Chapitre 9: Un crime diabolique

Ecrit par Max Axel Bounda


Deux jours plus tard

Samedi 18 août 2017

22 h 04


J’avançais dans les airs en me dirigeant vers la salle de bain. Je n’avais plus l’impression de marcher par mes propres moyens, il semblait que c’était le sol lui-même qui me portait. J’étais vraiment dans les vaps. Combien de temps avais-je dormi déjà ? J'etais sûre de ne pas dormir avant d'avoir mis la main sur ce meurtrier.

J’entrai dans la salle de bain et pris une bonne douche pour tenter de me réveiller définitivement, puis je passai rapidement quelques vêtements.

J’habitais un appartement de trois pièces au quatrième étage d'un immeuble dans le sixième arrondissement de Libreville. Mon appartement était constitué d’un hall d’entrée donnant sur les toilettes et la salle de bains pour visiteurs. À gauche se trouvait ma chambre à coucher, et la chambre d’amis, même si je n’avais que très peu d’amis et presque personne n’utilisait cette pièce que j'avais transformé en salle de gim. À droite le grand salon donnait sur la cuisine ouverte.

Je me jetai sur le canapé sur lequel j’étais couchée dix minutes plus tôt, je croisai mes jambes en lotus pour déjeuner d’un bol de céréales, avant de m’attarder sur la télé écran plat face de moi. Depuis le matin, toutes les chaines de télévisions publiques gabonaises diffusaient les festivités de la fête de l’indépendance.

Meme si le bureau n’avait pas encore appelé jusque-là, cela ne voulait pas dire que le chirurgien n’avait pas fait de nouvelle victime. Ou du moins on n’avait pas encore découvert le corps.

Je regardai la tablette devant moi et toutes feuilles volantes qui gisaient inertes sous mes yeux. Depuis deux jours j’avais repris toute l’enquête. D’une part les six meurtres du chirurgien, et de l’autre le meurtre de Rigoberta.

J’avais commencé par le meurtre de Rigoberta. J’avais passé en revue les informations dont nous disposions. Rigoberta aimait le fric, le luxe et avait besoin d’argent pour se payer sa drogue, avant qu’Andjoua exige un règlement en nature.

Nous savions que le meurtre de Rigoberta présentait beaucoup de différences par rapport à ceux des autres filles.

Rigoberta n’avait pas été torturée, les mutilations qu’elle avait subies sur les seins et le clitoris avaient été effectuées après sa mort qui était survenue par strangulation. Les mutilations n’avaient pas aussi la même précision chirurgicale.

Nous avions fait fausse route en croyant que le Chirurgien avait raté son sixième meurtre parce qu’il avait été dérangé. Nous avions été induits en erreur, car ce n’était pas lui qui avait tué Rigoberta. Nous avions à faire à un imitateur.

Selon moi, cet homme marié avait dû découvrir que Rigoberta couchait avec Andjoua et était devenu fou de rage au point de la tuer. Qu’est qu’on ne peut pas faire par amour ou par jalousie ? Surtout quand on dépense autant pour une fille qui finit par vous cocufier avec le premier jeune mec.

Cependant si tout le monde peut commettre un meurtre, tout le monde n’est pas capable de nettoyer une scène de crime comme l’avait fait notre tueur. Ce détail était important. Notre coupable devait être quelqu’un habitué à cet environnement. Un policier ou un militaire, un homme qui n’a pas peur de se salir les mains, et qui est assez intelligent pour imaginer faire porter le chapeau de son meurtre au chirurgien.

Au vue de la technique utilisée, la strangulation, c'est un homme rancunier et susceptible. Probablement un homme de pouvoir qui ne supporte pas les affronts. Cela confirme aussi qu’il doit avoir la cinquantaine et être marié depuis au moins dix ans. Car personne ne prendrait un tel risque s’il n’avait rien à perdre.

Il nous suffisait de fouiller en profondeur les liens entre Andjoua et Rigoberta. Il se pouvait même que cet homme soit un proche d’Andjoua, ce qui justifierait le sentiment d’affront et le fait qu’il se sente humilié au point de la tuer.

En interrogeant Landry Andjoua, l’on pourrait avoir plus de détails sur la relation entre cet homme et Rigoberta.

Concernant nos six autres meurtres, j’étais heureuse de constater combien une bonne concentration au calme, un verre de jus de fruit, peut produire des résultats extraordinaires. Les choses étaient un peu plus claires.

Six meurtres en quatre mois, c’était le record actuel du chirurgien. Six jeunes et belles filles entre vingt et trente-cinq ans. Enlevées au sortir des boîtes de nuit pour la plupart. Toutes issues de familles aisées du pays. En faisant le rapprochement entre les lieux des enlèvements, avec la date et lieu où on a trouvé les corps je m’étais rendu compte d’un détail important.

Comment le Chirurgien faisait il pour circuler dans la ville, en plein milieu de la nuit sans se faire arrêter par les nombreuses patrouilles qui pullulaient dans Libreville depuis deux à trois ans ? Et si le Chirurgien était lui-même un dignitaire de ce pays ? Un dignitaire suffisamment connu pour passer les barrières sans être inquiété.

