Chapitre 5: Le Sursis
Ecrit par Mady Remanda
Chapitre 5 : Le sursis
Vous raconter ce que j’ai vécu cette nuit-là ?
Impossible !
Je crois d’ailleurs qu’aucune femme à ma place ne le pourrait…Pas même ma mère, Adèle Eyumane, cette femme sans cœur…quoique si elle nous a ainsi livrés au diable, peut-être cela ne lui aurait rien fait de subir pareille infamie !
Deux sexes masculins !
J’en frémis encore…
Comment pourrais-je vous dire l’horreur de se sentir pénétrer tour à tour par des engins diaboliques ?
Quels mots pourraient décrire la meurtrissure de mes chairs, la souillure de mon intimité, la révolte de ma charpente ? Quels mots ?
Je n’en trouve pas malheureusement.
Pourtant, cette nuit-là, je vécus un véritable supplice de Tantale. J’eus beau pleurer et crier, mais qui dans cette maison m’aurait secourue ? Personne…Atos était un habitué de ces pratiques, elles le laissaient indifférente, ce même Atos qui ne m’avait pas secourue à douze ans ne l’aurait certainement pas fait quatorze ans plus tard !
Quand à Miss Ossola… elle était aussi froide que du marbre alors que mes cris l’atteignent…rien n’était sûr !
Au début, je m’étais dit que je ne crierais pas, je ne voulais pas donner ce plaisir à Mamani, et surtout, je savais que c’était de ma douleur qu’il tirait sa puissance. Mais je ne pus m’en tenir à cette résolution car, Mamani, devenu presqu’animal s’était jeté sur moi comme un taureau.
Et la torture avait duré des heures…
Quand enfin peu avant l’aube il avait quitté ma chambre, je sus que je venais de perdre mon âme.
Je réfléchissais à la meilleure façon de prendre la vie que je m’apprêtais à vivre.
Devais-je faire comme Adèle Eyumane, m’étourdir de bien matériels pour oublier les horreurs ? Je n’en avais pas la force. Où l’aurais-je trouvé cette force d’ailleurs ?
J’avais honte de moi.
Au départ, quand Mamani m’avait expliqué que je ne sortirai quasiment jamais de la maison, que je devais y rester enfermée et que tout me viendrait aisément il me suffirait de demander, j’avais voulu me révolter. J’avais imaginé que je ne supporterai jamais de vivre ainsi enfermée tout le reste de mes jours.
Mais…
Ce que je vécus cette nuit-là me fit comprendre qu’en réalité si je continuais de vivre pareilles horreurs, je n’aurais jamais envie de voir le dehors de ces murs, je n’aurais de cesse de rester cloîtrée là pour cacher au monde ma honte et ma souillure.
Ciel !
N’y avait-il donc aucun moyen d’échapper à Mamani ? Allais-je subir l’intrusion de ces deux sexes diaboliques tout le temps ?
- Tu sais…tu as le choix…c’est cela ou le sous-sol…
Le sous-sol !
La seule confidence, ou plutôt la seule recommandation que ma détraquée de mère avait pu me donner avant de mourir.
- Elina, ma fille…je sais que je t’ai fait beaucoup de mal, à toi mais aussi à tes petits-frères…mais écoute-moi…si j’avais les moyens de vous éviter de « payer vos dettes » à Mamani, je le ferai je te le jure…
C’était quelques jours avant sa mort, alors qu’elle était au plus fort de la maladie qui l’avait emportée.
A cette époque-là, je la haïssais déjà alors ses conseils je m’en foutais complètement, mais c’était ma mère et je n’avais pas pu l’abandonner.
- Saches que Mamani m’a promis que tu serais « dans la maison » c’est déjà bien et si tu peux même être dans la chambre mauve ce serait idéal…
Etre logé dans la maison de Mamani était un luxe pour les femmes que cet ogre utilisait, il avait d’autres recoins de sa résidence qui n’était pas accessible à tous, même pas à moi, je ne savais pas ce qu’on y faisait, mais d’après Adèle Eyumane, le meilleur sort était d’être dans la « Chambre mauve » c’est-à-dire celle qu’elle-même avait occupée.
