Chapitre XLI
Ecrit par Tiya_Mfoukama
Chapitre XLI
Ma chemise enfilée, je me pose la question de savoir si j'en remonte les manches ou pas lorsqu'elle apparaît devant moi, sortant de la salle de bains. D'une main, elle renoue sa serviette sur sa poitrine et de l'autre, elle tamponne ses cheveux à l'aide d'une seconde serviette, faisant disparaître les gouttelettes d'eau qui perlaient au bout de ses cheveux frisés.
Une fois qu'elle estime que ses cheveux sont assez bien essorés, elle s'empare d'un t-shirt, qui m'appartenait avant qu'elle ne se l'approprie, et y enroule ses cheveux.
Sans faire cas de ma présence, elle retire la serviette qui entourait sa poitrine, se retrouvant totalement nue. Ce qui me permet de regarder à loisir l'arrondi de son ventre.
C'est dingue, il y a encore une semaine, je n'avais pas l'impression que c'était aussi visible et aujourd'hui, j'ai l'impression que ces petits êtres qui s'abritent sous son ventre veulent crier au monde entier qu'ils sont là. Je trouve ça fascinant.
J'aurai aimé pouvoir passer ma main à l'endroit même où le ronflement me semble plus accentué mais je me retiens. Je ne peux pas… pas pour le moment. Il y a encore trop de tension entre Tiya et moi, et je ne pense pas qu'elle accepterait de me laisser la toucher alors même qu'elle refuse presque de m'adresser la parole.
Elle m'en veut encore pour ce qu'il s'est passé il y a trois semaines, mon absence alors qu'elle avait besoin de moi. Je le comprends et suis même assez surpris qu'elle ait accepté de venir avec moi ce midi et sans me poser de questions. Ce qui n'est pas plus mal. Je me dis que malgré le mini pitch que j'avais prévu de lui sortir pour la convaincre, je n'aurai pas réussi à en prononcer un mot et ça aurait été compliqué de lui faire accepter l'idée que…
« — Je suis prête dans moins de vingt minutes. elle lance, assise sur le lit, et mettant sa crème sur son corps.
— Je n'ai rien dit.
— Tu me fixes depuis tout à l'heure. elle me répond sans lever un oeil vers moi.»
Je me retiens de parler et remballe ma frustration aussi vite qu'elle est apparue. Il y a encore quelques mois, elle aurait compris que ce regard qu'elle pouvait sentir sur elle était de l'admiration, mêlé à une dose d'envie. D'envie de la prendre dans mes bras, plonger mes doigts dans sa crinière indomptable, y enfouir mon nez et humer longuement la senteur coco qui en émane. Elle aurait compris qu'il s'agissait d'admiration, d'envie et non de reproche. Mais c'est de ma faute, je ne peux en vouloir qu'à moi même. Raison pour laquelle, je m’attelle à remettre les choses en ordre et j'espère fortement que la journée d'aujourd'hui, me permettra de faire un grand bon.
Je finis de m'habiller en traînant un peu, pour lui laisser le temps d'en faire autant. Si j'avais fini avant elle, j'aurais probablement tourné en rond dans la maison et elle aurait eu l'impression que je fais preuve d'impatience. Et ça aurait pu nous emmener vers une énième incompréhension. Mais encore une fois, j'espère que tout cela va changer à partir d'aujourd'hui…
« — Tu es prête ? je lui demande devant la porte d'entrée.
— Oui. »
Je lui ouvre la porte d'entrée ainsi que la portière de la voiture avant de prendre place au volant, faire une petite prière intérieure et espérer que tout se passera bien quand on sera devant.
***
« — C'est une blague ? elle demande d'une voix neutre qui ne présage rien de bon. »
Je me retiens de lui répondre, en même temps il n'y a rien à répondre, la simple direction que prend la voiture dit tout.
« — Dylan? C'est une blague? elle me questionne de nouveau, cette fois sur un ton moins neutre, plus aigu. C'est chez Ange-Albert que tu m'emmènes ?
— ….
— Je pensais que… Putain, mais c'est pas….C'est pas possible. elle soupire en arrangeant une mèche de cheveux imaginaire derrière son oreille. Je…. pffff
— Je pense qu'il est important que l'on vienne ici. Je te demande simplement de rester pendant deux heures, et après, on rentrera, si tu veux vraiment rentrer.
— ….»
Je n'obtiens aucune affirmation ou négation à ma demande. Elle se contente de croiser les bras sous sa poitrine et s'enfoncer un peu plus dans son siège.
