Chapitre 54

Ecrit par Myss StaDou

Chapitre 54


J’observe ma sœur un court moment. J’ai la rage remplie dans le cœur. Carole… Mon propre sang, me trahir de la pire manière. Je ne sais pas par où je vais commencer pour l’insulter.

 

− Junior, lâche-moi ! gronde Carole. C’est quoi avec toi ?

− Tais-toi ! intervient mon père. C’est quoi ? Carole, es-tu devenue folle ?

− Ah. Mais c’est lui…

− Tais-toi ! la coupe Papa en se levant. Tu oses me répondre ? Tu te crois où, madame ? Dans la cour du roi Pétaud peut-être … Tu vas vite te taire et te calmer. C’est moi qui parle ici !

 

Maman s’adresse à Papa en levant la main pour attirer son attention :

 

− Ça va. Assieds-toi. Je crois qu’elle a compris.

− Mais vous trois, vous vous croyez où ? demande Papa. Depuis quelques temps, vous vous êtes découvert des talents de boxeurs… Bagarre par ci, bagarre par là…

− Bagarre ?

− Qu’est-ce qui vous prend de vous battre les uns contre les autres ? Et toujours la même personne contre les autres… Carole quel est l’esprit malsain qui te dérange, ma fille ?

 

Papa la toise du regard avant de se rasseoir, essoufflé. Je ne comprends pas grand-chose à cette scène d’énervement. Que s’est-il passé en mon absence ?

 

− Excusez-moi, mais qu’est-ce qui se passe ? demandé-je.

 

Maman frappe dans ses mains, dépassée :

 

− Ah… Vous n’allez pas me tuer dans cette maison ! Vous les enfants ! Ce n’est pas Papi et Carole qui voulaient se tuer ici ?

− Quoi ? demandé-je en me tournant vers les deux qui se tenaient toujours debout. Vous voulez tuer pour quoi ?

 

Silence totale. Personne n’ose parler de peur de se ramasser les foudres du père.

 

− Ma’a ?

− Je ne sais pas ! Ton frère était en train de nous expliquer la raison quand tu es arrivée.

− Ma’a, éclaire-moi, je t’en prie.

− Ton père et moi venions à peine de rentrer. Nous étions couchés dans la chambre quand nous avons entendus des éclats de voix, puis comme si des gens se battaient.

− Hein ?

− Nous avons même cru que c’était des bandits oh… Alors que Papi et Carole étaient en train de se déchiqueter ici comme des lions. Nous avons pu les séparer malgré tout. Eh Dieu, me faire subir une pareille scène alors que je suis encore convalescente ! Mais Carole !  Tellement ta sœur était agressive que votre père l’a enfermée dans notre chambre le temps de voir plus clair dans tout ce qui se passe.

− Je vois. Mais pourquoi tout ça ? 

 

Papa tchipe ce qui emmène tout le monde présent à le regarder.

 

− Papi nous expliquait que c’est à cause de toi. Apparemment il y aurait eu un cas dans cette maison la semaine dernière et nous n’en savions rien. Et si ces deux-là, dit-il en pointant mon frère et ma sœur, en viennent à se battre, ce doit être grave.

 

Hum… Je commence à avoir peur. Cette histoire risque d’être bientôt hors de contrôle. Je ne veux pas qu’il y est mort d’homme. Tout ça sous le toit des parents. Carole piaffe de colère. C’est évident qu’elle est en très mauvaise posture. Je porte mon regard sur Junior, qui arrête Carole comme un naufragé arrête sa bouée de secours. Lui aussi ne voulait pas la lâcher ?

 

− Junior, tu leur as dit quoi exactement ? demandé-je avec inquiétude.

 

Il fallait prendre la situation avec des pincettes. Victor est mon copain oui, mais ma mère veut Stéphane. Si je m’amuse, tout va se gâter.

 

− Juste la vérité, dit Junior. En rentrant des cours jeudi dernier, tu as trouvé Carole avec un homme que tu fréquentes. Sous la colère, tu es partie. Il s’est avéré ensuite qu’elle a drogué le gars pour en arriver là.

