Chapitre 62
Ecrit par Jennie390
⚜️Chapitre 62⚜️
Diane Bibalou
Debout sous une pluie battante, avec une nuisette et un pagne fin autour des reins, je regarde autour de moi, désemparée. Il fait nuit, mes affaires sont étalées à même le sol, toutes trempées. Cissé, cet inutile gardien, n'a pas pris la peine de mettre mes vêtements dans une valise. Encouragé par son patron, il a tout jeté dehors comme ça, mon ordinateur y compris. Je me rapproche du portail et je me mets à sonner sans arrêt, mais je ne reçois aucune réponse. Désemparée, je ramasse une de mes chaussures à talons et je tambourine avec sur le portail, ce qui produit un vrai vacarme.
Au bout d'un moment, Cissé entrouvre le portail.
—Madame, s'il vous plaît, respectez-vous hein ! dit-il à haute voix pour que je puisse entendre ce qu'il dit malgré le bruit de la pluie. Prenez vos affaires et allez-vous-en !
—Imbécile que tu sois !, hurlé-je à son endroit. Je dois aller où à une heure aussi tardive ? Et comment je vais partir vu que ton patron a eu la merveilleuse idée de te faire percer les pneus de mon véhicule ?
—Ça ce n'est pas mon problème, madame.
—Ce n'est pas ton problème, hein? Là où tu es là, tu as une mère, des sœurs, des enfants. Tu serais capable de laisser une femme seule dans la rue comme ça ? Et si je me fais agresser ?
—Madame, comme je viens de vous dire, ça, ce n'est pas mon problème, mais le vôtre.
—Il est certainement déjà allé se coucher, Cissé, dis-je pour le raisonner. Laisse-moi rester à l'abri à l'intérieur. Demain matin, avant le chant du coq, je vais m'en aller.
—Madame, monsieur Mebiame a été très clair : si je vous laisse mettre un orteil dans sa concession, je suis viré sur le champ ! Et honnêtement, je ne me vois pas perdre mon moyen de survie pour une femme comme vous.
En entendant ses mots, mon sang ne fait qu'un tour. Je suis vraiment tombée bien bas au point où c'est Cissé, un gardien de rien du tout, qui ose me parler de la sorte.
—Mais toi, tu es arrivé, hein, je gronde en voulant le gifler.
Ce n'est pas un crève la faim qui va me manquer de respect. Et jusqu'à ce que le divorce ne soit prononcé, je suis toujours légalement Madame Mebiame, donc sa patronne. Dès qu'il bloque ma main, je me jette sur lui en colère. Mais il me repousse à temps et je tombe à la renverse.
—Je me suis suffisamment mouillé des pieds à la tête pour discuter avec vous, maintenant, merci d'arrêter de vous donner en spectacle.
Il ne me laisse pas en rajouter une et il ferme le portail. Je reste un moment assise tellement je suis choquée de l'indifférence de Cissé. Quelqu'un qui me parlait autrefois avec tellement de respect. Ayant bien compris, que je suis bel et bien à la rue et que je n'ai aucune échappatoire immédiate, je décide de m'asseoir contre le portail. On est dans un quartier résidentiel, c'est vrai qu'il n'y a pas d'agresseurs ici, mais bon, il vaut mieux ne pas tenter Lucifer.
Le dos contre le portail, les jambes ramenées vers ma poitrine, la pluie ruisselle et ruisselle encore. Sans compter le vent qui souffle violemment. J'aurais très bien pu aller sonner au portail des voisins, mais je ne m'entends avec aucun d'eux, donc ils ne vont certainement pas accepter de me recevoir. Une heure plus tard, la pluie s'arrête finalement, mais je reste toujours assise au même endroit jusqu'à ce que le soleil se lève. Je regarde mes vêtements mouillés au sol, je ne peux les emmener nulle part, surtout que je n'ai pas mes valises. Je récupère juste mon sac à main qui est, lui aussi, trempé.
Je marche donc tout doucement jusqu'à la route principale. J'ai du mal à trouver un taxi qui veuille me prendre vu l'apparence que j'ai. Finalement, j'en trouve un qui me dépose dans un hôtel le plus proche. Après avoir pris une chambre simple, je demande à ce que le service de l'hôtel m'achète une robe au magasin de vêtements qui se trouve dans les galeries du même hôtel. Je verrai comment m'acheter des vêtements plus tard.
