Chapitre I

Ecrit par EdnaYamba

Chapitre I

 

Victoria LECKA

-         Imbécile, crie ma mère à son ivrogne de mari rentré une fois de plus saoul. 

Ça fait plus de 20 ans que se répète ce scénario. Je me demande toujours comment elle a pu épouser un homme pareil. Epouser ? que dis-je vivre en concubinage. Ils ne sont ni mariés traditionnellement ni à l’état civil mais cela ne compte pas. Dans notre société, la majorité des couples qui vivent en union libre se considèrent comme mariés. 

-         La nuit va être longue, soupiré-je en jetant un œil à l’heure sur mon téléphone.

Je regarde de l’autre côté du lit, Annabelle n’est toujours pas rentrée.

Elle a toujours été rebelle, insouciante et son insouciance nous a toujours créé des ennuis inutiles.

C’est le 3e jour depuis son dernier dérapage. Bien que je sois furieuse contre elle, je ne peux m’empêcher de m’inquiéter et de la protéger quoi que ça coute. Ça a toujours été Victoria et Annabelle depuis que nous sommes toutes petites. Nos liens se sont soudés là dans la petite maison en demi dure de ma Léontine. Tout le monde le sait, nous sommes deux orphelines qu’elle a recueillies.

Anna, la fille d’une cousine qui s’était envolée à la recherche d’une vie meilleure sans jamais sans un regard en arrière. Personne n’avait pu la retenir même pas Ana sa fille qui n’était qu’un enfant de deux ans. Et depuis, personne ne savait ce qu’elle était devenue.

Et moi ? moi, j’étais la fille d’une voisine qui avait connu la mort dans un hôpital. Ma Léontine ne connaissait aucun membre de ma famille maternelle et personne ne m’avait jamais réclamée. Je n’avais de souvenirs de ma mère qu’une photo que je gardais précieusement à l’abri des usures du temps. N’eut été, les coiffures africaines de son époque, on aurait pu vraiment se ressembler. J’adore penser que je possédais ses beaux cheveux crépus épais et volumineux aux boucles bien définies, son joli nez qui adoucissait son profil. La seule chose qui nous différencie est mon point de beauté droit au-dessus de ma lèvre supérieure. Je l’aurais certainement beaucoup aimé si elle était en vie.  

Quant à mon père, Ma Léontine n’avait jamais évoqué le sujet. Et de mon passé avant ma venue au foyer MBOUMBA, tout ce que je possède de mon passé est ce petit bijou qui ne quitte jamais mon cou. Un pendentif avec des initiales V.L.M.

Si les deux premières initiales me rappellent mon nom, la dernière demeure une énigme.

Ma Léontine, son ivrogne de mari et Annabelle représentent la seule famille que je connaisse. Et Anna est ma sœur !

Pourvu qu’elle ne se soit pas encore retrouvé dans un autre engrenage. J’ignore encore comment nous sortir du guêpier dans lequel nous nous sommes fourrées dernièrement. Elle nous avait assez mises en danger pour qu’elle continue. Une épée de Damoclès pèse sur nos têtes et elle pourrait s’abattre à tout moment sur nous.

« Qu’attendez-vous de moi ? »

« Tu le sauras au moment venu »

Je revois son visage dans l’ombre. Il porte à ses lèvres sa cigarette qu’il souffle avec mépris vers moi. Son regard calculateur et malicieux me hante encore. Ce frisson me revient comme la frayeur qu’il m’a inspiré la veille.

Je secoue la tête. Il est hors de question que je laisse l’inquiétude m’envahir. Demain est un autre jour.

03h du matin.

Pourvu que je réussisse à me réveiller demain. Je n’ai aucun intérêt à être en retard. Ce sera mon premier jour de stage et Dieu seul sait combien j’y tiens à ce stage.

Mon professeur de droit public qui m’affectionne pour l’intérêt que je porte à ses enseignements, ma ponctualité et mes bonnes notes m’a obtenu un stage dans le cabinet Jackson.

