Chapitre 57
Ecrit par Myss StaDou
Chapitre 57
Je reviens tout doucement à la réalité. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis affaissée de la sorte. Mais je dois y être restée trop longtemps, car j’ai des crampes qui se sont formées dans ma jambe gauche. J’ai vraiment mal. Je pense bien à tendre mon bras et essayer de masser le muscle. Mais je n’ai pas la force de faire le moindre geste. Ce sont des coups forts frappés sur la porte qui me font sursauter. De peur, je rate une respiration, ce qui entraîne immédiatement le hoquet chez moi. Les coups se répètent :
− Nicole, ouvre, dit Junior.
− Oh… hec (hoquet)…C’est quoi ?
− C’est moi qui dois te demander cela. Ouvre alors.
− Hec… Laisse-moi d’abord… hec.
− Non, je refuse. Ouvre. Je veux te parler.
− Weh. Hec…Toi aussi.
− Ouvre !
Depuis quand cet enfant est-il devenu entêté comme ça ? Tu lui parles, il ne t’écoute pas. Je ferme les yeux et pousse quelques respirations lentes et bloque mon souffle pour faire passer le hoquet. Au bout de quelques secondes, ça marche. C’est avec beaucoup d’efforts que j’essaie de bouger déjà pour lever mon corps et quitter du bas de la porte et tourner la clé dans la serrure. Mes mouvements sont trop ralentis par la fatigue. Junior ouvre immédiatement la porte d’un geste brusque, me frappant ainsi le bras droit.
− Attention ! Tu m’as fait mal !
− Désolé.
Il m’observe et je reste plantée là, essayant de puiser la force en moi de pouvoir me déplacer jusqu’à mon lit.
− Aide-moi à aller jusqu’au lit.
− Hein ?
Il prend ma main et me conduit vers le lit où je m’assieds en douceur. Toutes les cellules de mon corps picotent. Entre douleur et peur, je crois que toute la machine est tombée en panne. Junior se tient devant moi et me regarde.
− Tu vas enfin me dire ce qui se passe ?
− Je reviens de loin, murmuré-je.
− Comment ça ?
− Un peu comme ça, j’allais sortir à Canal 2 International (chaine camerounaise) : Tu allais me voir dans les faits divers. Une jeune étudiante a trouvé la mort à la suite d’une bastonnade devant le campus de l’université de Soa…
− La mort ? De quoi parles-tu ?
− Mon frère, on a failli me lyncher. Je ne dois la vie qu’à mes talents de sprinteuses. Heureusement que j’étais forte en Ndòchi (jeu d’enfant) quand j’étais petite, c’est que la femme m’aurait tué avec les gifles.
− Quelle femme ? Tuer pourquoi ?
− Que sais-je ? Ce n’est pas la mère de Victor ?
− La mère de Victor ? Où l’as-tu vu ?
− Elle est venue avec un colosse à Soa et a décidé de me régler mon compte en pleine route. Massa ! J’étais avec Jeanne. Elle a essayé de lui parler. Mais niet. J’ai seulement trouvé un petit trou et j’ai fui en sautant dans un car qui revenait en ville.
− Mais pourquoi ?
− Toi aussi ! Arrête de me poser cette question. Si je savais, je te dirais. Elle m’a accusé de vouloir tuer son fils. J’ai vu Victor où depuis ?
− Hum… Ça n’aurait pas trait avec l’histoire avec Carole ?
Je réfléchis un instant et trouve quand même sa remarque bien fondée.
− Tu peux avoir raison. Mais j’ai quoi à y voir ?
Junior hausse les épaules. Je prends peur.
− Papi, ferme la porte de la chambre à clé. On ne sait jamais.
− Toi aussi ! Qui oserait venir te toucher quand je suis là ?
− Hum… Tu parles seulement… Tu n’as pas vu le mec qui accompagnait la mère… On dirait un de ces gars qui charge le fer avec ses dents. Le genre qui peut te brise en deux comme un cure-dent. Pardon, moi j’ai peur.
