Chapitre 5 - Oubli

Ecrit par NafissaVonTeese

 

-- PRÉCÉDEMMENT --

Après Malick, c’était au tour de Fadiga de jouer sa partition, mais celui-ci n’a pas eu le temps de lui révéler ce qu’il savait sur la mère de sa mère avant de perdre connaissance. Elle y était allée trop fort en laissant son désir de faire souffrir prendre le dessus, et elle le savait, mais sans regret. Sa dernière carte à jouer : un aller simple vers le passé, ce qu’elle avait pourtant toujours refusé de faire jusqu’à présent.

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« L'oubli est le suprême refuge. » Marcel Achard


 

Un vent fort, comme la brise d’une mer déchaînée, soufflait tout autour de moi.

Assise par terre et la tête contre un mur glacial, j’avais du mal à me tenir éveillée. Mes yeux se refermaient à chaque fois que je tentais de les ouvrir. Je me sentais lace, très lace, et il faisait incroyablement froid. Rien que pour tourner la tête et regarder autour de moi, j’ai dû me battre de toutes mes forces. Il y avait des centaines et des centaines de petites briques noires entassées, qui formaient le mur devant moi. Il me fallut peu de temps pour me rendre compte que j’étais dans un étroit tunnel.

Mon regard a tout d’y coup été attiré par une lampe à pétrole qui se trouvait à quelques mètres de moi à ma gauche. Il s’allumait et s’éteignait. Encore et encore… On aurait dit qu’elle m’appelait. Ses clignotements commençaient à me donner mal à la tête. J’avais alors fermé les yeux mais cette lumière faisait comme raisonner dans la tête. On aurait dit des coups de marteau. Mes pieds étaient nus et je ne portais qu’une chemine d’homme d’un blanc éclatant. J’avais pris appui sur ma main droite pour me lever mais elle glissa aussitôt et je m’étais retrouvée allongée sur le sol qui dégageait une épaisse fumée et commençait à me brûler. Je m’étais vite relevée pour m’adosser à nouveau sur le mur. Ma bouche était amère et je sentais la sueur couler sur mon front. J’avais utilisé le dos de ma main pour l’essuyer mais elle donnait l’impression de couler encore plus. J’approchai mes mains devant moi et entre deux éclats de lumière clignotante, j’ai pu apercevoir qu’elles étaient toutes rouges, on aurait dit du sang. Je sentis un courant parcourir tout mon corps avant de s’arrêter brusquement sur ma poitrine.

 

-         A l’aide ! J’avais crié mais je n’entendais aucun son sortir de ma bouche. J’ai recommencé encore et encore jusqu’à ce que j’entende des pas s’approcher. Ils étaient de plus en plus proches mais je ne savais pas d’où ils venaient. Une ombre d’homme passa devant la lumière et disparut aussitôt.

 

-         Qui est là ?

 

L’ombre passa une fois encore devant la lampe et là j’avais pu apercevoir des bottes noires et le bout d’un long manteau en cuire. Je sentis la peur monter en moi mais j’essayais de garder mon calme.

 

-         Qui êtes-vous ?

 

Pendant cinq ou sept secondes le silence était revenu et la lampa s’arrêta de clignoter. Quand elle s’alluma à nouveau, elle était bien serrée dans la main de l’homme au manteau dont je n’arrivais pas à voir le visage. Il était là, devant moi. Ma respiration s’était arrêtée net avant de repartir. Le vent qui soufflait dans ma direction laissait son manteau toucher mes pieds gelés.

D’un coup sec, il brisa le verre de la lampe pétrole avec sa main emprisonnée dans un gang noir déchiqueté. Les éclats atterrissement sur moi comme une pluie. Mon seul moyen de protection était de me recroqueviller, dans le silence, la tête contre mes genoux et couverte  par mes mains ensanglantées.

Il baissa sa tête. Sa chevelure était longue et se mêlait à la mienne. Il était si proche de moi que je pouvais entendre et sentir sa respiration sur ma peau. Il attrapa mes cheveux et tira avec force ma tête vers l’arrière. J’avais laissé échapper un petit cri de douleur et cela le fit rire aux éclats. Quand il eut fini, il tira à nouveau sur mes cheveux et laissa glisser sa langue sur ma joue, mes yeux, avant de me mordre la lèvre inférieure. J’avais reculé brusquement, ce qui fit ma tête se cogner contre le mur, puis plus rien. Silence radio ! Pendant quelques secondes, il s’était tenu à l’écart, mais je sentais sa respiration.


