Chapitre 6 : I'M FINE

Ecrit par Womins

Margot***

Les jours passent et se ressemblent. Mes journées sont bien remplies.

Entre mon boulot d’infographiste et celui de maman, je peux dire sans aucune prétention que mes journées sont bien remplies. Heureusement que Sam est toujours là pour me donner un coup de main. Sam n’est clairement pas doté de la splendeur d’un Dieu grec mais il fait mon bonheur depuis un certain nombre d’années.

Quelques fois, je m’installe sur la petite banquette à la terrasse et je respire. J’attrape vite un album et je remonte le temps, une limonade à côté et deux joyeuses marmottes dans les pattes. C’est ce que j’ai envie de faire ce soir à peine le diner terminé et les enfants couchés.

Je repense à ce que nous étions il y a dix ans. Je me souviens de nos rêves à chacune de nous et même si je n’ai pas accompli cette destinée dans laquelle je me projetais, je suis ravie de celle que je vis. Moi, Margot du haut de mon petit mètre soixante-six, j’avais trouvé chaussure à mon pied. Sam me rejoint, une tasse de thé aux fruits rouges dans les mains.

Sam : Pour une jolie maman.

Je ne peux m’empêcher de sourire. Il continue à me trouver jolie même dans ce vieux jogging tout fripé. Il doit être sacrément mordu.

Moi (tapotant la place à mes côtés) : Tu viens ?

Sam (en s’installant près de moi) : Tu regardes encore ces vieux albums ?

Moi (faisant exprès de m’arrêter sur une photo de nous) : Oui, regarde toi. Tu avais peur de me faire la bise à cette époque.

Sam (croisant les bras derrière la tête et posant ces longues jambes sur la petite table) : Normal, Anne-Sophie n’arrêtait pas de se moquer de moi dans les couloirs. Vous étiez un peu des stars hein !

Moi : Les choses ont bien changé n’est-ce pas ?

Sam : Rien n’a changé ! Anne-Sophie est toujours une grande gueule et toi, tu es toujours aussi belle. C’est vrai que tu as pris quelques rondeurs mais tu sais quoi, elles ne font que raconter notre histoire.

Je me colle à lui et il m’entoure de ses bras.

Sam : Comment va Alex ?

Moi (avalant une gorgée de thé) : Tu veux que je te dise quoi ? Elle va mal, elle est retournée au restaurant de cette Liz et je ne sais pas ce qu’elle a dans la tête mais elle est allée jusqu’à parler avec celle-ci de Raphaël. Bien sûr sans mentionner son nom.

Sam : Elle devrait essayer de passer à autre chose. Elle devrait voyager, peut-être qu’elle trouvera un étalon sur une de ces plages exotiques.

Moi (découragée) : Je ne sais plus quoi faire d’elle.

Sam (les yeux brillants) : J’ai une idée.

Moi : Je suis preneuse.

Sam : Je sais qu’Alex est loin d’être une grande fan des réseaux sociaux mais tu sais, sur les réseaux sociaux il y a vraiment de tout. Comme dans un supermarché. Elle pourrait se décoincer un peu et aller faire ses courses.

Moi : Je ne suis pas sûre qu’elle accepte. Tu la connais Alex ! Elle est du genre à penser que tout ça c’est pour les désespérés.

Sam : C’était juste une idée ! Je monte me coucher, tu viens ?

Moi : Vas-y, je te rejoindrai. Je termine mon thé.

Anne-So disait toujours que le remède de l’homme c’est l’homme et voici que Sam mon petit binoclard me suggérait quasiment la même chose. Nous devions inciter Alex à faire des rencontres.

 

Le lendemain après avoir déposé Léa en larmes à la crèche, je fonce au bureau.

Je suis en train de travailler sur le logo d’une petite boutique qui fait dans la confiserie. C’est le genre de chose qui m’inspire.

Je suis en train de faire le plein usage de mon logiciel Photoshop quand une petite enveloppe apparait sur mon écran avec marqué « URGENT ».

Je m’empresse de réduire ma fenêtre de travail et de cliquer sur cette enveloppe. C’est un message de Sam.