La fouille de la chambre avait permis de constater qu'une mini camera était placée au chevet du lit de Rigoberta.Cela confirmait les propos de sa meilleure amie. Elle avait dû le faire chanter en réclamant de l’argent en échange du film de leurs ébats, et il l’avait tuée pour la faire taire.

Les médias avaient largement fait écho des crimes perpétrés par Le Chirurgien, et le type s’en était inspiré pour maquiller le meurtre de Rigoberta et faire croire que notre tueur en série en était l’auteur.

C’était pour cette raison que l’appartement de Rigoberta avait été nettoyé, que son ordinateur avait été formaté ou encore que son caméscope avait été dérobé. L’homme avait effacé toutes traces de son passage. Ensuite, il avait laissé intentionnellement le préservatif appartenant à Andjoua dans la salle de bains, afin de nous mener sur une fausse piste. Mais dommage, on n'était pas dupe.

Me sortant de mes pensées, mon téléphone vibra sur la table. C'etait le Chef Asselé à l'écran.

~Allo, Axelle-Marthe?

- Oui chef!

~ On a une septième victime.

***

Le gardien de la paix venu à notre rencontre gardait l’entrée de la maison délabrée dans laquelle le Chirurgien avait semble t il abandonné le corps de sa dernière victime. Il s’effaça pour nous laisser passer. Il avait l’air bouleversé lorsque je me tournai vers lui.

— C’est plutôt moche là dedans, Agent spécial, me dit— il. J’espère que vous allez attraper celui qui a fait ça, ce mec est un vrai malade.

J’entendis Cassydie grogner dans mon dos. Nous savions à quoi nous attendre avec Le Chirurgien, et je m’attendais au pire. L’imagination de ce démon semblait sans limites.

Nous entrâmes dans la maison, le sol y était recouvert d’immondices. Le plâtre se détachait des murs ruisselants d’humidité et un coin du plafond était rongé par la moisissure. La toiture au-dessus était dans un état lamentable, et je supposai que la pluie devait passer au travers des tôles. Nous étions habitués, Le Chirurgien se débarrassait toujours des corps dans des endroits pollués. Lorsqu’il avait déposé le cadavre ici, il devait savoir que le quartier était déserté par ses anciens habitants. Seul problème était qu’il avait changé de ville, nous étions à 40 km de Libreville. Loin de sa zone d’action mais pourquoi? Qu'est ce que cela signifie?

A cause de la distance, nous étions arrivées en retard. Deux hommes arborant les chasubles bleus de la Brigade de gendarmérie de Ntoume, sécurisait l'espace de travail des techniciens de scène de crime qui inspectaient le sol. L'un d’eux s’appliquait à prélever une empreinte de pas sur le sol humide.

Loïc Tsamba surgit d’un véhicule derrière nous.

— Qu’est ce que Le Chirurgien nous a préparé en ce bel après-midi merdique ? Demanda t il sur un ton ironique.

— On nous a dit qu’une fille a été retrouvée morte dans une pièce au fond de la demeure,  répondit gravement Ludovic. D'après la gendarmerie de Ntoum, elle est nue, a été torturée, ses seins et son clitoris ont été mutilés. Et son cœur a été enlevé.

— Qui a découvert le corps ? Demandai je.

— Trois adolescents qui cherchaient sans doute un endroit tranquille pour fumer le chanvre. On les a gardés pour audition, nous répondit l'un des deux gendarmes devants nous.

L'un d'eux nous fit signe de le suivre.

— Je vous préviens, ce n’est pas beau à voir, dit-il. Cette fois, Le Chirurgien a fait très fort…

— Vous nous prenez pour des tapettes ? Riposta Cassydie. On en a vu d’autres.


La police scientifique n’avait pas tout à fait terminé son travail et nous restâmes collés à l’écart le long d’un mur humide. Quand ils eurent terminé, ils commencèrent à emballer leurs affaires.

Devant eux, au milieu de ce bazar, se trouvait une belle jeune femme morte. Elle était couchée sur le sol, entièrement nue, sous un mur couvert de tags et d’obscénités peints à la bombe ou au charbon. Elle reposait sur le côté gauche du corps, la face dirigée sur le mur opposé, et d’où nous nous trouvions, nous ne voyions que son dos avec ses mains attachées dans le creux de ses reins, juste au dessus de ses fesses nues. Je frémis en remarquant ce que ce malade avait fait. J'eus soudain l’intime conviction que Le Chirurgien avait parfaitement organisé sa scène de crime en exposant le corps de la sorte. N’importe qui entrant dans cette pièce découvrait de facto le dos du cadavre.

Nous avions sous nos yeux une vision parfaite de l’impensable. Une espèce de pieu était profondément enfoncé dans l’anus de la fille, et ses fesses dégoulinaient de sang coagulé.

— Oh putain ! Ce n’est pas vrai ! Tonitrua Doumbia, juste derrière moi.

— Ce type est un vrai malade. C’est totalement ignoble!


À ce propos, nous entendîmes quelqu’un dégueuler à triples boyaux. En me retournant, je vis Cassydie vomir dans un coin de la pièce.

