CHAPITRE XIII : L'exil

Ecrit par dotou

Enfin, le jour du départ arriva. Cora qui l’avait tant attendu s’étonna de ne ressentir aucune excitation. La joie qui devait être la sienne était ternie par le désarroi. Elle descendait ses valises lorsqu’elle prit pleinement conscience de ce que partir signifiait : c’était quitter le cocon familial, ne plus percevoir la douce voix de sa mère, ne plus pouvoir se réfugier dans les bras protecteurs de son père, et surtout, même si elle tentait de le nier, la peine de ne plus revoir Dean. En pensant à lui, une douleur désormais familière lui coupa le souffle. Jusqu’à sa dispute avec Dean, elle n’avait jamais su ce que souffrir signifiait et face à cette nouvelle épreuve, elle douta d’en guérir un jour.

Dean avait téléphoné la veille au soir et elle n’avait pas voulu prendre la communication. Mais plus tard, elle regretta de ne pas avoir accepté de lui parler. Cela lui aurait permit de s’imprégner une fois encore, une dernière fois de sa voix.

Steve était passé le matin très tôt lui souhaiter un bon voyage ; il disait détester les aéroports. Il avait serré contre lui une Cora désorientée. L’amour si évident que Steve éprouvait à son égard lui donna un sentiment de culpabilité. Désespérée, elle répondit à son étreinte et soupira à travers les fines rigoles de larmes sur ses joues.

L’aéroport grouillait de monde. Après avoir une dernière fois embrassé ses parents, elle se dirigeait vers le hall d’embarquement lorsqu’elle perçut la voix de Dean crier son nom. Se retournant, elle le vit ; à bout de souffle, il jouait des coudes afin de parvenir jusqu’à elle. Indécise, elle resta debout, observant sa progression. Il était à quelques mètres du cordon de séparation, lorsqu’elle sortit brusquement de sa torpeur. Une colère primitive naquit en elle et brusquement elle se retourna et disparut derrière la porte d’embarquement à laquelle n’avait accès que les voyageurs.

Dean occupé à se frayer un passage n’avait pas remarqué son mouvement et ce n’est que parvenu au cordon qu’il s’aperçut qu’elle n’était plus là. Il fut pris de vertige et dut prendre appui sur un pilier. Il savait que jouant de ses relations, il pouvait accéder à la salle où elle se trouvait mais il n’avait plus la force de se mouvoir. Il sentit des larmes traîtresses lui picoter les yeux et il les ouvrit grandement espérant que le vent les empêcherait de couler.

 

L’avion avait atterrit depuis presque une heure et Madame Coulibaly, la directrice et fondatrice de son institut qui était une amie de son père l’avait accueillie à l’aéroport. La rentrée scolaire n’était que dans cinq semaines et elle comptait bien profiter de ces temps de liberté afin de visiter sa nouvelle ville d’adoption.

Abidjan l’émerveilla dès le premier contact. En compagnie de Madame Coulibaly, elle se rendit d’abord sur les lieux où se déroulerait sa formation de styliste. Le cadre était vaste et accueillant et des peintres étaient occupés à redonner aux lieux un air neuf. Enfin, elle se rendit à son appartement qui était situé dans un immeuble au quartier chic de Cocody. En visitant les lieux, elle ne put retenir un cri de joie.

- Magnifique, n’est ce pas ? Commenta sa future directrice. Ton père a tenu à ce que tout soit parfait. Il n’a pas lésiné sur les moyens. L’appartement est parfaitement équipé.

- Je ne le savais pas. Je croyais devoir tout meubler à mon arrivée, s’exclama Cora émue jusqu’aux larmes.

Elle visitait la cuisine et s’extasiait sur le petit réfrigérateur lorsqu’elle entendit un téléphone sonner. Etonnée, elle se tourna vers sa compagne qui éclata de rires.

- Oui, il y a même le téléphone.

Folle de joie, elle s’élança vers le salon.

- Alors princesse, on se sent bien chez soi ?

- Oh papa, s’enthousiasma la jeune fille en reconnaissant la voix de son père. Je me sens si heureuse. Tu es génial.

- C’est surtout une idée de ta mère ; sans cela elle ne t’aurait jamais laissée partir. Elle me torturait les tympans toutes les nuits à force d’affirmer qu’elle ne jetterait jamais sa fille unique dans l’enfer d’une maison froide.

Elle discuta encore un peu avec son père avant d’avoir ensuite Cadia en ligne. Elle était tout affolée bien que Cora lui affirmât qu’elle pouvait se débrouiller seule. De longues minutes passèrent encore avant qu’elle ne puisse enfin raccrocher.