« Ma femme,

J’ai fait une petite recherche pour toi ma douce.

Des câlins en pagaille.

Je t’aime.

Sam, »

Je souris à la lecture de ce mail. Que me prépare-t-il ? Je clique sur la pièce jointe et je suis dirigée vers une annonce. Je la parcours en souriant. Il est un peu fou mon Sammy.

Je me remets au travail et vers douze heures, j’appelle Chacha. Après les salutations et les petites piques, je rentre directement dans le vif du sujet.

Moi : Sam nous a inscrits à un soirée d’un genre un peu spécial.

Chacha : Sam ?! J’ai toujours su qu’il avait un petit côté pervers ton mari.

Moi (prise de rire) : Arrête de dire des bêtises et écoute.

Chacha : Attends, c’est quelque chose de cochon ?

Moi : Calme toi et écoute. Il nous a inscrites à un speed dating. Toutes les quatre.

Chacha : Euh un speed dating ? Non merci, j’ai déjà quelqu’un pour chauffer mes draps. Je n’ai pas besoin de faire des rencontres.

Moi : Charlotte Quedesriès, ce n’est pas pour toi mais pour notre meilleure amie Alex. Tu en penses quoi ?

Chacha : Humm, je ne suis pas du tout emballée mais depuis un certain temps, je ne suis pas emballée par bien des choses mais je suis un peu obligée de les accepter.

Moi : Tu parles de quoi ?

Chacha : Ah, laisse tomber. Faut que j’y aille c’est un peu le rush aujourd’hui. Bisous ma vieille.

Moi : Tu es plus âgée que moi je te signale. Bisous.

Alex***

Je regarde les photographies de cette Gisèle depuis un moment et je la trouve fade, insipide. Elle est grosse et trop quelconque pour avoir sa photographie dans un magazine de notre standing.

Les planches devant moi me donnent la nausée.

Moi (les bras croisés) : Je crois qu’on aura besoin de faire un nombre incalculable de retouches.

Louane (étonnée) : Attends Alex, le but de cet article c’est de mettre en avant la femme de tous les jours, celle qu’on croise en se promenant dans les rues.

Moi (la dévisageant) : Et tu penses que nos lectrices s’identifient à ça ?

Tous les regards sont braqués sur moi et ça commence à m’énerver.

Moi (pour une petite mise au point) : Qu’est-ce que vous avez tous à me regarder comme ça au lieu de faire ce pour quoi vous êtes payés ?

Je balançais nerveusement la série de photographies que je tenais entre les mains et celles-ci s’écrasèrent sur la table.

Moi (me dirigent vers la porte) : Faudrait mieux que je retourne dans mon bureau.

Ces collaborateurs sont de sombres idiots. Pas un pour rattraper les autres. Je dois décidément tout faire par moi-même. Je me demande bien à quoi ils servent dans ce cas.

Après quelques minutes de réflexion, une réalité s’impose à moi. Je devrais peut-être laisser tomber cet article. De toutes les façons il y a des milliers de sujets à aborder concernant les femmes.

Et voici Marc qui une fois de plus pénètre dans mon bureau sans prendre la peine de se faire annoncer. Et cette secrétaire, quel est son rôle ? Je ne compte pas laisser passer cela une fois de plus. Il faut que je lui remonte les bretelles.

Moi (le nez dans mes papiers) : Tu veux quoi ?

Marc : Je passais juste par là.

Moi : Alors tu peux continuer à circuler, je n’ai pas besoin de toi.

Il ferme la porte et s’installe dans le petit canapé gris. Il le cherche ou quoi ?

Marc : Alors, la maquette ça donne quoi ?

Moi (un stylo dans la main) : En quoi ça te concerne ?

Marc (croisant les jambes) : Tu es sûre que tout va bien ?

Moi : Et toi, tu es sûr d’être médecin ?

Marc : Tu sais, les couloirs parlent. La plupart des collaborateurs te trouvent bien changés. Même Louane s’est plaint de toi tout à l’heure. Je sais que toi et moi ce n’est pas l’amour fou mais ça fait quand même un sacré bout de temps que nous sommes collègues. Tu peux te confier à moi.

