Chapitre 9 : Tel père, tel fils
Ecrit par pretoryad
Dali
Je me réveillai en
sursaut, le visage en sueur et la respiration haletante. J’aperçus mon père, assis à mon
chevet. Il m’apaisa en
posant sa main sur mon bras. J’inspirai
lentement pour tenter de calmer les battements de mon cœur et les tremblements
de mon corps.
–
C’est encore un de tes cauchemars, mon fils ?
Le
voir à mes côtés m’envahit
d’un calme serein. Je reposai
ma tête sur le coussin, le cœur léger. Si mon père était là avec moi, cela ne
pouvait signifier qu’une
seule chose : il avait vaincu mon cousin. Je ressentis une certaine fierté
à son égard. Il n’avait
rien perdu de ses pouvoirs. Avec lui, je me sentais invincible.
–
Tu avais à peine cinq ans lorsque tu as commencé à faire ces cauchemars,
poursuivit-il d’une voix
transportée dans le passé. Ils se sont manifestés juste après ta première prise
d’élixir pour bloquer tes
pouvoirs mystiques. Par la suite, c’est
devenu notre rituel. Chaque année, sept jours avant ton anniversaire, je t’emmenais chez la prêtresse
Mamissi pour que tu reçoives ta potion. Ta mère n’en a jamais rien su, car tu ne conservais aucun
souvenir de tes séances. Tout se passait bien jusqu’à l’arrivée de ton oncle Odong dans notre vie. J’ai tout de suite compris qu’il ne venait pas pour moi mais
pour toi. Il a ressenti comme moi tes capacités surnaturelles qui se sont
dévoilées exactement au même âge que moi plus jeune. C’est comme ça que mon père a su détecter très tôt ma
force occulte.
Il
fit une pause, son regard perdu dans les réminiscences d’un passé douloureux.
–
Je me rends compte, avec regret, que j’ai eu tort de renier mon héritage durant toutes ces années, reprit-il. Mais désormais, je veux faire les choses comme il se
doit. Mon fils, tu viens d’une
lignée de Grands-Mystes très puissants. L’heure est venue pour toi de faire
face à ton destin. Tu as été choisi pour devenir le prochain Grand-Myste. Et
cette fois, je veux que tu embrasses pleinement ta destinée.
J’écarquillai les yeux, incrédule.
–
Tu dois te tromper de personne, papa. Kalé est celui qui doit passer l’épreuve de passation dans
quelques mois. Il s’y est
préparé toute sa vie.
–
Peut-être bien, mais il n’est
pas le successeur légitime. Son père m’a remplacé provisoirement sur le trône, le temps pour toi de
prendre la relève. Lui comme moi savons que tu es le seul héritier. Et il n’y a rien qu’il puisse faire pour empêcher
cela.
–
Comment puis-je être le successeur si je n’ai aucun pouvoir ? Tu viens de m’apprendre que tu as enrayé mon
don depuis mes cinq ans. Or, Kalé a eu le temps, lui, de se préparer.
–
Tes pouvoirs sont bel et bien là, je te rassure. Ils n’attendent plus que toi pour les libérer. C’est pour ça que je suis ici. À cet instant, mon fils, tu vas non
seulement récupérer la force occulte qui te revient de droit, mais aussi
hériter de mon don.
Je
lui lançai un regard aigu. Tout ça à la fois ? Le doute s’immisça dans mon
esprit.
–
Je sais ce que tu peux penser, mais crois-moi, tu es plus que prêt pour ça. Et
n’oublie pas que je serai
là pour te guider.
Je soupirai de soulagement. De savoir
mon père à mes côtés tout au long de ce processus me redonna confiance en moi.
Je pouvais tout accomplir avec lui.
– Maintenant, si tu es prêt, nous
allons commencer.
J’étais plus que prêt ! J’avais du mal à contenir mon
excitation. Ma vie n’allait
plus jamais être la même après cette épreuve. J’avais hâte !
–
La première étape sera de réveiller les pouvoirs qui sommeillent en toi. Ça va
te demander beaucoup d’énergie,
car c’est une étape qui
dure deux jours. Durant cette épreuve, il te faudra faire montre d’une totale confiance en toi.