 

Il jette un regard plein de dédain à Carole :

 

− Et ce n’est pas bien. On ne fait pas ça à sa sœur !

− Mouf, dégage ! l’insulte Carole. En quoi ça te concerne ? Que connais-tu de la vie ?

− Tais-toi ! gronde Papa. Il en sait apparemment beaucoup plus que toi sur le respect de la famille. Qu’est-ce que tu as fait comme ça ?   C’est l’enfant de quelqu’un !

− As-tu seulement pensé aux conséquences, ma fille ? demande Maman. Eh anti zamba ! Carole, tu vas me tuer dans cette maison !

 

Papa se tourne vers moi :

 

− Nicole, Junior nous dit que tu dors maintenant dans sa chambre. C’est vrai ?

− Oui Papa. Je ne peux plus partager la même chambre que Carole. Sincèrement, je ne la reconnais plus. Je ne sais pas de quoi elle est capable.

− Ya ah Ngon’, ne joue pas les victimes ici. Laisse ça ! dit narquoisement Carole.

− Jouer quelle victime ? Tu trouves ça drôle peut-être ? Ça t’amuse de jouer avec les sentiments des gens ?

− Je m’en fous de toi ! Tu entends ?!

− Je suis ta sœur, Carole. Ta PE-TI-TE sœur… dis-je, mordue par la déception. Pas ta camarde de classe ou ta pote des ambiances.

 

Maman se lève, écœurée.

 

− Carole, tu es possédée ou quoi ? Parce qu’il faut déjà me dire. Ton cas n’est pas perdu. Je vais t’emmener chez l’homme de Dieu TB Joshua au Nigeria, il va te soigner.

 

Carole éclate de rire.

 

− Je n’ai rien à faire chez celui-là. Je vais très bien.

− J’en doute fort ! Qu’est-ce qui t’a piqué d’aller droguer l’enfant d’autrui ?

 

Carole tchipe et détourne le visage.

 

− Où est même l’homme en question ?

− Je sais ? Demandez à Nicole, dit Carole.

 

Papa tchipe :

 

  Toi… Ta sale bouche va te mener à ta perte !

 

Il se tourne vers moi.

 

− Il est où ?

− Papa, je ne sais pas. Sa cousine m’a dit qu’aux dernières nouvelles qu’il était à l’hôpital. Depuis je n’ai plus aucun contact avec lui.

 

Ma mère porte ses deux mains sur sa tête et se met à crier en regardant Carole.

 

− Hôpital ? Tu as dit hôpital ? Carole, ma fille, qu’as-tu fait ? Et si cet homme est mort ?

− Je ne sais pas, balbutie Carole. Je ne pense pas…

− Tu ne penses pas à quoi ? lui demandé-je. Tu n’as pas pensé à la gravité de ton geste ce jour-là ?

− Ce n’est pas le but. Je ne pensais pas que ça irait si loin, dit-elle, embarrassée.

− Wokolo ! s’écrie Maman. Carole m’a tué ! L’enfant d’autrui ooooh.

 

Je me lève et m’approche de Carole.

 

− Carole je te jure, c’est par respect pour les parents que je ne t’ai pas claqué depuis. Tu me connais. Si ce n’était pas l’esprit de la grand-mère, je t’aurais bien dosée ici aujourd’hui. Tu es folle à lier. Tu es malade !

− Mouf, quelle grand-mère ? Ne me parle pas comme ça !  C’est quoi ?

− Tu as vu ce que tu as causé ?

− Et puis quoi ?

 

Elle tire ses bras de Junior et nous regarde, dégoutée. Elle passe son regard de moi, à Junior puis aux parents.

 

− Regardez ! Regardez comment vous me traiter pour un homme quelconque. Un inconnu ! Un étranger.

− On te traite comme tu veux qu’on le fasse ! lui dit Papa. Mesures-tu seulement les conséquences de ton acte ? Voilà ta petite sœur qui a peur de toi au point où elle refuse de dormir près de toi… Si ta petite sœur n’est pas capable de te faire confiance, qui le fera ?

