Chapitre 9

Ecrit par Meyroma

Plongée dans un abysse de doux rêves, je sens des rayons ardents me percer les paupières jusque dans le creux de l'orbite. J'ouvre alors les yeux et quelle est ma joie de découvrir que cette lumière ne provient de nul autre soleil que le regard brûlant de mon Djibril. Je souris comme une lycéenne bêtement amoureuse avant de lui dire bonjour.

Soudain, une voix venant de je ne sais quel gouffre de mon esprit me crie violemment :

-Calme toi ma petite, ce n'est pas ton Djibril, mais celui de sa fiancée Fati. Redescend de ton petit nuage.

Brusquement, je me sens honteuse, chagrinée, perdue et je me réfugie dans la salle de bain.

Depuis ce qui s'est passé la nuit dernière, je me sens terriblement en colère. J'en veux à maître Djibril de m'avoir tenté, mais j'en veux encore plus à ma propre personne d'avoir cédé, d'avoir été si faible, si naïve, si bête.

Toute la journée, je me suis enfermée dans une coquille de glace. Je ne me laisserais plus jamais prendre dans le délicieux piège de la passion.

Désormais, je me ferais violence pour ne plus céder à la tentation. C'est pour cela que pendant tout le procès, je n'ai pas adressé un seul regard à maître Djibril.

D'ailleurs même en réservant nos billets de retour, j'ai précisé à l'agence que je voulais deux sièges éloignés dans l'avion.

Pendant tout le trajet j'ai versé des larmes de douleur et d'amertume. Je suis consumée par le chagrin comme le feu consume le bois.

*****

Heureusement, notre retour de voyage coïncide avec le week-end. Ça me feras un peu de repos avant d'affronter maître Djibril.

Toute la journée du samedi, je reste cloîtrée chez moi, dans mon lit, prétextant une migraine dû à la fatigue du voyage, pour ne pas être importunée. Je ne me lève de mon lit que pour aller aux toilettes et faire mes prières.

Ma mère qui me connaît comme la paume de sa main m'a regardé de manière incrédule quand j'ai feint la maladie pour dissimuler mon chagrin d'amour, mais s'est gardé de remuer le couteau dans ma plaie.

Qu'est ce que je l'aime cette femme!

- repose toi bien ma chérie, si tu as besoin de quoi que ce soit, il te suffit juste de m'appeler, s'est-elle contenter de me dire avant de me laisser dans une solitude dont elle sait que j'ai besoin.

*****

Vers 20h, alors que je m'apprête à regarder un film sur mon ordinateur portable, ma mère viens m'annoncer que j'ai de la visite.

-Qui est-ce? Lui demandé-je en roulant les yeux car à ce que je saches, je n'ai aucun RDV aujourd'hui.

- Maitre Djibril, ton collègue, me répond-elle avant de sortir de ma chambre.

Mon coeur fait un bond dans ma poitrine.

Comme si cette visite était la providence que j'attendais pour me sauver de la dépression, je me lève énergiquement et me dirige vers mon placard.

J'enfile rapidement la robe en tissu traditionnel mandingue que Mariam m'a apporté lors de son dernier voyage à Bamako. C'est une commerçante qui fait régulièrement le tronçon Niamey-Bamako-Dakar pour y acheter et revendre des articles divers, mais spécifiquement les tissus, les pagnes et les basins.

Lorsque je sors, Maître Djibril est assis dans notre véranda en compagnie de ma mère et de mes soeurs jumelles. Je me demande ce qu'il leur raconte, mais elles éclatent de rire en chœur. Quel beau tableau que de voir l'homme dont je suis éperdument amoureuse en totale symbiose avec ma famille, les êtres chers de ma vie, surtout en l'absence d'une figure masculine dans notre vie.

Dès qu'il m'aperçois, il se lève :

- Tiens, je demandais justement à maman la permission de t'enlever un moment , avec ton consentement bien-sûr.

Je regarde ma mère qui acquiesce d'un signe de la tête, mais surtout d'un sourire qui en dit long.

J'accompagne alors maitre Djibril, jusqu'à sa 4X4 Land Cruiser garée devant la devanture de notre maison, faisant déjà j'imagine, la Une des rumeurs dans le quartier. Après qu'il m'ait ouvert la portière en bon gentleman, Je m'installe sur le siège passager et attache la ceinture de sécurité.

Maitre Djibril se dépêche de rompre le silence naissant, avant qu'il ne prenne place entre nous.

- Je suis venue parce que j'ai besoin de te parler Yasmine. Je crois que je te dois des explications. J'espère de tout mon coeur que les choses se denouerons d'elles même, après que tu m'ait écoutée.

Cette façon de parler sans rien dire concrètement attise d'avantage ma curiosité. J'ai hâte d'entendre ce qu'il compte me révéler.

A nouveau, un silence de mort règne dans la voiture. Il allume la radio sur le tableau de bord, capte une station musicale sur la chanson Queen of My heart de Westlife, et fixe son regard sur la route a travers le pare-brise.