C’est une chance inouïe quand on sait la renommée des avocats de ce cabinet. Et c’est une chance qu’on ne peut se permettre de rater. Maitre Tia Jackson ! j’ai toujours rêvé de la voir plaider, de l’observer et d’apprendre à ses côtés. Et dire que j’aurai la chance de la côtoyer. Je n’y tiens plus.

-         Salaud ! 

Le cri de ma tante déchire le silence, suivi du fracas d’une bouteille.

Prions pour cette pauvre bouteille qui a payé les frais d’un couple qui s’aime dans la violence.
Pourvu que demain, ils soient encore tous les deux vivants.

Je glisse mes écouteurs dans mes oreilles espérant que la musique couvre le vacarme.

Demain commence une nouvelle vie.

8h00.

Je me lève brusquement.

Zut !  Mon téléphone affiche 5 alarmes ratées. Voilà que ce que je redoutais va se produire. Je suis très souvent matinale quand je passe une bonne nuit ce qui n’est clairement pas le cas de cette nuit.

J’entame une course contre la montre. Je cours vers la pompe publique.

-         Annette, s’il te plaît, laisse-moi passer… c’est urgent !

Par miracle, ma gentille voisine accepte. Les autres râlent.

-         C’est mon tour et j’ai 10 seaux, même si je lui donne un seau. Vous attendrez que je finisse. Tchipps

Personne ne proteste plus. Tout le monde sait qu’Annette dégaine sa langue acerbe aussi rapidement que Lucky Luke dégaine son revolver.

Après l’avoir remerciée, je me dirige aussi rapidement que je peux vers la douche. Je ne peux qualifier ce que je fais mais j’en ressors deux minutes plus tard assez trempée pour être toisée par ma mère.

-         Une femme qui met deux minutes à la douche ne sait pas se laver ! me lance-t-elle d’un ton cinglant.

Je l’ignore et continue ma course poursuite contre le temps. J’ai hâte de quitter le domicile familial.

Il est 09h quand j’arrive devant l’immense bâtiment qui abrite le cabinet Jackson. Malgré tous mes efforts, je n’ai pas les pouvoirs de flash pour me déplacer à la vitesse de la lumière. Pour un premier jour, côté ponctualité c’est plutôt raté.

J’entre, le cœur le battant. Je me présente à la reception.

La réunion des nouveaux stagiaires se passe au second étage dans la salle de réunion, m’informe-t-on.

Devant la porte, je souffle un instant, et murmure une petite prière.

Je rentre.

Quand les portes s’ouvrent, toutes les têtes se tournent vers moi. Tétanisée, je bredouille quelques excuses.

Je déteste ça.

-         Excusez-moi, je suis une nouvelle stagiaire et…

-         Et c’est exactement, ce que nous ne voulons pas ! tonne une voix autoritaire et froide.

Je sursaute. L’homme dont le teint qui s’apparente à l’onyx caramel, rasé de près, celui qui porte élégamment un costume bleu clair, me fixe le regard intense et glacial. J’aurai juré qu’il me toise.

-         Faites un effort la prochaine fois pour être à l’heure. Cela vous évitera ainsi d’interrompre une réunion déjà en cours et vous connaitrez à temps les objectifs que nous attendons de vous tous.

J’hoche la tête. Il ne m’a pas crié dessus mais ses mots et son ton ont raisonné comme des gifles.

Je ne vais pas beaucoup l’aimer celui-là ! 

-         Quel est votre nom mademoiselle ? me demande uen voix plus douce.

C’est elle. Maître Tia Jackson. Rayonnante dans sa robe noire cache-cœur, enceinte, belle et digne comme sur les couvertures d’OK Magazine.

-         Victoria LEKA.

-         Bien mademoiselle LEKA, prenez une place ! reprend son acolyte

Je ne vais vraiment pas beaucoup l’aimer. 

Je parcours la pièce d’un regard et repère une place vide. Dans la pièce, les visages qui m’entourent restent concentrés sur les avocats debout de l’autre côté de la pièce.

-         Harry…euh pardon…Maitre NDONG OSSAVOU et moi, reprend Tia Jackson à qui l’autre sourit.

Ce lap sus est révélateur de la proximité qu’ils partagent.

-         Nous avons pour habitude de donner quelques dossiers aux stagiaires. Cela nous permet de jauger de vos capacités d’analyses.

