Chapitre 6: Le sous-sol des horreurs

Ecrit par Mady Remanda


 

Peu à peu mes yeux s’habituèrent à l’obscurité.

Je pouvais distinguer des murs blancs nus, le sol était froid, et l’air était humide.

Je regardai autour de moi, la pièce semblait grande.

Aucun bruit, aucun mouvement, aucune lumière…RIEN !

Je ne savais pas quoi ressentir.


Dans mon esprit, la confusion prévalait. J’étais perdue, déboussolée, incapable de comprendre ce qui m’arrivait à l’instant.

« Fais tout pour ne jamais aller au sous-sol » Avait répété Adèle Eyumane, très certainement en connaissance de cause, mais voilà que je m’y trouvais sans même savoir quelles étaient mes fautes.

J’avais pourtant subi presque sans rechigner les assauts de Mamani avec ses deux sexes diaboliques.

Qu’avais-je donc fait pour que Mamani se sente trahi au point de m’envoyer ici ?


Je restai coite quelques minutes, attendant que mon cœur s’arrête de battre aussi follement. Je fermai les yeux pour essayer de rassembler mes idées.


Que se passait-il ?

Pourquoi Mamani était-il aussi furieux ? Qu’avais-je donc fait ?

Il disait que je l’avais trahi mais en quoi ?


Ne l’avais-je pas laissé me « torturer » avec des deux sexes diaboliques ? Qu’attendait-il de plus de moi ?

Perdue dans mes pensées, je ne perçus pas d’abord les chuchotements, puis ils se firent distincts et je me figeai.

Il y avait des gens à côté de moi, j’entendais des voix…


Mes yeux s’étaient habitués à l’obscurité, je ne distinguais aucune ombre alentour mais j’entendais bien des voix chuchoter, je ne pouvais pas entendre ce qui se disait, mais c’étaient bien des voix ou alors… ?


Etais-je en train d’halluciner ?

Y avait-il des fantômes dans cette pièce ?


Mon Dieu !

Mon cœur se remit à battre la chamade, effrayée pire même terrifiée, je me mis à parler :


-      Y a quelqu’un ? Est-ce que quelqu’un m’entend ?

Silence.

Plus aucun chuchotement…

Avais-je rêvé ?

Dieu…que se passait-il ?


Soudain je m’imaginais des tas de choses terrifiantes.

Et si je perdais la raison ?

Et si je ne sortais jamais d’ici ?

Mon Dieu ! Ma  vie finirait-elle donc ici ?


Je compris qu’au fond de moi, malgré tout ce que sans cesse je me répétais, je n’avais jamais perdu l’espoir de m’en sortir et de connaître une vie normale…


Autant dire que je m’étais leurrée…si ça se trouve je ne sortirais plus jamais d’ici…je mourrais certainement de solitude et de faim…

De faim ?

Au fait servait-on  à manger ici ?


En même temps que je posai cette question, j’entendis une voix, cette fois assez distinctement :

-      Ouvrons-lui la porte…


Je me figeai sur place…

Seigneur !

Etaient-ce des fantômes ?


-      Vas-y…ouvres-lui…Renchérit une voix plus faible


C’étaient des voix de femmes…

Mais d’où venaient-elles ? Parce que de là où je me trouvais je ne distinguais absolument rien.

Je me posais encore cette question quand soudain, je vis un rai de lumière…je levai les yeux et constatai que le mur devant moi avait coulissé. Mon cœur se mit à battre…


Que se passait-il ? Y’avait-il vraiment des gens dans ce sous-sol ? Ou alors étaient-ils peuplés de fantômes ?

Devenais-je folle ?

En quelques secondes, dix mille questions troubles me traversèrent l’esprit.


Les chuchotements reprirent sans que je ne voie personne entrer, mais il y avait désormais devant moi, une ouverture dans le mur, assez petite mais suffisamment large pour laisser passer une personne, la lumière filtrait de là, mais je ne pouvais voir au-delà.


J’étais partagée entre la terreur et l’espoir.


Peut-être que finalement, je ne serais pas seule dans ce lieu sinistre.

-      Viens ! Dit alors une voix…


Je tressaillis.

Mon Dieu qui étaient donc ces gens qui me parlaient maintenant mais que je ne pouvais pas voir ?


-      Eh ! Viens…vas –y entre…

Cette fois, pas de doutes, ces voix venaient bien de là, et elles s’adressaient à moi. Qui était-ce ? Devais-je les écouter ?


-      Qui êtes-vous ? Je ne comprends pas,  où suis-je ? Que se passe-t-il ?

-      Nous n’avons pas beaucoup de temps…la porte ne reste ouverte que quelques minutes, si tu veux des réponses va falloir passer de ce côté…


Mon cœur battit la chamade…

La voix avait prononcé « passer de ce côté » comme si elle parlait de passer dans un autre monde…

Allais-je donc  mourir ?


Seigneur ! Tout ceci était-ce seulement réel ? Mamani ne m’avait-il pas déjà tuée ? Peut-être étais-je là dans le monde de la mort ? Toutes ces interrogations se bousculaient dans ma tête en quelques secondes.


