CHAPITRE VII
Ecrit par Samensa
MAYA
A 15 ans déjà, j’étais immergée
dans le monde du sexe et de la drogue. Comment j’y suis arrivée là ? Eh
ben, à des parents modestes, ajoutez une fille très envieuse et une grande
portion de mauvaises fréquentations et vous aurez le cocktail parfait :
moi.
J’étais une fille très envieuse
qui jalousait toutes ses amies qui avaient un peu plus qu’elle. A cette époque,
mes parents n’avaient pas grande chose : Safi n’était pas encore sous leur
tutelle pour qu’ils puissent puiser dans son héritage. J’ai donc commencé à
sortir avec des jeunes du quartier en échange de faveur pour être au même
niveau que les autres. A 14 ans, j’ai intégré un gang. Je vendais de la drogue
moyennant des commissions. Il faut dire que j’étais très douée. Avec mon
apparence physique (j’étais très précoce), j’arrivais à séduire les clients et
à écouler sans problème ma marchandise. J’avais bonne réputation dans le
milieu. J’ai vite gravi les échelons et je suis devenue l’une des
« prospectrices » de Marc. Marc est le fils de « Zeus »,
celui qui contrôle le marché l’Afrique de l’Ouest ; il dirige les affaires
de son père ici en Côte d’Ivoire. Enfin, bref ! Mon travail consistait à
cibler les grands hommes de ce pays et à faire d’eux des acheteurs, de gré ou
de force. Par exemple, on les invitait à un diner, les droguait puis prenait
des photos pour les faire chanter afin qu’ils se plient à notre volonté, pour
les récalcitrants bien sûr. J’ai donc fait le tour du monde, aux bras d’hommes
riches et est apporté plusieurs clients au cartel.
Ma mère, elle, n’y voyait que du
feu. Du moment où je ramenais de l’argent pour l’entretenir elle et sa famille,
c’était bon. Je me dis parfois que si je ne l’avais pas eu pour mère, je
n’aurais pas emprunté ce chemin. Mais bon, comme on le dit chez nous, « on
est déjà né ! ».
Pour ceux qui se demandent
pourquoi j’ai trahi Safi, eh ben je vous explique. J’ai pris ma cousine sous
mon aile car elle avait du potentiel pour devenir « prospectrice ».
Avec son physique, elle ne passait pas inaperçue et son intelligence lui aurait
permis de faire de grandes choses. J’étais donc gentille avec elle pour
l’emmener peu à peu vers ce monde car il fallait être patient avec ce genre de
filles, trop naïves. J’allais me faire un pactole en la faisant entrer dans le
milieu. Sinon hormis ce fait, elle m’est complètement indifférente ! Non
mais totalement quoi !
Petite précision : je n’aime
que moi ! Personne d’autre !
Je me dépêche de sortir des
entrepôts dans lesquels je viens de rencontrer Marc. Et, j’en ressors plus riche
de 10 millions de francs CFA. Oui, l’information coûte chère. J’espère bien
qu’ils élimineront cette idiote le plus tôt possible pour me laisser la voie
libre avec Me Cissé. Hum, celui-là… D’ailleurs, il faut que je l’appelle pour
le « saluer ».
KARIM
A la maison, c’est la guerre
froide. Une semaine que j’ai failli coucher avec Safi, une semaine qu’on ne
s’adresse plus la parole. Elle s’éclipse dès qu’elle me voit entrer dans une
pièce. De ma chambre, je l’entends parfois rire avec Bintou mais dès que je me
pointe, Madame change carrément d’humeur et ne m’accorde aucun regard.
Je la comprends après tout ce que
je lui ai dit la dernière fois mais il fallait qu’elle comprenne que je ne veux
rien avec elle. Je ne veux plus de filles de joie dans ma vie mais des filles
sérieuses.
J’étouffe tellement dans cette
atmosphère que je m’arrange à rentrer tard et sortir tôt pour éviter de la
rencontrer. Et franchement, je ne suis pas des plus heureux de cette situation
car elle me manque. Discuter avec elle, l’entendre parler, être heureuse, me
manque. Mais, même si je suis attiré par elle, je ne me résous pas à imaginer
quelque chose avec elle.
J’ai besoin de changer d’air. Et
aujourd’hui, samedi, je compte bien me défouler. J’ai décidé de sortir en boîte
avec Vicky et des amis pour m’amuser. Malheureusement, depuis que nous sommes
arrivés, je n’ai aucune envie de me lever de mon siège. Je me contente
d’observer Vicky se déhancher sur la piste de danse dans sa petite robe noire
très courte au son d’un artiste local Dj Leo « Profitons de la
vie. ». Vicky et moi, c’est compliqué, je ne peux pas dire si nous sommes
ensembles ou pas. Elle me regarde et me sourit de temps en temps en m’invitant
à venir danser, ce que je refuse d’un signe de tête. Mes pensées sont occupées
par Safi.