Cora s’intégrait facilement à son nouveau mode de vie, même si les premiers jours elle se sentit désorientée. Il fallait à présent s’habituer à vivre seule, à s’occuper de son appartement, à se faire à manger. Toute une foule de choses à laquelle elle n’était pas habituée. Pour la première fois de son existence, elle se rendit pleinement compte de combien Cadia et Ali l’avaient choyée et aimée. Mais très vite elle s’adapta et c’est avec un réel plaisir qu’elle se sentit capable de prendre soin d’elle-même. Elle commença alors à adorer sa nouvelle vie.

Ses premiers contacts furent avec la famille Coulibaly. Elle se lia d’amitié avec les deux filles de sa directrice. Awa, vingt-deux ans, l’aînée était Assistante de Direction dans une banque de la place. Célifa, la cadette qui avait le même âge que Cora venait, comme elle, d’avoir son baccalauréat et comptait, elle aussi se lancer dans le stylisme. Avec elle, Cora se trouva pleins de points communs et en quelques jours, elles devinrent de véritables amies.

Steve arriva cinq jours avant la rentrée universitaire. Elle lui avait trouvé un studio meublé sur les instructions du jeune homme. Celui-ci était situé non loin de chez elle ; même s’il n’était pas aussi luxueux que le sien, il ne manquait néanmoins pas de charme. Dès son arrivée, elle lui avait clairement signifié que si elle ne mettait pas fin à leur relation, elle avait cependant besoin d’un peu de distance entre eux. Malgré l’insistance du jeune homme, elle ne lui avoua pas les profondes raisons de sa décision. Un soir, munie d’un léger dîner qu’elle avait préparé, elle suivait distraitement un film sur la chaîne nationale lorsque le téléphone sonna. Elle décrocha mais se figea en reconnaissant la voix de Dean. Aussitôt, elle demanda avec agressivité sans répondre à ses salutations :

- Qu’est-ce que tu veux Dean ?

- Ne raccroche pas Cora ! J’avais besoin de prendre de tes nouvelles.

- Je ne veux plus rien avoir avec toi Dean. Tu as été si clair la dernière fois qu’on s’est vus.

- Je t’en prie Cora.

- Je suis fatiguée. Je m’apprêtais à me coucher.

- Je sais que tu dois m’en vouloir Cora. Mais je ne me sentais pas capable d’infliger à Andréa une autre souffrance alors que sa mère luttait contre la mort.

- Je comprends alors, c’est parce qu’elle va mieux que tu as cru devoir appeler cette bonne vieille Cora qui une fois de plus comprendrait et pardonnerait.

- Non Cora, tu as tout faux. Elle est décédée il y a deux jours. L’enterrement aura lieu dans trois jours.

Si Cora accusa le coup, elle n’en laissa néanmoins rien transparaître.

- Transmets mes condoléances à Andréa. J’aurais voulu l’appeler mais c’est au-dessus de mes forces. Je n’ai jamais pu jouer comme certains à l’hypocrisie.

- Cora, je m’excuse de te faire souffrir.

- Tu te trompes. Tu m’as fais souffrir, mais à présent je ne ressens que de l’indifférence à ton égard. Je n’éprouve même pas de la rancœur.

- Je ne te reconnais pas Cora. Tu as tellement changé.

- Oui, et cela grâce à toi, jeta la jeune fille avant de reposer violemment le combiné.

Soudain à bout de forces, elle éclata en sanglots. Elle avait cru un instant que Dean lui annoncerait qu’il avait fini par quitter Andréa, se sentant incapable de vivre sans elle. Blessée, elle renonça à son dîner et se coucha sans parvenir à s’endormir. La fragile quiétude qu’elle avait pu se construire depuis son arrivée venait de voler en éclats. Les blessures à peine cautérisées se rouvraient.

Dean sentit ses oreilles vriller lorsque Cora raccrocha. En reposant à son tour le combiné, il eut l’impression que quelque chose mourait en lui. Sa vie était totalement bouleversée, ses repères effondrés. Il souffrait comme un damné et son travail s’en ressentait. Ses collaborateurs l’évitaient, ses parents se plaignaient de ne plus le voir souvent, sa femme lui échappait.

Andréa en effet s’éloignait de plus en plus de lui et il savait que le Docteur Agossou n’était pas innocent dans cette affaire. Même si elle essayait de dominer ses sentiments, Dean devinait sa femme amoureuse de celui qui avait été le médecin de sa mère tout au long de son agonie. Depuis près de deux mois, sa femme et lui n’avaient plus aucune relation intime, et il s’en trouvait soulagé. Il savait à présent que ce qu’il éprouvait pour sa femme n’était pas de l’amour, mais seulement une grande estime. Alors que onze heures du soir sonnaient à la grande horloge du bureau, il pensa pour la première fois au divorce qui tôt ou tard serait l’échéance de leur mariage. Il ne voulait plus faire semblant. Dans quelques jours, il fêterait son trente-quatrième anniversaire et il ne voulait plus se sentir prisonnier d’une relation qui était vouée à l’échec. Il avait aussi pleinement conscience que si Cora le rejetait, c’était indiscutablement par sa faute.

Le Droit d'aimer