Qu’en savait-elle ? M’étais-je alors demandée.
Avait-elle eu accès aux autres recoins de cette horrible demeure ?
- De grâce Elina, même si Mamani te le présentes comme une option équitable, n’acceptes jamais de choisir le « sous-sol » s’il te plaît ma fille…
Adèle Eyumane avait prononcé cette dernière recommandation avec dans le regard une terreur que je ne lui avais jamais vue !
Ma téméraire mère avait donc peur de quelque chose en ce bas monde ?
- Promets-le-moi…Dit-elle en gémissant de douleur
Je la regardai sans mot dire.
Je ne lui parlais pas beaucoup, et ce depuis de longues années. Depuis que j’avais su qu’elle m’avait vendue à Mamani alors que je n’avais pas douze ans. Depuis que j’avais su qu’elle avait aussi gagé les jumelles et Terence au cas où je ne ferais pas l’affaire auprès de Mamani.
C’était d’ailleurs pour cela qu’après avoir crié, tempêté, après m’être rebellée et avoir tenté de m’enfuir, je m’étais résignée à accepter la vie que ma mère avait choisie pour moi.
J’avais alors quatorze ans, quand j’appris tout cela, je décidai de me « sacrifier » pour éviter que mes petites frères en arrivent là.
Aussi étrange que cela put me paraître, je restais toujours chez Mamani mais il ne me sollicitait que rarement. J’étais la première étonnée d’y vivre à peu près normalement.
Je ne devais pas sortir beaucoup, mes sorties étaient réservées aux visites que je faisais à ma mère et mes petits frères sous escorte.
J’avais commencé à m’adapter.
Ce jour-là, pour que ma mère malade arrête de s’agiter dans son lit, je lui avais donc promis de ne jamais accepter de descendre au sous-sol.
Elle avait eu un faible sourire et m’avait remerciée en disant :
- Tu verras, tu t’y feras avec le temps…et ça te semblera presque facile…
Je me retins de lui lancer une pique ironique.
« Presque facile ? »
Etait-ce ainsi qu’elle avait supporté sa vie ? Et pour quel résultat ? Mourir comme un chien ? Non ! J’étais sûre que je ne m’y habituerais jamais.
La différence entre ma mère et moi était simple. Elle avait choisi cette vie pour des raisons qu’elle ne m’avait jamais données, moi je ne l’avais pas choisie, elle me l’avait imposée et c’était peut-être ça qui faisait que pour moi, ce ne serait jamais facile !
J’avais cependant réussi à lui arracher une horrible confidence sur son lit de mort, même si beaucoup de questions restaient sans réponses, sans doute le resteraient-elles jamais.
Maman mourut quelques jours après cette conversation. J’avais presque seize ans.
Mamani ne se montra pas à ses obsèques, mais il me permit de m’y rendre et se montra fort généreux en participant gracieusement.
Le jour de mes seize ans, il me convoqua dans son bureau pour me proposer un marché.
- Je ne sais pas pourquoi mais j’ai à cœur de te faciliter la vie ma chère Elina…
Je le regardai perplexe.
Où voulait-il en venir ?
- Contrairement à ta mère, tu es venue à moi contrainte et forcée, non pas que ça fasse une réelle différence car en réalité peu m’importe comment les femmes franchissent le seuil de ma demeure, une fois qu’elles y sont, elles m’appartiennent…
Mamani me terrorisait plus que tout à cette époque. Quand il m’arrivait de penser à celui que l’univers appelait « Satan» il avait désormais le visage de Hummaru Mamani !
Ses paroles ne me surprirent pas, je savais déjà pour vivre sous son toit que c’était un homme sans cœur.
Très souvent d’autres femmes et d’autres jeunes filles arrivaient dans la maison, mais aucune n’était jamais restée plus d’un mois. On n’avait même pas le loisir de se parler, chacun était dans sa chambre et surveillé.
Parfois je me demandais où elles étaient parties, je ne le savais pas. Elles disparaissaient et je ne les voyais simplement plus, déjà je ne savais jamais quels étaient leurs noms.
Tout ceci m’intriguait d’autant plus que j’étais la seule à être restée dans la « maison » pratiquement cinq ans !
Pourquoi ?