SAFI
Je raccroche mon téléphone.
Parler avec Mike me fait du bien. Il faut dire que depuis que Karim m’a
rabroué, je me suis forgée une forte relation avec Mike. Nous parlons tous les
jours de tout et de rien et il me tient informé de l’évolution des choses. Je
pourrais bien le demander à mon avocat mais j’ai trop de fierté. Je communique
aussi avec Maya. Elle est tellement gentille. Hier par exemple, elle m’a
suggéré de venir dormir à la maison quand je lui ai dit que je serai seule pour
le weekend ; ce que j’ai refusé. Avec Tata Bintou en famille pour des
funérailles et Karim qui n’est jamais là, je passerai le weekend seule. Mais je
ne m’ennuierai pas car j’ai plein de cours à réviser.
Je reste regarder la télévision
jusqu’à ce que le journal télévisé de 23h commence et vais me coucher.
Je me réveille en sursaut lorsque
j’entends des bruits de pas dans la maison vers 3h. Ça doit être Karim qui
rentre. Il ne le sait peut-être pas mais j’ai le sommeil léger ces derniers et
je l’entends rentrer chaque nuit. J’ai passé les derniers jours à l’éviter mais
aujourd’hui, j’ai envie de lui dire ce que j’ai sur le cœur. Je me lève donc du
lit, prends mon téléphone et me dirige vers le salon.
Je freine dans mon élan lorsque
je me rends compte que dans le salon, ce n’est pas Karim. Il y a plutôt deux
hommes en cagoule, torche à la main qui se dirigent vers les chambres. Mon cœur
s’arrête de battre. Je rebrousse chemin sans bruit en tremblant de tous mes
membres. Je m’enferme dans la salle d’eau et compose le numéro de Mike.
« Votre correspondant ne peut être joint, merci …. »
Je coupe en jurant. J’aurai voulu appeler Ali mais je n’ai pas enregistré son numéro donc je lance celui de Karim.
- Allô Safi ?
J’entends de la musique en fond sonore. Il doit être dans un bar.
- Karim, il y a des gens à la maison. Dis-je en pleurant.
- Que … quoi ?
- Ils sont là, Karim… snif… Aide-moi.
- Safi ? reste où tu es ! Et fait toi toute petite. Je serai bientôt là. Ali arrive.
J’entends le bruit d’une porte défoncée brutalement : la mienne. Je hurle, surprise. Un des hommes crie : « elle est dans la salle de bain ! »
- Allô ! Safi ? Qu’est ce qui se passe ?
- Ils sont entrés. J’éclate en sanglots.
- Putain ! Je suis en route…
La porte de la salle d’eau vole en éclat. Un homme entre, m’arrache le téléphone et le jette contre le mur. Il me saisit les cheveux et m’entraine pour me jeter sur le lit. Le second me pointe une arme sur la tempe.
- Couche-toi à plat ventre sur le lit ! crie-t-il.
- S’il vous plait, ne …
Je ne finis pas ma phrase lorsque je reçois une gifle retentissante au visage. Je lui obéis illico et sens des mains en train de me retirer mon legging.
- On va en finir avec toi. Mais avant on va s’amuser un peu. Tu as déjà baisé une métisse toi ? demande-t-il à son acolyte.
- Non non … Et je suis tellement impatient ! réponds l’autre en ricanant.
Quoi ? Je préfère mourir
sans perdre ma dignité. Je me débats comme une folle mais ils arrivent quand
même à m’ôter le legging. Je suis désormais en débardeur sans soutien et
culotte en dentelle rouge, couchée sur le dos. Le regard qu’ils posent sur moi
me terrifie.
L’un des deux me tient les mains au-dessus de la tête tandis que le second est en train d’ôter sa ceinture. Je crie, griffe celui qui me tient et bouge dans tous les sens.
- Tais-toi salope !
Il me tient par le cou et envoie
ma tête frapper le chevet du lit. J’ai extrêmement mal mais je n’arrête pas
pour autant de lutter. Il faut que je lutte jusqu’à ce qu’ils décident de me tuer
sans me prendre de force.
L’autre fait sortir son membre et
monte sur le lit. Je lui assène un violent coup de pied dans l’entre jambe qui
le fait hurler. Il se jette sur moi et se met à me frapper. Mon visage souffre.
