
Chapitre 6
Ecrit par Spice light
— Marguerite IYOMBE —
Deux mois déjà que Victor est parti voir ses tantes. Les deux premiers jours, on s’est parlé au téléphone. Puis plus rien. J’appelle, il ne répond pas.
J’ai décidé d’abandonner. Ce qui me fait le plus mal, c’est qu’il ne demande même pas comment va son enfant.
Aujourd’hui, c’était la première échographie. On a pu détecter le sexe facilement : j’attends un petit garçon.
Victor ? Je le laisse tranquille. À quoi je m’attendais ? Ma mère a raison : il a déjà une femme et des enfants. Je dois me reprendre en main, c’est tout.
Et pour commencer, j’ai décidé d’aller vivre chez mon oncle à Kinshasa. C’est un sénateur.
Comme ça, après l’accouchement, il pourra vite me trouver du boulot, et je me concentrerai sur mon fils.
Les hommes des autres, je n’en veux plus, tout simplement.
— Tu es sûre de pouvoir partir ?
— Oui, j’en ai parlé avec tante Jeanne. Elle ne trouve aucun inconvénient.
— Tu aurais pu attendre encore un peu… Sûrement qu’il va revenir.
— Je ne passerai pas toute ma vie à attendre le mari d’une autre, papa. Au cas où il reviendrait, je crois que vous saurez lui dire où je suis. Sur ce, je vais continuer ma valise.
— D’accord, ma fille.
Il me fait une bise sur le front.
Papa est plus ouvert et compréhensif que maman. Je n’ai pas peur de lui parler de mes inquiétudes. Tandis que maman, c’est toujours : “Je t’avais prévenue, mais non, tu ne comprends pas. Le mari d’une autre, c’est tout ce que tu as pu trouver ?”
“Tu es toi-même la sorcière de ta vie. Tu fais un enfant au mari d’une autre, Dieu le rappelle, et tu repars lui refaire un autre enfant. Tu es bien bête. Quand feras-tu ta vie ?”
Aujourd’hui, je ne la juge plus. Elle a tout simplement raison.
[…]
— Comment se porte mon rival ? me dit mon oncle en entrant dans le salon où nous sommes tous réunis : Jaël, leur fille aînée de 20 ans, Juducaël, 17 ans, et Jonshon, 15 ans.
(Il a eu ses enfants très tard, bien qu’étant l’aîné de mon père de cinq ans. Il s’était d’abord consacré à bâtir sa carrière professionnelle. Sa première femme n’ayant pas supporté cela, l’a quitté. Trois ans plus tard, il a rencontré tata Jeanne. Ils ont eu Jaël l’année suivante, et sa carrière est devenue florissante.)
— Il se porte bien, papa.
(Chez nous, il n’est pas question de “tonton”. Tu sais que c’est ton oncle, mais on appelle tous nos oncles papa.)
— D’accord, je suis content. Ta journée s’est bien passée ?
— Ouf… Les études de droit, c’est pas du lait, papa.
— Accroche-toi, chérie. Et toi, Juju, c’était comment ?
— Comme d’habitude, quoi.
— “Comme d’habitude”, ça veut dire ? (Il fronce les sourcils.)
— Euh… On a enchaîné les cours. Aucun moment de répit. La sixième, c’est pas donné.
— Hum. Donne-toi à fond. L’année prochaine, c’est l’université. Il faut être prêt.
— D’accord, entendu papa.
— Alors, mon bonhomme ?
— Papaaaa ! (rit Jon) Je suis ravi de te revoir, monsieur Florentin Muamba.
(Tonton ne porte pas le même nom que ses frères et sœurs. Il est l’homonyme d’un monsieur muluba qui a beaucoup aidé notre grand-père dans le passé.)
— Moi aussi je suis ravi, mon fils. C’était comment à l’atelier aujourd’hui ?
— Très bien papa. J’attends que le prof calcule nos moyennes, mais j’aurai minimum 9/10.
— Ça, c’est mon fils ! Bon, les enfants, je reviens dans un moment.
Tata Jeanne est en voyage. Elle tient un magasin de décoration intérieure.
Les meilleurs articles viennent de l’étranger, mais les plus chers sont faits par des artisans locaux.
Quand tonton redescend, on passe à table. Ensuite, on regarde les infos à la télé. À 21h, tout le monde monte se coucher.
Le lendemain matin, je me réveille, fais ma toilette, puis je descends à la cuisine. Jaël y prépare le petit déjeuner.
— Coucou, toi.
— Bonjour, la marmotte !