 

Carole  me toise avec un regard dédaigneux :

 

− Ah, si ce n’est que elle, on peut largement s’en passer.

− C’est quelle langage ça ?  demande Maman. Peut-être Nicole a-t-elle raison de te fuir ?

− Vous ne pouvez pas comprendre, dit Carole d’une voix rauque.

− Comprendre quoi ? demande Papa. Que ce que tu fais dehors t’intoxique au point où tu en arrives à tenter de tuer les gens ?

− Je ne voulais tuer personne !

− C’est ça ! interviens-je. Tu voulais seulement me donner un arrêt cardiaque ! Sur notre lit, Carole ? Tu n’as même pas honte !

− Zamba ! s’écrie Papa sous le choc. Vous ne respectez même plus les lois de cette maison. Vous faites honte à vos ancêtres qui veillent sur nous ici tous les jours. À ce rythme, vous apporterez le malheur dans ma famille.

 

Junior et moi nous guettons sans mot dire.

 

− Vous deux, venez vous asseoir ici. Je crois qu’il est temps que je fasse un peu de ménage dans cette maison.

 

Junior et Carole viennent s’asseoir dans le salon, à bonne distance l’un de l’autre. Papa reste silencieux un moment, semblant réfléchir à la bonne décision à prendre. Carole me regarde, les yeux plein de haine. Je ne sais pas ce qui la motive d’agir de la sorte. Voulait-elle être avec Victor ou j’ai interrompu leur histoire ? Elle m’a dit le connaitre depuis par une amie.

 

− Je vois que vous estimez déjà être assez grand pour faire et décider ce que vous voulez dans cette maison, dit Papa. Junior, je veux que tu continues à te concentrer sur ton école. On attend les résultats du Bac. Et j’espère que tu vas passer.

− Je vais le faire, dit Junior.

− Par rapport à tout à l’heure, j’ai compris que tu as voulu défendre Nicole. Mais ce n’est pas bien de frapper sur son ainée.

− Je demande pardon, murmure Junior. Je me suis laissé emporter quand elle m’a insulté.

− Ok, dit Papa en me regardant. Nicole, toi au moins tu vas à l’école. Mais ta mère et moi t’avons déjà parlé, ainsi qu’à ta sœur. Je vieillis et je ne pourrais plus m’occuper longtemps de vous. Ta mère m’a dit que tu as déjà un prétendant sérieux. Concentre-toi sur celui-là et fais en sorte qu’il concrétise vite les choses. Il va peut-être te ramener en Europe avec lui.

− Mais Papa….

− Il n’y a pas de mais ! Je ne veux plus entendre d’opposition dans cette maison.

− Ok, murmuré-je, déçue.

− Quant à toi Carole, je veux d’abord que tu demandes les excuses à ta sœur pour ce que tu as faites avant de continuer.

− Jamais de la vie ! crie Carole.

− Tu dis « jamais » ? demande Maman. Es-tu devenue folle ? Demande-lui les excuses au plus vite. Ton père te parle, tu fais jusqu’ à répondre. Impolies comme ça !

− Ma’a, dis ce que tu veux hein. Mais si c’est Nicole… Jamais !

− Ekie ! s’exclame mon père. Quelle obstination ! Donc tu es déjà trop grande au point de jeter mes ordres en brousse.

 

Carole tchipe.

 

− Ok. Il n’y a pas de souci, dit Papa. Comme tu as la force de faire ce que tu veux, de découcher comme tu veux, tu ne dormiras plus sous mon toit, tant que tu n’auras pas demander des excuses à ta sœur !

 

Il se lève et pointe la porte :

 

− Sors de chez moi !

− Mais Papa…

− J’ai dit de sortir immédiatement de chez moi ! Et que ça saute ! Avant que je ne vienne te botter dehors ! Quand tu te souviendrais des manières et des valeurs que ta mère et moi vous avons appris, tu reviendras. Sors !

 

Maman est rongée par l’inquiétude :

 

− Mais…

− Non ! Ne te mêle pas de ça ! la coupe Papa. C’est ton cœur tendre qui a gâté ces enfants. Elle doit comprendre que la vie n’est pas un cadeau du ciel.