Garde à l’esprit que c’est
ton patrimoine, tu le mérites amplement. Pendant ces deux jours, la seule chose
qui entrera dans ta bouche sera cet élixir qui va redonner vie à ton don. Je te
préviens, il n’est pas
aussi bon que celui que tu consommais dans ton enfance.
Il
s’empara de la coupe de
cristal sur la table de nuit, puis il me souleva la tête pour me permettre de
boire le liquide transparent à petites gorgées. Le goût âpre de la mixture fit
apparaître une grimace sur mon visage. Une fois le contenu vidé, mon père
m’aida à m’allonger de
nouveau et reprit sa place à mon chevet.
–
Maintenant, il faut que tu dormes pour laisser l’élixir faire son travail...
Il eut à peine le temps de finir sa
phrase que je glissai dans un sommeil chaotique.
Ma’Darsille
Je
venais de lui faire boire la potion qui lui permettrait de récupérer ses
pouvoirs. Cela n’avait pu
être possible qu’en me
faisant passer pour son père. Il ne restait plus qu’à attendre que la mixture agisse. Et cela pouvait
prendre deux jours.
Je m’assurai de son confort puis
j’inspectai la petite chambre au décor austère. Les doubles rideaux de la
fenêtre avaient été tirés pour empêcher la lumière de pénétrer dans la pièce. Le
jeune homme ne pourrait réussir le combat qu’il devait mener que s’il restait dans les ténèbres. L’appel du sang était plus fort
que tout.
Je sortis de la
chambre pour regagner le salon où m’attendait
Ekwa Mbassal depuis un quart d’heure.
Il se tenait debout devant la fenêtre, le regard perdu dans le voile ombragé du
ciel. Il était rentré de son séjour depuis une heure.
– Ça y est, le plan est en
marche ! lui annonçai-je.
Il se tourna vers moi, le visage
impénétrable.
–
Il ne me reste plus qu’à
faire ma part, lâcha-t-il, le regard vague. J’ai encore du mal à me faire à l’idée qu’Odel soit réellement parti.
–
C’était son choix. Et il l’a fait pour une bonne cause.
Grâce à son sacrifice, son fils va hériter de pouvoirs qui nous permettront de
mettre un terme à la dictature d’Odong.
–
Peut-être mais nous ne sommes pas encore au bout de nos peines. Le fils est
aussi imbu de sa personne que son père, sinon plus ! Il veut destituer ce
dernier, et pour ce faire, il s’est
mis en tête d’utiliser ma
fille.
Sa rage était
palpable.
–
Tu sais très bien pourquoi, lui rappelai-je. Nélia est spéciale. La magie de la
mer est puissante en elle. Il va falloir que tu lui parles de ses origines
avant qu’il ne soit trop
tard.
Il
ne répondit rien, et se contenta de soupirer, le visage mélancolique. La
nouvelle de la mort de son meilleur ami, survenue ce matin, l’avait grandement ébranlé. Il ne
pensait pas que ce jour arriverait d’aussi
tôt. Désormais, il devait faire face à la promesse qu’il avait faite à ce dernier.
Dali avait suivi les
recommandations d’Odel en se rendant chez Ekwa. Malheureusement, la mort de son
père était arrivée plus tôt que je ne le pensais. J’avais retrouvé le corps inerte du jeune Dali devant
la maison de la famille Mbassal. Il avait ressenti la disparition de celui-ci
grâce à la connexion magique qu’ils
partageaient. Il avait succombé au choc. Je l’avais recueilli chez moi ce matin, et il y resterait
jusqu’à son investiture.
J’étais prêtresse Mamissi depuis
quarante ans. Beaucoup venaient à moi pour différentes raisons, le plus souvent
pour des problèmes liés à l’occultisme.
Je possédais des pouvoirs qui dépassaient mon entendement. Je les avais hérités
de ma grand-mère, Fidlo originaire d’Haïti
et grande prêtresse vaudou.