Dans une ambiance des plus sentimentales, nous arrivons au Parc d'agrément koira Kano.  Nous avons la chance de tomber sur une table libre, isolée et discrète.

Nous commandons deux boissons fraiche que le serveur se hâte de nous servir. Après la première gorgée de son Coca-Cola bien frais, Maitre Djibril se lance :

- Je ne sais pas par où commencer...

S'il y'a bien une chose qui saute aux yeux, c'est qu'il est stressé au plus haut point. Depuis le temps que je le côtoie, j'ai pu détecter que son tic en cas de stress consiste à froncer les sourcils et rétrécir l'œil gauche.

-Commence par le début Djibril, lui dis-je calmement. Prend tout ton temps et dis moi tout, je t'écoute.

Rassuré, il continue :

- Je m'avoue certes, déjà engagé ailleurs. Mais ce qui se passe entre nous Yasmine, n'est pas qu'une idylle, c'est tout ce qu'il y'a de plus réel et sincère.

Pour me comprendre, il faut remonter à des années auparavant, à la mort de mes parents, dans un grave accident de circulation.  J'avais 13 ans à l'époque et mes parents étaient les richissimes propriétaires d'une prospère multinationale.

Mes oncles paternels et maternels se sont acharnés avec avidité sur l'immense fortune dont j'étais le seul héritier comme des hyènes affamées, me dépouillant  sans pitié. Finalement après m'avoir dépossédé, ils m'ont abandonné dans un orphelinat, chacun prétextant une raison insensée pour ne pas m'avoir sur le dos.

J'y ai passé deux années des plus sombres de ma vie, dans des conditions dont je préfère t'épargner les détails pour ne pas heurter ta sensibilité.

Aujourd'hui encore, je me  demandes si cet endroit était vraiment un orphelinat ou un démembrement d'une prison pour délinquants mineurs.

Le meilleur ami de mon père qui vivait alors à l'étranger, dès son retour au pays, me chercha et me recueilli chez lui. Il me considéra comme son propre fils, me couvrant d'amour, m'offrant une vie digne, m'inscrivant dans les meilleure écoles et suivant mes études à la loupe.

Il  pris tellement soin de moi qu'en grandissant, je le reconnaissais comme mon propre père.

Il a une fille unique, que je considérais comme la petite soeur que je n'ai jamais eu.

Je me rappelle que du moment où mes parents vivaient, Fati était ma meilleure  amie d'enfance. Nous étions inséparables. Nos parents disaient même que, pour consolider les relations entre nos deux familles , ils nous marieraient plutard.
Nous en riions à grand éclat, pensant que c'était juste des paroles en l'air.

Un jour, alors que j'ai fini mes études et que j'ai ouvert mon cabinet d'avocat, mon père adoptif m'informa que Fati,  qui étudiait aux États-Unis unis rentrait définitivement  et il me parla en ces termes:

Mon fils, aujourd'hui, je suis vieux et mourant. Je voudrais te confier ma plus grande richesse au monde, mon plus grand trésor car tu es celui en qui j'ai le plus confiance. En même temps, si Dieu me rappelle à lui, je serais heureux d'annoncer à tes parents qui m'attendent déjà là haut, et à ma défunte épouse, que j'ai réalisé notre rêve commun avant de les rejoindre et que désormais, nous formons une seule et même famille, grâce à ton alliance avec ma fille.
Saches que je ne te forces pas la main, et que tu as le droit de refuser. Cela ne changerai rien au fait que tu sois mon fils et que je t'aimerai toujours autant.

En ce temps, je n'avais aucune relation et à vrai dire, je n'ai jamais été doué par les histoires de coeur. Ma seule passion était mes études de droit. Je ne voyais aucune objection à rendre l'ascenseur à l'homme qui m'a aidé à remonter la pente, l'homme qui m'a sauvé des affres dans lesquelles m'ont jeté mes propres proches.

Comment refuser de réaliser son rêve à l'homme qui à réalisé tous les miens?

Comment être ingrat en vers l'homme à qui je suis redevable de tout?

Probablement que si je ne t'avais pas rencontré sur mon chemin, j'aurais pu respecter mes engagements sans aucune peine. Mais Yasmine, depuis que je t'ai regardé comme un homme regarde une femme, je me retrouve coincé entre le marteaux et l'enclume.

Je suis éperdument amoureux de toi.

Après ce long récit et cette dernière phrase combien lourde, Djibril marque une pause pour retrouver le souffle.

Un torrent de larmes coule sur mes joues et je ne sais par quel élan d'émotion je me jette dans ses bras et m'y blottis à l'étouffer.

Je ne sais plus qui de nous deux console l'autre, mais nous restons là, serré, immobiles, à écouter le rythme de nos respirations synchronisés à la mélodie de la douce brise nocturne.

Que soirée riche en émotion !

Stage pré-embauche