CHAPITRE I : il faut que je parte !

Ecrit par Chroniques Femmes Fatales


                                                                  I



- Tu es folle Véronique…

Voilà les dernières paroles que m’adressent Zita en me voyant entrer dans la salle d’embarcation.

 Je sais que je suis folle, je sais que je perds la tête, que depuis Andrew, rien ne va dans ma vie, oui je le sais. Mais que veulent-ils que je leur dise au juste ? Que je ne viens pas de prendre la pire décision de ma vie ? Que je regrette ? En effet,  je regrette juste une chose, de n’être pas partie plus tôt, et c’est ce que je compte bien faire. Après deux ans, je décide de mettre un terme à cette longue histoire sans fin. Zita ne comprend pas que j’ai besoin de cela pour donner un sens à ma vie. J’ai besoin d’avancer, de souffrir plus qu’il n’en faut. Ainsi, je pourrais dire à moi-même que ces souffrances que j’éprouve sont méritées, car elles sont infligées par moi. Je pourrais avoir une bonne raison de pleurer toutes les larmes de mon corps sans regrets. Des larmes de plus changeraient quoi en ma vie ? Rien que je n’ai pas encore versé.

Mon cœur bat rapidement, car je suis sur le point d’embarquer. Je ne réponds pas à Zita, je la prends juste dans mes bras et je la serre très fort. C’est la seule qui ait bien voulu m’encourager dans ce voyage sans but. Elle est la seule présente à l’aéroport. C’est ma meilleure amie, et je confirme l’adage qui dit que c’est dans le malheur qu’on reconnaît ses vrais amis.  Les gens ils sont étranges, ont les voit tous se plier en quatre pour nous quand on est bien aisé et que la vie nous sourit. Mais dès que le malheur frappe à notre porte, ils se dispersent tous comme le sable devant le vent. L’être humain est ingrat, voilà tout ce que je peux en tirer comme conclusion. Quelques minutes après, je laisse mon amie et je m’en vais, sans un regard en arrière. Il me faut avancer, partir… Il faut que je parte, sans que rien ne me retienne.  Je devrais faire semblant d’être une autre, Veronica, et non plus Véronique. En éteignant mon téléphone, je croise mon regard sur l’écran de celui-ci. Mes yeux sont secs ! Je ne sens aucune palpitation en ce qui concerne mon cœur. Moi qui ne supportais pas partir quelques jours loin de la maison sans verser de larmes, là, je change de pays et pourtant aucune larme ne coule de mes yeux. Je sais très bien la cause de tout ce changement.

Pourtant, je ne peux m’empêcher de repenser à la vie que je laisse derrière moi. J’ai grandi en Afrique, au Cameroun en particulier.  Contrairement à beaucoup de filles de mon âge, j’ai toujours rêvé d’une histoire digne des contes de fées, je me disais que je tomberais amoureuse de cet homme, qui me fera oublier la réalité que je vivais autour de moi.

La réalité, je la voyais quatre soirs sur sept à la maison, quand mon beau père rentrait totalement saoul, et qu’il se mettait à frapper ma mère parce qu’elle lui faisait une scène sur l’heure. La réalité faisait couler le sang de ma mère, me faisait m’enfermer à double tour dans ma chambre pour ne plus entendre les pleurs, les cris et surtout ma mère qui ne voulait pas se calmer. Cette fameuse réalité me faisait appeler la police tardivement quand tous les voisins renonçait à les séparer tellement ils étaient habitués à ces scènes de ménage. Cette réalité amoureuse me faisait peur !

Je n’ai jamais voulu vivre une histoire d’amour normale, car je savais qu’elle faisait mal. Je ne voyais pas seulement les scènes de ménages chez moi, mais autour de moi. Si ce n’était pas ma cousine, ma camarade qui rencontrait un homme et quelques temps à peine, elle se retrouvait à jouer les femmes au foyer, elle devenait enceinte et après la naissance de l’enfant, ils se séparaient, et elle héritait de l’enfant.  Puis, la même scène recommençait quand elle rencontrait un autre homme. En moins de vingt-cinq ans, elle se retrouvait avec trois enfants à sa charge, et des pères différents, maudissant les hommes, ne connaissant plus la signification du mot aimer, mais juste le mot se contenter. Mais se contenter de quoi ? D’être la fille qui part de maison en maison après chaque relation foireuse ? Voilà l’un des goûts amers de l’amour que je ne voulais pas avoir dans ma vie. Parfois, il avait ce goût âcre qui me collait au fond de la gorge quand je le voyais. Les hommes autour de moi ne m’ont jamais vraiment attiré, j’ai toujours eu une autre interprétation derrière leurs avances, toute approche de leur part à mon égard avait toujours un goût fade qui me callait à la  gorge et je n’arrivais pas à être à l’aise, encore moins à me défaire de ce sentiment de crainte de leur part. Est-ce le sang de ma mère qui me revenait en mémoire ? Ils me faisaient penser à mon beau-père. Tout gentil au début, et en quelques mois, c’était l’homme qui battait ma mère pour un rien. Cette impuissance à défendre ma mère a créé en moi une sorte de bouclier à l’égard des hommes. Ma priorité c’était d’être indépendante de l’homme, d’être celle qui pouvait se passer d’eux.