 

Maman pousse un faible cri de tristesse. Carole se lève tout doucement et sort sur la véranda. Elle m’a lancé un de ces regards plein de haine en sortant. Je ne sais pas vraiment quel est le problème de cette fille.  Du jour au lendemain, elle commence à avoir des attitudes bizarres envers moi, comme si je lui avais fait quelque chose de mal. C’est l’homme qu’elle veut ? De nous deux, c’est elle qui est toujours dehors, avec des hommes différents. Elle ne va pas me dire quand parmi tous ceux là, il n’y a même pas un avec qui elle pouvait engager une relation. Sérieuse. Quand même ! Les hommes d’aujourd’hui sont de vrais bandits, ninja en puissance. Mais pas à ce niveau. Pas au point de vouloir arracher celui de sa petite sœur !

 

Papa nous fait signe à Junior et à moi de sortir du salon. Nous nous levons et allons dans la chambre de Junior. Une fois la porte fermée :

 

− Papi, qu’est-ce qui t’a pris ? Bagarrer avec Carole ?

− Que c’est moi ? se vexe-t-il aussi face à la remontrance. C’est elle qui m’a frappé en premier !

− Comment ça ? 

− J’étais couché ici quand j’ai entendu du bruit dans votre chambre. Comme je sais que si c’était toi, tu te serais d’abord arrêté ici, j’ai compris que c’était elle qui rentrait enfin. Quand je suis donc allé lui parler. Je l’ai confronté avec ce que tu m’as dit et quand je lui ai demandé pourquoi elle a fait ça, elle m’a frappé. Regarde ma joue, Nini.

 

Je m’approche et touche la belle peau du visage de mon petit frère. Elle ne l’avait pas raté avec ses ongles.

 

− C’est terrible ça. On dirait que tu t’es battu avec une bête sauvage.

− C’est peu dire. Elle m’a griffé, botté en criant comme une folle. J’ai serré le cœur au début, Mais quand elle a dit que tu n’as eu que ce que tu méritais, j’ai vu rouge et j’ai frappé en retour.

− Que j’ai eu quoi ? Mais la fille là rêve ou quoi ? Je lui ai fait quoi, mon Dieu ? C’est vrai que la sanction de Papa était rude mais je ne peux décemment plus vivre avec elle. C’est trop risqué.

− Ah ça !

 

Nous restons enfermés dans la chambre jusqu’en début de soirée où crevant de faim, j’envoie mon frère nous acheter des beignets en route. En son absence, je décide d’appeler Jeanne. Oui, je sais. Moquez-vous ! J’ai fait la gueule tout à l’heure que je ne l’appelle plus, je ne le cherche plus. Mais vous savez que le cœur de la femme est faible. J’appelle plusieurs fois. Ce n’est qu’à mon troisième appel qu’elle décroche.

 

− Allô ? dit-elle, essoufflée.

− Allô Jeanne. C’est comment ? J’espère que je ne t’interromps pas dans…

 

Jeanne pousse un petit rire.

 

− Eh pardon ! Est-ce que ma vie c’est ça ? Je ne suis pas comme certains qui ne font que ça…

− Ouais, c’est ça. Profite pour te moquer de moi. Je n’ai pas pu te voir aujourd’hui pour te parler. Mais dis-moi, tu as du nouveau sur Victor ?

− Ekie ! Depuis là ? Tu n’as toujours pas de ses nouvelles ? s’exclame-t-elle, surprise.

− Non. C’est pour ça que je viens vers toi.

− Je ne l’ai pas eu depuis. Mais j’ai eu ma mère cet après-midi. Elle m’a dit qu’elle l’a laissé dans une clinique à Tsinga, chez un ami à elle le jeudi soir. Il lui a assuré que tout irait bien. Quand elle est repassée le vendredi à midi, les infirmières lui ont dit qu’il était parti depuis le matin.

− Parti ? Je ne comprends pas.