Tandis qu’il s’en va tout de même fermer la porte de la chambre, je m’efforce à me déchausser et à m’allonger sur le lit. Junior revient et s’assied au pied du lit. Je n’ai plus la force de parler. Toute force à quitter mon corps. Je me recroqueville sur moi. Bien qu’il fasse plutôt bon temps, je grelotte. En me remémorant toutes les scènes que je viens de vivre, le sommeil m’emporte vers des cauchemars dans lesquels des personnes à deux têtes armées de gourdin et de cailloux me poursuivent.
C’est une tape sur mon bras qui me réveille. Loin dans mon subconscient, j’entends Junior qui m’appelle :
− Nini, réveille-toi.
− Hmmm. Je ne veux pas.
− Lève-toi et tu manges.
Manger ! Il a dit « mange » ? J’ouvre directement un œil pour le guetter et je le vois disposer un plat sur la table de la chambre.
− C’est quoi comme bouffe ?
− Riz sauce tomate avec du poulet. Maman était de bonne humeur aujourd’hui.
− Tant mieux pour mon ventre.
Je me lève tout doucement et m’assieds sur le lit. La nuit commence à tomber dehors. Donc je suppose qu’il est déjà 18h passée. Je m’installe et Junior m’apporte le plat de nourriture et je me mets à manger en silence sous son regard bienveillant.
Si ce n’était pas mon petit frère, qui m’aurait assister ? Je me sens si seule au monde. Je mange, l’esprit si morose. Victor me manque tellement, même si c’est à cause de lui que je traverse l’enfer. J’ai presque finie mon plat quand nous entendons des bruits de voix dehors. Je panique un peu, anxieuse que mes chasseurs m’aient suivi jusqu’ici. Seulement quand j’entends Maman rire, je me dis que c’est sûrement un membre de la famille.
− Papi, va voir qui c’est, Papi.
− Ok.
Il s’en va et revient après quelques minutes.
− Nini, viens vite, dit-il en souriant. C’est Aimé. Il est venu avec sa femme et l’enfant.
Aimé ? Mon frère aîné … ça fait longtemps que je ne l’ai vu. Depuis qu’il avait quitté Yaoundé et avait été affecté à Ebolowa avec sa femme, nous n’avons plus un contact constant. Pourtant je m’entendais bien avec lui. Je me lève à la hâte et je suis prise de vertiges. J’ai oublié celui là. Bon, on reprend doucement et on repart. J’arrive au salon où je trouve mon frère et sa petite famille :
− Aimé !
− La Nini internationale, s’exclame Aimé en me prenant dans ses bras. C’est comment, petite sœur ?
− Mon vieux père… Je suis trop contente de te voir. Je suis là. Mais laisse-moi d’abord passer. Je dois saluer ma femme.
Je le pousse et me dirige vers Marie sa femme, qui porte leur fille de deux ans les bras. Elle me sourit en coin et me toise :
− Ne viens pas à côté de moi ! Comme tu n’as pas mon temps. Tu ne vois que ton frère !
− Ma belle-sœur, ne boude pas ! Toi aussi, est ce que j’ai une autre belle sœur gentille comme toi ? Tu sais que je t’aime plus que mon frère ne t’aime !
Un sourire se dessine immédiatement sur ses lèvres.
− Ok, ça va. Tu as bien parlé.
Je m’approche d’elle, lui fait une accolade et un bisou à la petite qui dormait dans ses bras.
− Le voyage a du être long. Elle a l’air bien fatiguée.
− Elle a passé son temps à déranger dans le car, dit Aimé. Maintenant que sa grand-mère veut lui parler, elle dort. Vraiment les enfants…
Maman vient prendre l’enfant et va s’asseoir au salon.
− Mon homonyme eh… Elle a bien grandi. Marie, tu la gardes bien.
− Ma’a, est ce que j’ai le choix avec son père qui me dérange tout le temps ? demande Marie.
− Il manque seulement le garçon… Hein ma mère ?
− Non Ma’a. Pas maintenant. Qu’elle grandisse d’abord un peu. Nous allons continuer après.
− Après comment ? s’étonne ma mère. C’est bien d’accoucher une fois.
Aimé taquine sa femme de la main et tout le monde éclate de rire.
− Attendez ici, je vais vous préparer ma chambre que vous installez avant qu’on vous serve à manger, leur dis-je.
