CHAPITRE XIX : Nos chemins divergent
Ecrit par dotou
- Ma fille sera ici dans deux jours, annonça Cadia à Norma alors qu’elle était venue passer quelques jours auprès de Norma afin de l’aider à s’adapter à sa nouvelle vie.
- Je serai très heureuse de la rencontrer enfin. Malgré mes questions, Dean me parle très peu d’elle. Mais à chaque fois que j’arrive à lui soutirer quelque chose, il me donne l’impression de lui être très attaché.
A cet instant, Dean apparut et souleva dans ses bras son fils que sa grand-mère venait juste de langer après qu’il eut tété.
- Salut mon grand, s’exclama le jeune père.
- Ne le porte pas trop haut. Il vient à peine de téter.
Mais l’avertissement vint un peu tard. Adnane émit un gazouillis sonore puis déversa une partie de sa tétée sur la belle chemise immaculée de son père qui fit une grimace.
- On dirait que cela devient une habitude grimaça Dean. C’est la troisième fois qu’il me salit en deux jours. Hier, il ne s’était pas du tout gêné pour se soulager sur moi.
Les deux femmes éclatèrent de rires et Dean les imita à son tour. Chaque jour, il s’attachait davantage à son fils et déjà il ne concevait plus sa vie sans lui. Il ressentait un immense plaisir à rester auprès de lui. Chaque fois qu’il le regardait, il s’émouvait que cet enfant fût vraiment à lui. Ce qui l’impressionnait le plus était l’énergie de l’enfant. Lors de ses tétées, Dean pensait se trouver devant un régiment affamé. Et la première fois qu’il l’avait vu pleurer, il avait presque pris peur tant il criait.
- Cora sera à Cotonou dans deux jours, annonça Cadia sans transition.
Le visage détendu de Dean se crispa soudain.
- Ah oui ! Tu lui as parlé ?
- Oui, avant mon arrivée chez Norma. Elle veut connaître son neveu. Elle vient avec Steve.
- Tu n’as pas l’air content ! Remarqua Norma qui l’observait.
- Qu’est-ce qui te fait penser cela ? Persifla le jeune père en quittant la pièce.
Sans en comprendre la raison, elle devina que le seul nom de Cora mettait Dean dans tous ses états. Très intuitive, Norma sut que Cora était pour Dean, la corde la plus sensible de son être.
Convaincre Steve ne fut pas long, même s’il lui fit comprendre qu’il ne pourrait s’absenter plus d’un week-end à cause de son emploi du temps chargé. Cora elle-même ne pouvait pas se permettre plus, car il y avait un défilé de mode auquel elle devait participer le mois suivant.
Ce fut Cadia et le chauffeur qui allèrent les accueillir à l’aéroport. Ils se rendirent directement chez Norma. En voyant le nourrisson, le jeune couple ne put s’empêcher de pousser des cris de ravissement. Cadia dû les interrompre afin de leur présenter Norma qui venait d’apparaître.
- Bon sang ne saurait mentir, cita Steve, vous êtes aussi magnifique que votre fils.
- Merci beaucoup Steve. Cora, je suis vraiment heureuse de vous rencontrer enfin. J’ai tant entendu parler de vous que j’ai l’impression de vous connaître déjà.
- Je suis aussi heureuse de vous rencontrer, avoua Cora en contemplant celle qui pour elle avait ravit le cœur de Dean.
Deux heures après leur arrivée, Dean apparut. Tout de suite, Norma ressentit le changement d’humeur de Cora qui était devenue un peu nerveuse. A plusieurs reprises, Norma remarqua ses doigts qui trituraient l’ourlet de sa robe à la coupe parfaite. Dean aussi d’habitude si enjoué, s’était après quelques paroles de bienvenue, muré dans le silence. Cadia essayait en vain de redonner une ambiance plus cordiale. Seul Steve, qui jouait avec Adnane, ne ressentit pas le subtil malaise qui s’était installé dans la pièce. Dean, lorsqu’il pensait ne pas être vu, fixait étrangement Cora. Norma qui ne le quittait pas du regard, remarqua qu’en ces moments-là, son regard devenait plus doux, plus intense.
Tout à coup, dans un geste maladroit, Cora renversa son verre de limonade sur sa robe. Steve qui avait quelques instants plus tôt remit Adnane à sa grand-mère saisit vivement un torchon et essaya de limiter les dégâts. Presque sans s’en rendre compte, Norma se tourna vers Dean et se figea. L’air avec lequel l’homme fixait le couple la troubla profondément. Son regard était douloureux et empreint d’une sorte de détresse. A sa respiration qui s’accéléra presque imperceptiblement, Norma devina que Dean était jaloux du couple que formaient Steve et sa sœur. Déroutée, elle cherchait une plausible explication lorsqu’un détail la frappa soudain. Elle se rappela que Cora était en fait la sœur adoptive de Dean et toute la vérité lui apparut, brutale, troublante. Cette femme que Dean aimait passionnément était en fait Cora, sa sœur adoptive. Un instant, elle vit le regard de Dean croiser celui de Cora et la puissance des sentiments qu’ils exprimèrent sans le vouloir la laissa désarmée. Elle prit alors conscience qu’à jamais les portes du cœur de Dean lui seraient fermées car c’était Cora qui en détenait les clés.
Cadia partit avec le jeune couple qui promit revenir la voir dès le lendemain. Olga donnait le biberon au bébé dans la nursery si bien que Norma et Dean se retrouvèrent seuls au salon. Ce dernier demeurait prostré, son regard chargé de douleur contemplait le vide. Norma respectait sa souffrance, et comme lui, se murait dans le silence.
