.

En quittant le bureau du Sous-Directeur Nkulu, je tombai sur Doumbia dans le couloir. Il tenait un dossier à la main. C’était le rapport d’autopsie de Rigoberta, que Claude m’avait fait parvenir. Il était déjà seize heures. Je me mis à le lire. Et quelque chose attira mon attention. Et j’appelai immédiatement Claude.

— Je suis en train de lire le rapport de l’autopsie de Rigoberta, et je voudrais une petite précision.

— Laquelle ?

— A propos des mutilations post-mortem. Qu’est-ce que ça veut dire les mutilations n’ont plus la même précision chirurgicale ? Avez-vous constaté un changement dans la façon d’opérer ?

— Oui Axelle-Marthe, les mutilations des seins et du clitoris n’ont pas été pratiquées avec la même précision chirurgicale. Contrairement aux autres filles, le Chirurgien a travaillé comme un amateur. On dirait qu’il l’a mutilée avec un couteau, au lieu d’utiliser un scalpel comme pour les autres meurtres.

J’avais mis le haut-parleur, et Cassydie et Joristana nous écoutaient avec grand intérêt.

— Et pour le cœur ? Demandai-je.

— Pour les autres filles, la méthode utilisée pour l’ablation du cœur est une thoracotomie bilatérale transversale. C’est à dire une incision chirurgicale de la paroi thoracique effectuée entre les côtes. À chaque fois, il a proprement coupé les veines caves et pulmonaires, ainsi que l’artère pulmonaire et l’aorte. Mais dans le cas de Rigoberta, l’opération a été raté, il a pratiqué sous le sein une incision intercostale latérale du côté gauche au travers du thorax, en brisant deux côtes avec le couteau pour accéder au cœur.

J’échangeai un regard avec Cassydie.

— Il n’a jamais procédé de la sorte avant ?

— Je n’ai autopsié qu’une seule des précédentes victimes, c’était Antonia Mboumbou, mais j’ai consulté les rapports des quatre autres. Aucun cas similaire, ce qui me laisse penser que le tueur a vraiment raté le travail avec Rigoberta.


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