Je quitte ma chaise et je me plante devant lui. Il faut que je lui explique clairement les choses.

Moi (en mode warrior) : Je suppose qu’à tes heures perdues, tu prends des cours de psychologie. Je ne suis pas ici pour me faire des amis alors, tu ferais mieux de dire à Louane de se concentrer sur son boulot au lieu de se plaindre comme une petite fille. Je suis leur boss et non leur copine. Et toi, à l’avenir fais-toi annoncer.

Il se lève et arrange sa cravate en se raclant la gorge. Sans dire un mot, il se dirige vers la porte et l’ouvre. Il reste planté là un moment ce qui sans que je ne puisse l’expliquer m’énerve.

Moi : C’est bon, tu peux circuler !

Je me retourne vers mon bureau quand il me répond à haute voix.

Marc : Décidément, la ménopause frappe de plus en plus tôt.

Un silence de cathédrale s’installa à l’extérieur. Ils cherchaient tous à me guetter à travers cette porte restée ouverte. Ils chuchotaient sans aucune discrétion. Je saisis mon téléphone et j’envoie un message à ma secrétaire la priant de bien vouloir se lever pour fermer la porte. Une éternité passe avant que celle-ci ne le fasse prétextant qu’elle n’avait pas entendu le message arriver.  

Je reçois un message de ma mère sur Whatsapp. Alors que je finis tout juste de lire son message et que je retourne à la liste de mes conversations, je remarque que Raphaël a changé de photo de profil. Je reconnais une des brochettes de légumes que Liz sert au Spirit. Je sens un pincement dans mon cœur.

Mon cœur est meurtri. Pour fuir cette réalité, je me plonge dans le travail au point où j’en oublie même le temps qui s’écoule. Quand je lève le nez, il est déjà dix-huit heures treize. Je n’ai pas le temps de rentrer me changer. De plus, Anne-So m’a dit que nous allions juste prendre l’apéritif. Je pense que ma jupe crayon noire et mon chemisier crème feront parfaitement l’affaire. Je remets juste une touche de rouge à lèvres et me suis prête.

Un taxi se charge de me déposer à l’adresse qui m’a été indiquée. Quand j’arrive, je fais un message dans le groupe pour prévenir mes amies. C’est Margot qui vient me chercher. Elle s’est faite des boucles et ça lui va bien.

Margot (sourire aux lèvres) : Bonsoir ma belle.

Moi : Bonsoir ! T’es magnifaïque.

Margot (faisant tout plein de manières) : Tu trouves… Ah ha ha merci pour le compliment. Les autres sont à l’intérieur.

Nous traversons la route en manquant de nous faire cogner par un abruti.

Moi (criant à plein poumons) : Nan mais vous êtes taré ? Pensez à passer votre permis sinon prenez un taxi.

Il se contente de sourire. Il a une vraie de tête d’abruti.

Margot me tire par le bras. Le petit lounge est rempli. Les femmes que nous croisons sont toutes en beauté, c’est à croire qu’elles ont toutes des rendez-vous galants ce soir. La musique en fond n’est pas du tout mon genre mais je parie que le DJ doit pas mal s’en foutre. Heureusement que Anne-So nous fait un signe de la main sinon, je me demande comment nous aurions fait pour les retrouver.

Chacha a un verre de martini à la main. Elle croque une olive.

Moi (à Chacha) : Je vois que tu es déjà en plein dedans.

Chacha : Il faut bien se faire plaisir.

Je fais une bise à Anne-So, elle sent bon ce parfum que je lui ai offert à son dernier anniversaire. Ça me fait toujours plaisir qu’elle le mette. La musique s’arrête et le microphone crache une annonce.

Une hôtesse nous invite dans un long discours à passer une cloison. Finalement nous sommes là pour un diner, ça tombe bien, je n’ai rien avalé de la journée.

Margot (marchant près de moi) : Détend toi ma belle.

Moi (perdue) : Je suis détendue.

