Chapitre 4 : Confrontation et confidence

Ecrit par anomandaris

Peut-être que c’était parce que l’air était inerte ce soir-là, ou peut-être que… mais bon sang, pensa-t-il, c’est impossible ! La fumée qui avait failli le tuer il y’a un instant s’était condensée jusqu’à former un nuage blanc, plus épais qu’un brouillard en saison pluvieuse. Et la forme qu’il dessinait était humaine, flottante à quelques centimètres du sol. La silhouette, qui était d’abord blanchâtre et indécise, continuait de s’arranger et de prendre des couleurs avec un bruit de chuintement de beurre qu’on jette à la poêle. Une grande partie de la fumée condensée rejoignit l’espace vide à côté du toit fuyant de la maison en étage, et ce qui en restait coupa une deuxième fois le souffle d’un Quentin qui se rétractait dans sa chaise. Ses yeux s’enfonçaient dans leur orbites et il ouvrait et balbutiait sans émettre rien d’autre que des « C’est… c’est… impossible… qu’est-ce que…»


Quand la fumée cessa de se débarasser des déchets du corps de l’esprit, Quentin frissonna. De peur ? De joie ? Il ne savait plus quoi penser, comme la première fois qu’il la vit, qui déjeunait dans ce café alors qu’il lui servait son café. Ses cheveux sombres, comme il y’a maintenant neuf ans, se dressaient comme des épis de blé noirs autour de son cou tandis que le reste se couchait pour cacher son cou, ce qui lui donnait l’air d’une lionne qui s’est réveillée en catastrophe. Ses yeux marrons fixaient d’une lueur farouche Quentin.


« Qu’est-ce que tu as ? C’est toi qui m’a appelé, non ? »


Quentin hoqueta. Elle sourit : « Tu veux pas me faire passer un test, histoire de vérifier que c’est bien moi ?


— Non, pas besoin, dit-il, la surprise passée. (Il parvint à reprendre son calme après la pique qu’elle venait de lui lancer) Il n’y a que toi pour deviner ce genre de choses à mon sujet.


— Ah. »


La brise se leva enfin, et ses cheveux voletèrent autour d’elle, ballotés. Une vague de souvenir refluèrent à la mémoire de Quentin, qui sentit les larmes lui monter aux yeux. Comme si elle lisait dans ses pensées, elle s’avança d’un pas lent vers lui, la main tendue. Il se leva et lui tendit aussi la main, non sans qu’elle ne tremble. Mais au lieu qu’elle ne le tienne la main, elle balaya le vide avec sa main et lui donna une gifle cinglante. Et un revers.


Tout hébété, il fit un pas en arrière et se frotta la joue. Il lui jeta un regard plaintif : « ça fait mal ! S’écria-t-il.


— A ton avis, répliqua-t-elle d’un ton acide.


— Mais pourquoi cette paire de baffe ? »


Elle le regarda et se contenta de secouer la tête, les bras croisés. Qu’attendait-elle ?


« Comptes le nombre de fois que je t’ai giflé, Quent. Comptes bien. Et réfléchis avant de répondre à ta propre question. »


La raison de cette paire de baffe lui sembla être la plus douloureuse des trois. La première fois qu’elle le gifla, il s’apprêtait à investir leur économies dans une affaire de son « meilleur ami » de l’époque, qui s’avéra être un arnaqueur de haut vol. Son pragmatisme lui avait joué des tours, mais l’intuition infaillible de sa femme (du moins, « quand il daignait s’éveiller », selon ses propres dires) leur sauva la vie, et c’est avec une paire de baffe qu’elle récupéra le chèque qu’il partait remettre à l’escroc, et qu’elle coupa en menus morceaux. C’était un de ses principes : lorqu’un membre de son entourage s’apprêtait à faire ou faisait une bêtise monumentale, elle le rappelait à l’ordre avec une paire de baffe.


Cette paire-ci, il savait un peu pourquoi. Si les esprits avaient encore des yeux en ce monde, alors oui, il savait un peu pourquoi.


« Je suis désolé, Jennifer, dit-il la tête baissée. Je n’arrive pas à l’aimer. »

L'homme qui parlait...