-         Avant, tu aimais ça ; il avait soufflé à mon oreille. J’avais repoussé sa tête avec son haleine puante de toutes mes forces avec mes mains. Quelle chose la recouvrait.


-         Dis-moi que tu aimes toujours ça ! avait-il crié.


Sa voix me rappelait quelqu’un mais je n’arrivais pas à me fixer. Je me sentais désarmée et complètement livrée à cet homme.

D’un coup des lumières s’allumèrent. Elles étaient si éclatantes que j’avais fermé les yeux. C’est avec la peur au ventre que je les avais ré-ouverte. Mon sang ne fit qu’un tour. Il se tenait là, debout sans bouger, devant moi, la tête recouverte d’algues ruisselantes d’un liquide vert gluant. Quand il les dégagea, je découvris un visage à deux parties distinctes. L’une était intacte, l’autre, en décomposition et des lambeaux de chair en tombaient. Mon cœur s’était vite arrêté de battre avant de reprendre.


-         Papis !


-         Oh ma petite puce ! Je pensais que tu m’avais oubliée. Il ricana comme s’il était possédé par le diable puis son visage se durcit en un dixième de seconde. Il brandit une hache et la dirigera vers moi. Au même moment j’entendis des vibrations.

 

J’ouvris les yeux et j’étais allongée dans mon lit. Ma première réaction était de regarder mes mains. Pas une goutte de sang. Les vibrations continuaient. C’était mon téléphone. Je le pris sur la table de chevet en faisant tomber le livre que l’inconnu à la cicatrice m’avait donné. Le numéro était inconnu. La montre affichait 4h54. Qui pouvait bien m’appeler à cette heure ? J’avais laissé sonner encore quelques secondes pour reprendre mes esprits et décider si j’allais répondre ou pas, mais il s’arrêta. Je fermai les yeux en serrant ma couverture contre moi pour reprendre calmement ma respiration, mais il vibra à nouveau. Cette fois, c’était un SMS et je le lus aussitôt.

 

« Vol petit oiseau, vol ! Vol aussi haut que tu peux ! ».

 

Seule deux personnes savaient ce que cela signifiait, moi et l’homme qui me servait de figure paternelle. Depuis son arrestation, on ne s’était pas adressé la parole. Je me terrai sous ma couverture comme un enfant y chercherait refuge pour échapper aux fantômes qui venaient hanter sa chambre pendant la nuit.

 

Ce soir là, deux fantômes avaient refais surface : mon père emprisonné depuis quatre années et mon ex petit ami. J’avais réussi à oublier ce dernier pendant quelques secondes après mon cauchemar, puis mes pensées revinrent vers lui. Je n’avais pas de raison d’avoir peur, il ne pouvait plus rien faire contre moi. Je le savais mais je ne me sentais pas pour autant rassurée. J’avais sauté de mon lit, enfilé mes sandales et la robe que j’avais jetée par terre en me mettant au lit, avant de prendre mes clés posées sur la petite table à l’entrée de l’appartement.

 

A peine vingt minutes plus tard, j’avais claqué la portière arrière droite d’un taxi. Il s’était arrêté devant une belle maison blanche avec un grand portail en planches de bois d’ébène. Je m’avançai lentement vers celle-ci tout en gardant un œil sur le taxi qui quittait les lieux. Le froid, comme dans mon rêve, commençait à s’installer sur tout mon corps, me faisant serrer les poings. Quand la lumière des phares du taxi eut complément disparu du décor qui était maintenant plongé dans le noir sans autre lumière que celle de la pleine lune, je contournai la maison dont l’arrière donnait sur la plage de la corniche ouest. Je n’avais eu qu’à traverser une petite ouverture naturelle creusée par les pluies et les vents des centaines années précédentes, pour rejoindre les rochers qui séparaient la mer de la terre ferme. Le silence de la mer qui ne laissait échapper aucune vague me fit frissonner. Je m’avançai lentement pour prendre place sur un rocher que j’avais choisi par hasard. Mes sandales dans ma main, je mis mes pieds dans l’eau froide. Le contact direct avec cette force de la nature me rappela que j’étais toujours vivante et que je n’étais pas aussi forte que je le pensais.

Les années étaient passées mais j’avais toujours besoin de me convaincre qu’il était vraiment parti pour de bond, en revenant sur ce lieu.

 

-         Je savais que t’étais ici, disait une voix derrière moi. Quand je m’étais retournée d’un geste brusque, il n’y avait personne. Cette phrase surgissait certainement de mes  souvenirs.

Des années plus tôt, elle avait été prononcée par Papis avant qu’il ne passe ses bras autour de mon cou pour m’enlacer. Je n’avais pas réagi. Il s’était alors assis près de moi et avait fixé la mer comme moi, et comme je le faisais à ce moment précis.


