Chapitre un
Ecrit par Kossilate
CHAPITRE UN : Le début
Je suis la fille aînée d'une fratrie de trois enfants et notre famille subsistait avec le strict nécessaire. Malgré ou plutôt en raison de cette pauvreté, je fus obligée de grandir plus vite que nécessaire. A six ans déjà, j'accompagnais ma mère au marché d’Abeokuta où nous vendions selon la saison le fruit de nos récoltes. Néanmoins, cette maturité m'a été d'une très grande aide car elle m'a aidé à comprendre l'importance des études et à me focaliser sur mon but. En effet, ayant profité d'une sensibilisation sur l'éducation des filles, ma mère a réussi à convaincre mon père de nous envoyer mes sœurs jumelles et moi à l'école. Cela a été un vrai bonheur pour nous. Je me souviens encore aujourd'hui des conseils de ma mère avant mon premier jour d'école.
- Phoebe……cria ma mère.
- Mummy, répondis-je en accourant de la cuisine.
- O bêre ilewe leni. (Tu vas commencer l'école aujourd'hui)
- …..
- Man dojou timi. Ko fa qui to soro foun baba yi. (Ne nous fais pas honte. Votre père n'a pas été facile à convaincre)
- …..
- Mankan djou ola, ko si fo djou man iwé. (Préoccupe-toi de l'avenir et applique-toi dans tes études.)
- ……….
- Olorun o wo é, lo man wa leyin é everytime. Don’t Forget that. (Dieu veillera sur toi et sera toujours derrière toi, ne l'oublie pas)
- Yes. Mummy.
- Obiri la wa so people think that a o lé be strong like okunri. Man fi è si lè ko man dja foun thing that Matter For you. (Nous sommes des femmes alors les gens pensent que nous ne pouvons pas être aussi fortes que les hommes. Ne te laisse pas faire et bat toi pour ce qui à de l'importance à tes yeux)
- ……..
Ces conseils de ma mère sont une coutume commune à toute l’Afrique. Je la nomme la coutume des conseils d'étape. Ce sont des conseils que nos parents nous donnent quand ils sentent qu'on va franchir une étape dans notre vie. Je n'ai réellement eu besoin de ces conseils ce jour là ou du moins il me passait par-dessus car j'étais très excitée par l'idée d’aller à l'école.
Très tôt, je montrai un véritable engouement pour les études et j'accumulai bourses d'état et examens en candidat libre, pour le plus grand bonheur de ma mère. Ainsi, en dépit du fait, que j'ai commencé l'école à mes six ans, je me retrouvais en terminale à l'âge de dix huit ans. Malheureusement, cette année où je devais passer mon bac, débuta avec le décès de ma mère. Elle rendit l'âme car mon père a préféré investir nos maigres économies, qu'il gérait pendant la maladie de Maman, dans un jeu de hasard plutôt que dans l'achat de médicaments. De nos deux parents, maman était celle qui se souciait vraiment de nous et se débrouillait pour qu'on ait le strict nécessaire. À l'opposé, notre père préférait se soucier de l'argent qu'il allait prochainement miser dans un jeu de hasard ou plutôt flamber dans les nombreux bars louches d’Abeokuta. Étant l'aînée de la famille, je n’eus pas à l'époque, le droit de m'apitoyer sur cette perte inqualifiable car j'avais désormais à m'occuper de deux petites bouches, celles de mes sœurs. Je me mis à enchaîner de nombreux petits boulots à mes heures libres pour ramener le nécessaire à la maison tandis que mon père avait débuté une plongée de plus en plus profonde dans l'alcoolisme et le pari, maman n'étant plus présente pour le canaliser de temps en temps. Toutefois, je me donnais toujours à fond dans mes études comme m'avait conseillée ma mère et je fus récompensée par l'obtention de mon bac scientifique avec une mention très bien. Je bénéficiai alors d'une aide de l'état s'élevant à quelques milles de Naira pour la poursuite de mes études.
J'avais fait une série scientifique mais c'était plus la littérature mon tripe. La série scientifique était plus un défi pour moi et une façon d'acquérir cette rigueur propre aux scientifiques alors j'avais plus dans l'idée de m'inscrire en lettres et art modernes qu'en médecine, ou autre truc du genre. Pendant les vacances j’accumulai deux fois plus de jobs pour mieux m'occuper des jumelles, de quatre ans mes cadettes. Un jour en revenant épuisée et vannée d'une cafétéria où j'assurais le service de jour, je rencontrais mon père à la maison. Il était sobre et super bien habillé. Un vrai miracle.
- Bonsoir papa lui dis-je en yoruba en fléchissant légèrement le genou.
- Bonsoir Phoebe.
- …….
- Viens t'asseoir j'ai à te parler.
- ……
- À la mort de ta mère, je me sentais seul et perdu. J'étais sans repère et je détestais cette sensation de perte de contrôle.
- …….
- L'alcoolisme et le jeu me permettaient d'oublier cette sensation un moment alors je n'ai pas hésité à m'y enfoncer.