Il y a de  cela deux ans, je n’étais pas cette fille au regard froid et empreint de tristesse, non j’étais une fille ordinaire, avec des rêves ordinaires, un cœur simple et pur. Je ne connaissais rien de la vie, pas d’homme dans ma vie. Une fille qui vivait sous la coupe de sa mère et qui regardait celle-ci diriger sa vie. J’ai étudié, elle a investi, car elle savait que j’aurai ce boulot de rêve, et que je serai le symbole de la réussite.  Je ne voyais aucun inconvénient à ces plans, jusqu'à ce fameux jeudi 23 mars 2013… C’est drôle comme on retient facilement les dates quand il s’agit de certaines situations…Tristes, joyeuses. Tout nous marque quand le cœur est concerné. Et dans mon cas, je les ai toutes vécues. J’ai été heureuse, si heureuse en rencontrant mon ange. Il est apparu, et m’a entrainé dans l’abîme, où je ne suis plus jamais remontée en surface. Trou noir sans fond, rien, aucune assurance de revenir dans le monde réel.  J’entends encore son rire résonner dans ma tête. Cela fait mal, deux longues années que ce gouffre grandit en moi, et m’entraine dans le néant où rien ne se passe. Tout est froid, terne, sans importance. Pire, personne ne me reconnaît.

Il faut que je parte, il faut que je m’éloigne, que je trouve des réponses, qui n’arrivent pas à venir.

Tout a une raison de se produire, sûrement il a une bonne raison. Je veux leur prouver à tous qu’ils ont tort de ne pas croire en lui. C’est un ange, c’est mon ange à moi, et jamais, il ne me ferait délibérément du mal. S’il n’est pas venu, c’est parce qu’il ne pouvait pas. Jamais plus, je ne redeviendrai la même jeune fille que j’étais si je ne fais rien. Je dois partir le retrouver, et tout aura une explication. Tout ce qu’ils disent le concernant n’arrive pas à me convaincre. Ce n’est pas cela la réalité, mais ce que je verrai de mes yeux.

La voix de l’hôtesse s’élève dans le haut parleur.

« Les passagers à destination de Bruxelles sont priés de se rendre dans la salle d’embarcation, muni de leurs tickets de vol… »

  -Tu crois que tu reviendras un jour ? » me demandait Zita hier soir, quand je pliais mes bagages, assise dans ma chambre d’étudiante qui est devenue en ce jour, la sienne.

Aujourd’hui, je me repose la question intérieurement. Est-ce que je reviendrai un jour ? Est-ce que je remettrai les pieds dans mon beau pays ? Si tout se passe comme je le veux, est-ce que j’aurai envie de le laisser et revenir seule sans lui ? Oserai-je tout quitter juste pour faire ma vie avec lui ? J’ai toujours eu peur de laisser derrière moi mon pays et de m’installer à l’étranger. Au campus, je vois des centaines d’étudiants, qui ne veulent qu’une chose, partir d’ici pour l’occident. Ils ont tous la même excuse : « La vie est dure au pays », « on ne trouve pas facilement le travail », etc.

  Depuis qu’il n’est plus dans ma vie, mon pays me paraît terne, sans saveur. Je ne vois plus cette beauté que je voyais en lui, et que je voulais qu’il partage avec moi. Tout ce que je vois, c’est le chômage, la pauvreté, les rues inondées de saleté et de poussière, la corruption et surtout les morts qui s’entassent au Nord du pays. Dans le regard des gens qui m’entourent, je ne vois plus la chaleur de leurs sourires.  Mon beau pays a perdu de son importance parce «qu’il » n’est plus dans ma vie. Rien n’a plus d’importance.

Je sens des larmes qui veulent monter en moi, mais il ne faut pas que je pleure, il faut que je résiste. J’ai décidé de devenir forte, du moins, jusqu'à ce qu’il soit devant moi.  Dans ma tête, résonne encore les mots, ces fameux mots…

- Tu crois qu’on est heureux mon ange ?