− Ta chambre ? s’étonne Aimé. Toi et Carole allez dormir où ?nous allons rester chez Junior.
− Hum… Apparemment tu n’es pas à jour. Vous dormirez chez moi. Le lit est plus grand.
Je m’en vais dans la chambre et change la literie. Je fais un peu de rangement et mets tout ce qui pouvait être un potentiel danger ou de valeur hors de la portée possible de ma nièce. Junior apporte les valises des nouveaux arrivants. Je vais ensuite à la cuisine, réchauffer la nourriture et je mets la table. Papa nous rejoint peu avant qu’Aimée et sa famille ne débute le repas. Ils mangent avec les parents. Nous passons un bon moment ensemble à discuter. La petit s’est réveillée et Maman lui donne à manger. On sent la fierté dans son cœur. Serait-elle aussi fière si elle apprenait que je suis enceinte ? Hum !
Il est bien tard quand je débarrasse la table et vais me coucher sur le canapé du salon. Junior me réveille après un moment. Je me suis endormie sans me rendre compte.
****
Le samedi matin, c’est réunion de famille. Papa met Aimé au point des derniers événements. Il est véritablement ébahi et choqué de ce que Carole a fait. Mais il trouve tout de même la décision de Papa trop rude :
− Papa, c’est vrai que Caro a fait une grosse erreur, dit Aimé. Mais la mettre à la porte ? Elle est même où maintenant ?
− Ça ne m’intéresse pas, dit mon père. Est-ce qu’elle dormait d’abord ici ? Elle a mis la vie d’autrui en péril et manqué de respect à sa famille. Ce n’est pas bien.
− Mais Papa…
− Il n’y a pas de mais, Aimé ! Toi-même tu es père de famille aujourd’hui. Il y a des choses qu’il ne faut jamais tolérer dans ta maison.
Maman, Junior, Marie et moi les écoutons silencieusement en regardant la petite qui joue dans la cour. Je ne sors pas de la journée, trop grande est la peur qui est dan mon cœur. En fin d’après-midi, Mama Pauline, la mère de Stéphane, vient rendre visite à Maman. Elles vont bavarder dans la cuisine. Hum… La visite de Ma’a Pau chez nous ne me rassure pas du tout. Vu la manière avec laquelle cette femme fait le rentre dedans, je ne veux pas me retrouver doter sans me rendre compte. Elle s’en va une heure plus tard avec un large sourire aux lèvres.
Qu’est-ce que Maman et elle ont bien pu se dire qui l’a mette autant dans la joie ? Hum ! J’y repense un moment et me décide à prendre des initiatives. J’envoie Junior chercher Stéphane. Je sais qu’il est à la maison, vu qu’il ne s’est pas encore fait des amis dans la ville. Ils reviennent ensemble 20minutes plus tard. Je tire Stéphane etnous allons s’installer hors du portail, à l’abri des oreilles de mes parents.
− Stéphane, il faut que je te parle.
− Je t’écoute.
− J’espère que tu as le contrôle sur ta mère. Je ne veux pas les problèmes. La façon dont je la vois comploter avec ma mère n’est pas du tout bon signe.
− Ah cela…
− Fais quelque chose ! J’ai accepté d’être ton amie. Mais je ne veux pas me retrouver à être ta femme par accident. Peu importe ce que Victor a fait, je l’aime. Tu as compris ?
− Je le sais et tu connais ma position dans toute l’histoire. Je vais essayer de canaliser ma mère dans ses ardeurs.
− Promis ?
− Promis, dit-il en souriant.
− Ok. Je te fais confiance. Fais-le au plus vite. Je vais rentrer. On se prend non ?
− Ok. Il n’y a pas de soucis.
Nous nous faisons la bise et chacun repart chez lui. Je rentre m’allonger dans la chambre de Junior, tandis que ce dernier avec Aimé au salon. Mon téléphone se met à sonner et je sursaute quand je vois le nom de Jeanne s’afficher sur l’écran. Je ne sais pas si c’est vraiment sensé de ma part de lui parler après ce qui s’est passé hier. J’ai vu ses appels alors que nous gérions les affaires de famille… On ne met pas le doigt entre l’écorce et l’arbre. C’est mon amie après tout. Que j’écoute ce qu’elle a à dire. Je décroche et reste silencieuse.