− Toi aussi ! Je n’ai pas dit qu’il est mort. Mama, c’est que je suis déjà en mode deuil depuis. Il s’est déchargé lui-même le matin, vu qu’il s’est réveillé dans la nuit.

− Mais il allait vraiment bien ? demandé-je, rongée par l’inquiétude.

− Je ne sais pas, vu que je n’étais pas avec lui.

− Désolée si je t’embête avec mes questions.

− Ah, ça va.

− Mais il est où maintenant ? Ça fait des jours que je le cherche partout. S’il est sorti depuis, ce n’est pas normal qu’il ne fasse pas signe de vie.

− Après ce qu’il a vécu, on peut quand même le comprendre. Il aurait pu y laisser sa vie !

− Je sais ça et j’en ai honte, crois-moi.

 

Jeanne garde un silence qui augmente mon embarras.

 

− Ok. Merci de m’avoir renseigné. Je vais te laisser. Tu dors bien.

− À demain. Bye.

− Bye.

 

Je raccroche, quand même rassuré par ce que je viens d’apprendre. Une chose est sûre : Victor est en vie. Enfin j’espère… Peut-être a-t-il fait un choc quelque part, chez lui, au bureau, en route ? Mais personne ne sait. Ou il ne veut tout simplement plus avoir de contact avec moi ? Si c’est ça, ça a cuit ! Dans ma situation, je ne pouvais pas me permettre le luxe de le laisser me quitter. Non ! Comment vais-je faire avec l’enfant ?

 

******

 

Les jours qui suivent se passent toujours dans l’incertitude la plus totale. Je vis dans une grande absence qui me met très mal à l’aise. Je ne sais pas comment gérer la disparition de Victor. Le plus dur est ma grossesse qui commence déjà à se faire sentir. Je me sens très lourde le matin, difficile de vraiment manger avant 9h. Mais après c’est fringale toute la journée. On dirait que cet enfant là n’attendait que le diagnostic du docteur pour se manifester comme ces autres frères bébés dans les ventres de leurs mamans.

 

Je passe toute la journée du vendredi à composer. Ensuite il faut réviser avec les camarades. Une fois le week-end venu, je dois aider Maman à la maison avec les tâches ménagères. Papa et elle sortent très tôt le dimanche pour aller à la messe puis chez un cousin de Papa pour préparer la dot du second fils de ce dernier.

 

Bien que le médecin ait dit que je dois éviter les situations de stress, je ne peux m’empêcher durant toute la journée de réfléchir à cette situation. Où est passé cet homme ? Je sais que les hommes sont champions pour fuir quand on leur annonce qu’ils vont être père. C’est facile d’oublier quand on prenait du plaisir entre les cuisses de sa compagne ! Mais celui-ci ne sait même pas encore, il  a déjà fui ? Quel genre de malchance !

 

 Je suis là à me poser des milliers de questions auquel seul le vent répond. Cela me stresse tellement que je décide de créer une fausse sortie juste pour me détendre. Il est 19h. Je veux bien sortir. Mais pas seule avec Junior. Il est quand même encore jeune. Je prends mon téléphone et appelle Stéphane. Il décroche à la deuxième sonnerie :

 

− Allô ?

− Allô Nicole ? C’est comment ?

− Ça va  et toi ?

− Ça va, dit-il sur un ton très diplomatique. Que vaux l’honneur de cet appel ?

− Tu aimes me taquiner ! remarqué-je en riant. Ce n’est rien de grave, t’inquiète.

− Tant mieux alors, ma belle, dit-il en riant.

− Je voulais sortir un peu avec Junior. Aller prendre un pot. Ça te dirait de venir ?

− Hum…

− Désolée, si je te dérange. Je sais que c’est un programme de dernière minute. Mais…

− Pourquoi paniques-tu ? Je regardais juste dans mon agenda totalement vide quand est ce que je peux sortir avec vous. Bien sûr que j’ai le temps.

− Tu es terrible ! J’ai même eu peur.

− Calme ton cœur. Ne vois pas le mal partout.

− Je sais. Désolée, dis-je, embarrassée.

− Le programme, c’est quoi alors ?

