Chapitre 51
Ecrit par Myss StaDou
Chapitre 51
Assise dans le bus, je regarde la pluie taper sur les parois du véhicule. La pluie de Douala est mémorable. Qui a vécu dans cette ville côtière sait qu’elle peut durer des jours sans s’arrêter. J’ai été heureusement épargnée de ce calvaire durant tout mon séjour. Malheureusement dès Edéa, il s’est mis à pleuvoir si fort que même le chauffeur du bus a décéléré pour éviter tout accident. Tant mieux : La sécurité d’abord ! Je suis pressée d’arriver, pas de mourir.
Je n’ai pas fermé l’œil une seconde durant tout le voyage. Arrivés à Mbankomo, à l’entrée de Yaoundé, j’aurais bien souhaité appeler mon frère pour lui dire de venir me chercher. Mais en y repensant ça ne servira à rien. Ce sont les heures de pointe ! Et sans batterie, je ne pouvais que le biper avec mon cœur. Mais quand son cœur va vibrer, il va penser que c’est une de ses innombrables conquêtes qui pense à lui. Pas sa sœur !
Il est presque 19h à ma montre quand le bus se gare enfin à l’agence de Garanti à Yaoundé. Le chauffeur allume les lumières pour permettre aux passagers de récupérer leurs affaires et descendre du bus sans souci. Je me lève lentement de mon siège pour éviter d’avoir le tournis. Je suis déjà tombée une fois dans une agence de voyage. Je crois que ça suffit largement. J’essaie de remettre de l’ordre dans ma tenue, me passant une main dans ma jolie greffe posée à Douala et lissant rapidement mes vêtements de la main. Oh moins j’ai l’air moins débraillée qu’en partant !
Que penserait Victor s’il me voyait ? Pourquoi je pense encore à lui de cette manière ? L’amour est trompeur. Il m’a menti et trahi de la pire des manières. Je ne suis pas sûre que je peux lui pardonner ça aussi facilement. Même au nom de cet enfant que je porte… Que lui dirais-je ? « Mon bébé, papa a couché avec tata Carole ? » N’importe quoi ?! Et si Victor décide de se mettre avec Carole, l’épouser et lui faire des enfants ? « Tata Carole est aussi ta belle-mère ». Mon enfant et ceux de Carole seront doublement cousins. Quelle histoire ! Pardon, je ne souhaite pas autant de complications à un enfant. Il grandirait juste avec un lot de problèmes psychologiques liés aux erreurs posées par ses parents !
Je pense à tout cela avec beaucoup d’amertume, très en colère avec ma sœur de sang et l’homme a qui j’ai donné mon cœur. C’est alors que je crois apercevoir un visage connu, sur lequel j’ai d’ailleurs beaucoup travaillé. Il s’agit de Claire ! Mince ! Donc j’ai voyagé presque cinq heures de temps avec cette femme dans le même bus sans savoir… Je ne sais pas si elle a remarqué ma présence, mais j’espère le contraire. Je ne suis pas d’humeur pour un clash en ce moment. J’essaie donc de me faire discrète, me baissant pour récupérer mon sac à main que j’ai mis dans un coin près de moi, juste pour laisser le temps à Claire de descendre avant moi. Je laisse passer les autres passagers et descends parmi les dernières.
Étant montée parmi les derniers dans le bus qui était déjà sur le départ, mes bagages, ma petite valise et un sac que Josy m’a donné pour mettre toutes les affaires que j’ai ramené de Douala, attendaient déjà pas loin de la soute. Le temps de présenter mon billet au chargeur, je me baisse pour ramasser ces derniers et les ajuster sur mon corps.
Je me relève d’un geste vif et voulant avancer pour remonter la colline du parking derrière l’agence dans lequel était garé le bus, je vois Claire qui se tient pas loin de là, les bras croisés devant le corps, en train de me regarder intensément. C’est vrai que sur le coup j’ai eu un peu peur ; peur qu’elle décide d’intenter une action folle pour se venger de la « petite » bastonnade de l’autre fois. Et je vous assure que son regard n’est pas du tout plein d’amour. Bien au contraire. Il est chargé d’une haine, dont je devinais aisément la source.
Réfléchissons… Hum Ngono, quelle est la meilleure démarche à suivre ? Aller vers elle, l’affronter pour lui montrer que je n’ai pas peur d’elle ? Mais je sais que ça finira sûrement en bagarre… Ma grand-mère m’a prévenu d’éviter cela à l’avenir. Peut-être je peux même y laisser ma vie. Toutes ces réflexions pour quoi même ? Un homme infidèle et menteur ? Pardon, qu’elle le prenne cadeau ! Le mieux est de l’ignorer et de partir. Ce n’est pas mon amie pour que je la salue !
