Chapitre 51

Ecrit par Auby88

Nadia PAGE AKLE


- Allez, Camilo, ouvre la bouche.

Sans succès.

- Allez, sois gentil avec maman.

Je l'implore avec les yeux. Il sourit puis ouvre enfin la bouche. Ouf ! me dis-je en insérant la nourriture dans sa bouche ouverte.


J'ai crié victoire trop tôt.

Il fait un "Pouh" et je reçois tout dans mon visage. C'est sûr, lui et Milena sont bel et bien frères ! (Sourire)

- Camilo ! fais-je avec une mine déchantée et en tentant de nettoyer mon visage.


Mon geste le fait exploser de rire. Je finis par faire autant. D'ailleurs que puis-je faire d'autre, à part rire ? Les bébés, ça donne du boulot, mais ça donne surtout beaucoup de joie...


Il se met à taper les mains et à sauter de joie. Il n'agit ainsi que quand il voit arriver son père. Je regarde en arrière. C'est bien son père qui vient vers nous.


- Mon champion !

Il fait des grimaces qui font rire Camilo. Il lève les bras vers son père et gesticule follement pour qu'il le prenne de sa table à manger.

- Attends que papa se change. Autrement, tu saliras son nouveau costume.

- Pas grave, PAGE ! réplique-t-il en prenant son fils.


Je les regarde s'amuser en souriant intérieurement. Eliad a commis des erreurs par le passé, mais je n'aurais pas pu trouver meilleur père pour Camilo. Et j'avoue qu'il gagne de plus en plus d'estime dans mon cœur.

Cependant, un doute persiste en moi. Que dois-je faire ? Risquer mon cœur une fois encore ? Dilemme ! Dilemme !


- Allez, mon grand, je te laisse avec maman. Mais je reviendrai tout à l'heure et on parlera entre hommes.

J'ouvre les bras pour accueillir Camilo, mais il s'accroche à papa. Comme d'habitude !

- Bon, maman, je fais un tour en haut avec papa, puis je te reviendrai quand je serai endormi. Parce que même si je ne le dis pas, j'ai sommeil et je baille comme un ogre !


Je me surprends à sourire devant Eliad qui parle en imitant une voix d'enfant.

- Ok, Camilo. Je t'attendrai en haut dans ma chambre. Aurevoir !


Son père lève la main en signe d'aurevoir et Camilo fait pareil. Toujours en souriant, je regarde Eliad et ce gros gaillard de 8 mois s'éloigner.


8 mois déjà ! Comme le temps passe vite.

8 mois ! Et pourtant c'est toujours le statut quo entre Eliad et moi.

8 mois près de lui, sans pouvoir embrasser ses lèvres, sans pouvoir sentir ses bras autour de moi, sans pouvoir le sentir en moi... (Soupir).


Mais de quoi te plains-tu, PAGE ? Tu sais bien qu'il fait des efforts au quotidien pour se rapprocher de toi, que tu lui manques autant qu'il te manque, tu sais bien qu'il est un homme et que tous ces mois d'abstinence doivent être bien longs pour lui, qu'il peut vouloir aller voir ailleurs, mais tu continues de garder tes distances...


Tu le traites d'égoïste. Pourtant l'égoïste actuellement, c'est toi. A cause de ta peur de l'avenir, à cause de ta peur de souffrir, tu le laisses lui souffrir.


Mais n'ai-je pas le droit de me préserver cette fois-ci, de douter ? Oui j'en ai le droit. J'aime Eliad, mais lui ne sait pas aimer vraiment. Il te donne un semblant d'amour quand ça lui chante et c'est tout.

Je n'ai pas envie de repasser par tout ce que j'ai déjà vécu. Non. En plus, bientôt ce sera l'anniversaire de décès de son épouse et je crains qu'il sombre à nouveau comme à chaque fois et qu'il me tourne le dos une fois encore.…



Plus tard.

Eliad vient de s'en aller de ma chambre, après m'avoir ramené Camilo.

Je contemple mon fils endormi. Il ressemble de plus en plus à Eliad. (Sourire)


Eliad ! Mon dilemme. Je soupire bruyamment puis m'approche de la porte qui mène sur la terrasse. En passant, je remarque quelque chose d'inhabituel sur la commode de Camilo : une boîte à musique. Ce doit sûrement être Eliad qui l'a déposée là pour lui. Sûrement une compilation de berceuses. Curieuse, je suis.


Pour ne pas réveiller Camilo, je prends la boîte et vais sur la terrasse pour mettre la musique en marche. Je reste troublée par les paroles de cette chanson qui m'est apparemment destinée et qui parle à mon âme.