Une feuille blanche fait le tour des tables alors qu’elle poursuit son discours.

-          Dressez donc une liste et nous nous chargerons de vous repartir entre nous et les autres avocats du cabinet. Ce sera tout pour le moment, as-tu quelque chose à ajouter ?

Elle se tourne vers le dragon lanceur de flammes.

Les bras croisés sur lui-même, il reprend la parole.

-         Nous insistons sur la ponctualité. Un bon avocat se doit d’être discipliné. C’est non négociable. La séance est levée.

Vu le coup d’œil furtif jeté en ma direction, je sais que la recommandation m’est particulièrement adressée. Je vais devoir travailler à redorer cette mauvaise première impression.

Alors que je range mes affaires, le jeune homme assis à côté de moi me tend la feuille de présence.

-         Pour une première journée, ce n’est pas gagné d’avance !  Je m’appelle Etienne Idiatta. Tiens, voici les directives énoncées avant ton arrivée.

Je lui adresse un sourire reconnaissant.

Je note mon nom sur la feuille avec une main un peu tremblante. Écrire “Victoria Leka” ici, c’est presque ironique. Victoria, la victorieuse. Oui parce que je serais victorieuse sur le sort que la vie m’a réservé dès ma venue au monde.

Je balaie d’un regard la grande salle de réunion. Je suis là et je leur montrerai à tous que je mérite une place dans ce monde. Je n’ai pas droit à l’erreur.

Autour de moi, des discussions animées, des rires qui montrent le début des affinités qui se créent. Je trouverai ma place.

       

Harry NDONG OSSAVOU

-         Tu t’es encore amusé à glacer l’atmosphère, on dirait, lance Tia en refermant doucement la porte de mon bureau. Tu as réussi à effrayer tous les nouveaux stagiaires.

Elle s’assoit sans attendre mon invitation, les yeux brillants de malice.

-          Je les ai simplement remis à leur place. Ce n’est pas un centre de loisirs, ici. S’ils ont été retenus, c’est qu’ils sont prometteurs. Et je refuse que le relâchement les prive de leur propre potentiel. La rigueur leur servira davantage que des sourires.

Ailleurs, ils auraient été traités en commis de service mais ici ils sont là pour travailler !

-         Tu deviens de plus en plus rigide avec l’âge, soupire-t-elle. Tu sais, les erreurs font partie du parcours….

Je me tourne vers la baie vitrée. Libreville s’agite au loin, mais ici, le silence règne. Je me refuse ces souvenirs qui veulent refaire surface. Certains jours, ils résonnent plus fort que échos musicaux des bars qui emplissent la capitale. Tia, le sait. Elle ne poursuit pas la direction dans ce sens.

-         Moins ils me voient comme un copain, plus ils resteront concentrés. La familiarité crée des distractions. Et toi comme distraction ça me suffit !

J’esquive le carnet qu’elle jette en ma direction. Tia est ma meilleure amie. La seule personne qui me connaisse vraiment.

-         À propos de distractions, dit-elle en changeant de ton. Le repas d’anniversaire de papa, c’est ce week-end. Tu viens avec qui ?

Je tourne légèrement la tête, lève un sourcil.

-         Tu sais que je ne viens jamais avec quelqu’un.

-         Justement, c’est bien le problème. Maman compte bien y remédier. Et toi, mon cher, tu n’auras aucun moyen d’y échapper cette fois.

Elle se lève, un sourire narquois aux lèvres. Tout le monde sait que madame Jackson est une marieuse. Il y a quelques mois, elle avait pour projets de marier Tia. La voilà enceinte et mariée.

Je la regarde sortir, un bref soupir au bord des lèvres. La famille. Le seul terrain où je perds ma maîtrise !

Je referme lentement le dossier posé sur mon bureau. Une pile d’autres m’attend. Je devrais me remettre au travail. Pourtant, une image me revient : un regard furtif, une voix tremblante, à l’entrée de la salle de réunion.

Je n’ai pas retenu son nom. Je ne retiens jamais les noms le premier jour.

JUSTICE ET AMOUR TOM...