-      Nous allons fermer…dépêche-toi…Redit l’une des voix


En une fraction de seconde, je décidai de prendre les risques, de toutes les  façons je n’avais rien de plus à perdre, rester ici dans le froid, le noir, le silence et la solitude, ou passer cette ouverture et rejoindre ces « fantômes » qui m’appelaient ?


Le choix fut vite fait, je préférais parler à der fantômes plutôt que de rester là toute seule, qui sait peut-être que ces voix sauront donner quelques réponses à mes multiples interrogations !


Je me levai le plus prestement que je pus et me dirigeai vers l’ouverture dans le mur d’où filtrait la lumière et d’où me semblait venir les voix.

J’avançai doucement tandis qu’une autre voix chuchotait :


-      Elle arrive, elle nous rejoint…


Arrivée devant l’ouverture lumineuse, j’hésitai, je n’eus cependant pas le temps de me poser plus de questions, des mains me saisirent et me poussèrent à l’intérieur, le battant coulissa derrière moi.


La lumière m’aveugla un moment, puis peu à peu mes yeux s’accoutumèrent.

Je regardai autour de moi.

Il y’avait beaucoup de femmes assises

Une vingtaine, peut-être une trentaine…je ne saurais le dire.


Elles étaient les unes plus maigres que les autres, certaines avaient les yeux ouverts, d’autres dormaient peut-être…il flottait dans l’air une forte odeur d’humidité mais aussi une odeur plus musquée, que je ne parvins pas à déterminer.

Une femme anormalement mince, affaiblie, vêtue d’une robe délavée  vint devant moi:


-      Bonjour…comment t’appelles-tu ? Me demanda-t-elle


Je reconnus tout de suite la voix qui m’avait demandé de passer de ce côté.

J’étais effrayée, j’avais l’impression d’avoir affaire à des zombis, qui étaient ces femmes, que faisaient-elles là et pourquoi étaient-elles en si mauvais état ?


-      Qui êtes-vous ? Et…où sommes-nous ? Demandai-je un peu déboussolée et très apeurée

Elle me regarda fixement de ses yeux ternes et un faible sourire se dessina sur ses lèvres gercées.

-      C’est toi qui viens d’arriver, c’est à toi de répondre aux questions, mais je veux bien me présenter…

Elle marqua une légère pause comme si le fait de parler l’essoufflait et qu’elle avait besoin de reprendre son souffle.

-      Je suis Janet Kamdem…je suis la plus ancienne locataire de cet endroit. Bienvenue au sous-sol…

Mon cœur battit la chamade.

Je sentis peser sur moi plus des dizaines de regards, comme si elles attendaient quelque chose de moi. Janet Kamdem reprit :

-      Maintenant à toi de nous dire qui tu es, nous allons l’inscrire dans le cahier…fais-le avant que tu ne l’oublies, ici c’est très facile d’oublier qui on est et d’où nous venons…

Les paroles de la dame et encore plus sa voix faible et monocorde me paralysèrent.

C’était un cauchemar, j’allais me réveiller.

Dites-moi que je vais me réveiller je vous en prie !

-      Tu ne veux rien nous dire ? Soit ! Mais quand tu ne te souviendras plus de rien, ne te plains pas. En principe nous devons te faire visiter les lieux, mais comme tu vois, tout le monde est un peu faible, il te faudra attendre qu’on nous envoie de la nourriture, pour qu’on reprenne des forces…

Je ne disais toujours rien.

Pas parce que je ne voulais rien dire, mais parce qu’il y’avait comme une boule dans ma gorge qui m’empêchait de parler.

Janet Kamdem reprit une fois de plus son souffle avant de dire :

-      Trouve-toi une place à même le sol.

Puis elle tourna les talons et alla s’asseoir un peu plus loin.

Je me tenais la debout, sentant peser sur moi tous les regards.

Je n’y croyais pas.

Dans quelle galaxie avais-je donc atterri mon Dieu ?

Le silence s’éternisa.

Aucun bruit, mis à part celui de quelques respirations.

Et cette odeur, l’odeur de l’oubli, l’odeur de la mort dans l’oubli.

Je regardai autour de moi.

Toutes les femmes présentes semblaient se ressembler tant leur mise était identiques.

-      Peut-être devrions-nous commencer par nous présenter à elle, après tout, chacune se souvient combien l’arrivée ici était intimidante…Dit une autre voix derrière moi…

Je me retournai pour voir qui parlait.

Une femme qui me parut plus jeune que Janet Kamdem s’était levée. Elle s’avança près de moi, et me toucha l’épaule droite de sa main frêle.

Elle avait un accent assez typique de l’Afrique de l’ouest, à la différence de celui de Janet Kamdem.

-      Bonjour, je suis Nabou Traoré, je dois avoir trente ans, je ne sais plus, j’ai perdu le fil, cela fait huit ans que je suis ici…

Je la regardai comme si je ne la voyais pas.