"Fais-moi une place au fond d' ta bulle

Et si j' t'agace, si j'suis trop nul

Je deviendrai tout pâle, tout muet, tout p'tit

Pour que tu m'oublies


Fais-moi une place au fond d' ton cœur

Pour que j' t'embrasse lorsque tu pleures

Je deviendrai tout fou, tout clown, gentil

Pour qu' tu souries


J' veux q' t'aies jamais mal, q' t'aies jamais froid

Et tout m'est égal, tout, à part toi

Je t'aime


Fais-moi une place dans ton av'nir

Pour que j'ressasse moins mes souvenirs

Je s'rai jamais éteint, hautain, lointain

Pour qu'tu sois bien


Fais-moi une place dans tes urgences

Dans tes audaces, dans ta confiance

Je s'rai jamais distant, distrait, cruel

Pour q' tu sois belle


J' veux pas q' tu t'ennuies, j' veux pas q' t'aies peur

J' voudrais q' tu oublies l' goût du malheur

Je t'aime


Une petite place, ici, maintenant

Car le temps passe à pas d' géant

Je me ferai tout neuf, tout beau, tout ça

Pour être à toi…

Fais-moi une place - Julien Clerc"



J'éteins la musique, puis sors de la chambre. A pas hésitants, j'avance en direction de la chambre d'Eliad…


Me voici devant sa porte. Je forme un poing et m'apprête à cogner quand soudain, je me ravise. Parce que je sais qu'il ouvrira sa porte, qu'il me laissera encore là dehors et que ça me frustrera.

Oui, PAGE, il vaut mieux que tu t'en ailles. Tu n'as rien à faire devant cette chambre là, dans laquelle tu n'as pas le droit d'entrer. Précipitamment donc, je quitte les lieux et vais m'enfermer dans ma chambre. De mes yeux, coulent des larmes.



* *

 *

Des jours plus tard


Aujourd'hui est un jour plein d'appréhension pour moi. Milena fête son anniversaire. J'apprête son gâteau en étant pleine d'angoisse.


 Ces derniers temps, je me suis davantage éloignée d'Eliad, me faisant plus discrète dans la maison.


Par moments, je regarde la cour à travers les vitres de la cuisine. Il est près de 12h et pourtant il n'y a aucun mouvement en bas. D'habitude, les proches d'Eliad viennent pour la messe à la chapelle.

- Les invités ne viendront que l'après-midi pour la fête d'anniversaire de Milena !

- Seulement l'après-midi ? demandé-je à Sarah.

- Oui, Nadia. Monsieur a dit qu'aujourd'hui, il n'y avait aucune commémoration en l'honneur de madame Camila.


Je suis hébétée.

- Tu ne le savais pas ?

- Non, dis-je faiblement.

- Il a sûrement dû oublier de te le dire. Et puis c'est quand même normal que monsieur agisse ainsi. Il se décarcasse pour te plaire, pour se racheter auprès toi, mais tu continues volontairement à rester sourde et aveugle. Fais attention, Nadia. Un homme comme ça là n'est pas facile à trouver de nos jours hein ! Il vaut mieux vite t'en occuper avant qu'une autre te le pique.

- J'en ai bien conscience Sarah, mais j'ai encore besoin de temps !

- Bah, comme tu veux ! Mais ne viens pas me dire après que je ne t'ai pas prévenue. Tiens, voilà la crème. On peut commencer à monter le gâteau.

- Oui, agréé-je, l'esprit toujours pensif.


* *

 *

Une semaine plus tard


Je suis là perdue dans mes pensées quand mon téléphone sonne. Un appel de l'étranger, on dirait. Car l'indicatif, je ne le connais pas.


Je manque chanceller en entendant la voix à l'autre bout du fil. Je me laisse choir sur une chaise et prend plusieurs respirations successives avant de répondre à mon interlocuteur.

- Madame Virginie, vous n'avez pas idée de…

Je suis tellement émue que je manque de mots.

- PAGE, ma fille. Je suis aussi émue que toi. Ça fait tellement d'années ! Un instant, j'active l'appel vidéo…. Voilà, c'est bon.

- Oui, madame ! Tellement d'années….

- Comme ça fait plaisir de revoir ton visage. Tu es restée toujours aussi belle, ma fille.

- Vous aussi. Mais comment avez-vous eu mon numéro ?

- Quelqu'un m'a appelé récemment et m'a dit qu'il était ton ami et que vous étiez très proches. Il a juste suffit qu'il donne ton nom pour que je me rappelle de mon élève préférée.

- Un ami, vous dites ? m'exclamé-je avec certitude.

- Oui, PAGE. D'ailleurs, j'ai enregistré son numéro. Je te l'enverrai tout à l'heure.


Nous papotons longtemps encore. Puis je raccroche, avec la joie au cœur. Je ne peux exprimer tout le bonheur que je ressens à l'intérieur.

Mon téléphone sonne. Un message de madame Virginie, avec le numéro de mon ami mystérieux. C'est le numéro… d'Eliad… Pour une surprise, c'en est une. Je souris en murmurant son prénom. Il ne cesse pas de me surprendre.