Vu que j'ai passé la nuit sous la pluie et le vent, je sens la grippe qui m'attrape. Je finis par rester clouée au lit pendant près d'une semaine avec plusieurs fièvres à répétition. J'essaye même d'appeler Vincent pour lui dire que je suis malade, mais il a osé me raccrocher au nez. Quand je me sens un peu mieux, je vais le voir à la sortie de son cabinet, mais l'accueil que je reçois est terrible. Je décide donc de m'accrocher à ma dernière bouée de sauvetage, Émile. Parce qu'il est hors de question que je me retrouve dans une vie de misère. Je suis habituée au luxe, mais depuis que Vincent m'a chassé la première fois, il a gelé toutes les cartes de crédit qu'il m'avait données. Donc, depuis lors, je vis uniquement avec l'argent de mon salaire, qui n'est pas suffisant pour mes dépenses quotidiennes.
Il faut alors que je montre à Émile que je suis de son côté, que je suis là. Je me rends au bureau de maître Philippe Martins, l'avocat d'Émile. Il me reçoit trois heures plus tard après mon arrivée.
—Madame Bibalou, que puis-je faire pour vous ?
—Je suis venue prendre des nouvelles d'Émile. Il a finalement été incarcéré ?
—Évidemment! Je vous l'avais dit. Alors, ça fait quand même une semaine qu'on s'est parlé. J'attendais que vous me fassiez un retour sur d'éventuelles découvertes que vous auriez faites.
—Disons que le même soir, Vincent m'a trouvé en train de fouiller dans ses affaires. Il a compris que je cherchais quelque chose, peut-être pour aider Émile, et il m'a chassé de la maison. Et juste après, j'ai eu une forte grippe qui m'a clouée au lit pendant la semaine. Je n'ai pas pu vous appeler parce que j'ai perdu mon téléphone chez Vincent, donc j'ai acheté un nouveau téléphone et une nouvelle puce.
—Je vois. Maintenant, vous êtes là pour ?
—Savoir comment il va. Savoir comment je peux aider.
—Vous étiez utile chez Maître Mebiame. Mais vu que vous avez été très incapable de faire le boulot qu'on vous a donné correctement, vous n'avez plus aucun intérêt.
— Maître, je n'aime pas trop le ton sur lequel vous me parlez, dis-je, la mine froissée. Vous ne savez pas tous les efforts et stratagèmes que j'ai dû mettre en place pour mettre mon plan à exécution et...
—Et vos stratagèmes de génie vous ont conduit où ?
Je ne trouve pas quoi lui répondre. Depuis que je suis entrée dans son bureau, je vois bien le regard condescendant qu'il pose sur moi. J'ai horreur des gens qui me prennent de haut.
—Bon, écoutez maître, dis-je en me levant. Je vois bien que je ne suis pas la bienvenue ici, je vais donc m'en aller. J'irai rendre visite à Émile.
—Comme vous voulez !
Je quitte son bureau très agacée et je retourne au boulot. Le lendemain, j'achète un sandwich au jambon-fromage, une bouteille de jus d'orange et je me rends à la prison. Il faut que je bosse bien ma carte, pour que lorsqu'il sortira, il se souvienne bien que j'étais là quand il était dans le besoin.
Quand il me rejoint dans la salle des visites, je suis surprise par son aspect assez négligé. Une barbe de plusieurs jours, très mal entretenue. Lui qui était toujours excellemment rasé. Bon, j'imagine bien qu'il n'a pas le nécessaire pour le faire ici. Dès qu'il se poste devant moi, je peux apercevoir les gros cernes sous ses yeux.
Depuis quand il n'a pas dormi ?
On s'assoit et le gardien s'en va en précisant que nous n'avons que 15 minutes.
—Tiens, je t'ai apporté ça, déclaré-je en lui tendant le sachet plastique. Je suppose que la bouffe ici doit être répugnante.
—Totalement infect !
Il ouvre le sachet et je vois bien dans ses yeux l'enthousiasme de voir quelque chose de mangeable. Il ouvre le carton de jus d'orange et prend une longue gorgée.