- ….
- Je sais que vous me reprocher la mort de votre mère et vous avez sûrement raison de le faire. Mais je me suis rendu compte que je vous avais laissé livrer à vous-même.
- ……
- Votre mère serait tellement fière de toi si elle te voyait. Moi pas contre, je sais l'avoir déçue avec mon comportement, ajouta t il en retenant difficilement ses larmes.
Je détournai la tête car dans nos coutumes une femme ne doit pas voir les larmes d'un homme. Mais au-delà de cela, l'éducation que m'avait donné ma mère m'empêchait de regarder mon père pleurer en sachant que je ne croyais à aucune des paroles qu'il venir de débiter et encore moins aux larmes de crocodiles qu'il versait.
- Désormais, je m’éloignerais avec votre aide de l'alcool et du jeu.
- D'accord papa, répondis-je en me levant pour aller faire à manger.
Cette scène de remords me retourna la cervelle car elle sentait le coup foireux à des kilomètres. Pendant les jours et même les semaines qui suivirent cette discussion, mon père resta sobre et commença à s'intéresser à ses filles. Il essayait même de veiller à ce que les filles qui passait en classe de troisième prennent de l'avance sur leur classe. Pourtant, je n'arrivais pas à me départir de cette impression de fausseté or ma mère m'a toujours dit de faire confiance à mon sixième sens. Un mois après cette discussion, un événement me permis de confirmer mes doutes sur le revirement de comportement de mon père.
Pendant que je rangeais la maison, je me rendis compte que le livre creux dans lequel je cachais nos économies et ma bourse avait été « touché » et que quelques centaines de naira manquait à l'appel. Je sus immédiatement que mon père était à l'origine de ce déficit. Mais restait à savoir ce qu'il en avait fait et comment lui en parler car jusqu'à preuve du contraire on n’accuse pas ainsi ses parents de vol.
- Bonsoir papa, dis-je lorsqu'il rentra de sa « balade »
- Bonsoir Phoebe.
- Papa….je voudrais acheter du riz à la maison
- Je n'ai pas d'argent sur moi. Ne pourrais-tu pas piocher dans ta bourse ? Demanda t-il sur la défensive.
- Si mais tu sais que c'est pour nos études l'année prochaine et…
- Ah ben, on risque de rester à jeun, déclara t il en s'énervant.
- Mais….
- Tchutchutchu….tchutchutchu…tu ne sais que parler ??
- Pardon papa, déclarai je en comprenant que notre père avait peu être rencontrer des verres d'alcool sur son chemin.
Je me dépêchai de battre en retraite ce soir-là avant qu'il ne lui vienne à l'idée de me refaire le portrait comme il avait pris l'habitude de le faire quand il était trop saoulé. J’allai retrouver les filles dans leur chambre pour leur demander de ne pas sortir.
- Il a recommencé ? Demanda tristement Adouni, la plus sensible des jumelles.
- Oui, chérie. Mais il a déjà fait un effort, à nous de l'aider à continuer…..
- Jusqu'à la prochaine fois où il replongera, me coupa Abeni qui avait plus le sang chaud
- Abeni, c'est notre père et je ne te permets pas de parler ainsi de lui. Peu importe ce qu'il fait on lui doit du respect. Maman nous l’a toujours demandé et notre religion nous le demande aussi.
- Ce n'est pas mon père, répondis Abeni.
- Abeni…
- Ce n'est pas mon père non plus, ajouta Adouni
- Toi aussi…..
- C'est toi notre père, Phoebe. Et notre mère, et notre sœur et notre famille, dis Adouni soutenue par des hochements de têtes énergétiques de Abeni.
Je regardai émue ces filles dont j'étais devenue la mère, le père et la sœur. Elles avaient hérité des traits de notre grand-mère paternelle et du teint noir de maman. Côté taille par contre, elles ont pris notre père qui est immensément grand. À 14ans, elles avaient déjà tout pour rendre fou un homme mais comme moi elles avaient compris le rôle des études dans notre plan pour sortir de ce trou de misère où nous vivons.
- Les filles, ce que vous dites la me gonflent de fierté, leur répondis je. Mais ce n'est pas pour cela je vais vous laisser manquer de respect à NÔTRE père.
- ….
- ….
- Venez par-là, dis-je en tendant les bras.
Apres ce soir-là je changeai de cachette à mes économies et la vie repris son cours normal entre moi qui travaillait comme une demeurée, mes sœurs qui prenaient de l'avance sur leur cours et notre père qui oscillait entre période de remords, de sobriété et période d'alcoolisme, de violence.
Nous étions à quelques semaines de la rentrée lorsqu'un nouvel événement vint changer une fois de plus l'axe de nos vies. Ce jour là, je revenais de l'école des filles où j'étais allée payer la scolarité lorsque je vis une Peugeot, des temps de nos aïeux, qui tenait temps bien que mal devant la maison.
- Bonsoir…
- Je n'ai pas besoin de vos salutations, dit brusquement l'homme qui se tenait à côté de la voiture, de la carcasse de voiture je dirai même.