Je troque ma nuisette contre un vêtement plus décent, puis quitte ma chambre. Je me dois de remercier Eliad...


Près de deux minutes que je suis devant sa porte, hésitant à cogner. Finalement, je le fais et recule d'un pas quand je le vois, torse nu sur le seuil de sa porte.

- PAGE !

- Bon-soir Eliad ! bégayé-je en soutenant à peine son regard.

- Entre.

- Non, ce n'est pas la peine. Je tenais juste à…

- Quoi que tu veuilles me dire, on sera mieux à l'intérieur. Alors entre.

- C'est TA chambre et je ne…

- Je reconnais qu'avant je ne te laissais pas entrer. Mais plus maintenant. Alors entre, je t'en prie.

- Non, Eliad.

- Tu as peur que je tente quelque chose ?

Je secoue la tête faiblement en évitant son regard.

- Je ne te ferai rien que tu ne veuilles. Jusqu'à présent, je t'ai respectée et je continuerai à le faire. Alors entre.


J'acquiesce. Il me cède le passage et je me retrouve à l'intérieur d'une chambre que je méconnais. Je n'y suis rentrée qu'une fois, il y a bien longtemps, mais c'est suffisant pour remarquer que tout a changé : la peinture, le décor, le lit, les rideaux... Le plus étonnant, c'est qu'il n'y a plus de photos de son épouse sur les murs. En lieu et place, il y a deux grandes photographies de moi.


Je suis sidérée.


- Quand est-ce que tu as fait tout ça ? Je n'ai pas vu le moindre peintre ici, ni remarqué quoi que ce soit comme travaux. C'est de la magie ?

- Non, PAGE. Tous ces travaux ont été faits juste après la naissance de Camilo, précisément pendant ton séjour à la maternité.

- Depuis tout ce temps ! m'étonné-je.

- Oui, depuis tout ce temps, PAGE. J'attendais que tu viennes le remarquer par toi-même. Mais tu n'as jamais fait de démarches dans ce sens.

- Je… suis désolée, Eliad.

- Ce n'est pas bien grave. Tu viens de le découvrir, c'est l'essentiel... Au fait, tu étais venue pour me dire quelque chose. Je t'écoute.

- Oui, murmuré-je en continuant de contempler la chambre. Je voulais te remercier pour avoir contacté mon professeur. Elle m'a appelée tout à l'heure de l'Espagne et on a longuement conversé.


En parlant, je souris largement.

- Tu n'as pas à me remercier PAGE. Mon devoir, c'est de te rendre heureuse. Et tu le serais davantage si tu nous donnais une autre chance.


Mon cœur bat à tout rompre, surtout quand il approche son visage du mien

- Qu'est-ce que tu en dis, PAGE ?


Je ne peux plus le repousser. Je n'en sens plus la force. Je ne résiste plus. Je laisse mon cœur parler. Et ce qu'il me dit à cet instant, c'est de…m'emparer des lèvres d'Eliad. Ce que je fais aussitôt, m'accaparant de ses lèvres et les goutant encore et encore.


- Waouoh ! s'exclame-t-il. Dois-je prendre cela pour un OUI ?

- Oui, Eliad. Nous sommes de nouveau ensemble.


Il prend mon visage en coupe dans ses mains et m'embrasse avec fougue.

- Reste avec moi cette nuit !

- Camilo peut se réveiller à tout moment. Il faudra que je sois là près de lui.

- Son babyphone est là. On pourra l'entendre s'il se réveille.

- Pas cette nuit, Eliad. S'il te plaît.

- D'accord, j'attendrai, en espérant tu ne me feras pas trop languir encore. Mais reste quand même avec moi cette nuit. Et puis, cette chambre est désormais la nôtre et je veux que tu t'y installes. C'est compris ?

- Oui, Eliad... Attends, ta bague, tu t'es également séparé d'elle ?
- Oui, ça fait bien longtemps. Mais tu étais trop remontée contre moi pour le remarquer.
Je me mords les lèvres.
- Mais rassure-toi. Nous sommes à nouveau ensemble et c'est tout ce qui importe.
- Tu as raison.

Nous nous embrassons encore et encore, puis nous atterrissons sur le lit. Mes éclats de rire retentissent dans la chambre, tandis que les doigts d'Eliad me chatouillent.

- Arrête, Eliad !

- Non ! Tu m'as trop manqué, PAGE. Alors maintenant que je t'ai là près de moi, j'en profite. Bien sûr, en attendant que tu…


Il murmure des mots plutôt "hmmm" à mes oreilles. Je secoue la tête et tente de fermer mes oreilles.

- Je suis une mineure, Eliad.


Il s'exclaffe. Je le suis dans son délire. Que c'est beau d'aimer et d'être aimée en retour !












ÂMES SOLITAIRES