
Chapitre 7
Ecrit par Spice light
Chapitre 7
Kinshasa, mai 2006
— Marguerite IYOMBE —
Je suis allée récupérer Yoan chez maman Jeane, dans son magasin. Cela fait deux ans que j’ai quitté leur maison. Ils n’étaient pas d’accord, mais ils n’avaient pas vraiment le choix. Je voulais voler de mes propres ailes. Après plusieurs tentatives, ils ont fini par céder, à condition de continuer à payer l’école de l’enfant, comme il est inscrit dans une école canadienne. J’ai accepté, avec la vie qui devient de plus en plus difficile dans ce pays… Un million, je vais le trouver où, d’un coup ?
— On court acheter le poisson, papa Steve viendra dîner avec nous, d’accord ?
— D’accord maman.
On entre dans le pavillon des vendeuses de poissons. Et j’entends quelqu’un m’appeler.
— Sœur Maguy ! Sœur Maguy !
Je cherche des yeux, et je vois un visage qui me semble familier.
— Bonjour, sœur.
— Bonjour.
— Tu ne me reconnais pas ?
— Désolée, votre visage me dit quelque chose mais je ne vous remets pas.
— KOVO ? Ça ne te dit toujours rien ?
— Pas vraiment, désolée…
— Je suis le petit de Djo Vic.
— Djo Vic ? Je demande, complètement perdue.
— Ah, Victor. Victor Foke.
— Ah, je comprends mieux. J’espère que tu vas bien.
— Oui, je vais bien. Je suis venu faire une commission pour Djo Vic, d’ailleurs.
— C’est une bonne chose.
— Maman, rentrons, s’impatiente mon fils.
— Ah, c’est ton fils ? Oh waouh ! s’exclame-t-il en voyant le visage de Yoan.
— C’est notre fils, lui. Tu n’as pas besoin de demander, il a la ressemblance de son père et de ses frères.
— Oui, c’est mon fils, je lui réponds.
— Je peux avoir ton numéro ? Je viens à Kinshasa de temps à autre, soit pour mon commerce, soit pour le vieux. Comme ça, je pourrais passer voir notre fils.
— Bah tiens, c’est le 0897777333.
— D’accord, je t’appelle demain. Achète du jus à notre fils.
Il me donne un billet de 10 000 FC.
— Merci. Yoyo, dis au revoir à tonton KOVO.
— Au revoir, tonton.
— Au revoir, le prince.
Pourquoi j’ai donné mon numéro ? Je sais qu’il ira tout raconter à Victor, et peut-être que celui-ci voudra voir son fils. Aujourd’hui, Yoan ne semble pas l’intéresser, mais il y aura un jour où il aura besoin de son papa. Autant anticiper. Il n’est pas trop tard. Même après sept ans…
Steve, c’est l’homme que je côtoie depuis bientôt deux ans. Je lui ai tout raconté sur moi. Il m’a une fois proposé d’emménager ensemble, mais je ne suis pas prête. Je dois aussi préparer mon fils à ce changement. Il y a juste quelques mois qu’ils se sont rencontrés, Yoan et Steve.
Nos achats terminés, on stoppe un taxi pour rentrer chez nous. Je loue un appartement de deux chambres avec cuisine ouverte, douche, toilettes incluses, ainsi qu’un balcon.
90 000 FC à l’époque — aujourd’hui, on parle plutôt en termes de dollars.
J’ouvre la porte et nous entrons. Yoan file dans sa chambre, dépose son sac, sort son uniforme. Il se change toujours au magasin. Je trempe son uniforme et le place devant la télé. Ses devoirs sont faits.
Je passe en cuisine : au menu, feuilles d’amarante au bicarbonate et poisson frais. Accompagnement : fufu pour les grands. Pour Yoan, je lui fais du poulet frit avec des bananes plantains. Cet enfant est un cas. Il ne mange que les feuilles de manioc, les épinards, le fumbwa et les haricots. Le poisson frais ? Non. Le poulet, la viande de bœuf ou de porc, oui, mais pas la viande de brousse. Je ne sais pas d’où ça lui vient. J’ai tout essayé, rien. Ses grands-parents, tonton et maman Jeane, m’ont même dit de le laisser tranquille depuis qu’il a eu deux ans.
Cuissons terminées, je dresse la table directement et vais rincer l’uniforme de mon fils. Je le lave chaque soir ; le matin, il se débrouille seul. Je sors son pyjama qu’il enfile, puis je vais prendre ma douche et me faire une petite beauté.