— Tu t’es levée tôt, dis donc.
— Oui, j’ai cours aujourd’hui à 9h. Je devais tout apprêter avant de partir.
— Je comprends. Et c’est quoi la recette d’aujourd’hui ?
— Je ne sais pas… Il faut demander à papa s’il a une préférence.
— D’accord, mais dépêche-toi. Il sera bientôt 6h20.
— Les autres risquent d’être en retard pour l’école.
Ici, il n’y a pas de ménagère. Tata n’aime pas. C’est nous qui faisons le ménage.
Parfois, Jon s’y met aussi (quand je n’étais pas encore là).
Il n’y a que deux gardes, un gardien et deux chauffeurs : l’un pour conduire les enfants à l’école, l’autre pour tata et les besoins de la maison.
Tata lave ses habits et ceux de tonton. Nous, chacun lave les siens.
Trois mois plus tard.
— Y a quoi, Maguy ?
— J’ai des picotements dans le ventre depuis cette nuit, tata. (Je grimace en répondant.)
— Pourquoi tu n’as rien dit ? On ne plaisante pas avec la grossesse, surtout à ce stade. Tu peux accoucher à tout moment, et chaque contraction, même infime, doit être prise en charge. (Sa voix reste douce.)
— …
— Attends, je préviens le chauffeur. Jaël ? Jaël !
— Oui maman ?
— Va prendre le sac de maternité de ta sœur, je préviens le chauffeur.
Chose dite, chose faite. Une fois à la clinique (privée — papa a insisté pour que j’accouche ici, vu leur professionnalisme), je suis prise en charge.
Les hôpitaux publics ne sont pas mauvais, mais il y a trop de monde.
Après plusieurs heures, j’accouche de mon fils. La joie se lit sur mon visage… mais je reste sceptique. Et si ? Et si le drame d’il y a trois ans se reproduisait ?
Un mois. Deux mois. Trois mois… Un an. Mon fils est bien portant. Et moi, je travaille comme secrétaire dans une agence de voyage nationale.
Papa n’a pas voulu me faire de faveur, je me suis débrouillée toute seule.
Je vis toujours chez eux.
Avec l’arrivée de l’AFDL, l’ancien régime est tombé. Beaucoup de députés, sénateurs, ministres ont fui le pays. Mais pas papa.
Il s’est toujours conduit avec droiture. Et même s’il n’est plus sénateur, on ne manque de rien.
Tonton a toujours eu plusieurs activités à côté, ce qui nous permet de garder le même train de vie.
Demain, je fête mes 28 ans. Je sais déjà qu’il y aura une fête. Tata adore nous organiser des anniversaires.
Côté amour, je n’ai pas bougé. Toujours femme seule avec Jésus.
La journée passe à une vitesse folle. J’ai simplement hâte de retrouver mon Yoan.
— Mama ! (crie mon fils en me voyant. Il descend des genoux de sa grand-mère pour venir vers moi.)
— C’est le bébé de qui, ça ?
— Ye mama ! (répond-il en souriant de ses petites dents.)
— Ça va, chéri ?
(Il hoche la tête en souriant, la main sur le visage.)
— Coucou, maman Jeanne.
— Coucou ma chérie. Ta journée s’est bien passée ?
— Oui, ça a été. Vous êtes rentrés tôt aujourd’hui, hein.
— Ton oncle a été capricieux. On n’a même pas fini les préparatifs de la fête. Je pense que ce sera mieux de fêter ce week-end, vu que demain on est mardi. Qu’en dis-tu ?
— C’est une belle idée.
— Bonsoir maman ! / Bonsoir Yaya !
— Bonsoir mon fils / Bonsoir Jon !
— C’est le champion de qui, ça ?
— Ton ton ! (sourit Yoan à son oncle.)
Yoan, c’est le bébé de tout le monde ici.
Je n’ai pas eu à souffrir à sa naissance. Il y avait toujours des mains pour le porter, sauf quand tout le monde sortait.
Quand il a eu 5 mois, j’ai commencé à chercher du travail. Il restait avec maman Jeanne. Comme elle passe ses journées au magasin, c’est là-bas qu’ils allaient — et c’est encore le cas aujourd’hui.
Mes parents sont venus nous voir deux fois.
Je suis en paix avec moi-même. Et c’est l’essentiel.
Même si… j’aurais voulu que mon fils connaisse l’amour de son père.
Mais ce n’est qu’une clé perdue.
Le samedi, comme convenu, on a fait la fête à la maison.
J’ai invité quelques collègues. Entourée de ma famille, ce fut une réussite.