
Prologue
Ecrit par EdnaYamba
Libreville, Il y a 25 ans
Le bruit des
moniteurs résonne dans les couloirs de l’hôpital principal de la capitale
gabonaise, le secteur réanimation du service des maladies infectieuses est
imbibé d’un mélange d’odeurs d’éther, des produits de fluides médicaux et
peut-être de la mort…
On ne retrouve cette fragrance
nulle part ailleurs que dans les milieux hospitaliers.
Le souffle de moins
en moins fluide et régulier, Eliane sent son heure arrivée. Depuis des mois,
elle s’y est préparée après le verdict des différents médecins. Pourtant, à l’article
de la mort, une seule pensée l’obsède : à qui laisserait-elle sa petite ?
Ce n’est qu’une
petite fille innocente qui très vite serait confrontée aux vicissitudes la vie.
Son cœur déjà malade se tord à cette idée.
Pourtant une personne
pourrait la sauver. Cet homme à qui elle n’a jamais rien demandé.
Il se tient là, face
à elle, le visage paniqué. Cet homme qu’elle avait tant aimé, à qui elle s’était
donnée et qui l’avait lâchement utilisée comme une vieille chaussette. Pourtant
que n’effacerait pas ces quelques instants de bonheur illusoire dans ses bras ?
Jamais.
A l’époque, Elle en
était amoureuse depuis bien longtemps alors elle n’avait pas longtemps réfléchi
quand l’occasion de savourer cet amour qui lui avait été longtemps apparu comme
interdit s’était présenté à elle. Il était saoul et dès le lendemain, il
regrettait déjà d’avoir trompé son épouse. C’est aussi pour cette raison qu’elle
n’avait rien exigé de lui quand elle s’était su enceinte.
-
Eliane,
je suis marié ! tu ne peux pas me demander ça !
Il se passe une énième
fois la main au visage.
Il l’avait déjà
rejeté à la naissance et il la rejetait encore. La chair de sa chair, le sang
de son sang. Il n’avait jamais douté en être le père. Mais cette petite
mettrait son foyer en péril. Son épouse, réputée pour ses crises de colères
volcaniques qu’aucune disposition de sapeurs-pompiers ne saurait calmer, elle
ne lui pardonnerait jamais cette trahison. Surtout pas avec son ex meilleure
amie. Misère ! Non, il ne peut pas céder à la demande d’Eliane. Pourtant du
fond de son lit, elle tend sa frêle main vers lui, tremblante, suppliante.
-
Tu sais
que je ne t’aurais jamais rien demandé si j’avais le choix… je vais mourir…elle
sera seule au monde…
Le courage qu’elle avait
gardé jusque-là s’éteignait, bientôt ses yeux s’embuent de larmes, ses phrases
s’entrecoupent de sanglots.
-
C’est…
ta …fille…tu ne peux pas l’abandonner à son sort … c’est aussi ton
sang ! je te supplie…s’il te plait …
Tout à coup son
balancement thoraco-abdominal déjà anormalement rapide accélère sa fréquence,
le moniteur se met à hurler, il la regarde en panique ne sachant quoi faire
alors qu’elle glisse de sa main dans la sienne, un petit bout de papier avec sa
dernière volonté.
Les hommes en blouse
blanche accourent à son chevet, l’infirmière me prie d’un ton ferme de sortir
de la salle alors qu’elle se sert d’une seringue déjà préparée pour injecter. Je
m’éloigne à reculons alors qu’Eliane dans ses derniers instants lui livre un
dernier message de supplication que même ses longs soupirs expriment.
Un masque est posé
sur son visage. Une injection. Le médecin tente un massage cardiaque, mais il
sait déjà… qu’il est trop tard
Il s’échappe presque
de l’hôpital. Il ne faut pas qu’il soit là quand l’annonce sera faite comme un
couperet. Il a déjà pris énormément de risques en venant dans cet hôpital.
Là dans la pénombre
de la nuit, la tête contre le volant, il pleure. Quarante ans, c’est bien jeune
pour s’éteindre. Il ne l’avait certes pas aimée. Mais ils avaient été tous les
deux responsables de ce qui s’était passé. Il regarde le petit bout de papier
dans sa main. Un nom. Une date. Une adresse.
Victoria. Sa fille….
Non, il ne fallait
pas qu’il se crée un lien affectif avec elle sinon ce serait difficile de l’abandonner.
La petite innocente
venait de perdre sa mère…pourtant il ne pourrait pas non plus être un père pour
elle. C’était décidé ! il s’en occuperait mais à distance. Sa solution, il
l’a déjà !
Libreville, de nos jours
Victoria LECKAT
-
C’est
la dernière fois ! ne cessé-je de me répéter alors que je pénètre la nuit.
Ma capuche noire rabattue sur la tête, mon jeans slim noir moulant parfaitement
à ma taille 38, me rendent invisible. Je me débarrasse de mes baskets dans un
coin de rue. Je les récupèrerai après.
Je lève les yeux vers
la maison que j’aperçois au loin. Je me sens moins sereine. Ce n’est pas mon
premier forfait, non. Je vole depuis que j’ai cinq ans. Ce n’est pas une vie
que j’ai choisie, elle m’a été imposée.
Les lumières de la
villa blanche sont éteintes. La villa porte bien son nom. Une blancheur
éclatante, presque provocante. J’ignore tout des propriétaires, mais il ne fait
aucun doute qu’ils sont riches… et puissants.
Je m’étais souvent
contentée de voler les classes moyennes. De toutes petites choses pour
survivre. Mais il faut que je le fasse pour Annabelle.
J’ai toujours volé
les classes moyennes. De petites choses, pour survivre.
Mais ce soir, je vole pour Annabelle.
Cette imprudente n’aurait jamais dû accepter cette dette.
Les maîtres des lieux
sont absents. Le personnel est relâché.
Je connais déjà les angles morts des caméras.
Une musique filtre du couloir, étouffant les gémissements d’un couple que je
devine être le chauffeur et la jeune employée. Parfait.
Tel un félin, je
poursuis mon exploration. Et là — la
pièce.
Je tire une épingle de mes cheveux, la glisse dans la serrure. Clic.
Le tableau familial
m’interpelle dès l’entrée. Une famille. Un bonheur figé.
Un pincement au cœur.
Je n’ai jamais eu ça.
Je chasse vite cette pensée.
Je balaie la pièce du
regard. Le bijou. Je le repère. Je le prends.
Je le glisse dans ma poche, prête à repartir. C’est fini.
Alors que je tourne
les talons pour refermer la porte…
-
Tu comptes
t’arrêter là?
Un murmure dans
l’ombre.
Je me fige. Mon sang se glace.
Quelqu’un est là.
Je pivote lentement.
Un homme, debout dans l’encoignure.
Il porte un costume sombre. Calme olympien.
-
Je t’observe depuis longtemps, Victoria.
Tu es douée. Trop douée pour te contenter de voler des bijoux pour payer des
dettes idiotes.
Je ne réponds pas.
Mon cœur bat à tout rompre. Mais mes mains restent stables.
-
Qui êtes-vous ?
Il s’avance.