Quand nous traversons la cloison, c’est un autre univers qui s’offre à notre vue. Une ambiance sexy et soft à la fois. Des tables sont installées au centre de la pièce. Elles sont collées les unes aux autres. Je regarde les gens autour de moi et ils sont en admiration devant cette déco un peu trop mielleuse à mon goût. C’est tout à fait le genre de décoration que j’aurai improvisé chez moi quand j’étais encore en couple. Anne—So a un sourire inquiétant sur ses lèvres et je n’aime pas ça.

Et voici qu’une charmante dame invite les femmes à se mettre d’un côté tandis que les hommes se mettent de l’autre.

Nous pouvons maintenant prendre place. Je me mets entre Anne-So et Margot. Jusqu’à cet instant, je ne comprends pas ce qui se passe. Et voici que les hommes prennent place. Ils nous font face. Celui en face de moi doit à peine avoir la vingtaine. Il me sourit timidement. Je regarde Margot et elle détourne le regard. Au centre de la table, des petits plateaux bien garnis. De la charcuterie, des tomates cerise, du fromage et du vin. C’est quoi cette histoire. Nous sommes maintenant invités à retourner les cartons devant nous. Le mien est mauve et porte un joli ruban rose. Celui de Margot est vert avec des pétales orangés collés dessus. Je dois avouer qu’ils sont pas mal. Je retourne le mien et je lis le message qu’il porte.

« Laissez la magie opérer. »

Moi (chuchotant en me penchant vers Margot) : Hmmm… c’est quoi tout ça ?

Margot : Allez, fais un effort.

Moi : Tu penses vraiment que je vais rest…

Le tintement d’un morceau de métal cognant un verre me rappelle vite à l’ordre. Selon les propos de cette dame, j’ai dix minutes pour faire connaissance avec ce jeunot. Elle tape encore du couteau sur son verre et nous pouvons commencer. Anne-So est déjà en train d’échanger avec le parfait inconnu qui lui fait face.

Le jeunot (timidement) : Bonsoir.

Moi (sèchement) : Bonsoir.

Le jeunot (les yeux fixés sur ses doigts tremblants) : C’est une bonne soirée n’est-ce pas ?

Moi : Je n’en sais rien.

Je sens le regard de Margot sur moi. J’attrape un roulé de jambon au fromage que je croque sans faire attention à personne. Un pur délice. En plus il y a des noix dedans. Il est fondant, croquant et moelleux. Je savoure. J’en prends un second.

Le jeunot : Je vous trouve très belle vous savez.

Je regarde sur la table et je pioche un morceau de bleu. Il est extra frais le fromage. J’avale une gorgé de vin pour faire descendre tout ça. Le jeunot balbutie et j’ai du mal à entendre ce qu’il raconte.

Margot (me poussant du coude) : Arrête, joue le jeu.

Moi (m’essuyant la bouche) : Je te remercie pour l’effort mais bon, je vais devoir y aller. Ce genre de soirée, ce n’est pas mon truc. Je n’ai jamais eu besoin d’un speed-dating pour rencontrer quelqu’un.

Je me levais déjà quand Anne-So attrapa mon bras, me forçant à me rasseoir.

Anne-So (ferme) : Tu vas me faire le plaisir de poser tes fesses sur cette chaise. Ouvre un peu les yeux, tu es seule et tu es aigrie alors, fais pas ta diva.

La dureté de ses paroles me frappa de plein fouet. Le jeunot ne disait mot, son regard passait d’Anne-So à moi et vice-versa. Elle venait de me traiter d’aigrie.

Et le tintement se fait de nouveau entendre, Anne-So se déplace vers sa droite. Je suis comme scotchée à ma chaise.

Margot (me ramenant à la triste réalité) : Eh Alex, il faut que tu te lèves.

Je me lève et je prends la place d’Anne-So.

Cette fois, il porte des lunettes de métal, petites, carrées. Un intellectuel, je pense. Un coincé, j’en suis sûre. Il fait un terrible effort sur lui-même pour paraître à l’aise. J’avale une gorgée de vin, puis une seconde et les paroles d’Anne-So et celles de Marc résonnent dans ma tête.

