Chapitre 7 : Samson, l'ami intime
Ecrit par Auby88
"Un ami intime est un vrai bienfait, on s'y délasse, s'y restaure, s'y exerce en donnant, recevant, échangeant, examinant, analysant, discutant les projets, les chagrins, les expériences, les espérances que la vie apporte et que l'âge amène.
Citation de Henri-Frédéric Amiel ; Journal intime"
Entre les quatre murs de la pièce qui lui sert de bureau, Richmond est occupé à composer sur son saxophone. Un toc contre la porte l'induit à suspendre son activité. Il pose son instrument et va ouvrir.
- Entre, Samson !
- Je vois que tu as débuté sans moi !
- C'est exact, mais rassure-toi, je n'ai pas beaucoup avancé. Je ne suis pas assez inspiré.
- A deux, cela ira plus vite, conclut Samson.
Tous les soirs ou presque, les deux meilleurs amis se retrouvaient, soit chez l'un, soit chez l'autre. Ils se connaissaient depuis l'enfance, leurs maisons étant voisines, leurs pères étant collègues.
C'est à Samson que Richmond se confiait. Il lui parlait de ses exploits avec les femmes, de sa vie de couple avec Sandra, de son passé … En bref, Samson savait tout de la vie de Richmond.
A contrario, Samson ne s'épanchait que très peu ou presque jamais. Il comparait son existence à un long fleuve tranquille. Monotone, certes, mais il s'en contentait, ne s'en plaignait jamais.
L'homme à la tête rasée, au teint noir, au visage allongé et aux sourcils très sombres était physiquement bien bâti certes, mais pas autant beau, aussi attirant que Richmond. Et parce qu'on ne voyait pas l'un sans l'autre dans les lieux publics, Samson restait comme éclipsé par Richmond, un peu comme son ombre ; ce qui pourtant ne semblait ni lui déplaire, ni le contrarier. Il cultivait un positivisme tenace. Il adorait la vie qui était sienne car il avait à ses côtés une brave et coquette épouse. Il lui jurait fidélité et s'y tenait malgré toutes les tentations qu'il y avait au côté de son frère de coeur. Du moins, on ne l'a jamais surpris avec une autre que sa moitié.
De ses récentes aventures libidineuses, Richmond affaire donc son ami intime qui l'écoute avec intérêt, demandant à en connaître les moindres détails. Il l'abreuve à volonté, lui parle de l'extravagante secrétaire du studio 8 qui l'aguichait à chaque fois, d'une demoiselle aux gros "balcons" qu'il a rencontrée à la salle de gym ainsi que d'une voisine qui n'a aucune vergogne à sganarelliser son mari.
Il achève en avouant qu'Alice est la seule, avec laquelle, ses escapades se sont multipliées. Les autres sont sans lendemain, juste un coup bien fait pour leur faire plaisir et réaffirmer sa virilité.
- Alice te manque ? s'enquiert Samson.
- Oui, sur le plan professionnel et …
Ils en rient.
- Il m'arrive parfois de regretter de l'avoir quittée pour Sandra, continue Richmond.
Samson ouvre grand ses yeux.
- Sandra n'a pourtant rien à envier à Alice !
- Je le confirme. Cependant, Alice est indulgente tandis que Sandra nourrit une jalousie maladive qui m'exaspère. Pourtant, tu sais qu'il m'est impossible de me contenter d'une seule femme.
Samson secoue la tête.
- De toute manière, je ne compte pas te faire changer d'avis. J'espère qu'Alice se rétablit peu à peu.
- Oui, selon ses dires. Je prends régulièrement de ses nouvelles. J'ai vraiment hâte de finir ma tournée ici pour la rejoindre.
- Tiens ! Maintenant que j'y pense, tu pourrais te consoler avec Cica ! Elle n'est pas si mal, tu sais !
Richmond fixe son ami. Visiblement, il n'est pas content.
- Cica ! Même si elle était la dernière femme sur terre, je ne m'accointerai jamais avec elle. Elle n'a aucune classe, aucun charme, aucun sex appeal, aucune grâce. Elle ne réveille rien chez le mâle que je suis. Elle a une voix mélodieuse, je le reconnais, qui aurait peut-être pu m'attirer vers elle, mais elle n'en fait qu'à sa tête vocalement. En plus, elle affiche tout le temps ce sourire idiot pour lequel j'ai une aversion. J'ajouterai que contrairement à Alice, elle est trop émotive alors qu'il lui faut être forte pour affronter le public. Elle me met vraiment en rogne. J'ai bien hâte que l'on en finisse !
- Je t'ai toujours dit qu'une professionnelle comme Alice aurait été convenable. Néanmoins, je dois reconnaître que Cica s'est nettement améliorée. Elle connaît mieux les rudiments du jazz ainsi que le solfège, grâce aux cours que tu lui as faits suivre.
Richmond secoue la tête en ajoutant :
- Quand elle chante, il y a toujours soit une note en dessous ou au-dessus de la gamme normale, soit un ornement absent ou mal placé.
- Alors, parle sérieusement avec elle, dis-lui ce que tu lui reproches avec objectivité plutôt que de la réprimander continuellement en public.
Richmond détourne son visage.
- Je pense que tu devrais être moins intransigeant avec elle, poursuit Samson. Sois plus flexible. Quant à son sourire, je le trouve magnifique. C'est d'ailleurs ce qui nous réchauffe pendant la répétition. J'avoue que si je n'avais pas la bague au doigt, j'aurai …
- Idiotie ! Je parie que le vieux pense comme toi !
Ils s'esclaffent.
Sandra entre dans la salle, avance vers eux. Elle met ses mains sur les épaules de son homme.
- Le dîner est servi, messieurs ! Allons-y.
Ils s'exécutent.