- Tu crois qu’elle est heureuse ? Demanda soudain Dean en brisant enfin le silence.
- Qui ? Questionna Norma faisant mine de ne pas comprendre.
- Mais Cora ! Selon toi, est-ce qu’elle est heureuse avec ce Steve.
- Ils ont l’air de s’aimer. En tout cas, Steve est fol amoureux d’elle.
- Tu crois qu’elle l’est de lui ?
- Je pense. Je suis si désolée pour toi.
- Je ne te comprends pas.
- La femme que tu aimes, c’est ta sœur. Je l’ai tout de suite senti.
- C’est ma sœur adoptive.
- Je sais. Pourquoi ne pas lui avouer tes sentiments ? C’est peut-être la meilleure solution.
- Non, elle doit me détester à présent. Je l’ai tellement fait souffrir. Je l’ai repoussée toutes les fois qu’elle a avoué ses sentiments pour moi. Nous avons même fait l’amour ensemble une fois. J’étais encore marié à Andréa. Lorsqu’elle est venue me voir deux jours plus tard au bureau, je l’ai repoussée, lui faisant croire que je tenais trop à ma femme.
- Mais pourquoi Dean ? Ne savais-tu pas déjà que c’était Cora que tu aimais et non Andréa ?
- Oui, mais ma belle-mère venait de tomber gravement malade. Elle souffrait d’un cancer et gisait sur un lit d’hôpital. Andréa avait en ce moment-là besoin de ma présence. Je me devais de la soutenir.
- Tu aurais dû expliquer tout cela à Cora. Elle t’aurait sûrement compris.
- Mais je ne l’avais pas fait, croyant que c’était la meilleure décision pour nous deux.
Norma aurait voulu poursuivre la conversation, mais le visage de l’homme qui s’était refermé l’en dissuada.
Le week-end passa comme un éclair et ce fut avec regret que le jeune couple retourna à Abidjan. Cora n’avait pas revu Dean et s’en trouvait soulagée. Lorsqu’ils s’étaient retrouvés chez Norma, la jeune femme, malgré toute sa volonté, n’avait pu s’empêcher de se laisser troubler. Elle avait longtemps cru être guérie de son emprise, mais quelques heures passées en sa compagnie lui avaient démontré le contraire.
Quelques temps plus tard, son diplôme de styliste obtenu avec les honneurs du jury, Cora, à présent, ne pensait plus qu’à réaliser son rêve de toujours ; ouvrir son agence de stylisme. Elle sollicita l’aide de ses parents et six mois après son diplôme elle se mit à son propre compte. Très vite, les couturiers d’abord s’intéressèrent à ses créations, ensuite ce fut au tour des magasins de haute renommée qui lui proposèrent des contrats mirobolants. Sûre de son talent, Cora prenait tout son temps pour l’étude des contrats et se taillait même le luxe de rejeter ceux qui ne l’avantageaient pas. Elle avait depuis deux ans ouvert son agence, lorsqu’il fut organisé un concours international de stylisme. Ce fut avec surprise mais non sans fierté qu’elle se hissa à la cinquième place. Dès lors, elle fut propulsée au firmament de la gloire. Même les plus grands couturiers de la planète, tels que Christian Dior et Yves St Laurent lui achetèrent ses créations qui étaient d’une rare originalité.
Steve et Cora se marièrent dans la plus grande intimité et invitèrent seulement quelques-unes de leurs relations. Leurs parents respectifs y assistèrent, mais pas Dean car il se trouvait à Tokyo durant cette période.
Après quelques doutes, Cora eu la confirmation qu’elle était enceinte. En apprenant la nouvelle, Steve la tournoya dans les airs :
- Je suis si heureux mon amour. Un enfant de toi a toujours été un de mes rêves les plus fous.
Alors que Cora se trouvait à quelques semaines de son accouchement, ils déménagèrent. Avec la venue du bébé, leur appartement devenait très exigu. Ils achetèrent une magnifique villa de cinq pièces à la « Palmeraie » un quartier résidentiel situé un peu en retrait de la ville.
Quelques jours avant Noël, Cora mit au monde une petite fille. Cadia qui était auprès de sa fille depuis deux semaines s’exclama la première fois qu’elle prit le bébé dans ses bras :
- Mon Dieu, on dirait Anna en miniature. Elle ressemble trait pour trait à ta défunte mère.
- D’après les photos que j’ai d’elle, je ne peux que te donner raison, renchérit la jeune mère.
- La même délicate ossature et surtout ses yeux.
- Elle s’appellera alors Anna Joyce, en souvenir de sa grand-mère, décréta fièrement Steeve.
Avec la venue du bébé, Cora se trouva dans l’obligation de réduire ses activités professionnelles. Mais afin de ne pas trop léser sa clientèle elle transforma une des pièces de la maison en atelier. Durant les semaines qui suivirent la naissance de sa fille, elle ne se rendait au bureau qu’en cas de nécessité.
Chaque jour, elle découvrait de nouvelles joies d’être mère. Les premiers jours, elle avait presque peur de la toucher tant elle lui paraissait fragile. La présence de Cadia lui fut très réconfortante. Après deux mois passés auprès de sa fille, elle repartit à Cotonou. Cora l’invita à transmettre ses meilleurs sentiments à son père et à Dean.
Dean à qui elle s’était efforcée de ne pas penser au cours de ces dernières années. Elle avait trouvé auprès de Steve le bonheur qu’elle n’avait cru possible qu’avec Dean. Aujourd’hui, Cora se sentait comblée par sa fille et son mari. Dean n’était plus qu’un merveilleux et douloureux souvenir d’adolescence.