-         Ton père se demande où est-ce que  tu es depuis ce matin.

Il attendit une réponse de ma part pendant un instant mais je n’arrivais pas à prononcer un seul mot ni à bouger le moindre petit doigt. J’avais l’impression de ne pas exister, de n’être rien de plus qu’une masse de chair sur un rocher, livrée à la brise de la mer et à la vie.


-         Pour l’instant tu m’en veux mais tu finiras par me remercier. Ce bébé, ne n’était pas la meilleure chose qu’on ait faite.


Il avait prononcé ces mots avant de ricaner comme dans mon rêve. J’avais tourné mon regard vers lui, dégoûtée par son arrogance qui quelques jours plus tôt me rendait encore plus folle amoureuse de lui. J’avais attrapé mon sac à main posé juste à côté. Dedans se trouvait le collier qu’il m’avait offert à notre premier rendez-vous et que j’avais l’intention de jeter à la mer, dans cette endroit où on avait l’habitude de se retrouver en cachette pendant que tout Dakar dormait. J’avais lancé le sac derrière moi. Mon geste l’avais fait se tourner vers moi. Il m’attrapa par les cheveux et m’embrassa avec hésitation comme pour dire au revoir. Je n’avais pas répondu à son baiser, mais je ne l’avais pas repoussée non plus. J’avais passé mes mains sur les rochers autour de moi et je les tâtais. Dès que j’ai pu en trouver un assez petit pour tenir dans ma main, je l’attrapai et le frappai avec en pleine tête. Avant même s’il ne puisse réagir, j’avais recommencé, encore et encore avec toute la force et la colère que j’avais en moi. Quand j’ai enfin retrouvé mes esprits, je ne m’étais pas demandée combien de coups je lui avais donnée, mais je savais que c’était assez pour qu’il reste allongé là tout près de moi, inconscient. Je ne ressentais plus rien, ni de la colère, ni de la peur.  Je m’étais levée, sereine, et avais utilisé mon pied droit pour le pousser au bord de l’eau qui allait et venait sur son corps inerte. Une grosse vague atterrit sur les rocher et me jeta en arrière. J’avais glissé pour tomber sur le sable fin. En rejoignant la mer comme pour lui prouver sa fidélité, elle emporta avec elle le corps de Papis. J’avais alors compris qu’il fallait que je quitte les lieux au plus vite. J’avais attrapé mon sac avant de courir vers le portail en pierres.

 

Je ne savais pas comment j’avais réussi à me retrouver quelques minutes plus tard chez moi. Il faisait encore nuit et la maison était plongée dans le silence comme chaque soir depuis la mort de maman. J’étais allée me réfugier dans ma chambre, les mains encore tachées du sang de Papis. J’avais trouvé sur le lit un mot laissé par mon père qui demandait que je lui laisse un mail pour le rassurer, à mon retour, car il partait en voyage au Cameroun pour 5 jours.  J’essuyai mes mains avec la note avant de me rendre dans la salle de bain pour la jeter dans la chaise anglaise. Mon calme commençait à me surprendre. J’avais pris une douche froide et en allant chercher des vêtements secs dans mon placard, je me suis arrêtée devant le miroir  accroché dessus. Je me regardais dans les yeux mais ne voyais que du vide. J’avais alors laissé échapper un sourire du coin des lèvres avant de m’allonger dans mon lit. A ce moment je me sentais forte, invincible.

 

Ce sourire se dessinait encore une fois sur mon visage ce soir là, assise sur les mêmes rochers.

Ce n’était qu’un rêve. J’étais retournée sur ce lien pour exorciser ma peur du retour de Papis dans ma vie. A présent, j’étais certaine qu’il avait été avalé par la mer et plus jamais il n’allait refaire surface.

 

Le soleil commençait à se lever. J’avais repensé au SMS laissé plus tôt par mon père et avais décidé de quitter les lieux avant que les gens ne commencent à envahir les rues de Dakar. J’avais sauté sur le premier taxi trouvé pour rentrer et me préparer à ressortir. Il me restait moins d’une semaine avant que je ne disparaisse à nouveau avec une nouvelle identité. C’était le moment d’agir sinon toutes les peines que je m’étais données allaient être vaines. C’était peut-être un signe du destin pour me convaincre d’oublier et de tout reprendre à zéro, sur de meilleures bases. J’avais décidé d’y réfléchir en allant à mon rendez-vous avec le passé, dans la prison des hommes du Camp Pénal de la Liberté 6.


Tu lui diras que tu...