L’endroit étant rempli de gens, j’essaie de me faufiler pour sortir. Je ne peux m’empêcher de passer à quelques mètres de Claire. Je sens son regard sur moi et je me dirige la tête bien droite, pleine de fierté mais avec les genoux qui tremblent rapidement vers la sortie de l’agence pour attraper un taxi. J’essaie en vain depuis dix bonnes minutes de stopper un taxi pour Essos. Je me décide à prendre une course car cette journée a été riche en émotions. Je suis vraiment fatiguée et j’ai bien besoin de me reposer, poser la tête et réfléchir à tout ça. On dirait que depuis que j’ai appris que je suis enceinte tout mon corps pèse seulement une tonne. Mais penser à mes problèmes me tient bien éveillée.
Sincèrement, je ne sais pas où Claire est passée. Je jette un coup d’œil rapide autour de moi. La route grouille de monde, des gens qui stoppent des taxis et ceux qui vont à pied, les voitures personnelles et les taxis qui essaient de se frayer un passage dans toute cette masse. Je ne veux pas rester ici longtemps et elle en profite pour se venger. Que je parte vite d’ici !
Je parviens à trouver un taxi vide qui accepte de me prendre, mais à 2500Francs et seulement après de longs pourparlers. Quitte à rester dans les embouteillages des heures, et devoir ajouter de l’argent au chauffeur de taxi. Il n’y a pas de problèmes. Ma vie d’abord ! Pardon, nos vies d’abord ! Nous sommes déjà deux dans ce corps.
Assise dans le taxi, je me demande bien quelle situation je trouverais à la maison. J’espère que les images de ma sœur et de Victor s’effaceront vite de mon esprit. Car cela me brûle de l’intérieur depuis jeudi. Et le médecin a dit : pas de stress ! Dur de respecter ça, quand la vie te gifle de partout. L’esprit ailleurs guidée par la mélodie d’une chanson des X-Maleya «Yelele » qui s’égrène de l’autoradio du taxi, je regarde cette ville si belle et riche en couleurs et je me demande quand est ce que ma vie ressemblera à cette dernière.
Dû aux embouteillages, nous arrivons après un long moment devant mon entrée. Le temps de régler la course, porter tous mes sacs, je me dirige avec beaucoup de lenteur vers la maison. Heureusement Junior se tient dehors avec une fille du quartier. Il me voit venir et se dirige en courant pour venir me prendre mes bagages. Après une accolade, il me regarde un moment avec sourire :
− Merci Papi, dis-je, soulagée. Que ferais-je sans toi ?
− Grande sœur, je suis heureux de te voir en un morceau. As-tu bien voyagé ?
− Oui, merci. Tout s’est bien passé. Juste la pluie qui nous a accompagnés depuis Edéa. Donc imagine la vitesse de tortue ! Depuis 14h que nous sommes en route !
Junior éclate de rire :
− Mince, un peu comme ça, tu faisais la durée d’un aller-retour.
− Tu parles comme si tu blagues mon frère. Je suis tellement fatiguée !
− Je comprends. Viens, on dépose tes affaires à la maison.
− Hum, maugrée-je avec méfiance. Attends d’abord … Les parents sont déjà rentrés ?
− La mère est rentrée l’après-midi avant de ressortir, dit-il en réfléchissant. Papa est allé voir un collègue endeuillé. Je ne sais pas quand ils vont rentrer.
− Ok, tant mieux. Je peux d’abord dormir chez toi ? Après ce qui s’est passé l’autre jour, je ne peux plus dormir dans le même lit que Carole, pardon.
− Je te comprends. Mais bon, il faudra de toutes les manières qu’on parle. Mais entre d’abord poser tes valises. Tu dois être fatiguée.
− Et j’ai envie grave d’aller aux toilettes.
Nous entrons dans la maison et tandis que je fonce aux toilettes, Junior va poser mes valises dans sa chambre. Ce n’est qu’en me lavant les mains, que je repense à l’état dans lequel j’étais en sortant de cette maison jeudi. Je rejoins Junior alors qui était assis sur le lit dans sa chambre.
− Gars Papi, j’avais laissé mes choses au salon jeudi en partant…
− Les affaires qui étaient éparpillées par terre ?
Je secoue la tête en guise d’affirmative.
− J’avais arrangé ça en arrivant. Ensuite j’ai posé ton sac dans ta chambre.
− Ok, c’est bien, dis-je, rassurée.
Je m’assieds sur le lit et pousse un soupir de fatigue.
− C’est toi qui as pris l’argent où tu sais ? demande Junior avec inquiétude. Il manque 70.000Francs.
− Oui. Dans la précipitation seulement. Je voulais seulement partir d’ici. Je n’ai même pas compter combien j’ai pris.
− J’ai deviné que c’était toi. Mais je voulais être sur.
− Ok, dis-je en poussant un grand soupir bruyant. Ce n’est pas possible… J’ai tellement faim. Je ne vais pas demander si on a préparé dans cette maison aujourd’hui. J’ai envie de manger le poisson braisé. Tu m’accompagnes ?
Junior se frotte le menton en souriant :
− La mère de la nourriture est de retour. Ok. J’avais même une petite faim…
− C’est ça même ! C’est une nouvelle faim ? demandé-je en riant.
