Chapitre 5 : Résolution

Ecrit par anomandaris

Il restèrent silencieux un moment. Puis elle soupira et partit s’asseoir sur la balustrade de pierre du balcon. Ses jambes couvertes jusqu’au genou d’une jupe le pointait au pic de leur balancement, puis se rapprochaient près d’une petite colonnade de la rambarde, et le cycle recommençait, lent, régulier. Certains couples réglaient leur problème en se criant dessus, eux ils avaient l’habitude d’éviter de dire des bêtises. Quent venait de le faire, mais il ne faisait que dire le fond de sa pensée.


Elle finit par dire : « Qu’est-ce que tu ressens pour elle, dans ce cas ?


— Je n’en sait rien. Mais je ne la déteste pas ; ça c’est sûr.


— Quand on ne déteste pas quelqu’un, alors on l’aime.


— Je n’en suis pas si sûr », dit-il, et il leva la tête pour le lui dire. Ses mains étaient fermées sur le bord de sa chaise. « Tu vois, je ne suis même plus sûr que je t’aime encore.


— Ah oui ? Dit-elle avec un petit rire. Et pourquoi ça ?


— Quel est l’intérêt d’aimer quelqu’un qui vous a abandonné en toute conscience pour vous obliger à vivre avec son assassin ? »


Ses grands yeux s’ouvrirent et son sourire s’effaça :


« C’est donc comme ça que tu vois ma mort ?


— Comment voulais-tu que je la vois ?


— Comme moi je la vois, Quent. Je sais que ce n’est pas ton fort, Quent, mais mets-toi à ma place. Je devais choisir entre la vie de ma fille et la mienne. Entre ma vie et celle d’une innocente, Quent.


— Maintenant, tu l’as rendue coupable d’un meurtre, à mes yeux.


— Quel est ton intérêt à considérer ta fille comme une meurtrière, Quent ? »


Elle jouait dans son terrain, là. Et comme à chaque fois, il n’aimait pas qu’elle se moque de son principe d’action dans la vie.


« Ce n’est pas ça, bredouilla-t-il. Je ne sais pas comment t’expliquer ce que j’éprouve à côté d’elle. Tout ce que je sais, c’est que je ne l’aime pas comme un père.


— Parce que tu appliques ton foutu pragmatisme dans tes relations avec tes proches. Quent, ta fille n’est pas un objet. Elle est orpheline, et la seule personne qui devait l’aimer passe son temps à se demander ce qu’un père normal ferait dans sa situation…


— Oui, c’est ça, coupa Quent. Je ne sais pas ce qu’un père normal doit faire quand il se retrouve à éduquer sa fille sans sa femme à ses côtés. Comment tu…


— Sauf que tu n’est pas un père ordinaire. Toutes ces questions pour savoir si ce que tu fais est juste ne font que polluer le vrai toi. Résultat : tu as une fille qui a une nounou et un majordome qui suit des ordres. »


Elle avait raison, mais il ne pouvait pas le lui dire, et espérait qu’elle lisait dans ses pensées pour se rassurer qu’il comprenait où elle voulait en venir. En fait, cette discussion qu’ils avaient, c’était un peu comme s’il causait avec sa conscience. Mais une conscience chargée d’émotions, pas une conscience froide et logique.


« Quent, reprit-elle, contentes-toi d’être toi. On n’apprend pas à être père dans un manuel ; on l’est, c’est tout. Et cesses de te demander pourquoi j’ai choisi de mourir pour ma fille. Franchement, si tu étais à ma place, tu aurais vraiment préféré vivre et laissé mourir Lisy ? Regardes-moi en face et dis-le moi, Quent. »


Il le fit. La sensation de discuter avec une part de lui-même - une part qu’il n’aurait jamais soupçonnée d’exister - se fit encore plus frappante. Les yeux marrons de Jennifer le défiaient de dire « oui », mais il savait que ç’aurait été un mensonge.


« C’est ce que je pensais, fit-elle avec un sourire, et ce visage satisfait fit aussi sourire Quent.


— Tu me manques, Jenn.


— Tu veux me rejoindre ? Demanda-t-elle en plissant les yeux, un sourire finaud entre les lèvres.


— Oh, non, s’écria Quent. Pas maintenant. Donc tu peux me voir depuis…


— Là où je suis ? » Compléta-t-elle. Son regard se fit vague. « Disons que je suis devenue une observatrice des évènements. Et qu’à moins d’avoir une connexion comme celle-ci, je ne peux pas intervenir dans ce monde. Je ne peux que l’observer.


— Donc, il existe d’autres mondes ? Demanda Quent avec un peu trop de curiosité dans sa voix.


— Ne compte pas sur moi pour te le dire, mon mignon. Comme on dit aux novices devant le plongeoir de la piscine : « tu ne peux pas connaitre comment sera l’eau sur ta peau tant que tu n’as pas fait trempette dedans. » Ici, je te dirais plutôt : « Tu ne peux pas…


— Ça va, ça va, j’ai compris où tu voulais en venir. Frimeuse.


— Et puis, quel est mon intérêt de te divulguer l’information ? », fit-elle avec une moue.


La voir si heureuse, sans lui, dans sa robe blanche évasée, lui mit les larmes aux yeux. Ils détourna la tête pour se les frotter, et il se retourna vers elle pour esquisser un sourire maladroit. Mais elle commençait à s’estomper, comme une boule de fumée qu’une brise disloquait. Elle posa le bout de ses doigts sur ses lèvres et lui souffla un baiser virtuel. Il ferma les yeux et compressa ses paupières, mais rien n’y fit. Quelques gouttes créèrent un lit de diamant liquide sur son visage. Quand il rouvrit les yeux, elle était partie.


La lune éclairait la terrasse comme un projecteur sur une scène de cirque, et la bourrasque d’avant minuit imprimait des tons changeants au bout rouge de la cigarette. Par chance, sa chemise fleurie le protégeait du froid. Quent se leva pour ramasser le mégot quand la pensée d’une chemise qui s’envolait par-dessus la passerrelle lui vint. Il sentit sa gorge sécher et porta des mains fiévreuses sur le tissu raide et synthétique de la chemise à col levé pour s’assurer qu’il n’avait pas des hallucinations. Il devait être torse nu, à l’heure qu’il est. Il se pinça les joues et cligna en portant à nouveau le regard sur le mégot, qui roulait lentement sur le carrelage.


Il se rassit lourdement sur la chaise pliable, les jambes soudain lestées de chair. Avait-il rêvé tout ça, jusqu’à la disparition de Jennifer ? Avec qui avait-il discuté ? Il n’avait jamais entendu parlé de types qui rêvaient de nager dans une piscine et qui se retrouvaient trempées à leur réveil.


Il leva les yeux vers la lune, ronde et blafarde, et sourit :


« Je ne te décevrai pas, Jenn », dit-il tout simplement.


Alors, chers lecteurs, l'histoire vous a plu ? Si oui, n'hésitez pas à ajouter un like et/ou à me le dire en commentaire. J'ai l'intention de faire en fait une série d'histoires courtes ayant pour thème central cette fameuse cigarette rouge. Là, vous avez eu droit à son pouvoir lorsqu'on la fume sous la lumière de la pleine lune. Ce n'est que le face émergée d'un gigantesque iceberg. Alors, à bientôt pour une nouvelle aventure... fumeuse !

L'homme qui parlait...