Je klaxonne devant le portail puis après qu'il se soit ouvert, je parcours la petite distance qui nous sépare de la maison ou devrais-je plutôt dire la villa.
Je reconnais avoir été impressionné la première fois que je suis venu ici. Non pas à cause de tout le luxe affiché dès le portail, mais par le contraste entre l'immensité des lieux, la proportion de chaque pièce, espace, assez volumineux, et le nombre de personne qui réside dans cette maison. On s'attend à y voir une ribambelle d'enfants, un grand nombre d'habitants, des cris, des pleurs, de l'animation, de la vie, et au final on a seulement l'écho d'un grand silence. Cela rend cette maison terne et froide, pour ne pas dire glaciale et on se retrouve à avoir compassion de ses deux résidents, permanents.
J'invite Tiya à sortir de la voiture en lui ouvrant sa portière, et pendant les dix secondes qui suivent, je prie intérieurement pour qu'elle accepte de sortir, sans faire de scandales. Ce qu'elle fait.
Dès notre arrivée sur le perron, nous sommes accueillis par une femme entre deux âges, assez souriante, qui nous invite à la suivre et nous conduit jusqu'au salon, où se trouve les parents de Tiya.
« — Oh ! Vous êtes déjà là ! s'extasie papa Ange-Albert en nous voyons. Je pensais que vous auriez quelques minutes de retard. Ca fait plaisir de voir des jeunes arriver à l'heure. De nos jours, ce n'est plus une valeur que les jeunes respectent. Et pourtant, ça en dit long sur l'intégrité et l'organisation de la personne invitée.
— Ce n'est pas faux. je me contente de dire.
— Bonjour Tiya.
— ….. Bonjour. »
Elle le dit du bout des lèvres, comme si on lui avait placé une arme sur la tempe pour l'obliger à parler, puis balaye la pièce du regard, avec l'impression qu'elle est à la recherche de quelque chose. Un moyen de sortir peut-être? je ne saurais pas quoi dire. J'ai connu le pire de Tiya, et j'ai vu qu'elle était capable de tout. Aujourd'hui la situation n'est pas la même, mais il s'agit toujours de la même Tiya qui peut s'avérer quelque peu… indélicate, on dira.
« — Bonjour Tiya.
— Maman.
— Comment vas-tu ? Tu as pu prendre un petit déjeuner ce matin ?
— ….Humm. »
Maman Jeanne comprend que Tiya ne va pas se montrer très loquace et finit par se tourner vers moi pour me saluer.
J'échange avec elle et papa Ange Albert pendant quelques minutes avant qu'il ne nous propose de rejoindre la salle à manger.
« — Sylvie a déjà dressé la table, mais si vous le voulez, nous pouvons attendre un peu avant de manger. J'ai cru comprendre que Tiya, tu avais des horaires un peu décalés.
— Non, on va y aller maintenant. je réponds rapidement, pour couper court à la réponse que Tiya s'apprêtait à donner.»
Nous rejoignons la salle à manger, puis prenons place Tiya et moi, en face de ses parents, en discutant de tout et de rien, sans entendre une seule fois la voix de Tiya.
Le déjeuner se passe relativement bien, et est rythmé par des discussions toutes aussi ordinaires les unes que les autres. Mais au moins, elle permettent d'agrémenter le repas. Bien évidemment, Tiya n'ouvre à aucun moment sa bouche sauf pour émettre des onomatopées à certaines reprises, et toujours après une intervention de son père.
« — Je sais que le dessert est allégé en sucre mais ça ne devrait pas te poser problème, tu m'as dit ne pas trop en raffole et Tiya plus jeune n'était pas une très grande fan des desserts trop sucrés.
— Sauf que ça a changé. balance Tiya du tac au tac. Non seulement j'aime le sucré, mais j'adore les desserts bourrés de sucre. Mais ça pour le savoir, il aurait fallu que tu daignes me connaître un tant soit peu. Oh c'est vrai, j'oubliais; toi tu ne cherches pas à connaître les gens, tu préfères te contenter de décider pour eux et puis le reste n'a pas d'importance.
— Tiya ! intervient sa mère.
— Tiya quoi maman? J'ai joué le jeu pendant tout le repas mais il ne faut pas m'en demander plus ! J'en ai marre de tout ça! elle dit en se levant. Toute cette comédie, tout ce faux semblant ! J'en ai marre ! Y'en a assez !
— Tiya… je tente de la retenir par le bras.
