Chapitre 6 - Papa
Ecrit par NafissaVonTeese
-- PRÉCÉDEMMENT --
Pour pouvoir arriver à ses fins,
Amina savait qu’il était impératif qu’elle se confronte à son passé, ce qu’elle
avait toujours refusé de faire. Cette fois-ci cependant, tout allait être
différent. Même si elle avançait dans l’inconnu, désormais, elle savait comment
s’y prendre pour obtenir ce qu’elle voulait et rien n’allait l’arrêter.
--
« Il faut exiger de chacun ce que chacun peut donner. L’autorité repose d’abord sur la raison. »
Antoine de St-Exupery
Pour quelle raison attendons-nous
toujours des autres ce que nous ne nous donnons même pas la peine de nous
procurer par nos propres moyens ? Toutes ces choses qu’on désire au plus
profond de nous, tous ces sacrifices qu’on fait, nos craintes, nos souffrances,
nous éloignent les uns des autres, alors qu’ils pourraient nous rapprocher. Chaque
rêve demande une bataille personnelle à livrer. Mais le résultat vaut-il toujours
le prix qu’on en paye ?
Quand maman s’en est allée, je me
suis retrouvée toute seule. Je n’avais pas perdu qu’une mère, j’avais perdu bien
plus que je n’avais pu le deviner sur le coup. Avec le temps, je m’étais rendue
compte que je n’avais plus l’amie fidèle, toujours compréhensive et attentive
qu’elle représentait. J’avais aussi perdu mon goût à la vie, mes repères, ma
joie de vivre. Sans m’en rendre compte, je m’étais refermée sur moi-même. Je
restais des journées entières couchée sur mon lit, perdue dans mes souvenirs
des belles années passées.
L’odeur de la cuisine de maman…
Moi dansant avec papa sur de
vieilles chansons de Gloria Estefan…
Tout allait si bien dans notre vie
quotidienne et du jour au lendemain, tout est tombé à la renverse.
« Il est impossible de se faire aimer par tout le monde, mais le pouvoir inspire respect et crainte. Et ça, c’est tout ce qu’il faut pour dissuader toute personne pensant qu’elle peut se permettre de te mettre des bâtons dans les roues, sans fâcheuses conséquences.»
C’est ce que répétait papa à qui voulait l’entendre. Il n’avait aucun doute sur
le fait que le secret d’une vie épanouie était le pouvoir. Il avait le monde à
ses pieds et cela le rendez heureux. Puis du jour au lendemain, il était devenu
froid et distant.
Sa chambre se trouvait au premier
étage de la maison et la mienne au rez-de-chaussée, mais cela ne m’empêchait
pas de l’entendre parfois parler tout seul et éclater de rire pour aussitôt
s’effondrer en larmes comme un enfant ; même deux mois après la mort de
maman. Papa était consolable. Il était devenu une personne que je ne
reconnaissais plus qu’à travers ses traits du visage. L’image de l’homme
confiant et puissant que tout le monde respectait et craignait avait tout
simplement disparu.
Il était de plus en plus absent de la
maison. Le départ de maman nous avait brutalement éloigné l’un de l’autre. On
en était arrivé à nous éviter pour ne plus avoir à réveiller le malaise
qui s’installait quand nos regards se croisaient.
Après son arrestation, j’avais jugé
bon de le sortir définitivement de ma vie. Je lui en voulais terriblement de
m’avoir abandonné quand j’avais le plus besoin de lui, mais surtout d’avoir
refusé de croire que Maman ne s’était pas suicidée.
Ce n’était pas très difficile de
l’oublier et j’avais réussi, d’autant plus qu’il m’y avait pas mal aidé. « Inconsciemment peut-être », j’avais
pensé en traversant une troisième porte de sécurité en moins de deux minutes
après mon arrivée au camp pénal de la Liberté 6. J’avais bêtement souri en
repensant à la série Prison Break et à son acteur principe que je trouvais
extrêmement séduisant.
-
Patientez, le temps qu’on le fasse
venir !
A peine ces mots prononcés, la jeune
femme d’apparence sévère qui m’avait accompagnée jusqu’à la salle des visites,
me tourna le dos et disparut derrière la porte que nous venions de franchir
ensemble.
La peinture grise sur les murs était
tout écaillée et donnait à la pièce l’impression d’être deux fois plus étroite
qu’elle ne l’était réellement. Il n’y avait pas plus d’une douzaine de petites
tables en fer, regroupées en deux rangs et fixées au sol. A chacune d’elles
était liée deux chaises en bois très clair recouvert d’une fine couche de
vernis incolore. J’en avais choisi une par hasard avant d’aller m’y asseoir.