- Le bonheur ne prend de sens que si on décide de le voir, et on aime le voir au travers des personnes qui ont de l’importance pour nous. Toi par exemple, tu as en toi la lumière que j’ai toujours recherchée dans mes nuits noires.

- Tu crois qu’on mérite vraiment ce bonheur ? Parfois moi je doute de cette réalité si parfaite.

- C’est quoi la réalité pour toi ? Elle n’est qu’illusoire pour certains. Ils ne voient que ce qu’ils veulent voir. Beaucoup ne comprendront jamais notre bonheur, car ils ne sont pas dans notre réalité, ils ne sont pas nous, ils se contenteront de juger ce qu’ils voient. Pour eux, nous ne sommes que deux êtres comme tous les autres. Sans importance. Mais pour toi, je suis ton ange, parce que tu as voulu ainsi, parce que tu m’as ouvert ton âme, tu es mon amour parce que je t’ai reconnu. On s’est trouvé et on a fusionné. C’est ça notre réalité. On s’aime, et on veut s’aimer. Oui, notre amour est un acquis, on ne l’a volé à personne. Il est à nous, ne le doute jamais. On est heureux. Tout ce que l’on fera, ce sera pour toi et moi. Je suis prêt à faire des folies, juste pour être avec toi. Et toi es-tu prête à tout pour moi ?

Moi, c’est mon bonheur, et non celui de quelqu’un d’autre que je pars chercher. Je le mérite, il est à moi, et à personne d’autre. Je me dois bien cela non ? Je ne dois pas me sentir triste, je dois rester forte. Personne ne sait que je pars, ils ne sauront pas ce que je suis devenue. Zita leur dira tout le moment venu. Et moi  je serai loin. Cette peur de l’avion, je ne la ressens pas curieusement. Je vois beaucoup de passagers, qui s’agrippent à leurs sièges, devrais-je en faire autant ? Devenir comme eux ? Il le faut bien, si je veux rester avec eux. Un sourire me vient sur les lèvres quand je repense à une conversation d’Andrew et moi.


- Tu connais mon fantasme le plus inavoué ?

- Non mon ange. C’est lequel ?

- Faire l’amour avec toi en apesanteur. Avoir la sensation de planer, de tomber dans le vide tout en faisant l’amour. Et je ne veux ressentir cela qu’avec toi.

- C’est quasiment impossible et tu le sais.

- On se contentera de ce qu’on trouvera. Par exemple l’avion. On ira aux toilettes comme dans les films, et on fera l’amour. Tant pis si les autres passagers nous entendent. L’essentiel sera fait. Réaliser mon plus beau fantasme.

- Je t’ai déjà dit que parfois tu es fou ?

- Fou de toi, je le sais. Tu me fais tourner la tête.

Fou de moi… Je ressens un brin de folie dans cette histoire. Et la folie conduit toujours au pire. L’hôtesse de l’air devant nous, nous conseille d’attacher nos ceintures, elle nous montre comment faire, je l’imite, et pour la première fois depuis ma décision, je sens mon cœur battre très fort. Bientôt, je serai en Belgique. Ils veulent que j’avance, que je reste forte. Mais, comment peut-on faire pour aller de l’avant quand le passé pèse sur notre conscience, qu’il nous enferme dans les souvenirs qui de jours en jours deviennent douloureux et difficiles à supporter.  Tout ce que l’on fait nous ramène toujours en arrière. Je ne suis pas la fille forte qu’ils veulent que je sois. Cela m’amuse quand j’entends toujours dire autour de moi qu’il faut avancer dans la vie, faire face aux épreuves. J’ai l’impression qu’ils croient qu’il y a un bouton et qu’il faut appuyer dessus. Il n’y a pas de bouton, c’est juste de la volonté qu’il nous faut. Et celle-ci ne vient que de notre fort intérieur.

 Je regarde le hublot pour la première fois. Bientôt, je laisserai cette forêt tout autour de l’aéroport, bientôt je ferai face aux immenses constructions, à la pollution. Oui bientôt, ce ne sera plus ma ville. Je n’aurai plus de ville, plus rien. Je perds tout, petit à petit. J’ai tout fait pour avoir la paix dans mon cœur, j’ai perdu la jeune fille que j’étais en rencontrant Andrew. A quoi dois-je m’attendre en allant en Belgique ? Je ne suis pas forte comme beaucoup le pensent. Je veux mettre une suite à mon histoire, mais je ne sais toujours pas si je prends le bon chemin.


À LA POURSUITE DU BO...