Cette brusquerie, me choqua au point que je ne remarquai pas à mon entrée que la maison était sans dessus dessous. Qu'est ce que se passe ici ? Fut la première chose qui me vint en tête. Je pensai ensuite à un braquage mais en dehors de mes économies, que je venais d'utiliser pour les différentes scolarités, nous étions si pauvres qu'un voleur en venant chez nous se sentirait aussitôt riche. J'étais dans l'entrée à réfléchir à la posture à adopter lorsque je vis mon père sortir de la cuisine et se diriger vers moi.
- Tu les as mis où, cria t il en me donnant une gifle.
- Quoi ?? Demandai-je offusquée en regardant mon père.
A mon grand étonnement, il n’était pas saoul mais une lueur démente habitait son regard. Il transpirait comme un porc et respirait comme un buffle. Ces yeux étaient injectés de sang et sa lèvre fendue.
- Qu'est ce qui…..
Je venais de recevoir une autre gifle qui me coupa le souffle et m'envoya au sol.
- Si tu ouvres encore ta bouche pour me dire autre chose que l'endroit où tu as caché mon argent je te tue.
- Quel argent ?
- QUEL ARGENT ! QUEL ARGENT ! hurla mon père en me soulevant et en secouant ma tête.
- …..
- Mon argent que tu as caché dans ce livre dit il en désignant mon livre creux qui gisait non loin de moi.
- Papa, c'est l'argent pour……
Une autre gifle me referma le clapet.
- Si je ne t'avais pas donné la vie aurais-tu la bouche pour me parler ou même aurais-tu trouver cet argent ??
- …..
- Alors il m'appartient. Cesse de me faire perdre mon temps et donne moi mon argent que j'aille le rembourser avant qu'il ne change d'avis et ne me tue.
Je commençais alors à comprendre ce qui se tramait. À priori, mon père a perdu un pari, fait sur l'argent de nos économies qu'il pensait retrouver à la maison, et l'homme devant la maison doit être celui envers qui il a contracté une dette en perdant. À cet instant, ma pensée alla directement vers les jumelles qui vendaient les fruits du verger au marché. Elles ne seront pas de retour avant trois ou quatre heures de temps. Tant mieux, car je n'aurai pas voulu qu'elles assistent à ce spectacle après ce qu'elles m'ont dit. Quant à mon père, même si je n'avais pas payé les scolarités, il était hors de question que je mette l'avenir de mes sœurs en danger parce qu'il ne sait pas rester assez sobre ou juste assez loin des cabarets et bars.
- Tu ne réponds pas ? Eh bien tu verras, cria mon père en me tirant par les cheveux vers la sortie tandis que je me laissais faire.
J'avais appris depuis longtemps que dans ce genre de situation, qu’il ne servait à rien de se débattre car il finissait par se lasser. Mais si j'avais su ce qui allait suivre, j'aurai peut être, non j'aurai sûrement agi différemment.
- Patron AJEGOUNLE, ne vous fâchez pas….
- Je ne veux pas d'explication, dit l'homme en question.
Je jetai un coup d'œil à l'homme que je n'avais pas pris la peine d'observer plus tôt à cause de sa brusquerie. Il était trapu et de teint noir. Ses yeux étaient cachés derrières des lunettes de soleil qui sentaient le bas de gamme à des kilomètres de distance. Ses grosses lèvres épatées me faisait penser à des sangsues et il se dégageait de lui une aura de me méchanceté.
- Je veux juste mon argent, ajouta t il en me coulant un regard.
- Excusez moi…… patron, balbuta mon père.
- ….
- Cette petite voleuse….a…..pris l'argent.
- Je n'en ai que faire.
- Mais je sais que vous cherchiez une quatrième épouse.
- Hein….ou est le rapport ? Demanda l'homme tout aussi hébété que moi.
- Eh bien,…… ma fille ferait ….... une bonne compagne. Elle sait préparer, s'occuper des enfants et elle est intelligente. Elle a eu son bac. Elle serait une bonne contrepartie pour vous.
Jusqu'à ce jour je pourrai jurer que lorsque ces mots parvinrent à mes oreilles, j'étais persuadée qu'il s'agissait d'une mauvaise blague. Mon père essayait de me marier à cet homme….
- Je n'ai que faire d'elle, répondit l'homme pour mon plus grand soulagement.
- Ah…..
- Je veux juste mon argent.
- Et si…et si vous l’ameniez à votre amie. Elle pourrait faire une bonne attraction et elle vous rapporterait plus que ce que je vous dois. Elle sera un investissement à long terme, débita précipitamment mon père qui semblait à cours d'idées.
- Eh bien, dans ce cas….. murmura l'homme en me regardant plus intensément.
Moi qui croyait que la situation ne pouvait être pire, je venais d'être servie. Après m'avoir frappée, avoir failli me faire épouser un homme que je ne connaissais ni d'Adam ni d’Eve, mon père venait de conclure un marché pour me vendre comme prostituée dans un bordel.