Je ne m’y attendais pas, mais la
pression commençait à monter. Cela faisait si longtemps qu’on ne s’était pas
vu…
Entre mes doutes de vouloir le
revoir et toute la colère que j’éprouvais pour cet homme que je ne faisais plus
que détester depuis quatre années, je faisais de mon mieux pour résister à mon
envie de quitter cette pièce humide et lugubre.
Étais-je réellement prête à le
revoir ? Le temps de trouver une réponse, il était déjà devant moi,
accompagné par un jeune homme en tenue de garde pénitencier, l’air indifférent
à ma présence. Il prit place sur la chaise en face de moi et posa lentement ses
mains sur la table tout en soutenant son regard sur celui du garde qui était
allé se tenir derrière moi. Apparemment il lui parlait des yeux. Je ne m’étais
pas retournée pour voir sa réaction, mais je l’avais aussitôt entendue quitter
la pièce et refermer la porte par où il était entré, derrière lui.
Malgré le temps qui était passé et même
dans cet endroit qui me semblait pour le moins convenable, il avait su faire
preuve d’autorité et garder le contrôle qu’il avait sur tous ceux qui
l’entouraient. Cependant, il semblait avoir considérablement changé. Il donnait
l’impression d’avoir pris dix années plus en l’espace de quelques mois.
-
T’as poussé princesse.
« Princesse » !
Il ne m‘avait pas appelé ainsi depuis mes 13 ans, quand en passant me prendre
au collège, il m’avait surpris en train d’embrasser Amadou, mon binôme en cours
de chimie.
Il s’était penché vers l’avant pour
poser sa main sur ma joue avant que je ne la retire. Il avait aussitôt compris
que mes sentiments envers lui n’avaient pas changés, que je lui en voulais
toujours.
-
C’est fou comme tu as grandi. Une
vraie femme !
Je n’arrivais à prononcer aucun mot.
J’essayais, mais une grosse boule dans ma gorge faisait que je n’arrivais à
faire sortir le moindre mot de ma bouche. Je le regardais dans les yeux comme
je ne l’avais plus fait depuis ce jour où deux policiers, l’un en tenue et
l’autre en civil, lui ont lus ses droits avant de lui passer des menottes. Après
un long silence, son sourire forcé disparut de son visage.
-
Je ne m’attendais pas à te voir. Ils
m’ont parlés d’une certaine Madame DIAW… Mais c’est sans importance. Quelle
surprise !
Ses mains étaient venues chercher les
miennes qui étaient sur la table. Il les porta à ses lèvres pour les embrasser
tendrement, tout en me jetant son regard de père qu’on n’avait pas intérêt à
désobéir.
-
Tu m’as tellement manquée ma petite
princesse.
On dirait dit qu’il avait les larmes
aux yeux.
Il lui arrivait de se tordre de rire
pour une petite blague lancée par maman, ou de se mettait facilement en colère au téléphone, mais jamais il ne
s’était montré aussi expressif sur ses sentiments. Il paraissait si vieux et faible.
Qu’avait-t-il bien pu vivre dans cet endroit durant toutes ces années?
-
Dis-moi, tu manges au moins ?
On dirait une allumette. Et tes études ? Qu’est-ce qui est arrivé à tes
cheveux ? Pourquoi tu les as coupées ? Et tu vis où maintenant ?
Ton oncle m’a dit que tu étais partie de la maison et qu’il n’avait plus eu de
tes nouvelles. Tu es en sécurité au moins ?
Des questions et encore des
questions à ne pas en finir. Il ne me donnait même pas le temps d’y répondre et
tant mieux. Quand il se tut, j’eus enfin le courage de lui adresser la parole.
-
Tu te souviens de ce que tu me
disais quand je te demandais de me laisser m’asseoir sur tes genoux alors
que tu travaillais sur le vieux bureau près du placard où maman rangeait ses
foulards?
Il me regarda un instant, cherchant
dans ses souvenirs avant de sourire. Les yeux fermés, il avait dit :
-
Un royaume ne disparaît pas en une
minute alors le prince peut très bien accorder un peu de temps à sa petite
princesse.
-
Pourtant il t’a fallu moins d’une
minute pour que tout s’écroule autour de toi. Combien de temps est-ce que tu as
mis pour construire ton si grand royaume ? Tu te rends compte de tout ce
que ça t’a coûté ?
-
J’ai fait beaucoup d’erreurs chérie.
J’en suis conscient aujourd’hui, et je regrette tout le mal que je t’ai fait.
-
Si seulement les regrets pouvaient
changer quelque chose…
Que pouvait-il ajouter ? Après
tout, si j’en étais là, réduite à mener une double vie, c’est parce-qu’il tenait
tant à rester au sommet de son royaume. Mais ni les regrets, ni la rancune ne peuvent
changer le passé.
-
Je t’aime plus que tout au monde et
j’aurais dû être à tes côtés durant toutes ces années mais ce qui est fait est
fait. Je te demande juste de me pardonner et que tout redevienne comme avant.