— Tiens, vous voilà, les super policières, dit le médecin légiste. En ce moment, partout où vous passez, on ramasse les cadavres à la pelle.

C'était Armelle Mbama, le troisième médécin légiste du CHL. Il me semblait qu'elle était la copine de Claude. Et on ne se pigeait pas beaucoup.

— Dites nous plutôt ce que vous avez trouvé, ripostai— je.

— Et bien je peux vous dire qu’elle a été violée, ses ongles, ses seins et son clitoris ont été sectionnés alors qu’elle était encore en vie. Le tueur l’a aussi torturée en s’acharnant sur son visage et en lui lacérant les chairs. Pour le reste, la cause du décès est un arrêt cardiaque consécutif au prélèvement de son cœur. Toutes ces mutilations ont été effectuées avec une précision chirurgicale, expliqua t elle.

Le cadavre était de dos et je ne voyais pas l’objet des mutilations. La signature semblait évidente, et on pouvait donc supposer sans gros risque d’erreur que cette fille avait bien été tuée par Le Chirurgien.

— Le pieu qu’il lui a enfoncé dans l’anus a pénétré et défoncé son rectum sur environ vingt-cinq centimètres, reprit Armelle. D’après mes premières estimations en palpant le corps, l’objet a perforé ses intestins et ravagé les organes internes jusqu’au niveau du pancréas, mais l’autopsie nous en dira plus. Votre tueur a enfoncé ce pieu suffisamment lentement pour maintenir la victime en vie, jusqu’à ce qu’il décide de lui faire la cardiectomie. En d’autres termes, cette pauvre fille a été proprement empalée en souffrant le martyr.

Qu’est ce qui pouvait pousser un être humain à prendre autant de plaisir à faire souffrir l’un de ses congénères ? Le Chirurgien était un vrai sadique complètement malade. Nous étions sidérés, et je n’osais pas imaginer ce que cette pauvre fille avait enduré.

— Elle a été tuée ici ? Demanda Doumbia alors qu’il avait déjà la réponse.

— Non, l’absence de sang artériel le prouve, répondit le légiste. Je pense qu’il l’a violée et tuée ailleurs. Ensuite, il a transporté le corps jusque dans cette  bicoque.

Nous n’étions pas surpris, Le Chirurgien avait procédé ainsi à l’occasion de chaque meurtre.

— Presque plus personne n’habite dans ce coin de la ville, intervint Cassydie. L’enquête de voisinage ne nous apprendra sans doute pas grand chose. Le Chirurgien a dû avoir du mal à trimballer le cadavre ainsi mutilé dans cette maison, mais je suis certaine que personne n’a rien vu.

— vous pouvez estimer l’heure du décès ? Demandai— je.

— La rigidité cadavérique débute à peine. Je dirais aux alentours de minuit et trois heures du matin, répondit Armelle, en ôtant ses gants en caoutchouc. Claude vous le confirmera, une fois sur Libreville.

Nous nous figeâmes sans rien dire. Le silence des personnes présentes dans cette immonde maison abandonnée trahissait notre sentiment d’impuissance. J’observais le Chef Massala qui venait d’arriver et je remarquai que Joristana n’etait pas encore là. Où pouvait-elle être?

— Nous avons estimé son poids en associant l’humidité de cette cave et le fait qu’elle soit nue, nos calculs semblent indiquer qu'elle est morte la nuit dernière entre minuit et quatre heures du matin, en tenant compte de la marge d’erreur, précisa Armelle.


La fille avait donc été tuée la nuit dernière, et probablement enlevée dimanche soir, à moins qu’elle n’ait été séquestrée pendant plusieurs jours.

— Est-ce que l’on a une idée de l’identité de la fille ? Se hasarda Doumbia. Pourtant c'était évidant que non.

— Non, comme pour les autres meurtres, la fille est nue, répondit un gendarme. Elle n’a donc pas le moindre papier d’identité sur elle.

À chaque fois, l’identification tardive de la victime pouvait nous faire prendre un temps précieux.

rangea ses instruments dans sa mallette.

— C’est fini pour moi, déclara — t— elle en se relevant. Vous pouvez enlever le corps, je m’occuperai moi— même de l’autopsie.

Massala me fit signe que je pouvais passer, et je me déplaçai dans la pièce couverte d’immondices, pour contourner le cadavre. Je me disposai face à la victime pour regarder son visage.

Il s’agissait d’une jeune femme brune d’une trentaine d’année, le visage figé sur un rictus de douleur.

Comme l’avait expliqué Claude , le malade s’était acharné sur son visage. Son nez était écrasé, ses joues avaient été lacérées et je distinguais sa mâchoire au travers des lambeaux de chair sanguinolents.

Je sentis soudain mes jambes vaciller tandis qu’un nœud acide me vrillait l’estomac. Mon coeur se mit à battre très vite. Des palpitations semblaient me prendre soudainement.

Je crus qu’allait perdre connaissance et que mon corps entier allait s’écrouler, lorsque je reconnus Joristana Mbenguet. Notre Joristana.

Mon Dieu! Pas elle!



Sang Royal