Ma magie était si
puissante qu’elle dévoilait
le cœur de toutes les personnes qui entraient en contact avec moi. Je passais
aisément du monde de la lumière à celui des ténèbres. Toutefois, j’étais et resterais un être de
lumière. Mon passage dans l’autre
monde était nécessaire pour sauver les âmes possédées.
Je connaissais les
familles Mbassal et Mephisto depuis plus de dix ans que j’habitais dans le voisinage. La
sonnerie de la porte retentit à plusieurs reprises. Ekwa et moi échangeâmes des
regards étonnés et inquiets. Il se précipita à la porte pour l’ouvrir.
–
Papa, viens vite, c’est Nélia ! Elle a été enlevée par Kalé, bredouilla
Kwesi, le dernier de la fratrie Mbassal.
Il
haletait d’avoir tant
couru, et ses joues étaient humides de larmes. Le cœur de son père cessa de
battre l’espace d’un instant. Sans chercher à en
entendre davantage, Ekwa sortit de la maison, bousculant son fils au passage.
Mon cœur chavira. Cet enlèvement était ce que nous redoutions tous. Je le
suivis sans traîner, Kwesi sur mes talons.
Arrivés chez les Mbassal, cinq minutes
plus tard, un spectacle funéraire nous accueillit dans le salon. Suki Mbassal
était surmenée par les pleurs incessants des quatre garçons.
–
Qu’est-ce qui s’est passé ?
Ekwa se contenait
difficilement.
–
Je te demande pardon, papa, je n’ai
pas su la protéger ! se reprocha l’aîné des garçons d’une
voix tendue.
À peine âgé de quinze ans, Nassir était
aussi grand que son père. Il paraissait tout aussi mûr, son père lui ayant
inculqué le sens des responsabilités dès son plus jeune âge. Protéger sa
famille était un devoir sacré pour lui.
–
Tu as fait de ton mieux, mon fils, le rassura son père. Raconte-moi ce qui s’est passé.
–
Nous étions tous dans le salon quand on a entendu Nélia crier dans sa chambre.
Je me suis précipité à l’étage,
mais je n’ai pu ouvrir la
porte, malgré mes nombreuses tentatives. C’était comme si elle était blindée. Pendant ce temps,
j’entendais Nélia hurler le
nom de Kalé, et puis j’ai
entendu comme une détonation. Ensuite, plus aucun bruit. Et la porte a enfin cédé,
mais il n’y avait plus
personne à l’intérieur.
–
Comment a-t-il pu pénétrer dans cette maison alors qu’elle est protégée par un sort de proscription ? Les
Mystes ne sont-ils pas supposés obtenir l’autorisation du propriétaire pour entrer chez lui ? remarqua
Ekwa sur un ton venimeux.
–
En effet. Mais il existe des cas où ils n’ont pas
besoin d’autorisation.
Dans le cas d’un
attachement amoureux avec un membre de la maisonnée par exemple, proclamai-je
sur un ton neutre.
–
Ça, c’est
impossible ! Ma fille n’oserait
jamais ! déclara-t-il d’un air de dédain.
–
Sais-tu seulement ce que ta fille fait derrière ton dos ? lâcha Suki d’une voix où l’on percevait
clairement le mépris.
Dans
sa robe en tissu beige qui masquait assez bien ses rondeurs, elle était installée
sur le fauteuil en cuir noir, les yeux braqués sur un magazine féminin. Elle n’avait pas
daigné lever le regard.
–
S’il
y a bien une personne dans cette maison qui ne connaît rien à ma fille, c’est bien toi
! son ton était cinglant.
– Comment
allons-nous la retrouver ? s’enquit
Nassir, balayant la dispute qui s’annonçait.
– Ça,
je m’en
charge. Je vais commencer par sa chambre. Tu m’accompagnes,
Nassir ?
Je
me rendis à l’étage,
suivie par Nassir et son père. Je savais bien que la tâche ne serait pas
facile, toutefois, je saurais la détecter, car j’avais
une idée de l’endroit
où Kalé l’avait
emmenée, mais je ne pourrais la libérer aussi facilement.