J’attends avec impatience la rotation, un coup de cuillère contre un verre à vin. Heureusement cette barbe ne va pas me tenir compagnie durant toute la soirée.

Je croque un morceau de poire en l’écoutant me demander comment j’ai eu l’idée de venir ici. J’ai eu envie de répondre : ce n’était pas du tout mon intention de participer à tout ceci. Mais je dis : « pour voir, pour rencontrer des personnes sympas ».

Je ne veux pas m’impliquer davantage ni me moquer trop ouvertement. Et lui ? Il voulait avoir l’occasion de discuter avec des femmes agréables, dans la vie on a si peu l’occasion de rencontrer de nouvelles personnes, hors de son milieu, c’était la sixième fois qu’il participait. Sans doute un pervers.

Un nouveau changement.

Cette fois, j’essaye de deviner quelle profession il peut bien avoir. Il n’y a qu’un prof de lycée pour porter un pull gris aussi terne. En d’autres circonstances, j’aurais pensé : prêtre. Je fais l’effort de m’imaginer être amoureuse de lui, le retrouvant le cœur battant pour un rendez-vous, le prenant dans mes bras, me serrant contre lui. Cela m’écœure. Il n’est pas du tout mon genre. Les autres femmes sont-elles aussi dégoutées que moi ? Il a un sourire gêné, de quelqu’un qui ne sait plus quoi dire et qui doit meubler encore cinq bonnes minutes, car il incombe à un homme de mener la conversation, comme il se doit. Je lui demande s’il va au cinéma, en faisant exprès de faire des gestes disgracieux, pour lui déplaire. Non, sauf de temps en temps voir un film d’action, il aime beaucoup Matrix. Et lire. Lire, oui, mais on n’a guère le temps, avec la vie, actuellement, surtout des revues, en fait, d’informatique. C’était donc ça. Et il joue, parfois, sur son ordinateur ? La cloche a enfin sonné. Je me lève pour la table suivante en prenant soin de cocher « non ».

Celui-ci rappelle vaguement un copain de la fac. Il n’a pas dû connaître beaucoup de femmes dans sa vie. Je le vois tout de suite. Un rien dans la manière de poser des questions, de couper les cheveux en quatre, une certaine façon aussi d’être mal à l’aise, d’être petit garçon qui ne trompe pas. Je me mets à penser que lui, il ne m’aurait jamais trompé. Cheveux ébouriffés, mal coupés, une drôle de mèche en mouvement sur le dessus du front. Pas très soigné, monsieur, il faut tout de même faire un effort pour séduire ! Il postillonne en parlant et je sens une légère odeur d’haleine, malgré la table qui nous sépare. Difficile d’être attirée. Je m’empresse de cocher « non ». Il vit à Florence, va souvent aux Etats-Unis, pour des recherches, est originaire de Paris. Il parle beaucoup. Je respire par la bouche, discrètement mais sûrement. Il m’explique qu’à notre âge beaucoup cherchent à se caser, à trouver une femme faire sa vie, lui pas vraiment, je cerne la contradiction chez lui, quitte à prendre n’importe qui, qu’ils n’aiment pas vraiment, c’est dommage, vraiment quel dommage, ils font le choix d’avoir de l’argent, une situation, une respectabilité, il a un copain qui est à Londres, d’ailleurs, c’est le parfait exemple. Au bout d’un moment il s’arrête, il vient sans doute de repenser à moi, me demande en ayant l’air de s’excuser si je n’ai pas remarqué la même chose. Je n’ai pas le temps de répondre. C’est la rotation. Le verre tinte. Au revoir et merci.

Un autre, barbe de plusieurs jours, habillé simplement, cigarette, mauvais point. Il me dit qu’il s’appelle Bernie. Je lui réponds que moi, c’est Marie. Archéologue, vit dans un coin paumé, Crémieu. Il prend vide un verre, pas le premier apparemment. Air négligé, air de s’en ficher, air seulement, je ne le crois pas une seconde. Que me dira-t-il ? De lui, je veux dire, vraiment.