— Voilà ce dont il s'agit, glousse-t-il en fermant les yeux. Quelque chose de bon !
—Ravie que ça te plaise !
Il déballe le sandwich et se met à manger goulûment. Il mâche à peine les morceaux et les avale très vite. On dirait quelqu'un qui n'a pas mangé depuis deux mois, pourtant ça ne fait qu'une semaine qu'il est là. Quelqu'un qui n'a jamais su, c'est quoi le manque, le voilà qui chérit un simple sandwich au jambon comme si c'était le meilleur repas de la terre. Voir ça me donne des frissons parce que si je me retrouve sans un homme pour financer le mode de vie auquel je suis habituée, bientôt je dégusterai le pain à la sardine comme si c'était un repas gastronomique.
—Comment vas-tu? Tu m'as l'air épuisé.
—Je le suis. Comment trouver le sommeil dans un endroit aussi répulsif et malfamé ? Les odeurs nauséabondes et le degré d'insalubrité ici me rendent malade. Il faut vraiment que je sorte d'ici, parce qu'avec toute cette saleté, je vais bientôt attraper, je ne sais pas moi, le choléra ou la peste !
Je bouscule la tête, dégoutée.
—Malheureusement, Vincent m'a prise la main dans le sac pendant que je fouillais pour toi. Et sans surprise, il m'a mise à la porte. Je suis désolée de ne pas pouvoir t'aider dans ce sens. Mais s'il y a autre chose que je puisse faire, n'hésite pas.
Il hoche la tête en continuant de manger.
—Ton avocat m'a parlé de Yolande la dernière fois, que s'est-il passé exactement ?
Il me raconte très très brièvement comment elle a mis un tas de comprimés dans sa bouteille de vin et lorsqu'il a perdu connaissance, elle s'est évanouie dans la nature.
—C'est à cause d'elle que tu as été arrêté ?
—En autres...
Je vois qu'il préfère rester vague dans ses réponses.
—Mais Émile , tu la retenais vraiment captive?
—Tu avais enquêté à ce sujet, non, me demande-t-il en me regardant droit dans les yeux. Pourquoi me poser une question dont tu as déjà la réponse ?
—Mais pourquoi la séquestrer ? Pourquoi...
—Ce ne sont pas tes affaires, Diane. Ce ne sont pas mes réponses à ce sujet qui me sortiront d'ici. Donc ça en fait un sujet non pertinent.
Celui-là, en prison et il trouve encore la force de parler le gros français...
—D'accord. Maintenant, quelle est la suite?
—J'attends de voir...
—Ok...dis -moi, tu penses que tu pourrais me donner un peu d'argent, s'il te plaît ? Je vis en permanence dans un hôtel et honnêtement, ce n'est pas donné.
—Mais c'est toi qui as des ressources limitées et c'est encore toi qui vas loger dans un hôtel? Tu as la folie des grandeurs toi!
—Tu voulais que j'aille où ?
—Un motel par exemple...
Je fais la grimace.
—Toi-même, tu as déjà mis tes pieds dans un motel crasseux à 5 000F la nuit ? C'est très insalubre et tellement bon marché. Pourquoi c'est moi qui vais aller dormir là-bas ?
—Économise le peu de miettes qu'il te reste...
—Je ne suis pas habituée à me priver, Émile. Tu es peut-être en prison, mais tu es toujours hyper riche, non? Tu pourrais passer un coup de fil pour qu'on me fasse un virement.
—Mes comptes ont été temporairement gelés.
—Pardon ? Mais pourquoi ? Tu n'es quand même pas accusé d'un crime financier, pourquoi bloquer tes comptes?
Lorsqu'il s'apprête à répondre, le gardien surgit à l'instant même pour signaler que la visite est terminée. Je me lève.
—Merci pour le repas, me dit-il.
—Euh... tu ne pourrais pas voir avec ton avocat comment il pourrait me trouver quelque chose ? S'il te plaît, Émile.
—Je vais voir ce que je peux faire, me répond-il avant de s'en aller avec son carton de jus.
Je sors de là avec l'espoir que les choses s'arrangent pour lui, sinon, je ne sais pas ce qu'il adviendra de moi.