— Non toi tu me laisses tranquille ! Je pensais que tu voulais qu'on discute, que tu allais m'emmener sur un terrain neutre justement pour que nous discutions de tout ce qui est en train de se passer mais non, t'as rien trouvé de mieux que de m'emmener chez cet enfoiré !
— Tiya ! Je t'interdis de parler de cette façon à ton père, encore moins sous notre toit! Pour qui te prends-tu à la fin ?!
— Sous ton quoi ? Non mais tu es sérieuse maman ?»
Ce déjeuner commence à prendre une tournure que je n'imaginais pas, du moins pas si forte. Le but était de crever l'abcès et mettre les choses à plats pour repartir sur de bonnes bases, pas empirer la situation.
Je me lève à mon tour pour tenter de calmer Tiya qui semble incontrôlable. Je n'avais vraiment pas prévu une réaction aussi virulente de sa part.
« — Il nous a abandonnées comme si nous n'étions rien, s'est jamais soucié de nous et toi aujourd'hui tu prends sa défense ? Tu me parles comme s'il avait été un bon père ou même un bon mari ?
— Tiya calme toi. je lui demande calmement.
— Toi je t'ai dit de me laisser tranquille ! Tu m'as emmené ici, c'était pour quoi ? Pour essayer de te trouver un nouveau père ? Essaie de te construire comme un vrai homme en ayant des échecs et en te relevant au lieu d'à tout prix vouloir te référencer à quelqu'un. Pour information, il est tout aussi mauvais et égoiste que ton père.
— Tiya, là tu vas trop loin, et je te tolérerai pas que tu manques de respect autant à mon mari qu'au tien et sous ce toit. tonne sa mère. Si tu veux partir, tu pars et puis c'est tout.
— Jeanne…. souffle son père.
— Non Ange, trop c'est trop ! Quelle est cette attitude ? Ce n'est pas l'enfant que j'ai élevé en face de moi ! elle hurle le regard sévère sur Tiya. Qui n'a jamais fait d'erreur ici ? Qui ? C'est même toi la cheftaine des gaffeuses mais ça t'a bien fait plaisir lorsqu'on a pris le temps de t'écouter quand tu voulais t'expliquer et demander pardon. Personne ne t'a insulté, personne ne t'a pris de haut ! Mais toi ! Regarde ton comportement ! »
Ce n'est pas comme ça que je voyais les choses. Ce n'était pas sensé se passer de cette façon.
Je décide d'intervenir et proposer à Tiya de rentrer, mais au moment où je veux prendre congés de ses parents, son père, resté silencieux jusqu'à présent se met à parler.
« — Dans la vie, il y a des attitudes que j'ai eues, dont je ne suis pas spécialement fier, j'ai fait des choix assez discutables et que je ne referai probablement pas si j'avais l'occasion de repartir en arrière. Parmi ces choix, il y a celui qui où j'ai choisi mon travail, ma carrière au détriment de ma femme et de mes enfants. Je me disais que je faisais ça pour notre bien à tous, pour que nous ne manquions de rien. Pour que vous, ta mère, tes soeurs et toi ne manquiez de rien. Mais c'était un mauvais choix… Tout ce que j'ai toujours voulu, pour tes soeurs et toi, c'est le meilleur. Le meilleur en toute chose. C'est vrai que mes méthodes, ma façon de faire est peu orthodoxe, mais c'est ce qui me caractérise, et ça, je ne peux pas le changer, pas à mon âge. Et je ne suis pas certain de vouloir le changer. Pourquoi je te dis ça? Parce que j'ai eu à rencontrer ton mari à plusieurs reprises ces trois dernières semaines, et… Ce que je retiens de nos échanges, me prouve que j'ai fait le bon choix, le concernant. Tout ça pour te dire que si tu attends des excuses de ma part, je ne t'en donnerai pas. J'ai fait ce qui me semblait bon pour toi, j'ai agi en tant que père. Et je ne pourrai jamais m'excuser d'avoir agi en tant que père... »
La fin de sa phrase est emportée par la quinte de toux grasse qui le prend subitement.
Je sens que Tiya fulmine de rage et se retient de lui rentrer dedans, le temps qu'il fasse passer sa quinte de toux, mais cette dernière continue, de plus en plus fort, au point où je me sens obligé d'intervenir.
« — Ca va ? je lui demande en l'aidant à s'asseoir.
— Oui...keuf keuf….. C'est Keuf keuf...Ri….keuf !