− Allô ?
− Oui.
− Nicole, c’est comment ? J’ai déjà essayé de t’appeler, fatiguée.
− Suis là.
− Tu es vexée ? Est-ce que ce qui est arrivé hier de ma faute ?
− Je n’ai rien dit de tel. Je suis juste encore choquée. C’est tout.
− Je suis désolée. Je n’ai jamais vu ma tante comme ça. Même après ton départ, elle a continue à proférer des injures en tout genre. À l’écouter, Victor aurait été à deux doigts de mourir.
− Mais qui lui a dit une chose pareille ?
− Je ne sais pas. Mais elle extrapole la situation. Ah, en fait j’ai seulement fait des recherches après qu’elle soit partie. Maman m’a dit que le soir où elle a emmené Victor à l’hôpital, sachant que Tata Cathy était hors du pays, elle lui a laissé un SMS, pour la tenir au courant de la situation. Tata Cathy est donc revenue le jeudi soir et a appelé Maman le lendemain en journée.
− Et ? Pourquoi moi ?
− Mama, je ne sais pas. Elle a demandé à maman où elle pouvait me voir, sachant bien qu’on est sûrement ensemble. Je suis désolée. Je ne savais pas qu’elle viendrait te brutaliser ainsi.
− Ce n’est pas ta faute. Tu ne pouvais pas imaginer en tout cas, c’est passé. Je ne veux plus y penser.
−nous allons remettre notre shopping, dit-elle tristement. Promis. C’est dommage qu’elle est gâchée notre sortie. Mais ce n’est que partie remise.
− Ok. Je comprends.
− Je voulais prendre de tes nouvelles. On s’appelle une autre fois.
− Tu dors bien. Bisous.
Je raccroche en secouant. Donc la mère de Victor est assez sournoise pour monter un plan aussi machiavélique en manipulant sa sœur. J’ai vraiment peur de cette femme.
*****
Il est 17h le dimanche quand je vois Junior entré souriant dans la chambre. Il était sorti le matin pour aller jouer au basket chez des amis.
− Nini, c’est comment ?
− Je suis là.
− Mon corps est en forme. J’ai bien transpiré.
− C’est cool. Les petites seront contentes. Ça te dirait qu’on sorte prendre une glace tout à l’heure ? Je m’ennuie un peu à toujours rester enfermé à la maison.
− Ce sont les vacances 2.0. Moi, je n’ai pas de programme. Je te suis.
− Je me lave et nous y allons.
− Ok. Je serais déjà prête le temps que tu sortes.
Je me dépêche d’aller chercher une tenue dans ma chambre. Je me décide pour une longue robe paysanne. Avec ma paire de pieds nus, je me sens assez à l’aise pour sortir. Junior finit de prendre sa douche et s’habille tandis que je l’attends au salon. Il ressort de la chambre en jean, T-Shirt et chaussé d’une paire de Converse aux pieds. Chaud à mort ! Nous sortons d’assez bonne humeur. Nous prenons un taxi pour Santa Lucia à Kondengui. Ça fait un bon moment que je n’y ai pas été. Nous arrivons à la tombée de la nuit. Junior choisit une table dans un coin et nous nous installons, moi tournant le dos à la salle. Les discussions entre nous deux vont bon train. Je ne sais pas trop quoi commander. Peut-être une glace simple ou un sorbet. Mais j’ai aussi envie de manger un cake. Les envies de femmes enceintes !
− Papi, j’ai faim. Et les bonnes odeurs veulent me tuer.
− Choisis ce que tu veux. Je vais gérer.
Je suis concentrée dans la carte à choisir ce que je vais manger lorsque je sens une main se poser sur mon épaule. Je sursaute et veux me tourner quand la personne pose ensuite sa deuxième main sur ma joue droite et me dépose un baiser sur ma tête. Ce parfum, je ne le connais que trop bien… Je l’ai cherché dans ma tête, dans mon cœur. Je me retourne tout doucement.
− Victor …
− Oui, mon amour.