Chapitre vi

Ecrit par EdnaYamba

Posé sur mon bureau, le dossier SOUNA me fait de l’œil. Ça fait des jours qu’il ne veut rien me livrer de ses secrets. Mon cœur se serre à chaque fois que je l’ouvre. Il me laisse toujours ce même sentiment étrange d’une grosse menace.

Debout, j’observe la nuit qui tombe sur la capitale. Je ne résous pas à rentrer chez moi. Je fais défiler le contenu de ma journée dans mon esprit afin de rattraper les manqués. Et dans mon souvenir revient, le bandage de Victoria. Et un sentiment d’inquiétude m’envahit à nouveau. Je ne devrais pourtant pas. Je ne devrais pas m’impliquer dans ses affaires personnelles.

Je retourne m’asseoir sur mon bureau. J’ouvre l’épais dossier cartonné.

Premier onglet : La société immobilière SOUNA & FILS est propriétaire de parcelles complet dans la partie sud de la capitale gabonaise, notamment à OWENDO. Mais quelque chose cloche.

Plusieurs choses clochent.

L’acte de vente n’a pas été enregistré dans les délais prévus. Le plan cadastral et le certificat de conformité sont contradictoires.

Acte notarié du 15 mai 2022 – acquisition du lot 218– valeur déclarée : 35 millions.
Vendeur : Association jeunesse et avenir – siège : Belle-Vue II.

Je fronce les sourcils.

Une association carritative qui vend un terrain à une telle valeur ? et comment aurait-elle pu obtenir une parcelle d’une telle valeur à OWENDO alors qu’elle-même est situé dans un bas quartier ?

Président de l’association : Nziengui Gaspard. Né le 23 septembre 1998.

27 ans.

Je note : faire des recherches sur Gaspard Nziengui.

Les actes signés, sont signés à des sommes exorbitantes. Des millions.

Et surtout, un nom. Un nom qui fait écho à mon passé.

Maitre ALEVINA.

Encore ce notaire. Le même que dans l’affaire du jeune…. Un gout amer me monte à la gorge. Malgré moi, les souvenirs s’échouent dans mon esprit comme une vague s’échoue sur la plage.

C’était mon premier emploi à la sortie de la fac avant que maitre Jackson ne me prend dans son cabinet.

Maitre Nzaou , mon mentor de l’époque m’avait dit que l’affaire ne comportait aucun risque. Il souriait et moi, j’avais confiance. Je l’idéalisais ce monsieur. J’étais brillant, en quête de réussite et de faire mes preuves… j’étais surtout naif.

-         Fais confiance aux anciens, Harry. Ce genre d’affaire, ça se règle entre professionnels.

J’avais accepté sans poser de questions.  J’étais honoré qu’il me fasse confiance sur u dossier aussi important. Le dossier concernait un jeune homme accusé de faux et usage de faux dans une transaction immobilière. Pourtant, il me l’avait dit :

-         Maitre, je ne suis pour rien ! ce n’est pas moi le coupable, c’est Marcus !

Mais les preuves étaient étrangement bien ficelées.

Trop.

Comme l’avait prédit Maitre Nzaou, j’ai gagné la partie.

Sauf que deux semaines plus tard, le gamin était retrouvé mort.

Officiellement, il était mort d’overdose.

Mon intuition et le remords me poussèrent à chercher. Les rumeurs parlaient, quelqu’un avait voulu le faire taire.

Il se chuchotait un nom. Marcus.

Quand j’ai commencé à poser des questions, ? Nzaou  m’a dit l’air grave :

-         Tu ne veux pas mêler ton nom à ce genre d’histoires, crois-moi.

Il n’en fallait pas plus pour que je comprenne. Il savait. Il savait depuis le début. Il avait placé les pièces. Et moi, j’étais son pion.

Quelques mois plus tard, il partait à la retraite. Officiellement.
Officieusement, il disparaissait de la circulation.

J’ai déprimé. Je m’en suis voulu. A cause de moi, un gamin était mort. Un bandit était passé entre les mailles de la justice.

J’ai démissionné.

C’est Tia et maitre Jackson qui m’ont sauvé la vie.

Si Maitre ALEVINA réapparait c’est que Marcus n’est pas loin ! il manipule encore dans l’ombre.

Deux coups sont tapés à ma porte.

Et moi qui croyait tout le monde parti.

Elle apparait, elle porte un document entre ses mains. Aujourd’hui, sa garde de robe a changé. Elle porte une robe qui dévoile ses longues jambes avec de jolis couleurs associées. Bien différents des tons des premiers jours. Ce qui la rend solaire.

-         Je vous croyais partie ! lui dis-je

-         Je ne voulais pas partir sans finir l’élaboration du travail sur la fraude que vous nous avez donné. Il est là monsieur !

Elle me le tend et mes yeux s’attardent à nouveau. Je m’attarde peut-être un peu trop.

-         Autre chose ? me demande-t-elle.

Je me sens brusquement déplacé, comme un intrus qui aurait forcé une serrure. Je ne devrais pas me mêler mais je ne peux m’empêcher de demander.

-         Dites- moi la vérité, comment vous vous êtes fait cette blessure !

Un voile traverse ses jolis yeux en amande. Un non initié ne l’aurait pas vu mais ça fait des années que je décrypte les faits et gestes des individus en face de moi.

-         Ce n’est rien, un accident de cuisine comme je vous l’ai dit.

-          Je vous crois. Mais je suis aussi votre supérieur. Et, accessoirement, juriste. Je connais les « accidents de cuisine » qui cachent autre chose.