Je réalisai à cet instant que je pouvais finir ma vie ici.

La dénommée Nabou se tourna vers les autres et dit :

-      Que celles qui s’en sentent la force se présente et lui souhaite la bienvenue, les autres le feront au fil du temps…

Nabou s’écarta légèrement pour laisser passer une demi-dizaine de femmes qui s’étaient levées pour m’encercler.

-      Moi c’est Atchiné,  je suis ici depuis dix ans !

-      Moi, Pamela, je suis là depuis cinq ans !

-      Yamavi, je suis là depuis douze ans…

Les présentations se poursuivirent ainsi.

Chaque femme qui se présentait menaçait de me faire perdre la raison.

Pour la première fois depuis des années, j’avais envie de me révolter.

Depuis que j’avais vendu ma vie à Mamani en échange de celle de mes petits frères, je n’avais jamais pensé que certaines femmes pouvaient  vivre plus que mon malheur.

Non !

C’était impossible !

Mamani ne pouvait pas être aussi…

Aussi...

Il n’y avait pas de mots pour décrire ce que je pensais et ressentais.

Nabou Traoré continuait de parler.

-      Tu auras le temps de te familiariser avec l’environnement. Ici c’est la pièce principale où nous dormons et passons nos journées, mais il y a d’autres pièces…nous te les ferons visiter plus tard, nous attendons le repas…

C’était la deuxième fois que j’entendais dire qu’elles attendaient le repas. Elles avaient donc la possibilité de manger…

-      Deux fois par semaine, on nous livre du pain et des conserves ainsi que de l’eau, nous devons pouvoir gérer ces vivres.

-      Il y a une buanderie, où nous pouvons faire un peu de lessive et des deux douches pour faire la toilette. Ajouta celle qui me sembla être Yamavi

Si j’en croyais cette diversité d’accents, ces femmes venaient d’un peu partout dans l’Afrique, elles étaient relativement jeunes malgré les traits marqués par la malnutrition.

-      Nous ne sommes pas oisives ici, loin de là, nous avons des tâches à accomplir comme…Commença celle qui s’était présentée sous le nom d’Atchivé avant d’être interrompue par Janet Kamdem

-      Non ! Ne lui dites rien pour le moment.

Celle qui semblait être la chef de file s’était levée et de nouveau s’avançait vers la petite troupe qui s’était formée autour de moi.

-      C’est son premier jour, nous devons la ménager. Nous aurons à manger demain. Ensuite nous te ferons visiter et t’expliquerons tous que tu as besoin de savoir. Dit Janet.

Il y eut un silence.

Je compris que les autres femmes respectaient beaucoup Janet Kamdem, était-ce seulement parce qu’elle était la plus ancienne ?

Comme si elle lisait dans mes pensées, Janet s’adressa de nouveau à moi et dit :

-      Cela fait dix-neuf ans que je suis ici…et je fais un peu office de leader…

Dix-neuf ans !

Ma parole, Adèle Eyumane était encore de ce monde !

Peut-être l’avait-elle connue ?

Si l’occasion m’était donnée, je le lui demanderais.

-      Crois en mon expérience, ici, il est toujours mieux d’en apprendre un peu plus chaque jour plutôt que tout d’un seul coup. Demain, ou dans quelques jours tout au plus tu vas relativiser, et tu pourras en savoir plus sur notre vie ici.

Il y eut de nouveau un silence alors que Jante Kamdem tournait les talons et regagnait sa place.

On aurait dit qu’elle avait implicitement signifié ainsi la fin des présentations.

Les femmes qui s’étaient levées regagnèrent leurs places.

Il était temps que je bouge, ou que je dise quelque chose.

Je ne voulais pas paraître méprisante envers ses femmes qui devaient certainement beaucoup souffrir déjà, surtout que dans quelques temps, je serai l’une d’entre elles.

Je décidai que je leur devais bien au moins de me présenter.

J’avalai difficilement un peu de salive comme pour faire passer la boule que je ressentais dans ma gorge, je pris une profonde inspiration et lança d’un seul souffle.

-      Je m’appelle Elina. Je ne sais pas pourquoi je suis là. Et je ne sais pas quoi dire…

Qu’aurais-je pu ajouter.

J’entendis des murmures dans la salle.

Il me sembla que les femmes me comprenaient plus que je ne le croyais. Sans doute étaient-elles chacune passée par là.

-      Il n’y a pas nécessairement besoin d’une raison pour envoyer quelqu’un ici…mais dis-toi que tu as plus de chances que certaines. Répondit Nabou Traoré avant de se taire brusquement comme si elle craignait de trop en dire

Il y eut à nouveau un silence que Janet Kamdem brisa :

-      Assieds-toi maintenant Elina. Prends le temps qu’il te faut pour  réfléchir à tout ce qui te passe par la tête. Dans quelques jours, les choses te paraîtront plus claires.

Je regardai autour de moi et avisai un espace vide.

Je me dirigeai d’un pas lourd pour m’y asseoir quand une voix retentit.

Le Prix de ma Vie