Le suivant portait un costume cravate et avait le menton bien rasé. Rien ne dépassait. Se méfier, ce sont les pires. Je venais d’en payer les frais avec ce genre d’hommes. Ceux-là qu’on pense irréprochables et qui au final se révèlent être des montres. Il me propose qu’on se dise directement ce que l’on aime. Je dois commencer, le jeune homme est galant. A moi de prendre les risques. Je dis, en vrac : penser, le cinéma, l’Amérique du Sud, l’aviron. Il sourit, on voit presque toutes ses dents, très blanches, parfaites, dans l’alignement. J’imagine qu’il doit passer la soirée ainsi, excellent pour les zygomatiques, il paraît que ça évite les rides. Enfin, je dois reconnaître malgré toute ma mauvaise foi qu’il est charmant, sa chemise boutonnée jusqu’au col et son air BCBG. Lui aime l’art « au sens large », le sport, les voyages. J’imagine qu’il va me sortir les photos, les soirées interminables avec des copains, à raconter pour la énième fois la même anecdote, la fois où il s’est perdu dans les rues d’Erevan, et où il a rencontré une petite vieille qui l’a raccompagné, pas à pas, voyant qu’il ne comprenait rien à son explication. Quels types de voyages ? Je demande. Club Med ou sac à dos ? Plutôt sac à dos, enfin, c’est-à-dire, pour l’instant il n’a pas beaucoup voyagé mais il aimerait, mais pas seul.

Lui : Si tu vois ce que je veux dire.

Moi (un faux sourire) : Oui je vois.

Un juriste dans les assurances, peut-être. Je serais prête à parier : études de droit, vie bien rangée, cinq semaines de congés annuels, des RTT, le RER tous les jours. Je lui dis que je suis au chômage, que je reviens de Bombay. On dirait que je lui plais, à la manière dont il me regarde droit dans les yeux, au pétillement, au sourire attendri. Il est de ceux qui acceptent, de ceux qui ne pensent pas trop. Il me parle bande-dessinée, il apprécie la qualité des dessins, Blacksad, un chat détective créé par deux Espagnols, des anciens des studios Disney. Il est un peu trop beau pour être honnête, il joue le prince charmant. J’ai trop de souvenirs pour prendre ce risque. La rencontre est finie et je coche encore « non ». Il m’a quand même plu celui-là. Mais de là à songer à le revoir, non.

Je continue de me déplacer d’une chaise à l’autre en picorant çà et là ce que les tables ont à offrir. Au moins, le diner aura été fabuleux et à mon gout. Pour ces hommes, aucun n’est mon genre. Et c’est quoi mon genre ?

Grand, type méditerranéen, teint mat, lèvres sensuelles. Amoureux de la lecture et des voyages. Connaisseur des bonnes choses et des belles choses. Indépendant émotionnel. Bon cuisinier.

Moi (la tête dans les nuages) : Hummm Raphaël.

Celui face à moi : Non, moi c’est Dan je t’ai dit.

Moi : A quoi bon me donner ton prénom, ce sera non de toute façon.

Et voici comment je passe ma soirée à penser à celui à qui je ne devrais plus jamais penser. Je me rends compte que je pensais le connaitre mais en fait je me trompais sur toute la ligne. Je le prenais pour le genre d’homme qui vous laisse toute votre liberté en fait, il était plutôt de ceux qui n’impose rien. Je pensais qu’il était de ceux qui cherchent l’amour chez une femme appartenant au même milieu social et pourtant, je me trompais royalement. Je pensais qu’il voulait un mannequin alors qu’il se contentait d’une femme qui se fichait pas mal d’avoir les cheveux négligés. J’avais fait fausse route sur tout et ce depuis le départ. Raphaël était sans doute tombé amoureux de moi mais il avait dû se fatiguer de vivre une vie comme sur une carte. Une vie impeccable.  