Je sens un liquide poisseux dans ma bouche, du sang. Le dernier coup, celui au
bas ventre, est le coup de grâce. Je souffre tellement que je ne peux plus
bouger. Je sens mes paupières s’alourdir et je sombre dans le noir.
KARIM
- Safi ? Safi ? bordel ! Allô ! Safi !
La communication est coupée.
Je téléphone rapidement à Ali qui
me confirme qu’il est en train de monter avec son équipe. Je me faufile
rapidement entre la foule sur la piste de danse. Je reçois même un verre de whisky
sur la chemise mais ce n’est pas un problème. J’ai juste envie de me téléporter
jusqu’à l’appartement. Vicky me suit de près en me criant de ralentir. Je lui
hurle dessus de ne pas m’importuner et elle se fait toute petite pendant le
trajet.
Je ne sais pas comment de feux
j’ai grillé ni si j’ai déjà conduit à une si grande vitesse mais toujours
est-il qu’en moins de 10 minutes, j’ai rallié la Zone 4 à Cocody.
J’arrive au niveau du hall en
même temps que Mike qui descendait d’un véhicule de police. J’ordonne à Vicky
de rester en bas et nous montons ensemble dans l’ascenseur en silence.
Dans le couloir qui mène à mon
appartement, une horde de policiers. Mon cœur bat de manière désordonnée. J’ai
peur de ce que quelqu’un pourrait m’annoncer. Je sens la même inquiétude sur le
visage de Mike.
J’entre malgré les interdictions
des policiers et balais l’appartement du regard. Lorsque je la vois, je suis à
la fois soulagé et en colère… contre moi-même.
Elle est certes en vie mais
couverte de bleus et de sang par endroit. Quelqu’un que je suppose être un
médecin l’examine. Son traumatisme est visible jusqu’ici tellement elle
tremble. Elle regarde dans ma direction puis se lève et cours vers moi. Je
tends les bras vers elle mais elle me dépasse et va dans les bras de Mike.
Je suis frustré mais ne le laisse
rien transparaitre. Je sors discuter avec Ali pour avoir les détails.
Apparemment, ils sont arrivés juste au moment où l’un des agresseurs
s’apprêtait à la violer. Je déglutis à ces mots. J’apprends aussi qu’elle était
inconsciente lorsque l’opération s’est déroulée. Je lui donne des consignes et retourne
dans l’appartement. Mike et Safi sont assis côte à côte. Elle a posé la tête
sur son épaule et il lui caresse le bras pendant que le médecin lui applique un
produit sur le bras.
Je ressens une colère soudaine. J’interpelle l’officier.
- Oui. Dit-il en venant vers moi.
- Vous n’avez rien d’autre à faire à part la tripoter ?
- Un, je ne la tripote pas ! Deux, je ne vous permets pas de me parler sur ce ton !
- Sinon ?
- Je vous enferme ! J’ai assez enduré votre comportement déplacé. Je suis la loi je vous le rappelle alors vous me devez le respect.
Je m’approche pour lui parler à voix basse.
- Je me fiche pas mal de qui vous soyez ! Je ne veux plus que vous posiez les mains sur elle… Vous avez été incapables de venir à son secours à temps, n’eût été mes hommes, elle ne serait pas en vie.
- Et vous croyez être mieux que moi ? Avec votre grande gueule, vous n’avez pas fait mieux que moi en matière de protection… regardez la et vous verrez. Vous aurez pu être là pour elle préférant aller vous saouler la gueule. Vous empestez l’alcool !
Il a raison sur ce point mais ça n’explique pas son comportement avec Safi.
- Officier Mike Koffi, ne vous approchez plus jamais d’elle. Vous avez compris ? Je ne me répéterai pas.
- Je resterai avec elle autant qu’elle le voudra. Je la soutiendrai toujours. Et puis, sait-on jamais… Elle finira avec moi. Votre argent n’y pourra rien. Je serai celui qui lui fera l’amour tous les jours pendant que …
C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Je lui assène un coup de poing. Il chancelle puis m’adresse un sourire narquois. Sans un regard pour les policiers qui m’encerclent, je vais en direction de Safi qui regarde la scène avec surprise.
- Safi, on part d’ici ! J’ai trouvé un lieu plus sécurisé pour toi. Tu auras tous les soins dont tu as besoin là-bas.
Elle me regarde les yeux grands ouverts.
- Allez viens Safi ! – Je lui tends la main.
Elle regarde ma main tendue puis
Mike. Seigneur, faites qu’elle vienne avec moi !