Elle se renfrogne. Elle est sur la défensive.

-         Je n’ai pas besoin de pitié.

-         Ce n’était pas de la pitié. C’était… de la vigilance. Nuance.

Elle baisse un instant les yeux. Puis les relève, directe et tranchante.

-          Et vous, Maître ? Qui veille sur vous ?

La question me frappe. Elle est juste. Pendant un battement de seconde, je ne sais que répondre.

-          Je n’ai pas besoin qu’on veille sur moi, réponds-je, presque par automatisme.

Elle hoche la tête. Comme si elle comprenait. Un silence se dépose entre nous. Un silence dense.

Je me lève, contourne le bureau, viens m’asseoir sur la petite table ronde en face d’elle. Moins de formalisme, plus de… proximité …de vérité.

Je récupère le dossier.

-         Si vous avez besoin d’aide, pour quoi que ce soit. Ma porte vous est ouverte ! m’étonné-je de dire.

Elle lève son regard vers moi, nos yeux s’accrochent.

Il est temps que je mette fin à cet entretien !

Victoria LECKA

Quand il me libère, je peux enfin expulser toute la tension que j’ai retenue. Entre ces regards calme et tranchant inquisiteur comme s’il allait me percer à jour et son ton adoucit qui m’a presque déstabilisée j’ai cru défaillir ? j’ai trouvé séduisant qu’il s’inquiète pour moi. Retenir ma respiration pendant tout cet entretien, c’est l’exercice le plus difficile qu’il m’ait été donné de faire.

A l’intérieur de moi, c’est le chaos.

Il n’a fait que son travail. J’essaie d’y croire.

Et pourtant…

Il y a ce moment, infime, suspendu, quand il a quitté son fauteuil pour venir s’asseoir en face de moi. Moins de distance. Plus de présence. Trop de présence.

L’air a changé entre nous.

Et ce regard… Il ne m’a pas regardée comme un supérieur évalue une stagiaire. Il m’a observée comme on cherche à percer une énigme. Comme s’il voulait comprendre. C’est peut-être ça, le plus dangereux. Cette impression qu’il pourrait me comprendre.

Je déteste ça.

Je déteste ce qu’il fait naître en moi.

Parce que malgré ma méfiance, malgré la peur qui me ronge à chaque battement, une autre sensation s’est glissée entre les lignes. Une chaleur discrète. Un trouble inattendu.

Il ne devrait pas me faire cet effet-là. Pas lui. Pas ici. Pas maintenant. Harry NDONG OSSAVOU est un danger pour moi. Un danger si je m’en approche trop.

Et pourtant…

Je secoue la tête, comme pour effacer ce qui vient de naître.

Mais la vérité, c’est qu’il m’a déjà touchée. Et je ne sais pas comment m’en protéger.

 

-         Eh Vicky !

C’est Gaspard. Il me fait signe par la tête de le suivre à l’association.

Le bâtiment vieilli accueille des enfants de la rue, officiellement c’est une association carritative pour aides aux jeunes en difficulté mais officieusement il s’agit d’une association de malfaiteurs. La plupart de ceux qui y sont, sont employés à la solde de Gaspard pour des vols.

Gaspard en était à la tête depuis qu’il avait fait la rencontre de cet homme aussi dangereux que mystérieux.

-         Il est là, il est venu pour toi !

Le danger se rapproche de plus en plus. Avant les rencontres se faisaient ailleurs que dans notre quartier, maintenant il vient jusqu’à moi. D’un pas résolu, je marche à la suite de Gaspard. Nous pénétrons l’enceinte du bâtiment. Les enfants sont éparpillés dans la demeure.

Quand Gaspard ouvre la porte du bureau. Le fauteuil pivote vers nous.

Marcus est là. A la lumière du jour.

-         Bonjour Vic !

Je me dresse droite, silencieuse, esperant que la dernière mission lui a suffi et qu’il ne nous embêterait plus. Sa présence me donne la chair de poule.

-         Je vous ai envoyé un dossier numérisé !

J’essaie de contenir le tremblement de ma voix.

-         Je l’ai vu ! mais…

Mais ? comment ça mais, ai-je envie de crier.

 

-         Mais ce n’est pas ce que je cherche !

Non, non, non !

-         Comment ça, pas ce que tu cherches ? Tu m’as envoyée là-bas, et c’était très dangereux !

-         Tu as bien bossé. Mais il manque le cœur. Le vrai document. Celui que Souna a remis… à Harry Ndong Ossavou.

Harry ?

Son nom fait écho dans la pièce.

Aussitôt évoqué, je me sens paniquer.

-         Qu’est-ce qu’il vient faire là-dedans ?

-         Il contient des informations très importantes pour moi. Poursuit-il.

Un frisson glacé me parcourt. Je pressens ce qu’il va me demander. Et mon cœur se le refuse.

-         Tu es dans sa team maintenant, non ? Profites-en. Approche-le. Trouve ce qu’il cache.

-         Je ne suis pas une espionne.

-         Tu es ce que j’ai besoin que tu sois. Tu crois que t’es sortie de la merde, Vic ? T’es juste en sursis. Tu veux qu’on parle d’Anna ?

-         Ne la menacez pas… intervient Gaspard.

Je me sens reconnaissante qu’il veuille protéger Anna. Mais il ne peut rien devant Marcus et l’injonction qui s’en suit le démontre.

-         Ferme ta gueule, toi !

La mine rabattue, le Gaspard le dur vient de se faire ramollir.

                 
JUSTICE ET AMOUR TOM...