Je regardais à côté de moi, Margot toute souriante. Mère de deux enfants, de petits bourrelets, les joues rondes et les ongles coupés. Elle faisait rire ces hommes tandis que moi, soignée de la tête aux orteils, je passais un mauvais moment. Vivement que la soirée s’achève, que je puisse me retrouver seule chez moi.

 

Margot***

C’est samedi, je passe la journée à la maison avec ma petite famille. Beth, la sœur de Sam est passée nous faire un coucou. Je lui confie les bambins et avec mon tendre époux, nous allons faire les courses.

Nous marchons dans les rayons à la recherche de confiture de figues. C’est la seule que Sam mange. Je lui raconte la soirée d’hier. Alex est vraiment mal. On ne va pas forcément à ce genre de soirée en se disant qu’on tombera sur l’homme de sa vie mais c’est l’occasion de faire des rencontres ou au moins de s’amuser en écoutant toutes ces histoires folles.

Sam (poussant le charriot à moitié rempli) : Tu auras au moins essayé.

Moi : Non, c’est à toi que revient tout le mérite. Nous nous sommes quand même bien amusées.

Sam : Il y a encore une solution.

Moi (dépitée) : Je suis bien curieuse de savoir laquelle.

Sam (enjoué) : On l’inscrit sur des réseaux ou des sites et on attend. Elle est belle tu sais, il y aura forcément quelqu’un qui s’intéressera à elle.

Moi : Ce n’est pas ça le problème. En fait même si quelqu’un s’intéresse à elle, elle monte vite sur ses grands chevaux. Elle court derrière le fantôme de Raphaël je pense.

Sam (prenant un paquet de macaronis) : Et si tu en parlais à Anne-Sophie, elle regorge souvent de petites idées bien folles.

Moi : C’est une bonne idée, je ferai ça.

Nous terminons nos courses et avant de rentrer, nous nous offrons un petit moment en tête à tête dans un petit parc. Des enfants courent dans tous les sens, nous discutons en savourant des glaces. C’est ça le bonheur.

De retour à la maison, je m’empresse d’appeler Anne-So. Léa ne me lâche pas une seconde. Ça sonne depuis un moment.

Moi (exténuée) : Quel pot de colle !

Anne-So : Ah bon ? Merci du compliment.

Moi : Non, ce n’est pas toi, c’est Léa qui ne veut pas me laisser faire le moindre petit pas.

Anne-So : C’est toi qui as choisi de devenir mère hein, faudrait que tu assumes.

Moi : Oui, je sais. C’est juste épuisant quelques fois. Bref, après le fiasco d’hier, j’ai eu une nouvelle idée. Du moins, mon Apollon a eu une idée.

Anne-So (un fou rire) : Euh… Il ressemble plus à Cupidon notre bon vieux Sam.

Elle a raison, il est un peu enrobé. Depuis que je le connais, il est au régime et pourtant, il n’a jamais perdu un seul gramme. Cette remarque me fait sourire.

Moi : Ecoute au lieu de te moquer. Et si on inscrivait Alex sur Facebook ou Meetic ?

Anne-So : Ma pauvre fille tout ça c’est dépassé. Mais je t’écoute.

Moi : Le but c’est qu’elle fasse connaissance avec des hommes.

Anne-So : Ou des femmes.

Moi (Léa dans les bras) : Un peu de sérieux. Tu vois ce que je veux dire.

Anne-So : Je vois. On va l’inscrire sur Tinder.

Moi (faisant des grimaces à ma petite chipie) : Tinder, c’est quoi ça ?

Anne-So : Laisse-moi faire, cette fois c’est à moi de jouer. Je dois te laisser, il y a un beau mâle qui m’attend dans mon lit.

Moi : Il est dix-huit heures.

Anne-So : Et alors, il n’y a pas d’heure pour se faire plaisir. Je t’aime. Embrasse tout le monde.

Elle raccroche avant que je puisse en placer une. Elle a vraiment une drôle de définition de la notion de plaisir. Je fais un message à Chacha pour l’informer des dernières idées révolutionnaires concernant le cas Alex et elle est partante pour Tinder. Apparemment, il n'y a que moi qui ne connaisse pas ce que c’est.

Love Surprise