En sortant, je trouve Steve au salon avec Yoan. Il essaie de faire la conversation, mais Yoyo reste fermé (c’est un cas, ce garçon…).
— Bonsoir, Steve. (Je lui fais la bise.)
— Bonsoir, chérie. Ta journée s’est bien passée ?
— Oui, et la tienne ?
— Oui, ça a été aussi.
— Bon, on passe à table. Il est déjà 19h30.
— Ok. Yoan, tu viens ?
— Oui, papa Steve.
On s’installe à table. Je commence par servir monsieur mon fils — il mange lentement, donc il a ce privilège.
— Bon appétit, mon cœur.
— Merci, maman.
— Je te sers ? (Je demande à Steve.)
— Ne te dérange pas, ma chérie.
Il se sert lui-même, et j’en fais autant. On mange avec les mains… sauf, encore une fois, monsieur Muamba Foke Yoan. Lui, il manie les couverts comme un grand. Son grand-père et homonyme n’a pas rigolé avec ça.
(D’abord le nom de mon oncle, pour le remercier, lui et sa famille, d’avoir été là pour nous. Et ensuite, le nom de son père. D’ailleurs, c’est pareil. Combien de femmes ne donnent même pas le nom du père à l’enfant ?)
— Alors, c’est quoi le programme ? On maintient pour ce week-end ou pas ?
— Je vais parler à maman Jeane, bien qu’elle ne refusera pas. Ça leur fera un peu de compagnie à la maison.
— D’accord. Yoan ? (Il s’adresse à lui.)
— Oui, papa Steve ?
— Ça te dirait que je prenne ta mère le temps d’un week-end ?
— Si elle veut, elle peut. (Il répond, concentré à découper son poulet.)
— Tu acceptes donc ?
— La maîtresse nous a dit que les enfants ne doivent pas interférer dans les relations des grandes personnes. (Il répond en le regardant droit dans les yeux.)
— Je prends note, donc. (Répond Steve après un petit silence.)
Après cela, le repas se passe dans un calme absolu. Aujourd’hui, mon fils a mangé plus de la moitié de son assiette. Il ne le fait pas souvent.
Je débarrasse pendant que Steve vérifie les devoirs de Yoan et lui fait répéter ses leçons pour demain. C’est une épine de moins pour moi lorsqu’il est là.
20h30, Yoan au dodo, et moi je me love dans les bras de mon homme.
— Pourquoi refuses-tu d’emménager ensemble ?
— Ouf… on en a parlé, Steve. Ça ne fait que huit mois que je t’ai présenté à Yoan. Tu sais bien que je ne peux pas le brusquer.
— Je comprends tout ça, mais je prends de l’âge. C’est le moment pour moi de me poser. Si déménager te pose problème, je préfère être appelé « Mario » (l’homme qui vit aux dépens de sa compagne, chez les Congolais), même si je prendrai tout en charge. Comme ça, Yoan ne sera pas totalement bousculé.
— Une chose après l’autre, mon cœur.
— D’accord. Tu n’as plus rien à dire ?
— J’ai rencontré un des petits de Victor aujourd’hui au marché. Comme j’étais avec le petit, il a vite fait le lien, et on a échangé nos numéros.
— Pourquoi échanger ton numéro avec lui ?
— Je sais qu’il ira tout raconter à Victor. Et peut-être que ce dernier voudra voir son enfant. On ne sait jamais.
— Dis-moi…
— Hmm ?
— Tu regrettes de ne pas être avec lui aujourd’hui ?
— Du tout. Même quand il a disparu sans raison, je ne me suis pas apitoyée sur mon sort. Au contraire, je m’étais décidée à me reprendre en main. Sûrement que c’est Dieu qui a permis que cela arrive, puisqu’on n’avait aucun problème tous les deux. Aujourd’hui, peut-être que je serais encore la femme de l’ombre. Alors qu’à présent, j’ai mon homme exclusivement pour moi. Et vice-versa. La seule chose que je souhaite, c’est que mon fils puisse connaître son père. C’est tout.
— Je suis chaque jour captivé par ta sincérité, franchement. Et cela m’encourage à continuer de donner le meilleur de moi auprès de toi.
(Il m’embrasse sur le nez. On reste enlacés un bon moment avant qu’il ne rentre chez lui.)
L’avenir me donnera raison.