— Je vais aller te prendre tes médicaments. dit mama Jeanne en s'élançant vers un couloir. »
Elle revient moins de cinq minutes plus tard, avec un sac entier bourré de médicaments, qu'elle ouvre un par un et lui donne.
« — Je ne vais pas tout prendre Jeanne, ça va m'épuiser, et j'ai envie de garder toute ma tête. il grogne en refusant un médicament qu'elle lui tend.
— Mais là, tu n'as pas l'air bien Ange.
— De toute façon, nous allons vous laissez. je dis pour soutenir maman Jeanne. On repassera…. »
Sans plus rien dire, nous prenons la direction de la porte d'entrée, et je peux sentir que Tiya est troublée, qu'elle est prise entre la colère et l'incompréhension de la scène qui s'est joué devant elle. Alors je lui laisse le temps. Je nous reconduis à la maison dans un silence assourdissant, et ce n'est que lorsque je coupe le moteur que je décide de prendre la parole et lui expliquer ma démarche, le but de cette rencontre.
« — …. Tu sais, ce que j'ai eu du mal à accepter avec l'affaire de la liaison de mon père, ce n'était pas le fait qu'il ait trompé ma mère, même si ça a beaucoup joué. Non, ce que j'ai eu du mal à accepter, c'est le fait qu'il ait menti aussi facilement, qu'il nous ai pris pour des cons aussi facilement… J'ai toujours entendu les gens dire que je ressemblais beaucoup à mon père, que j'étais une autre version de lui et tout ceci m'est remonté en tête lorsque j'ai appris qu'il trompait tout son monde… Je me suis demandé si, comme je lui ressemblais, j'étais aussi capable de tromper mon monde. Et pour ça, j'ai essayé de comprendre comment on pouvait en arriver là. Comment en ayant tout, on pouvait vouloir encore plus au point d'user de mensonge, de tromperie. Et je ne trouvais pas de réponses...Alors je suis parti voir ton père, qui était sensé lui ressembler, du moins partager certaines de ses valeurs. Je voulais savoir, comprendre le cheminement de pensées, de réflexions, pris par mon père pour en arriver là où il en est arrivé, et c'est comme ça que j'ai découvert que ton père était loin d'être un Koffi 2. Que contrairement à mon père, ce mariage, il ne l'a jamais organisé dans le but d'obtenir plus d'argent. C'est pour toi qu'il l'a fait et rien que pour toi. Il l'a dit tout à l'heure, ses méthodes sont discutables et je ne peux pas dire le contraire, mais j'ai compris. J'ai compris ce qui l'a conduit à agir comme il l'a fait….Ce que je voulais faire aujourd'hui Tiya, c'était de demander pardon. Pardon pour mon attitude, pour mon absence et pour le fossé que j'ai créé. J'avais besoin de m'éloigner pour éviter de nuir autour de moi, mais la vérité c'est que ça a eu l'effet inverse...J'aurais aimé être là, il y a trois semaines, parce que je t'ai dit que je serai là pour toi. Et s'il te serait arrivé quelque chose, je me le serai jamais pardonné… On a pas choisi d'être ensemble, c'était un hasard pour nous, ce qu'on appelle "les jeux du destin" mais tu ...tu peux pas imaginer à quel point je suis reconnaissant de ce hasard, ces jeux. Sans ça, je ne t'aurais pas connu, je ne me serais pas découvert non plus. Je n'aurais pas découvert certaines facettes de ma personnalité qui m'ont permis d'être meilleur. Parce que même si je dois reconnaître qu'il y a encore beaucoup de choses à travailler sur moi, à tes côtés je suis devenu meilleur… Entre nous, ce ne sera pas tous les jours roses, y'a des jours qui seront marqués par des larmes, des cris, des engueulades, les épreuves de la vie et que sais-je encore, mais ces moments passeront. Ensemble, on les passera. »
Je ne me suis pas entendu parlé, je n'avais rien préparé et tout est sorti de façon spontanée. Que mes propos aient eu du sens ou pas, je n'en sais trop rien, mais au moins, j'ai pu lui dire ce que j'avais à lui dire.
Je prends une grande inspiration et balance ma tête en arrière, fermant les yeux au passage, pour m'appuyer contre l'appui tête. Je l'entends ouvrir la portière , sortir et reclaquer la portière derrière elle, mais je ne cherche pas à la retenir.
Je lui ai dit ce que j'avais à lui dire, et tout ce que je vais maintenant attendre qu'elle le comprenne, l'accepte, et que les choses s'arrangent enfin.
J'ai besoin de retrouver ma femme, mais ça, je ne lui ai pas dit.