« Que tout redevienne comme avant… » Cette phrase m’avait
rappelée que je n’étais pas là pour l’écouter formuler des excuses.
-
Comment oses-tu me dire cela ?
Tu crois que tout pourrait redevenir comme avant ? Et maman alors ?
Son visage s’était aussitôt raidi.
Ce n’était plus le papa plein d’amour pour sa fille et de regret qui me
regardait.
-
Il est temps que tu passes à autre
chose ! Penses à toi-même, à ton avenir.
-
Tant que je ne saurai pas la vérité,
je ne lâcherai pas l’affaire. Tu le sais.
-
Ta mère morte !
-
Elle s’est suicidée !
-
Non ! Elle s’est
suicidée ! T’as compris ? Ta mère s’est suicidée !
C’était la première fois qu’on
parlait de maman depuis sa mort et il paraissait avoir définitivement tourné la
page. Comment avait-il pu prononcer des mots si violents ? Je m’étais levée afin
m’en aller pour de bon et ne plus jamais revenir, quand m’arrêta.
-
Pourquoi tu te fais autant de mal en
t’entêtant à vivre dans le passé ?
-
Pourquoi toi tu refuses de croire
qu’elle a été assassinée ?
- Ça suffit maintenant !
Il avait frappé si fort sur la table
que j’eu peur qu’il ne s’en prenne à moi ; mais il retrouva son calme
après une courte réflexion.
-
Tu t’assieds maintenant et tu
m’écoutes !
J’avais exécuté sans broncher.
-
C’est bon ? Tu es en mesure
d’écouter attentivement ce que j’ai à te dire ?
-
Je n’avais pas répondu et évitais
ton regard.
-
Quand je te parle, tu me
réponds ! C’est quoi ces manières ?
-
Oui !
-
Parfait ! Le départ de ta mère
m’a fait plus de mal que tu ne puisses l’imaginer. Qu’elle se soit suicidée ou
pas, cela n’a plus aucune importance. Elle est partie et plus jamais elle ne
reviendra. Il va falloir que tu te rendes à l’évidence. Toi tu es toujours en vie,
tu es jeune ! Regarde comme tu es belle mon cœur ! Tu as toute la vie
devant toi, tu devrais passer à autre chose et penser à toi-même. Tu vois ?
-
Non ! Je ne peux pas.
-
Mais qu’est-ce que tu cherches au
juste ? Pourquoi tu tiens tant à voir le mal là où il n’y en a pas ?
-
Elle ne s’est pas suicidée. Elle a
été tuée. Tu comprends ? Quelqu’un l’a tué et est en train de vivre
tranquillement sa vie. Pourquoi est-ce que tu refuses de me croire ?
-
Parce-que c’est insensé ! Je t’en supplie, oublies cette histoire !
Dans deux années j’aurais purgé toute ma peine. On pourra s’en aller où tu veux
et tout recommencer à zéro.
-
Tu veux que je sois heureuse
papa ?
-
C’est ce que je souhaite le plus au
monde.
-
Aide-moi alors à découvrir ce qui
s’est réellement passé.
Je le suppliais des yeux et il en
était conscient.
-
C’est vraiment ce que tu veux ?
-
Oui papa ! Il faut que je sache
pour pouvoir vivre en paix.
-
Et si la vérité te faisait encore
plus mal ?
-
Au moins je saurai ce qui s’est
passé et c’est tout ce qui compte pour moi.
-
D’accord !
Cela faisait tellement d’années que
j’attendais d’entendre ça de la bouche de quelqu’un, que je peinais à y croire.
Il venait enfin d’accepter l’évidence.
Jamais maman ne se serait suicidée et je voyais dans ses yeux qu’il en était
aussi convaincu que moi.
J’avais sorti un bout de papier plié
en quatre, de la poche avant droit de mon jean et le lui avais glissé dans la
main.
-
Je vais m’assurer à ce que tu sortes
d’ici demain ou après-demain au plus tard. Rejoins-moi à cette adresse et
veilles à ce que personne ne te suive.
-
A moins que tu ais toujours ta
baguette magique de petite fée, je ne pense pas que cela soit possible.
Il avait l’air surpris de
l’assurance dont je faisais tout d’un coup preuve, mais essayait de le cacher
derrière un sourire qui reflétait sa lassitude et sa résignation à purger sa
peine jusqu’au dernier jour. D’habitude, c’est lui qui contrôlait tout et
savait tout d’avance.
J’avais obtenu ce que je voulais,
alors je n’avais plus rien à faire dans cet endroit. De plus, le connaissant,
il allait certainement profiter sur le fait qu’on était sur la même longueur
d’onde pour essayer d’en savoir plus sur ce que je faisais de ma vie, et ce
n’était pas le moment de poser des questions ou de donner des explications.
-
Je dois y aller maintenant.