Je prends 5.000Francs dans mon portemonnaie et nous sortons de la chambre. Chez une braiseuse de poissons pas loin de notre maison, nous passons la commande de deux maquereaux braisés avec des bâtons de manioc. Son étal est situé dans le même complexe qu’une vente-à-emporter, ce qui nous permet de commander des jus en attendant le repas. Ça ne fait que quelques minutes que nous sommes installés quand Junior pose son verre et après m’avoir observé un moment attentivement, il aborde le sujet qui brûle.
− Nini, depuis que tu es là, tu n’as pas dit grand-chose sur ce qui s’est passé jeudi…
− Que voudrais-tu que je te dise ? J’ai essayé de te dire ce que moi j’ai vu au téléphone. Ça ne suffit pas ?
− Redis-moi encore, s’il te plaît. Je ne te comprenais pas bien quand tu parlais au téléphone.
Je pousse un soupir en regardant les gens autour de moi. Il me faut de la force pour pouvoir parler de ces images douloureuses sans devoir devenir directement hystérique.
− Je suis rentrée plus tôt de la FAC. Je pensais seulement à prendre la route pour Douala. J’ai trouvé ta grande sœur Carole et « mon » Victor, si je peux même encore l’appeler ainsi, en train de prendre du bon temps sur notre lit.
− Et après ?
− Après quoi ? Carole m’a bien nargué et prié de libérer les lieux pour continuer ce qu’ils faisaient. Tout ça sans que Victor ne dise rien. L’imbécile a juste appelé quand je voulais sortir ! Les hommes sont vraiment méchants ! Comment il a pu me faire ça ? ! E ah nna !
− Ok, je vois. Tu dis que Victor n’a pas parlé durant tout votre échange ?
− Weh Papi, ne viens pas n’énerver avec tes questions bizarres ! m’écrié-je, vexée. Tu veux que je te dise ça en quelle langue ?
− Ok, ça va. Ne te fâche pas. J’ai compris.
Je tchipe.
− Mangeons d’abord. Nous allons continuer à parler de cela plus tard.
La braiseuse nous apporte alors nos poissons et nous mangeons en silence. Parler de cette scène a failli me couper l’appétit. Mais le genre de famine qui tord mes intestins là, je dois seulement manger. Junior sort alors son téléphone de sa poche et compose un numéro.
− Allô gars, c’est comment ? demande-t-il à son interlocuteur… Tu es à la maison ? … Non, pas maintenant. On mange le poisson là en route... Ok. Tout à l’heure. Je te bipe quand on se met en route.
Il raccroche avant de remettre le téléphone dans sa poche et se prépare à se laver les mains. Sa conversation m’a bien intriguée.
− Papi, tu parlais avec qui ?
− Stéphane.
− Que veut-il ?
− Ah, il veut te parler. Nous irons le voir après.
− Me parler ? m’exclamé-je, surprise. Pour quoi encore ?
− Il te le dira tout à l’heure.
− Papi ?
− Je t’ai dit tout à l’heure eh. Je ne suis pas Stéphane !
− Ok, ça va. J’ai compris.
Nous mangeons nos poissons en silence. La musique qui provient de la vente-à-emporter tout près rythme notre repas. A la fin du repas, je règle la facture et nous nous dirigeons de nouveau vers la maison. Junior fait son bip et nous nous avançons vers le portail. Je suis assez intriguée par son attitude. Mais j’espère que Stéphane pourra rapidement m’éclairer. Quelques instants plus tard, je vois ce dernier venir vers nous en souriant. Il s’approche et vient me prendre dans ses bras dans une accolade assez chaude et fraternelle.
− Hein ? m’exclamé-je, surprise.
− C’est comment, Nicole ? demande Stéphane. Je suis très heureux de te voir en forme.
− Ok… Ça me réjouit de le savoir.
− Tu es enfin rentrée.
− Oui, dis-je, un peu narquoise. Il le fallait bien un jour.
− Ok. Pouvons-nous aller nous installer quelques minutes chez moi, s’il te plaît ? J’ai besoin qu’on discute.
Je regarde Junior en coin, un peu inquiète de tout ce qui se tramait en ce moment et les mystères qu’ils faisaient tous les deux. Junior me regarde avant de jeter son visage loin, comme pour que je ne puisse pas lire l’expression qui est sur son visage.
− Rien de grave, j’espère ?
− Pas vraiment. Junior viendra de toutes les manières.
− Ok. Ça va alors. Allons-y.
Je suis assez intriguée par l’attitude de Stéphane. Il a l’air très grave en me parlant. J’espère que rien n’a commencé à se tisser entre nos familles en mon absence. Avec l’engouement de ma mère et de la sienne, j’ai déjà peur. Dans ma situation actuelle, je ne peux pas être enceinte d’un homme et en épouser un autre. Si ma mère apprend ça, je suis morte en guerre !