− Disons qu’on se prend d’ici 21h, ça te va ?

− Il n’y a pas de souci. Juste une chose.

− Laquelle?

− C’est moi qui gère.

− Ok. Si ce n’est que cela, tant mieux pour ma poche. Mais si tu gères, on peut d’abord aller manger.

 

Stéphane éclate de rire.

 

− Je savais que tu proposerais cela. Je te connais déjà un peu. C’est comme tu veux. C’est toi qui nous emmèneras de toutes les manières.

− Mince ! C’est bien d’être ton amie. Tu étais où depuis ? Bon, on se dit à tout à l’heure.

− À tout à l’heure.

 

Je raccroche en souriant. Cet homme a failli me faire peur pour rien. Je devais quand même le voir pour ne pas gâcher ma couverture. Je vais réveiller Junior qui était allongé sur le canapé au salon. Le temps de nous préparer, nous sommes déjà dehors à 20h30. Heureusement que Stéphane a été aussi rapide que nous. Il nous retrouvons devant le portail. Après une bise rapide, nous nous mettons en route pour la Mobil Omnisport, au carrefour juste après la station. Ce n’était pas loin de l’endroit où je prenais mon car pour Soa les matins.

 

En soirée, on braise souvent le poisson à cet endroit. Je n’avais pas envie d’aller manger dans un grand restaurant ce soir. Nous mangeons nos poissons merveilleusement assaisonnés du bout des doigts. Je vois comment Stéphane savoure le sien :

 

− C’est comment ? Ça t’a manqué ?

− Un peu quand même. C’est vrai que je ne sortais pas à l’époque où j’étais ici. Mais je me souviens toujours de la bonne nourriture de chez nous.

− C’est bien si je peux te faire plaisir.

 

Il dit cela, mais je sens bien que sa voix est lourde.

 

− Mais j’aurais aimé vivre cela avec elle, dit-il avec tristesse.

− Qui ? Jamila, c’est ça ? 

− Tu t’en es souvenu ? demande-t-il avec un sourire ravi. Oui, c’est son prénom. Je lui avais fait la promesse de l’emmener découvrir Yaoundé by Night. Juste pour changer un peu de milieu. J’ai hâte de la retrouver, tu ne peux pas imaginer.

 

Cette situation me gêne un peu et je ne sais pas vraiment quoi dire pour ramener le Stéphane jovial que je connaissais. Je guette Junior qui mangeait en silence. Je pensais être la seule connaitre la vérité :

 

− Junior, tu es au courant ?

− Oui, il m’a dit la vérité depuis le début.

− Je ne pouvais pas lui cacher ça, intervient Stéphane. Et il me couvre aussi donc…

− Ok, dis-je. C’est vraiment difficile comme situation.

 

Je pose une main réconfortante sur celle de Stéphane.

 

− J’imagine que ce que tu dois vivre est difficile. Je traverse moi aussi un sale moment. Mais je ne veux pas me laisser abattre.

− C’est triste quand même.

− C’est grave. J’ai déjà cherché Victor partout. Et personne n’arrive à me donner de ses nouvelles.

 

Stéphane reste silencieux et lance un coup d’œil rapide à Junior avant de baisser la tête rapidement. Mais j’ai vu cet échange. Je me tourne alors vers Junior qui se gratte l’oreille –   signe qu’il est gêné – et a l’air tout d’un coup très occupé à lire l’affiche publicitaire qui est collé sur le mur à côté de lui. Leur comportement n’est pas normal. Qu’est-ce qu’ils complotent encore ?

 

− Junior !

 

Junior sursaute sur sa chaise :

 

− Hmmm.

− Regarde-moi quand je te parle.

 

Il tourne enfin la tête vers moi, mais fuit clairement mon regard.

 

− Papi, parle-moi. Tu sais quelque chose sur Victor ?

 

Il me jette un regard gêné avant de baisser la tête. Sans rien dire, il se gratte la nuque et fixe sa bouteille de Top Pamplemousse. Eh Dieu, ce garçon va me tuer d’impatience !

Mon amour, mon comba...